Freda



Samedi 26 Novembre 2022 à 20h30

Auditorium du MAMAC, Place Yves Klein

Film de Gessica Généus (Haïti, 2021, 1h33, vostf)

Séance en collaboration avec les Editions de L’ Amourier à l’ Auditorium du MAMAC.

Hommage à Jacques Stephen Alexis dans le cadre du colloque sur le poète haïtien. 

Freda habite avec sa mère et sa soeur dans un quartier populaire de Port-au-Prince. Face aux défis du quotidien en Haïti, chacune se demande s’il faut partir ou rester. Freda veut croire en l’avenir de son pays.

Notre article

par Josiane Scoleri

Freda est un film qui se présente comme une véritable mosaïque. Il aborde, en effet, une multitude d’aspects de la vie à Haïti par le biais de scènes nombreuses et relativement courtes qui mises bout à bout nous permettent de saisir la situation réelle de ce pays dans toute sa complexité. Il le fait, pourrait-on dire, par le petit bout de la lorgnette, en s’attachant au quotidien le plus terre à terre, au plus près de ses personnages.

Nous pénétrons ainsi de plein pied dans l’intimité de Freda et de tous les membres de la famille dès les premiers plans du film, lequel se joue en grande partie dans le logement de Freda qui est aussi l’arrière-boutique de la minuscule épicerie tenue par la mère. Le périmètre est ainsi clairement délimité et le contraste entre l’intérieur et l’extérieur d’autant plus significatif. Et c’est précisément là que se situe la grande force du film, dans l’articulation entre la sphère des affects et de l’intime d’un côté et le monde extérieur de l’autre, source de tous les dangers, mais peut-être aussi de tous les espoirs.

Ainsi, les scènes de manifestations urbaines, plus ou moins chaotiques, rythment le film à bien trois reprises, avec des plans récurrents de pneus en feu et des coups de feu sporadiques, jusqu’à ce qu’on voit tout d’un coup passer une civière transportant un homme ensanglanté ou une maison en train de brûler sur le parcours de la manif.

Gessica Généus vient du documentaire et cela se sent. Le film fourmille de tout un tas d’instants saisis sur le vif, dont l’ authenticité ne peut à aucun moment être mise en doute. La réalisatrice tient visiblement à brosser un tableau tout autant que raconter une histoire. Et effectivement, les atouts de la fiction sont mis à profit pour donner relief et épaisseur aux personnages tout en nous projetant sur un plan beaucoup plus large qui dépasse le sort des individus.

Les trois personnages féminins, la mère et ses deux filles, occupent le cadre quasi en permanence et presque toutes les scènes sont construites de manière à approfondir, contraster, nuancer leur personnalité au fil du récit. Jouant habilement des différences de point de vue et de comportement entre la mère et ses filles, mais aussi entre les deux sœurs ou entre elles et leur frère, Gessica Généus fait pulser la vie et toutes les contradictions qui habitent chacun des protagonistes. Les personnages masculins sont, dans l’ensemble, en orbite autour de ces femmes, dotées, elles, d’un caractère bien trempé, forgé de toute évidence dans l’épreuve. Même si on ne sait rien du passé de la mère, on comprend qu’il a nécessairement été difficile. Les 3 actrices sont d’ailleurs toutes les trois magnifiques, avec une présence rare à l’écran, chacune dans un registre différent.
La mère cabossée par la vie qui se raccroche vaille que vaille au cadre de la religion. Esther, la cadette, bien décidée à s’en sortir quelque soit les couleuvres à avaler. Freda, enfin, l’aînée qui mise sur les études et une forme d’engagement, empreint de doutes multiples.

Là aussi, ça passe par des détails du quotidien. Freda est la seule à ne pas se lisser les cheveux (et les scènes de coiffure reviennent à plusieurs reprises pour amplifier la résonance d’un tel choix). Elle ne se blanchit pas la peau, contrairement à Esther qui a adopté les canons dominants, sans parler de Moïse, le frère, installé dans la position privilégié du fils qui rêve de consommation et du Brésil comme un nouvel Eldorado.

