Le festin de Babette



Mardi 05 Février 2013 à 20h30 – 11ième  Festival

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Gabriel Axel – Danemark – 1987 – 1h42 – vostf

Pour échapper à la sordide répression de la Commune en 1871, Babette débarque un soir d’orage sur la côte sauvage du Jutland au Danemark. Elle devient la domestique des deux très puritaines filles du pasteur et s’intègre facilement dans l’austère petite communauté. Mais après quatorze années d’exil, elle reçoit des fonds inespérés qui vont lui permettre de rentrer dans sa patrie. Elle propose avant son départ de préparer avec cet argent un diner français pour fêter dignement le centième anniversaire de la naissance du défunt pasteur…

Notre critique

Par Guillaume Levil

« Le rêve est la nourriture de l’âme comme les aliments sont la nourriture du corps. »
Paolo Coelho

L’histoire de Babette fait écho à celle de son réalisateur Danois, Gabriel Axel : il s’agit du récit d’une petite révolution idéologique au sein d’un rassemblement protestant sectaire. Et ce film fut bel et bien une révolution pour le cinéaste, qui tout à coup reçut compliments et invitations des quatre coins du monde, après avoir remporté l’Oscar et le British Academy Award dans la catégorie « films étrangers« . Habitué jusqu’alors à des succès d’ampleurs variables, uniquement dans le cercle danois, Gabriel Axel put par la suite s’ouvrir à quelques projets à ambition internationale, comme les personnages de … Babette auront su s’ouvrir aux réflexions d’une vie sociale meilleure.

1- Un conte gastronomique ?

Il existe des films danois qu’il faut voir en pleine forme (ceux de Dreyer), d’autres qu’il ne faut pas voir en cas de dépression (Lars Von Trier). Le Festin de Babette fait partie de ces films qu’il ne faut pas voir le ventre vide. Le réalisateur considéra l’aspect culinaire suffisamment fondamental pour imposer à la comédienne principale, Stéphane Audran, deux mois de stage intensif en cuisine, afin de répéter les gestes artistiques liés à la confection de plats gastronomiques. De plus, le grand chef de Copenhague nommé Jan Cocotte-Pedersen fut convoqué afin de confectionner les divers chef-d’oeuvres gustatifs, qui ne sont pas décrits avec précision dans la nouvelle d’origine. Petit détail drôle : par la suite, les recettes inventées pour le film furent publiées. Aujourd’hui il n’est pas rare de retrouver ces plats délicieux dans certains grands restaurants. L’auteur de la nouvelle adaptée, la baronne Karen von Blixen (1885-1962), était d’origine danoise. Rejetant le style de vie bourgeois, elle préféra se consacrer à l’écriture et à la peinture. Ainsi nous pouvons ressentir dans ses lignes tout son refus des conventions, en particulier celles qui découlent du protestantisme. Dans Le Festin de Babette, la gastronomie lui sert donc de prétexte pour confronter l’austérité protestante avec l’abondance catholique – nous reviendront naturellement sur les échos religieux plus tard. Gabriel Axel reprend assez fidèlement l’oeuvre d’origine : les plats mijotés par Babette, symbole de l’ouverture d’esprit (on présume qu’elle fut jadis partie des communards), sont filmés sans retenue, avec des plans serrés colorés, apportant à la nourriture un déploiement de vie presque irréel. C’est tout l’inverse de la vision de Marco Ferreri dans La Grande Bouffe, film auquel on pense malgré tous nos efforts, dans lequel tous les plats sont autant d’armes dégoûtantes permettant d’en arriver à un suicide répugnant. Avec Babette les oeuvres culinaires ne sont pas des armes mais des cadeaux délicieux, quasiment miraculeux. Le miracle est d’autant plus incroyable qu’à l’origine les matières premières rendent une image cruelle et violente : par exemple, les cailles sont plumées et décapitées. Et le cauchemar de Martine met en scène la tortue et la tête de veau de manière diabolique. Les images sont donc tout d’abord des natures mortes glauques, et se transforment en repas vivant par les mains enchantées de Babette. La tablée finale a l’apparence d’un huit clos terrible, comme si les murs autour n’avaient pas besoin de cerner l’espace car les postures des personnages suffisent à rendre l’endroit étriqué. Ici nous avons affaire à un doux règlement de compte. Même Babette règle ses comptes, avec elle-même, car son but est de se surpasser, afin de retrouver son identité d’artiste. En fouillant dans nos esprits du côté des grandes scènes de repas, nous pensons à d’autres films plus violents, dont une oeuvre danoise monumentale, Festen, dans lequel les annonces au vitriol sont lancées à profusion, ou encore à un film de Chabrol (tiens, un des maris de la comédienne principale), Que la bête meure. Il serait péché que de ne pas rapporter ici le menu du repas :

