Five Obstructions



Jeudi 25 février 2010 à 20h30 – 8ième  Festival

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film  de Lars Von Trier – Danemark – 2003 – 1h30 – vostf

Lars von Trier considère The Perfect Human(1967) comme l’un de ses films cultes. Il défie son réalisateur, Jørgen Leth, de tourner cinq remakes de ce court-métrage. Pour chaque projet, il va lui imposer de nouvelles  » obstructions  » le forçant à repenser l’histoire et les personnages de son film original. Leth devra gérer restrictions, ordres et autres interdictions. Five Obstructions est un jeu plein de pièges et de coups vicieux. Un film fascinant et totalement inédit autour d’un cinéaste qui accepte de recréer totalement une de ses premières oeuvres. Un voyage initiatique au coeur du processus de la création cinématographique.

Notre critique

Par Josiane Scoleri

“ L’art nait de contraintes, vit de lutte et meurt de liberté ” (Alain)

Avec Five obstructions, qu’il convient d’ailleurs de rendre en français par Cinq contraintes, Lars von Trier poursuit son exploration des possibilités d’expression offertes par le médium cinéma lui permettant de s’éloigner, quelques fois de manière très radicale, de ce que l’on entend généralement par « film ». Rappelons–nous à ce propos son avant dernier opus Le Directeur (2006) où il  a laissé filmer une caméra fixe, avec les cadrages les plus saugrenus à la clef, se limitant à  intervenir au montage, avec la maestria qu’on lui connait pour faire coller ces images, a priori arbitraires, avec son propos de réalisateur.

D’ailleurs, dès son premier film, Element of crime (1984)  bien avant  la mise au point de sa théorie du Dogme, Lars von Trier se  fixe des contraintes à la fois sur le plan du  scénario et de la technique qui ne reflètent guère les préoccupations habituelles d’un débutant : le choix de la couleur orange de bout en bout du film pour créer une impression d’angoisse : ce n’est pas spontanément ce à quoi on associe le orange et pourtant ça marche à 200%. Le parti pris de faire de l’élément « eau » un synonyme de décadence, pourriture, danger, voire folie et mort : ça marche. Des acteurs en état d’apesanteur qui donnent l’impression d’être sous hypnose et qui contribuent à ce climat de menace qui va crescendo : ça marche. Le tout placé sous l’héritage revendiqué d’ Orson Welles  et de Tarkovski. Mégalo, diront certains,  mais  ça tient la route et le film obtiendra d’ailleurs le Grand Prix de la Technique à Cannes : chapeau bas !!

On l’aura compris, Lars von Trier est vraiment un cinéaste à part dans la cinématographie mondiale et ce depuis les débuts. Après la virtuosité technique des trois premiers films, les 10 règles draconiennes du Dogme (1995) se veulent un manifeste visant à purifier le cinéma de ses toxines médiatico- businesssoïdes : « Un vœu de chasteté du cinéma » selon la définition de Lars von Trier lui-même. Mais très vite, après l’exercice de haute-voltige  constitué par Les Idiots (1998),  le réalisateur change les règles du jeu comme bon lui semble. Le plus important étant de se fixer à chaque fois de nouvelles règles, de créer un nouveau type de contrainte et d’en tirer tout le parti possible. On se souvient pour ne citer qu’un exemple des lignes blanches tracées au sol pour figurer les rues et les maisons de Dogville (2002). Ainsi va Lars von Trier, trublion surdoué, insatiable et imprévisible du cinéma mondial.

Avec  Five Obstructions (2003), il pousse l’exercice encore  plus loin : s’il fixe les règles du jeu, ce ne sera plus pour les appliquer lui-même, mais pour demander à un autre  réalisateur de s’y plier.  En bon connaisseur  – et admirateur – de l’œuvre de son ami Jǿrgen Leth,  il va bien sûr imposer les contraintes qui seront le plus difficile à respecter pour lui. Et comble du vice, Jǿrgen Leth devra réaliser non pas un film entièrement nouveau, mais plusieurs nouvelles versions d’un  de ses propres courts-métrages. La contrainte pour le créateur est ainsi démultipliée.

Contrainte technique (12 images /secondes), contrainte morale ( l’endroit le plus sordide pour toi), contrainte esthétique ( « De la merde », dixit Lars von Trier), contrainte quant au genre cinématographique (un dessin animé alors que  les deux hommes ont horreur de ça) , voire contrainte par l’absence de règles ou l’arbitraire le plus absolu ( tourner à Cuba parce que Jǿrgen Leth fume des Cohibas et qu’il n’y est jamais allé), l’inventivité de Lars von Trier ne risque pas d’être prise en défaut sur ce plan-là, on s’en doute.

Le film alterne donc  les rencontres entre les deux compères, où Lars von Trier expose à la fois ses concepts et ses objectifs et Jǿrgen Leth ses  questions ou éventuelles objections, puis viennent les scènes de tournage où Jǿrgen Leth ne cache rien de ses difficultés, des ruses ou des stratagèmes employés, de la transgression assumée de tel ou tel impératif et enfin, le visionnage des films une fois terminés avec la réaction de Lars von Trier à la clef.