Le monde extérieur fait irruption par moments dans la sphère privée, souvent par effraction. Il est porté par les institutions et ceux qui détiennent le pouvoir: le pasteur, le recteur de l’Université, les politiques, comme autant de visages de l’hypocrisie et du cynisme. Face à eux: la démerde et la survie, les humiliations et le désespoir aussi.

Sur cette toile de fond se posent les éternelles questions existentielles: faire face à la violence par la violence ou y renoncer ( cf les débats entre étudiants, l’évocation de l’Histoire et des grandes figures tutélaires…). Partir, tenter sa chance ailleurs ou rester et espérer que la situation puisse s’améliorer en profitant des quelques espaces de respiration qui peuvent exister. Le schéma traditionnel veut que les hommes partent, comme une évidence et les femmes restent, une autre évidence.

Ici, le film met en avant l’importance de la musique et les scènes en boîtes de nuit qui rythment elles aussi le déroulement du récit fonctionnent comme autant de soupapes qui permettent de relâcher un temps la tension. Cela nous vaut de très belles scènes de nuit où la caméra s’approche des corps et des visages à la fois avec respect et sensualité et qui ne sont pas une des moindres réussites du films.

Sur le plan formel, à noter aussi dans les scènes de jours, les jeux savants de couleurs qui animent les plans et fonctionnent comme autant de correspondance. De plus, dans son désir de dresser un tableau le plus exhaustif possible – n’oublions pas que c’est un premier film – Gessica Généus évoque ainsi, parfois en passant, mais toujours avec beaucoup de finesse: la situation des artistes, avec le personnage de Yeshua, l’amoureux de Freda parti vivre à St Domingue, la corruption endémique, le racisme non seulement entre Noirs et Blancs, mais aussi entre Noirs et Métisses (cf le personnage très touchant de Géraldine), la place du vaudou (le nom même de Freda est celui d’une les loas les plus importantes), les tensions entre catholiques et les nouvelles églises évangélistes. La liste est longue et pourrait sembler excessive. Et pourtant Gessica Généus réussit son pari avec sensibilité et délicatesse, souvent avec mélancolie, mais sans la moindre complaisance envers ses presonnages ni l’esthétisme qui aurait été néfaste à son propos.

Sur le web

Haïti est secoué depuis quelques années par d’importants mouvements de protestations populaires et s’enfonce dans une violence chronique grandissante. En 2017, des milliers de personnes étaient dans les rues pour réclamer des hausses de salaires et protester contre des taxes frappant l’ensemble de la population. Cette crise socio-politique et les émeutes violentes ont permis à des bandes criminelles de prospérer.

Aujourd’hui, face à la déliquescence du pouvoir, à la faible présence des forces de police et à la corruption, la sécurité de la population n’est plus garantie. Ces phénomènes sont d’autant plus difficiles à enrayer qu’il existe des collusions entre ces groupes criminels et des personnes de pouvoir. Cette situation a de nouveau été mise en évidence avec l’assassinat du Président Jovenel Moïse le 7 juillet dernier par un commando armé.

Avec Freda, Gessica Généus avait pour ambition première de faire exister un point de vue féminin sur la société haïtienne très patriarcale : « Je souhaitais le faire à travers la fiction car c’est avec elle que j’ai débuté lorsque je suis devenue comédienne à 17 ans. Je souhaitais également camper des personnages de femmes et tenter de comprendre leur complexité, liée à des choix humains qui disent ce à quoi les femmes et les hommes sont confrontés chaque jour en Haïti. Des questions basiques, concrètes comme comment faire chaque jour pour avancer et pour survivre ?« 