Soupe de tortue géante avec Amontillado
Blinis Demidoff accompagné de Veuve Clicquot 1860
Cailles en sarcophage farcies au foie gras et sauce aux truffes
Salade d’endives aux noix
Fromages accompagné de Clos de Vougeot 1845
Baba au rhum et fruits confits
Fruits frais avec… de l’eau
Café et Fine de champagne

2- Un conte laïc ?

Les références à la Bible pleuvent, que ce soit dans la nouvelle ou dans son adaptation. En même temps, le film est un amoncellement de traits narratifs contrastés qui mènent à douter sur le côté manichéen de l’approche… Car la nouvelle est assez claire : Karen Blixen en veut aux sectes luthériennes et elle est bien décidée à les attaquer dans cet écrit. Elle s’identifie totalement à Babette. D’ailleurs la nouvelle se déroule en Norvège et non au Danemark, et on croit comprendre que l’auteur a besoin d’établir un état d’exil correspondant à sa propre situation (loin de l’Afrique où elle a vécu des années – en rapport avec son écrit Out of Africa). Le réalisateur du film, lui, semble vouloir brouiller les pistes. Oui, d’accord, on entend des prières et discours protestants vides de sens et ridicules, à la limite du comique. Mais en même temps l’attitude de Babette, à se donner entière, gaspillant richesse et énergie, a tout d’un élan protestant. En contradiction avec cela, comme nous l’avons déjà dit, Babette atteint le rang d’ange, vision purement catholique : c’est elle qui transforme les animaux morts en repas vivant, c’est elle qui lave les carreaux de la maison, faisant rentrer la lumière, et Martine, pourtant protestante intégrale, lui dit : « au Paradis… Comme vous saurez ravir les anges. » D’ailleurs, le réalisateur a choisi une Babette angélique aux cheveux clairs (et habillée par Karl Lagerfeld please), contrastant avec les cheveux noirs des deux soeurs à l’apparence sage et triste… A savoir : leurs prénoms (Philippa et Martine) ont été choisis par le père en faisant référence à Martin Luther et Philippe Melanchthon (on n’oublie pas le « T » s’il vous plait !). A ces flous dans les concepts religieux viennent s’ajouter des contrastes dans les nationalités ainsi que dans les milieux sociaux. Car, contrairement à la nouvelle, Babette nourrit aussi un pauvre. Et puis elle est française et les autres sont danois : pour insister sur ce fait, Gabriel Axel a poussé le vice jusqu’à choisir une comédienne française pour le rôle de Babette, un baryton français pour jouer Papin… Et il a volé des acteurs danois à Dreyer ou à Bergman. On a l’impression que le monde entier pourrait profiter de ce repas, pourtant dédié aux riches à l’origine. Les gens attablés sont égaux devant les mets, que ce soient les érudits (le Général Lowenhielm sait reconnaître et analyser les plats) ou les profanes, comme dans un regroupement laïque qui accepterait toute origine et tout concept religieux. A remarquer : le seul lien entre Babette et la tablée est le petit Erik, qui amène les plats. Babette reste près des fourneaux, ne goûtant presque pas son oeuvre d’artiste, laissant grandir les Hommes des tréfonds grâce à ses cadeaux divins.

