Familia



Samedi 05 Février 2011 à 20h30 – 9ième  Festival

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Fernando Leon de Aranoa – Espagne/Portugal – 1997 – 1h40 – vostf

L’histoire de Santiago, père de famille qui rêve d’une femme et d’enfants parfaits. Mais voila, ça ne va jamais comme il veut: il n’aime pas le cadeau que son fils lui a offert pour son anniversaire; il ne le croit pas quand il lui dit qu’il l’aime, et que pour ça, rien que pour ça, il lui crie dessus, le met a la porte, se fâche avec tout le monde et exige un autre fils, qui soit moins gros, et si possible lui ressemblant un peu. Qui donc n’a jamais rêve d’avoir une famille faite sur mesure.

Notre critique

Par Josiane Scoleri

FAMILLES, JE VOUS HAIME

La famille, cellule de base de la société, est aussi comme chacun sait le lieu fondamental où prennent naissance tous nos affects, toutes nos représentations et tous nos dysfonctionnements. À partir de ce thème classique, Fernando León de Aranóa signe un premier film à la fois très classique et très maitrisé dans sa forme qui joue sur le thème de la représentation avec ses différentes variantes « modernes » : la photo (avec les photos du générique et celle qui conclut pratiquement l’intrigue), le théâtre ( avec la troupe de comédiens amateurs et le respect de l’unité de lieu, de temps et d’action et bien sûr le cinéma ( avec une mise en scène discrète et efficace et une excellente direction d’acteurs). Choisir sa famille : contradiction dans les termes. La famille, c’est précisément – par définition – ce que l’on ne choisit pas et dont il faut bien, vaille que vaille s’accommoder. Difficulté des parents à accepter leurs enfants tels qu’ils sont, vu qu’ils ne correspondent jamais – heureusement – à leurs multiples attentes. Difficulté en miroir des enfants vis à vis de leurs parents, qui ne sont jamais les parents idéaux dont chacun rêve. Difficulté de la fratrie à comprendre et accepter qu’il peut y avoir plusieurs centres du monde… C’est de cette dialectique complexe entre autorité, transmission et répétition que nous parle sous son air bonhomme et tranquille ce film à tiroirs plus complexe qu’il n’y paraît. Grâce à une idée de scénario à la fois simple et originale qu’il vaut mieux ne pas révéler ici, Fernando León de Aranóa tisse sa toile et fait ressortir avec une évidence souvent grinçante tous les jeux de rôles, faux-semblants et simulacres qui constituent la matière première des relations familiales.

Après une première scène où le spectateur ne se doute de rien, le subterfuge qui est la raison même d’être du film nous est abruptement révélé et nous sommes pris dès lors dans un balancement continuel entre différents niveaux de réalité où le faux semble souvent plus vrai que vrai. Juan-Luis Galiardo, impeccable dans le rôle, campe un patriarche caractériel et inquiétant, doté d’un autoritarisme torve et d’accès soudains de bonhommie. Et bien malin qui pourrait dire quels sont les moments où il joue le rôle qu’il imagine devoir tenir au vu des circonstances qu’il a lui- même mise en place et quels sont ceux où il exprime ses véritables sentiments. En tout cas, force est de constater tout au long du film qu’il jouit d’autant plus de la situation qu’elle est temporaire et illusoire. Situation de pouvoir, d’autorité quasi-immanente. Sentiment de toute-puissance nourri comme il se doit par les autres personnages puisque comme dans toute famille qui se respecte, chacun est censé connaître sa place et tenir son rang (épouse, fils ainé, soeur cadette, petit dernier, etc.), et ici, soyez en sûr, ce sera plutôt deux fois qu’une. Les relations conjugales sont l’objet d’une attention toute particulière de la part du réalisateur. Le couple, sur le mode du modèle unique, comme on dirait de la pensée unique, se voit lui aussi soumis à rude épreuve et décline ses multiples variantes, figures obligées dérivées de la contrainte sociétale et de l’hypocrisie érigée en système. Qui fait semblant de quoi ? Et avec qui ? Nous sommes dans une sorte d’imbroglio à la Marivaux où chaque couple peut en cacher un autre. Et là aussi bien difficile de savoir dans quelle mesure nous sommes dans l’adéquation au rôle préétabli ou dans l’émotion véritable en n’oubliant jamais – qui plus est – que l’un n’empêche pas forcément l’autre…

Amour, Convention, Adultère, Attirance, Sexualité, Rivalité, Jalousie, Simulation : toutes les combinaisons sont possibles et se déroulent devant nous dans un chassé-croisé permanent, mais sans la moindre hystérie – nous ne sommes pas chez Almodovar – je dirais même sans le moindre coup d’accélérateur ou de klaxon, dans une certaine placidité. Certains reprocheront sans doute au film ce côté « long fleuve tranquille », mais c’est à n’en pas douter par ce parti-pris de mise en scène que le cinéaste nous fait toucher du doigt la banalité même de toutes les situations. Et si nombre d’entre elles tiennent un peu lieu de figures imposées, elles n’en restent pas moins totalement crédibles à chaque fois, portées par des acteurs qui restent justes en toutes circonstances. Les personnages secondaires (la mère, le beau-frère et la belle-soeur) sont bel et bien présents et chez eux aussi, l’entrelac entre fiction et réalité, fiction dans la fiction, théâtre dans le cinéma, etc., fonctionne à plein et donne davantage de substance à ce qui serait sinon de simples « petits rôles ». Et si le film nous parle, comme l’annonce le titre, de la « Famille », famille idéale, famille fantasmée, famille vécue, famille vue de l’extérieur, etc., il nous parle aussi en contre-point de la solitude de l’homme moderne, surtout à partir du moment où il ne correspond pas au canon en vigueur. L’obligation de performance dans nos sociétés d’opulence est devenue telle qu’elle envahit tous les domaines de la vie : diktat de la carrière, de la forme physique et de la silhouette, de la réussite scolaire et bien sûr aussi de la parfaite « petite famille». Et ce qui dans le temps donnait lieu à quelques quolibets sous l’épithète de « vieille fille » ou de « vieux garçon » est devenu si lourd à porter qu’il n’y a pas lieu de s’étonner des contorsions auxquelles se livrent bon nombre de nos contemporains pour satisfaire à la norme. On le voit, l’initiative prise par Santiago n’est peut-être pas finalement si « déjantée » qu’il nous semblait au départ. Et comme il le dit en guise de conclusion et à rebours de la soi-disant sagesse populaire : « Mieux vaut être mal accompagné que seul ». Réhabilitation de la famille diront certains. Jugement un peu hâtif me semble-t-il, suite à tout ce que le cinéaste a pris soin de nous dévoiler d’une scène à l’autre. J’y vois plutôt l’affirmation pleine et entière de l’absolue nécessité du lien entre les hommes, aussi indispensable à notre survie que l’oxygène même.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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