Ex Libris : The New York Public Library



Samedi 25 Novembre 2017 à 19h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Frederick Wiseman – USA – 2017 – 3h17 – vostf

Frederick Wiseman investit une grande institution du savoir et la révèle comme un lieu d’apprentissage, d’accueil et d’échange. La New York Public Library incite à la lecture, à l’approfondissement des connaissances et est fortement impliquée auprès de ses lecteurs. Grâce à ses 92 sites, la 3ème plus grande bibliothèque du monde rayonne dans trois arrondissements de la ville et participe ainsi, à la cohésion sociale des quartiers de New York, cité plurielle et cosmopolite. Comment cet incomparable lieu de vie demeure-t-il l’emblème d’une culture ouverte, accessible et qui s’adresse à tous ?

« J’aime le tournage et le montage, mais pour des raisons différentes. Ce que je n’aime pas du tout, c’est chercher l’argent, ça, c’est plus emmerdant. Le tournage est très intensif, très sportif, très instinctif et le montage plus intellectuel, c’est une combinaison des éléments rationnels et irrationnels. C’est plus une étude, je peux voir une séquence 20 fois pour trouver le moyen de le couper. Alors que trouver les financements, c’est très difficile, encore plus maintenant qu’au début car il y a davantage de gens qui demandent l’argent alors qu’il y en a moins, en Amérique. » (Frederick Wiseman)

Notre critique

Par Josiane Scoleri

Ex-Libris est un film aussi imposant que l’institution qu’il décrit, aussi labyrinthique, presque tentaculaire pourrait-on dire. Mais Frederick Wiseman, au fil de ses 50 ans de tournage dans les lieux les plus divers  a mis au point une méthode de travail à la fois simple et rigoureuse ( équipe très réduite, tournage sur la durée, montage mosaïque minutieux à partir des centaines d’heures de rush accumulées). Il nous offre ainsi une plongée au cœur même du fonctionnement de la New York Public Library, bibliothèque unique en son genre, protéiforme et démultipliée dans ses 87 annexes. La diversité des lieux, des situations, des intervenants a de quoi donner le tournis.

Mais, en même temps le film est rythmé par une certaine régularité dans sa multiplicité même. Les plans de coupe en extérieur – à toute heure du jour ou de la nuit et en toutes saisons – avec les gros plans sur le nom des rues ou les plaques à l’entrée des différents sites, les réunions de l’équipe de direction, toujours dans le même bureau avec le même décor, le format interviewé/ interviewer pour les conférences. Tout cela revient comme une respiration où nous retrouvons nos marques, en reconnaissant les lieux et/ou les visages.

Ce qui est réellement étonnant avec la méthode Wiseman, c’est que nous sommes balancés en plein milieu d’une discussion ou d’un événement, sans la moindre introduction, sans explication, sans voix off discursive, et pourtant au bout de quelques secondes tout au plus, nous saisissons ce dont il s’agit, que ce soit une réunion sur le budget ou une présentation littéraire. Et sans doute encore plus incroyable, nous nous y intéressons tout de suite. Wiseman pique notre curiosité et nous accroche dans la foulée avec une facilité déconcertante. Sa vivacité intellectuelle est contagieuse. Tout dans le montage montre à quel point il prend lui-même plaisir à apprendre, à être surpris. Et ici qui plus est – ne boudons pas notre plaisir – nous sommes agréablement surpris. L’énergie qui se dégage du film dans son ensemble, l’enthousiasme des intervenants, leur conviction profonde nous vont droit au cœur. Chez Wiseman, les failles et les contradictions d’une organisation, quelle qu’elle soit, émergent toujours du réel et apparaissent clairement au montage. Or, ici on pourrait presque croire à un portrait idyllique. Si les difficultés sont bien présentes et exposées à plusieurs reprises, l’attelage, en tout cas a l’air de tirer dans le même sens. Et les résultats sont au rendez-vous. C’est suffisamment rare pour être souligné.

Le film nous emmène donc de couloirs en sous-sols, de salles de lecture en ateliers, d’auditoriums en laboratoires,  et nous découvrons ce faisant toute la complexité de la NYPL (« Ennewaïepielle », si vous voulez vous la jouer branché!) qui ferait plutôt penser à celle d’un organisme vivant.

Pour nous Européens, ce qui est frappant, mis à part l’insistance sur le partenariat public-privé où ce sont plutôt les partenaires publics qu’il faut convaincre, c’est l’étonnant kaléidoscope des activités  et des projets proposés dans un véritablement engagement au service, non pas de la population ou des citoyens comme nous dirions en France, mais des « communautés » qui constituent la véritable colonne vertébrale de la société américaine. Passer d’un quartier à l’autre à New-York, c’est passer d’une communauté à l’autre et les différentes annexes de la NYPL en sont le fidèle reflet.