Des fragments du cout-métrage originel de Jǿrgen Leth,  « {The Perfect Human} » (1967) qui sert de prétexte à ces divers exercices,   reviennent ponctuellement éclairer le spectateur sur les intentions et les choix des deux hommes et nous permettent donc d’apprécier en contre-point l’audace intellectuelle et esthétique de l’entreprise.

Enfin, pour couronner le tout, Lars von Trier décide qu’il réalisera lui-même le dernier film de la série (je ne vous révèlerai pas de quelle manière mais encore une fois il fallait s’appeler Lars von Trier pour  imaginer une telle solution), mais que c’est le nom de  Jǿrgen Leth qui apparaitra  au titre  de la réalisation.

Résultat, le film est un véritable  {O.F.N.I.} ( Objet Filmique Non Identifié) et difficilement identifiable d’ailleurs, tant sur la forme que sur le fond. Le brouillage des cartes est complet : Qu’est ce que la création, sinon l’espace plus ou moins grand entre les contraintes? Qu’est-ce que la créativité, sinon la capacité de l’imagination à faire fi des contraintes ? Et plus encore, qui est le créateur? À tous les sens du terme.

On ne saurait oublier que Lars von Trier, fils de communistes militants s’est converti plus tard au catholicisme dans un pays très majoritairement protestant, qu’il se décrit volontiers comme un véritable démiurge à tendance sadique sur ses tournages, notamment vis à vis de ses actrices et que son rêve est de diriger des acteurs sous hypnose et donc entièrement soumis à sa volonté. Et son dernier film s’appelait tout de même Anti-christ

En même temps, les membres de son équipe technique parlent plutôt d’une ambiance  détendue et bon enfant (sauf avis de tempête maximum. et à ce moment-là, c’est le sauve- qui -peut général, tous aux abris !!!). Lars von Trier nous mènerait-il en bateau avec cette légende  du réalisateur maniaque,  tout- puissant et intolérant ?

Ce qui est sûr est que nous avons à faire à quelqu’un d’exigeant, qui pousse à la fois la réflexion et la réalisation hors des sentiers battus, avec une capacité à se renouveler qui laisse souvent pantois. D’accord ou pas d’accord, séduit ou horrifié, au moins nul ne peut dire que Lars von Trier réalise toujours le même film. Cette diversité intrigue, déboussole ou exaspère même souvent la critique et les spectateurs. Il n’en reste pas moins que son plus grand mérite est sans doute de ne permettre à personne de chausser ses charentaises. C’est aussi cela  bien sûr la fonction de l’artiste. Et artiste, Lars von Trier l’est jusqu’au bout des ongles sans l’ombre d’un doute.


Sur le web

Inspiré de l’imagerie publicitaire, The Perfect human, un court-métrage de 13 minutes, réalisé en 1967, présente un homme qui effectue des gestes communs, s’asseoir à une table, fumer… Selon son réalisateur, Jorgen Leth : « L’idée trouve son origine dans la fascination que j’ai pour le monde des films publicitaires. Je sentais que tous les éléments -personnages, objets, actions- seraient extrêmement distincts s’ils étaient isolés de leur environnement. Je voulais les sortir de tout cadre, de tout le désordre réaliste dans lequel, habituellement, évoluent les personnages« .

Si les deux réalisateurs Jorgen Leth et Lars von Trier ont décidé d’employer le terme « obstruction« , plutôt que « instruction« , c’est tout à fait délibérément. Jorgen Leth précise en effet : « Obstructions est un terme issu de la terminologie footbalistique. J’ai, autrefois, réalisé un film sur le grand joueur de football danois Michael Laudrup. C’était un virtuose aux mouvements imprévisibles. Il attirait les obstructions, il poussait à un jeu dur, mais toujours il évitait élégamment de tomber ou de se blesser. Michael Laudrup sera mon rôle modèle.« 

Five obstructions est né de l’envie de Lars von Trier de voir les variations possibles autour du court-métrage The Perfect Human, de Jorgen Leth. Il a ainsi demandé au réalisateur de recréer cinq variations autour de ce petit film… Jorgen Leth a immédiatement accepté : »Il (lars) voulait me défier, et nous nous sommes déjà beaucoup amusés ce faisant.« 

Depuis le Dogme, le réalisateur Lars von Trier n’a pas peur d’établir des théories artistiques. Pour Five obstructions, il explique la nécessité de « défocaliser » : « Le défi ultime du futur est de voir sans regarder : défocaliser ! Dans un monde où les médias se prosternent devant l’autel de la netteté, et ce faisant vident la vie de toute vie, le DEFOCALISATEUR sera le communicateur de notre époque – ni plus, ni moins !« 

Le réalisateur Jorgen Leth, quant à lui, est plus attentif au moment, au passage du temps : »Ce que je préfère dans un film, c’est de sentir le temps couler à travers une scène. Il devrait toujours y avoir de la place pour le temps. Un film doit respirer naturellement.« 


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h30 précises.

N’oubliez pas la règle d’or de CSF aux débats :
La parole est à vous !

Entrée : 7,50 € (non adhérents), 5 € (adhérents CSF et toute personne bénéficiant d’une réduction au Mercury).

Adhésion : 20 €. Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, ainsi qu’à toutes les séances du Mercury (hors CSF) et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier.
Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici


Partager sur :