Vendredi 22 janvier 2016 à 20h30
Film de Paul Vecchiali – France – 1983 – 1h32
Françoise revient à Toulon, sa ville, après vingt ans d’absence… pour tuer. Qui veut-elle tuer ? Ces gens – des parents – qui occupent sa maison, une villa qu’elle avait fait construire au prix de lourds sacrifices. Pourquoi veut-elle tuer ? Parce que ces gens ont dénoncé, croit-elle, son mari comme collaborateur durant l’Occupation ? Pour mettre un terme à sa propre réussite sociale qui n’a déclenché qu’envies et calomnies ? Elle revit des moments de son passé… sa mère… l’école où elle-même était institutrice… son mari Charles… En haut des marches de la villa, que va trouver Françoise ? …
Notre critique
Par Josiane Scoleri
En haut des marches est un film où Paul Vecchiali s’expose comme jamais. Pendant que défile le générique, portraits à l’ancienne et film sépia, nous entendons la voix du réalisateur, contenue d’émotion qui s’adresse à sa mère. Nous sommes tout de suite dans le domaine de l’intime où il ne saurait être question de tricher. Même si nous sommes dans la fiction. Mais nous sommes aussi dans l’Histoire avec un grand H. Tout de suite, un carton nous apostrophe très clairement: Si justes soient les idées, il ne suffit pas de choisir son camp, il faut aussi choisir ses actes. Nous voilà avertis et d’ailleurs, la première scène du film, avant même que Danielle Darrieux ne descende du train, nous montre l’arrestation de quelques excités se revendiquant encore de l’OAS, nous sommes en 1963.
À partir de là, le film comme un tissage subtil va entremêler plusieurs fils narratifs dans des allers/retours constants entre sphère publique et sphère privée, comme entre passé et présent. Ces différents niveaux du récit s’éclairent mutuellement, apportant à chaque fois une lumière plus subtile sur la manière dont s’imbriquent et se répondent la « petite » et la « grande » histoire. Les flash-backs dissocient souvent l’image et le son. Images au présent (Danielle Darrieux déambulant dans la ville à son retour à Toulon et voix off d’une autre époque ou l’inverse). Le montage est à la fois très dynamique et très fluide, c’est grâce à lui que ressort avec autant de force la cohérence du propos.
Car même s’il s’agit d’une histoire de famille, de sa famille, n’allez pas croire que Paul Vecchiali se livre à un simple exercice nostalgique. Il est là pour parler haut et fort de sujets qui fâchent, de blessures qui ne sont pas refermées, et ce qui vaut pour sa famille, vaut pour la société française toute entière. Seulement voilà, n’allez pas non plus attendre de Vecchiali qu’il donne dans ce qu’on n’appelait pas encore « le politiquement correct ». En haut des marches aborde de front, même si c’est par le prisme de l’intime, toute la question de la Collaboration et de la Résistance et il le fait sans enjolivures ni complaisance pour quiconque. À la fin des années 70 (le film sort en 79), mis à part le coup de tonnerre qu’avait signifié Le chagrin et la pitié de Marcel Ophüls en 1971, la représentation de cette période historique dans le cinéma français relève encore plutôt de la mythologie nationale : presque tous valeureux résistants face à quelques fourbes avides et sans principes,
Vecchiali au contraire n’hésite pas à faire entendre la voix des nostalgiques de Pétain (et ils étaient certainement très nombreux dans les années 60). La longue scène entre Michel Delahaye et Danielle Darrieux sur les quais, parsemée elle aussi de notes personnelles et de clins d’œil au cinéma (« Lola » de Jacques Demy) est à ce titre emblématique. Et pour comble, dans ce règlement de comptes familial, les résistants, tout héros qu’ils soient, vont se comporter comme des salauds bassement arrivistes. On comprend que Vecchiali ne se soit pas fait que des amis à la sortie du film…
Les documents d’archives sonores, (discours de Daladier au moment de la mobilisation, discours de Pétain le jour de la capitulation, appel du 18 juin de de Gaulle et de nombreux autres moins connus) servent de colonne vertébrale au récit mais ils donnent lieu en même temps à des superpositions inattendues, des fondus-enchaînés auditifs, des quasi-télescopages dans l’espace et le temps. Vecchiali réussit aussi à traduire ces effets visuellement avec par exemple les magnifiques plans sur le visage grave de Danielle Darieux en surimpression sur des vues aériennes de Toulon en 63 avec en bande-son les sifflements des bombardements pendant la guerre.