On comprend bien avec ce film – même si ce n’est pas son propos – à quel point la question noire continue de travailler l’ensemble du corps social. L’imbrication entre héritage de l’esclavage, violence et fracture sociale apparaît clairement au fil des différentes interventions qui s’avèrent toutes passionnantes. Là aussi, le grand art du montage de Wiseman donne cette fluidité étonnante où nous nous attardons à chaque fois suffisamment- rarement plus de quelques minutes- pour saisir les enjeux propres à chaque cas de figure. Souvent moins d’une minute suffit. Ça en dit long sur la densité incroyable du film et la variété des sujets abordés au cours de ces 3h25 qu’on ne voit pas passer.

Le film alterne de fait les passages qui ont trait au fonctionnement de l’institution à proprement parler en passant en revue à peu près tous les postes d’une bibliothèque classique, de l’équipe de direction au service de prêt, des archives photos aux collections de gravures par exemple et les scènes consacrées aux activités « sociales » : cours de danse ou d’informatique, concerts, conférences, ateliers pour ados ou pour tout-petits avec leur maman, etc…C’est sans doute dans ce balancement entre tradition et modernité, affaires internes et liens avec le monde extérieur que le film tire toute sa puissance. Il réussit à nous surprendre en permanence, alors même que sa structure est mise en place en quelques scènes au démarrage et qu’elle ne variera plus. Mais nous avons sans doute besoin de cette stabilité pour garder la concentration et nous relancer à chaque fois  dans un nouveau sujet, un nouvel aspect, une nouvelle approche.

Certes New-York n’est pas les États-Unis et la bibliothèque n’est pas Twitter, mais par ces temps de fake news généralisées, un tel concentré de réflexion et d’engagement, un tel appétit de connaissance nous fait l’effet d’un bain de jouvence et redonne singulièrement espoir. Ce n’est pas le moindre mérite de ce film qui aurait pu être austère, voire rébarbatif (au vu du sujet) et qui s’avère plein de vitalité et d’optimisme.

Tous les critiques y ont vu le symbole de l’ « autre Amérique » ou pour le dire comme Wiseman : « Mon film est devenu beaucoup plus politique depuis les élections présidentielles »…

Sur le web

« Après avoir terminé In Jackson Heights [consacré à un quartier multiculturel de New York, ndlr], j’ai pensé qu’il serait peut-être intéressant de filmer une bibliothèque, sans en être sûr car je ne connaissais rien du fonctionnement de ces lieux à ce moment-là. J’ai alors contacté Anthony Marx, le directeur de la New York Public Library, qui a dit oui tout de suite. C’était au printemps 2015, j’ai commencé le tournage en septembre. La bibliothèque a 90 annexes dans tout New York, j’ai tourné dans 17 d’entre elles et on en voit 13 dans le film.« 

Frederick Wiseman a toujours aimé et fréquenté les bibliothèques, « parce qu’on y découvre des choses inattendues et parce qu’on peut tout y trouver, par exemple les horaires des trains entre Pinsk et Minsk en 1875 ou la correspondance entre William Butler Yeats et Ottoline Morrell de 1902 !« , s’amuse-t-il. Le metteur en scène poursuit quant aux raisons l’ayant poussé à réaliser un documentaire centré sur la bibliothèque publique de New York NYPL) : « Je ne m’étais alors pas imaginé tout ce que représentait une bibliothèque comme celle de New York, surtout dans les quartiers populaires. La New York Public Library (NYPL) a son bâtiment central célèbre, mais aussi près de 90 branches partout dans la ville. C’est aussi l’immensité de leurs archives, de leurs collections, la diversité de leur programmation et l’implication réelle et passionnée de ses équipes, tout comme leur dévotion et capacités à aider les autres qui m’ont attirés.« 

Pour Frederick Wiseman, la NYPL, n’est pas seulement un endroit où les gens vont chercher des livres ou consulter des archives, c’est aussi une institution qui est centrale pour les habitants et les citoyens, notamment dans les quartiers pauvres comme le Bronx. En ce sens, le réalisateur est tout à fait d’accord avec l’un des intervenants du film dit que les bibliothèques sont des « piliers de la démocratie ». Wiseman développe : « C’est très impressionnant d’arriver dans un endroit où les gens travaillent vraiment à aider les autres, et notamment les plus pauvres ! On voit dans le film l’étendue du spectre d’activités proposées par la NYPL : des cours de langue pour les immigrés, des cours d’informatique, des aides à la création d’entreprise… On sent à quel point les différents lieux où la NYPL est installée sont importants dans la vie des gens. Mais, surtout, ce sont des endroits où tout le monde peut venir, sans exception, sans avoir besoin de présenter une carte d’identité. »