Freda commence un 1er novembre, le jour de la Fête des Morts. Une date symbolique pour Gessica Généus, qui explique : « Le film parle de se débarrasser des squelettes. De ce moment où il faut tout mettre dehors. On est dans une sorte d’autopsie de son corps, de son âme, de ses cauchemars comme de ses traumas. On balaye tout ça et on regarde les choses comme elles sont, pas comme on voudrait qu’elles soient. On n’a pas le choix. C’est pareil pour mon pays. Il faut qu’on commence à regarder Haïti. À regarder la manière dont nous l’avons transformé. Car ce qu’est Haïti aujourd’hui, c’est la somme de nos choix.« 

La réalisatrice Gessica Généus vient du documentaire. Une caractéristique qui l’a aidée à trouver le ton juste pour Freda : « Ma caméra est observatrice. Elle n’est pas impersonnelle. J’essaie de l’incarner. En plus, Karine Aulnette, ma directrice de la photo a fait beaucoup de documentaires, ce qui m’a offert encore plus de flexibilité. Son expérience et la mienne en la matière m’ont permis une liberté sur le tournage que je n’aurais peut-être pas eue si j’avais eu un parcours plus académique.« 

Interrogée sur la mise en scène, elle répond : «Je voulais manipuler le moins possible le réel car je voulais que mon film soit comme une quête de restitution. Il y a bien sûr une forme de subjectivité car c’est moi qui regarde. Je me questionne, j’écoute, j’observe, pour être toujours sûre d’être là où il faut. A la lecture du scénario, on m’a régulièrement reproché d’avoir recours à trop de décors, trop de lieux, d’aller partout. Mais pour moi, il fallait aller là où Freda allait. Ces lieux font partie de son cheminement. Il fallait donc qu’ils existent. Tout comme l’extérieur. Nous ne vivons pas à l’intérieur de nos maisons d’abord parce qu’il y fait trop chaud et qu’il n’y a pas l’espace suffisant. Du coup nous vivons dehors. C’est notre culture. C’est pour cela que la caméra est souvent de l’autre côté de la rue quand nous filmons la maison de Jeannette. Parce que dans notre pays, il y a toujours quelqu’un d’assis en face de chez vous et qui vous regarde. On observe les voisins, nous sommes un peu intrusifs, il n’existe pas de réelle intimité…»

Le tournage de Freda, qui a démarré en 2019 en plein chaos politique, a pu se faire grâce à la mobilisation et à la protection de la population des quartiers où le film a été tourné.

Elle-même comédienne, Gessica Généus voulait au départ jouer Freda. Mais lorsqu’elle écrivait le scénario, elle a réalisé qu’il n’était pas possible de faire les deux choses en même temps. « À la même période, il y avait un festival de théâtre où je me rendais pour voir des comédiens. Mais je pensais plutôt aux rôles secondaires. Et j’ai vu Néhémie Bastien. Elle jouait une fillette de huit ans dans Victor ou les enfants au pouvoir de Roger Vitrac alors qu’elle en avait vingt-cinq. C’était complètement décalé et cependant elle était formidablement crédible. Et ça a été comme une claque. Je voyais Freda.« 

Freda a majoritairement été tourné en langue créole. Une réelle envie pour Gessica Généus, qui a été soutenue par son producteur Jean-Marie Gigon. « Comme nous sommes une ancienne colonie et que le créole dérive du français, on m’invitait souvent à faire le film directement en français. Mais je ne voyais pas comment faire le film autrement qu’en créole, même au-delà d’un combat personnel ou d’un désir d’affirmation de ma négritude. Je dis négritude car pour nous, en Haïti, c’est le plus beau mot qui existe. Il fallait que Freda soit en créole. Il n’y avait pas moyen pour moi que ce soit autrement.« 

Freda a obtenu, au festival de Cannes, la Mention spéciale découverte Prix François Chalais 2021.

