Elephant



Vendredi 12 décembre 2003 à 20h45

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Gus Van Sant – USA – 2003 – 1h21 – vostf – Interdit aux moins de 12 ans

En ce jour d’automne, les lycéens, comme à leur habitude, partagent leur temps entre cours, football, photographie, potins, etc. Pour chacun des élèves, le lycée représente une expérience différente, enrichissante ou amicale pour les uns, traumatisante, solitaire ou difficile pour les autres. Cette journée semble ordinaire, et pourtant le drame couve…

Sur le web

« Le 20 avril 1999, deux lycéens massacraient froidement une quinzaine de leurs camarades au lycée Columbine, aux Etats-Unis. Toutes les raisons furent convoquées pour tenter une explication rationnelle de cet événement : la défection parentale, l’absence de repères solides, la solitude, l’ennui, la rancœur sociale, les jeux vidéo, la télévision, les sympathies nazies, la violence de la société américaine, la libre circulation des armes… autant de raisons peut-être nécessaires mais certainement pas suffisantes pour expliquer le mystère insondable du passage à l’acte.

Dans Bowling for Columbine, Michael Moore s’est emparé de cette tragédie pour un documentaire centrifuge partant du noyau Columbine pour déployer une interrogation plus vaste sur la nature profonde de la société américaine. Michael Moore se rangeait là dans le camp de la quête du sens, de la rationalité, les pieds plus largement posés dans les sciences humaines que dans l’art. Dans Elephant, Gus Van Sant opte pour un tout autre geste artistique, orchestrant un film centripète concentré temporellement et spatialement dans le noyau du fait divers, tout en excluant la singularité du fait au profit du paradigme (la ville et le nom du lycée ne sont jamais précisés dans le film), pour une rêverie poétique et personnelle, à la fois concrète et abstraite. Le cinéaste a l’honnêteté intellectuelle d’admettre sa sidération, son mélange de fascination et d’incompréhension face au mystère de la tuerie de Columbine, refuse de se réfugier dans les explications sommaires ou la posture morale facile ­ car s’indigner, c’est aisé, c’est le réflexe premier, tout le monde a réagi ainsi, Van Sant aussi, qui préfère à juste titre ne pas rajouter une couche de discours aux milliers d’articles plus ou moins experts qui ont commenté ce fait divers. Van Sant propose une autre forme d’appréhension de l’événement, une approche artistique et sensorielle plutôt que sociologique et explicative, une forme qui mélange concept et liberté, rigueur et poésie avec une virtuosité et une grâce proprement sidérantes.

Van Sant fait un film sur le comment de l’événement, pas sur le pourquoi, ce que ne lui ont pas pardonné certains observateurs : il fallait entendre les critiques américains à Cannes, y compris les plus pointus et ouverts à toutes les formes de cinémas, lui reprocher vertement de ne pas proposer la moindre explication. Pourquoi demander à l’art de tenir le rôle du journaliste, du sociologue, du juge, du flic ou du psychanalyste ? Pourquoi ne pas laisser les artistes libres de poétiser le réel, même le plus sombre ?

Poète, Gus Van Sant l’est ici magistralement. L’univers d’Elephant, il l’a construit autour des deux données fondamentales du cinéma : l’espace et le temps. L’espace, c’est celui du lycée, un labyrinthe de salles et de couloirs, que les élèves traversent comme une ronde d’atomes ou de planètes en orbite, circulairement. Symptomatiquement, les deux tueurs sont les seuls qui sont exclus du cercle en mouvement, qui sont filmés à leur domicile et dans des phases statiques. Le temps, c’est celui de l’heure précédant le massacre : c’est à la fois du temps réel (celui qu’il faut à un corps en marche pour parcourir quelques centaines de mètres), du temps subjectif (certains bruitages accentués, un ralenti qui surgit parfois dans la continuité du mouvement d’un trajet pour souligner l’intensité d’un moment) et du temps recomposé (la même scène vue selon des points de vue différents à quelques minutes d’intervalle), morcellement temporel dont on ne prend pas conscience tout de suite tellement l’ensemble est d’une fluidité qui touche à la liquidité. Symptomatiquement encore, les deux tueurs sont exclus aussi de cette tranche temporelle puisqu’on les voit prendre leur petit-déjeuner, tuer le temps chez eux, faire des repérages pour la tuerie, autant de petits faits qui n’ont pu se dérouler dans l’heure avant le drame. Cet ordonnancement archi-pensé de l’espace et du temps pourrait laisser craindre une œuvre froidement cérébrale. C’est là l’un des miracles du film : il parvient à fusionner les contraires, la froideur (conceptuelle) et la chaleur (l’empathie pour les corps filmés), l’ordre (de la structure générale et de la mise en scène) et l’aléatoire (des démarches, des attitudes, des corps, des visages, des cadrages flottants qui semblent toujours prêts à bouger les limites du cadre et à accueillir du hors-champ). Elephant procure le sentiment étrange d’un film aussi fortement concret qu’abstrait. Dès le début du film, on a le sentiment que les corps, les visages et les lieux filmés existent sur l’écran avec une acuité très nette, comme s’ils étaient doués d’une vie au carré. La tuerie est filmée avec une sécheresse et une brutalité qui font peur, un vrai choc dans les corridors qui balaie s’il en était besoin le doute sur l’éventuelle fascination du cinéaste pour les tueurs. En même temps, la caméra flottante (qui suit les lycéens tel un ange gardien bienveillant mais impuissant), les ralentis ou effets sonores, la structure circulaire du film produisent une sensation de rêve (ou de cauchemar) éveillé. Ainsi, les protagonistes sont à la fois des lycéens ordinaires qui vaquent à leurs occupations quotidiennes et des demi-dieux, des icônes gracieuses, sexy, élégantes, flottant dans l’Olympe de l’adolescence éternelle. Elephant saisit au plus profond et dans le même mouvement le quotidien prosaïque et la mythologie de la jeunesse.