Alors que les bibliothèques peuvent avoir une image austère, Ex Libris The New York Public Library montre beaucoup de moments joyeux. « Il y a quelque chose de joyeux parce que l’esprit est contagieux, parce que ceux qui travaillent à la NYPL sont inventifs et généreux. Ce n’est pas la solution pour tout ce qui se passe en Amérique, mais c’est magnifique qu’une telle institution existe. L’actuel président de la bibliothèque s’est donné comme objectif de continuer les missions traditionnelles de la bibliothèque, mais aussi d’aider les populations pauvres« , raconte Frederick Wiseman.

Ex Libris The New York Public Library est très long : 3h 20. Frederick Wiseman justifie ce choix : « Mes films durent la durée nécessaire, lorsqu’ils aboutissent après des mois de montage. Parfois, cela peut être six heures, comme pour Near Death, parfois 84 minutes, comme pour Titicut Follies. Je n’accepte aucune restriction de la part des chaînes de télévision, parce que j’ai lutté, au début de ma carrière, avec la télévision publique, pour cela. Le film dure la durée que je pense être juste. Mon devoir se situe envers les gens que je filme, et envers les spectateurs, et pas envers les chaînes de télévision qui estiment que l’attention du public ne peut dépasser 52 minutes ou qui ont besoin de caler un nombre élevé de programmes dans la même soirée. »

« Des livres par millions, des photos, des manuscrits. Des rencontres avec des écrivains. Des récitals de musique classique ou contemporaine. Des cours de braille ou de danse pour seniors… Un lieu utopique ? Pas du tout, il existe bel et bien, à New York, et c’est l’infatigable Frederick Wiseman (87 ans) qui l’explore pour nous, toujours assoiffé de curiosités. Il filme la Bibliothèque centrale (sur la Cinquième Avenue), mais aussi celles d’autres quartiers (Manhattan, le Bronx, Staten Island), le tout constituant la fameuse New York Public Library, institution publique soutenue avec des fonds privés. C’est un monde d’accès au savoir qui se veut ouvert à tous (y compris aux sans-abris, qui viennent s’y réchauffer). Aussi, dans les réunions de l’équipe diri­geante, le thème « des laissés-pour-compte du numérique et d’Internet » revient-il souvent. Tant sur la diversité des échanges et des services que des visages et des âges (en deçà de 7 ans et au-delà de 77 !), Ex Libris fait un bien fou, s’accordant parfaitement avec la formule de Toni Morrison, citée un moment : « Les bibliothèques sont les piliers de notre démocratie. » Au-delà de la persistance des injustices liées à la question raciale, il redonne pleinement confiance dans les valeurs d’une Amérique de la solidarité, de l’éducation et du partage. Bref dans tout ce que le président Donald Trump sabote résolument depuis son élection. » (telerama.fr)

« Après l’Opéra Garnier, la National Gallery de Londres, l’Université de Berkeley ou encore le Crazy Horse, Frederick Wiseman (lire notre entretien) filme avec Ex Libris un autre lieu-clé de la culture occidentale : la Public Library de New York. Pourtant, à la différence de ces autres films en vase clos, Wiseman ne s’enferme pas entre les quatre murs d’un seul et même lieu. Car la Public Library, ce n’est pas seulement le célèbre bâtiment de Bryant Park à Manhattan, mais un réseau de 88 antennes de quartier, dispersées du Bronx à Staten Island. En dehors de ça, la méthode de Wiseman reste la même: pas d’intervenants, pas de voix off, un portrait mosaïque sans fil rouge ni personnage central, uniquement de la captation sans commentaire. Or il y en a des choses à capter: outre les salles d’études, les bibliothèques de New York accueillent des spectacles vivants, des rencontres avec des artistes, des conférences, des cours mais aussi tout un tas de services rendus à la population (aide à l’intégration, à la création d’entreprises, à la recherche d’emploi…)

Ce qui intéresse Wiseman c’est en effet moins le strict fonctionnement interne de la bibliothèque que son interaction avec une population d’usagers particulièrement divers. La Public Library telle que la filme Wiseman est moins un lieu qu’une organisation. C’est justement l’évidence que tient à rappeler une gérante: une bibliothèque ce n’est pas du tout un simple lieu de stockage pour livres, et pas seulement parce que la technologie numérique y est moderne et facile d’accès. Une bibliothèque, poursuit-elle, c’est de l’argent public réinvesti envers la population. C’est d’abord en cela que la Public Library se révèle un lieu de grands enjeux politiques: c’est un réseau qui relie tout le monde, des femmes voilées du Bronx aux grands donateurs de Midtown. C’est l’un des rares endroits où l’on peut être accueilli et rester longtemps sans voir besoin de payer ou consommer. Il n’y a même pas besoin de carte d’identité.