Le va et vient entre hier et aujourd’hui se poursuit au fur et à mesure que Françoise rencontre des gens qui la connaissaient à l’époque et qu’elle revisite les lieux qui ont été les siens. L’émotion grandit de scène en scène avec des moments paroxystiques comme le long monologue sur la plage malgré – ou sans doute plutôt à cause – de ces ruptures permanentes qui maintiennent le spectateur en tension, dans une sorte d’état d’alerte sensible, Le film va prendre une autre tournure et s’intensifier davantage encore avec l’intervention de Michelle, la jeune avocate. Avec ce personnage, souvent véhément, Vecchiali introduit la nouvelle génération, celle qui juge ses aînés au regard de l’Histoire et fait entendre un autre point de vue que celui de Françoise. L’ Histoire, presque toujours nécessairement vécue par le petit bout de la lorgnette (« nous cultivions des patates… c’était une sacrée résistance de survivre ») se trouve malmenée par l’analyse de l’Histoire a posteriori, sans oublier ce personnage de femme aveugle qui revient régulièrement scander le déroulement du récit. Françoise reconnaît sa cécité ( « alors, j’ai été lâche ») face à cette jeune fille qui exige des comptes. La lumière dans les scène tournées en prison est très travaillée, avec des découpages sophistiqués d’ombre et de lumière qui contrastent avec la clarté des scènes d’extérieur qui elles captent la luminosité de la Méditerranée en écho au tailleur bleu lumineux de Françoise. Car avec tout ça, Paul Vecchiali fait du cinéma au sens noble du terme. C’est la matière des images qui porte le film avec cette attention constante accordée non seulement à la lumière (coup de chapeau comme toujours à Georges Strouvé) mais aussi au rythme, à la composition des plans, à la bande-son et à la musique (avec deux très beaux moments où Danielle Darrieux chante comme dans ce cher cinéma des années 30 qui hantera toujours Paul Vecchiali).
Vecchiali comme tous les vrais inventeurs malaxe le passé pour nous parler d’aujourd’hui et se projeter dans l’avenir. Bien des phrases du film résonnent malheureusement aujourd’hui une terrible acuité.
Sur le web
En haut des marches est le fruit d’un double postulat voulu par Paul Vecchiali. Le réalisateur souhaitait d’une part raconter la vie de sa mère décédée peu avant le début du tournage et rendre également un hommage à Danielle Darrieux à qui il vouait une véritable adoration depuis sa plus tendre enfance.
En haut des marches est un film refusant la linéarité. En effet, l’intrigue se partage en trois temporalités. A son retour à Toulon, le personnage de Danielle Darrieux se remémore son passé et l’assassinat de son époux au moyen de retours en arrière tout en se projetant également dans le futur à l’occasion d’un procès imaginaire.
En haut des marches et plus généralement l’ensemble de l’oeuvre de Paul Vecchiali s’inspire du cinéma français des années 1930 et de ses cinéastes emblématiques tels que Jean Grémillon et Henri Decoin. La présence de Danielle Darrieux au casting du film est à voir comme un trait d’union entre le cinéma de cette époque et l’oeuvre de cinéaste de Paul Vecchiali.
…En haut des marches pourrait être un film solennel, avec sa convocation pesante de l’histoire familiale et collective, mais il ne l’est pas, car il est tempéré une nouvelle fois par la fameuse « dialectique » de Vecchiali ; un jeu pris entre l’authenticité des émotions décrites ou remémorées, et les inventions perpétuelles de cinéma qui s’y glissent, pour amener le film sur le terrain de la plus pure fiction, de l’interprétation jouée, de la mise en scène rendue manifeste, de la fantaisie – de toute une réinvention libre mais respectueuse. <Ainsi En haut des Marches est, plus que jamais, un hommage malicieux au cinéma qui offre, comme dans ce complexe de mémoire et d’imaginaire (véritable recréation du personnage de la mère « par l’intérieur »), ses échappées, ses moments d’incrédulité, ses folies visionnaires, et ses mises en garde de fiction. Il n’en demeure pas moins que le film est profondément bouleversant, par sa forme, et son crescendo dramatique (la fameuse montée des marches finale), tout comme par la façon qu’il a d’investir l’Histoire par le « dedans », par un témoignage vécu et « ordinaire » qui met à mal les certitudes établies…(Culturopoing.com)
Parmi les différents acteurs du film, les spectateurs n’auront pas manqué de remarquer la présence d’Hélène Surgère, actrice fétiche de Paul Vecchiali ayant participé à la plupart de ses films. La comédienne, décédée en 2011, a commencé sa carrière avec un film du cinéaste, Les Ruses du diable en 1965, et l’a terminée avec un autre, Les gens d’en bas en 2010. Entre ces deux films, le réalisateur et sa muse ont collaboré à huit reprises.
Le film fut présenté au Festival de Cannes en 1983 dans la section Perspectives.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri, Bruno Precioso et Vincent Jourdan
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