Un film lucide, ni moralisateur, ni rassurant, ni outrageusement sombre, qui ne traite pas le spectateur en consommateur infantile à qui il faudrait dire qui sont les bons et les méchants ; un film qui regarde le monde tel qu’il est plutôt que tel qu’il devrait être. Une forme et une pensée en marche, un objet en soi qui conjure la barbarie par le mystère poétique plutôt que par un discours surplombant. Un chef-d’œuvre. » (lesinrocks.com)

« Par cette peinture en mouvement de l’univers du lycée, Gus Van Sant a su retranscrire les codes du monde adolescent. En le filmant sous les différents points de vue de plusieurs personnages archétypaux qui se croisent mais interagissent rarement, il en saisit la diversité mais surtout la structuration en castes, qui forment un tout mais se mélangent peu, dans un monde où le paraître règne en maître. Pourtant, par sa volonté de tourner avec des acteurs non professionnels et de s’inspirer de leurs propres vies pour écrire leurs personnages, Gus Van Sant capte également les individus en eux-mêmes et leurs personnalités propres, en pleine construction, au-delà des archétypes qu’ils représentent. Le réalisateur ne juge pas cet univers, il ne cherche même pas à l’analyser. Par sa démarche très réaliste, quasi documentaire, il cherche à le saisir avec authenticité, mais par son approche poétique, par cette caméra qui se déplace tel un spectre, qui suit les adolescents mais sans jamais vraiment les appréhender, il avoue ne pas pouvoir et assume ne pas vouloir décrypter tout le mystère de cette période de la vie… » (lebleudumiroir.com)

« Nul n’a filmé avec tant de douceur un lycée : à la fois espace de vie et de communications intermittentes, de solitude et de refoulement, cocon d’une indécidable liberté et tombeau de toutes les frustrations (les complexes de la binoclarde dans la salle de sport), le campus d’Elephant est un espace tout à la fois intra-utérin et cosmique (le plan magnifique de tombée de la nuit), qui recouvre le champ des émotions adolescentes jusque dans ses plus délicates nuances. Plutôt que de chercher une hypothétique source au torrent d’épouvante qui recouvre la fin du film, GVS se contente de peindre en mouvement, dans un geste pudique, impressionniste et profondément subjectif, veiné d’une intarissable compassion, la vie et la mort d’une poignée d’adolescents sans relief, dans toute leur anodine et bouleversante liberté. » (chronicart.com)

Le titre choisi par Gus Van Sant, Elephant, est une référence au film-homonyme de la BBC, réalisé en 1989 par Alan Clarke et centré sur la violence sectaire en Irlande entre Catholiques et Protestants. Le cinéaste avait choisi ce titre d’après l’image sarcastique du nez au milieu de la figure. Pour Gus Van Sant, « ces jeunes vivent à une époque différente, mais tout aussi violente« . « C’était juste un regard différent sur le sujet« , explique le réalisateur Gus Van Sant. « On n’avait jamais eu autant de fusillades dans les écoles américaines. Je voulais faire quelque chose qui essaierait de rendre l’état d’esprit des jeunes qui allaient à l’école à cette époque. Toutefois, nous ne voulions pas expliquer quoi que ce soit. Le public doit se demander comment de telles choses peuvent se produire. J’ai surtout cherché à présenter une impression poétique plutôt que de dicter aux spectateurs ce qui s’est passé et ce qu’il faut en penser ». Il ajoute: « Nous avons vu Bowling for Columbine avant de tourner. C’est une oeuvre brillante. C’est une chance que Michael Moore existe.« 

Hormis quelques rôles, Elephant est principalement interprété par des comédiens non-professionnels, encore au lycée ou à l’université pour la plupart. Le film marquait pour la majorité leur première expérience cinématographique. Plus de 3 000 adolescents se présentèrent aux auditions organisées pour le film.

L’équipe du film put tourner dans un véritable lycée du nord-est de Portland, récemment fermé, au mobilier quasiment intact. « Nous avons réussi en relativement peu de temps à faire quelque chose qui ressemblait à nouveau à un lycée« , explique le producteur Dany Wolf. Nous voulions que le cadre soit ausi réel que possible« .

L’équipe du film s’est inspirée des documentaires de Frederick Wiseman et des photographies de William Eggleston pour définir le look du film. « Wiseman tourne toujours dans des endroits assez difficiles à filmer, que ce soit dans un grand magasin ou un lycée« , révèle Gus Van Sant. « Il essaie vraiment de dresser un portrait de la situation, des gens et de l’endroit. C’est pareil pour William Eggleston : il prend des photos de l’environnement, mais aussi des personnages qu’il y rencontre. Tant avec Wiseman qu’Eggleston, nous ne savez jamais exactement où ils sont, mais quel que soit l’endroit, le résultat est stupéfiant. nous pensions donc à des choses qui seraient sublimes mais pas nécéssairement luxueuses ou trop réfléchies ou bien encore surfaites. Nous avons beaucoup utilisé la lumière du jour, ou à vrai dire toute lumière disponible, et essayé de trouver ce qu’il y avait de plus beau« .

Présenté en sélection officielle au festival de Cannes 2003, Elephant a obtenu le Prix de la mise en scène ainsi que la Palme d’or.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

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