De Patti Smith ou des poètes noirs venant présenter leurs autobiographies, aux recherches généalogiques sur les émigrés ayant fui l’Europe, en passant par une scène tout simplement incroyable où des apprentis interprètes rejouent la déclaration d’indépendance américaine en langue des signes, Wiseman brode en filigrane un double portrait: celui du multiculturalisme passé et présent des Etats-Unis. Wiseman laisse beaucoup de place à l’image aux handicapés, aux non-blancs et aux marginaux, sans fétichisme. L’éventail du savoir à disposition dans le réseau de New York donne le vertige, et Wiseman le remarque avec humour (au détour de requêtes particulièrement pointues, on apprend qu’un livre sur les bébés chats fait partie des livres les plus empruntés). Des réunions de bureaux en clubs de lectures, voir des gens de tous âges et toutes origines s’enthousiasmer pour le partage de la culture sous toutes ses formes est galvanisant…A la fois tour de Babel et Bibliothèque d’Alexandrie, la Public Library est un lieu où la culture sert à mieux vivre ensemble, et donne envie de vivre ensemble. Euphorisant et optimiste sans être naïf, Ex Libris n’est pas qu’un documentaire sur une bibliothèque, c’est une utopie politique des plus concrètes. » (filmdeculte.com)

Contrairement à ce que son nom peut penser, la New York Public Library n’est pas une institution seulement publique, mais un partenariat public/privé, puisque près de la moitié du budget provient de fonds et de fondations privées.

Ex libris désigne au départ l’inscription à l’intérieur d’un livre du nom du propriétaire, et prend parfois la forme d’une image ou d’un blason. Frederick Wiseman a choisi ce titre en rapport avec une private joke, puisque son beau-père avait mis ex libertis avec son nom sur tous les livres qu’il avait achetés dans sa bibliothèque. Le cinénaste explique également : « Mais ce que je veux surtout indiquer est que mon film ne reflète pas tout ce qui se passe à la New York Public Library, de la même façon que j’ai intitulé mes films précédents At Berkeley ou In Jackson Heights, parce qu’il n’est pas possible de filmer tout ce qui se passe dans ces lieux. Mais ici, plutôt que d’avoir à titrer From The Library, il existait une expression latine permettant de suggérer cela. »

Frederick Wiseman a monté Ex Libris The New York Public Library en numérique, un format qu’il a utilisé pour la première fois sur La Danse, le ballet de l’Opéra de Paris, en 2009. Le réalisateur a toutefois filmé ce nouveau documentaire en analogique. Il explique par rapport à cette question des formats : « Je trouve qu’on raconte beaucoup de conneries sur les différences entre le montage analogique et numérique. Ce n’est pas la machine qui effectue les choix et les coupes ! Ça me prend exactement le même temps de monter le film en numérique ou en analogique. Le travail se fait dans la tête, pas dans la machine. Ce n’est pas parce que la machine est informatisée que je peux lui dire : « Tiens, voilà cinq heures de rushs, prépare-moi une séquence de cinq minutes. Le système numérique Avid que j’utilise aujourd’hui est d’ailleurs issu du système analogique Steenbeck. La seule chose qui va plus vite est la possibilité de récupérer tel ou tel plan, mais ça n’est pas nécessairement une bonne chose. Quand la bobine était sur le mur, qu’il fallait aller la chercher, la poser sur la Steenbeck pour chercher tel ou tel plan, ce n’était pas du temps perdu. On revoyait ce qu’il y avait avant et après et cela pouvait donner des idées. »


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri .

Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h30 précises.

N’oubliez pas la règle d’or de CSF aux débats :
La parole est à vous !

Entrée : 7,50 € (non adhérents), 5 € (adhérents CSF et toute personne bénéficiant d’une réduction au Mercury).

Adhésion : 20 €. Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, ainsi qu’à toutes les séances du Mercury (hors CSF) et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier.
Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici


 

Partager sur :