UN EXTRAIT DE LA NOUVELLE

– Qu’y a-t-il là-dedans Babette? Ce n’est pas du vin au moins ?
– Du vin, Madame ? s’écria Babette. Oh ! Non ! C’est du Clos-Vougeot 1846.
Et elle ajouta :
– Il vient de chez Philippe, rue Montorgueil.
Martine ne s’était jamais doutée que les vins puissent porter des noms, elle fut donc contrainte de garder le silence sur ce point-là.

3- Un conte optimiste ?

L’étude rapide de la spatialité du film nous éveille sur la morale de ce conte, ouverte à plusieurs interprétations, comme tout. Nous retrouvons là plusieurs effets de contraste : la différence entre le passé étriqué, austère, et la fin du film qui converge vers un futur chantant… Dans le Jutland, deux lieux sont représentés : l’intérieur tout resserré sur lui-même (comme dans l’église où les garçons sont séparés des filles) et l’extérieur, vengeur, tout pelé et froid, guère plus arrangeant. Les étrangers se sentent mal à l’aise dans les intérieurs où rode l’ombre du pasteur, même après sa mort – d’ailleurs les deux prétendants étrangers sont obligés de fuire. Babette est la seule qui essaie de conquérir cet intérieur, grâce à un subterfuge intelligent déjà évoqué : elle ne pénètre pas elle-même dans la pièce de la tablée, elle se contente de coloniser la cuisine et d’envoyer les plats pour faire le travail de conquête à sa place. Une fois l’intérieur conquis pour la première fois, peut-être que l’âme du pasteur n’est plus capable d’exercer sa pression diabolique, et peut-être qu’enfin la veillée funéraire prend fin, à l’image d’une bougie qui s’éteint, n’ayant plus de cire à brûler. Ainsi, certains pourront croire que les regrets, la mort, s’effacent, grâce à une réconciliation évidente – tandis que d’autres penseront tout à fait différemment. Et, si une image persiste, c’est celle de ce vieil homme, qui n’a aucunement l’habitude de manger si bien, et qui remarque que le Général érudit prend la liberté de porter son bol à sa bouche afin de finir sa soupe. Bravant les interdictions, le vieil homme fait un regard d’enfant et imite le geste libératoire avec un élan magnifique.

Sur le web

Le film est tiré de l’œuvre Le dîner de Babette écrite par Karen Blixen. Si ce nom sonne familier, c’est parce que l’auteure danoise a été incarnée par Meryl Streep dans Out of Africa, un film inspiré de ses mémoires : La Ferme africaine. Il a fallu quatorze longues années au réalisateur Gabriel Axel pour convaincre les producteurs d’investir dans Le Festin de Babette. L’œuvre de Karen Blixen, d’environ 46 pages et traitant d’austères dévotes, constituait en effet un pari risqué au niveau de la forme et du sujet. Pari qui s’est finalement avéré gagnant puisque le film a obtenu l’Oscar du meilleur film étranger en 1988 et a rencontré un succès international.

L’actrice Stéphane Audran, n’ayant que de vagues notions en haute gastronomie, a suivi pendant deux semaines des cours de cuisine intensifs avec le célèbre chef Jan Cocotte-Pedersen. Le chef danois était d’ailleurs présent sur le plateau, afin de diriger au mieux les gestes de l’actrice. Le menu et les plats servis par le personnage de Babette sont peu décrits dans la nouvelle de Karen Blixen. Il n’y a en effet pas de précisions sur la préparation exacte des plats, ni sur les temps de cuisson. Les aliments ont donc été confiés au chef danois Jan Cocotte-Pedersen, qui a eu pour mission de réaliser les recettes avec pour seul indice, les ingrédients. Les recettes élaborées ont ensuite été publiées, et plusieurs plats sont devenus des classiques internationaux.Toutes les robes du personnage de Babette ont été conçues par « le Kaiser de la mode », à savoir Karl Lagerfeld, célèbre couturier et directeur artistique de Chanel.

Hormis Jean-Philippe Lafont qui tient ici un petit rôle, Stéphane Audran est la seule Française d’un casting exclusivement composé d’acteurs danois. L’actrice principale Stéphane Audran a été repérée par le réalisateur Gabriel Axel, grâce à ses nombreuses interprétations dans les films de son époux Claude Chabrol.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Guillaume Levil.

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