« Première fiction de Gessica Généus (auparavant réalisatrice de documentaires), Freda est avant tout le nom d’une jeune adulte en quête d’émancipation dans un pays encore meurtri par le terrible tremblement de terre qu’il a connu en 2010. Le film se place huit ans plus tard, alors que l’aide internationale peine toujours à se matérialiser et que les manifestations populaires anti-corruption généralisent le recours à la violence dans l’ensemble de la société. Depuis la petite épicerie que tient sa mère, Freda est confrontée à cette colère ambiante alors qu’un homme est abattu devant sa porte, le jour – précisément – de la fête des Morts. L’irruption de la mort physique ne saurait occulter des démons plus intimes et le film ne cessera dès lors d’être traversé par les tentatives de sa protagoniste principale de révéler des traumatismes profondément enfouis.

Non seulement spectatrice du tournant historique que connaît son pays, Freda se montre résolument critique, face à certains camarades d’université, quant à la prédominance toujours visible du français – la “langue du colon” – dans les services publics nationaux, au détriment du créole haïtien. L’usage du créole tout au long du film résulte par ailleurs d’un combat de Gessica Généus, qui ne se voyait pas réaliser son long-métrage dans une autre langue. La réalisatrice, dont les documentaires questionnaient déjà les fondements de l’identité haïtienne contemporaine, figure dans Freda la tentation de l’ailleurs à laquelle sont nécessairement confrontés les habitants de l’île aujourd’hui, les jeunes de surcroît.

Partir ou rester, tel est le dilemme qui se pose à des êtres privés d’un futur radieux dans leur pays.

Gessica Généus prend de biais le destin d’une famille populaire, où les femmes ont pris le pouvoir abandonné par les hommes (qui n’ont, dans le film, que des rôles de faire-valoir). Sa mise en scène, volontairement sobre, vise à représenter tous les personnages sur le même plan, dans un souci de réalisme hérité du registre documentaire… » (lebleudumiroir.fr)

« … Il y a bien quelques hommes dans le décor, du plus prédateur au plus tendre, mais la réalisatrice haïtienne Gessica Geneus a choisi de raconter son pays au féminin pluriel. Une chronique attachante, captée au plus près du réel (certaines scènes de rue relèvent même du pur ­documentaire). À travers des personnages forts, bien dessinés et interprétés, elle donne à voir les profondes blessures d’une nation rongée par les inégalités, la pauvreté, la corruption et les cata­strophes, sans jamais céder à la tentation du misérabilisme.

Même si Haïti est un piège à ciel ouvert pour la plupart de ses habitants (et encore plus pour ses habitantes), Gessica Geneus en montre aussi l’énergie, la jeunesse, les luttes et l’espoir. Un film d’autant plus précieux qu’il est arrivé après une actualité bien sombre, de l’assassinat du président Jovenel Moïse, le 7 juillet 2021, aux ravages d’un tremblement de terre, à peine un mois plus tard. » (telerama.fr)

« Freda, c’est le prénom d’une ancienne déesse Vaudou. Du haut de sa vingtaine d’années, elle cherche à trouver un souffle de liberté dans son pays, Haïti, qui peine toujours à se redresser d’années de dictature et de catastrophes climatiques. Elle voudrait être libre, épanouie, légère surtout, dans une nation ravagée par la corruption, la brutalité policière et la désertion des jeunes vers un ailleurs plus enchanteur. Gessica Généus s’attache dans cette première œuvre de cinéma à parler de son rapport au pays dans les traits de cette jeune-fille, Freda, qu’elle présente comme l’emblème d’une génération capable de rendre l’espoir à des milliers de jeunes gens qui vivent leur destin comme une impasse. S’il s’agit d’un sujet périlleux aux accents mélodramatiques, la réalisatrice parvient avec brio à échapper à la caricature. Elle mélange son récit d’extraits de documentaires télévisés où l’on voit la jeunesse haïtienne courir dans les rues et se faire tirer dessus ou gazer. Ce péril jeune pour reprendre le titre de Klaplisch se débat avec des idées révolutionnaires, regrettant presque le règne proprement dramatique de Duvalier. Seule Freda garde la tête haute, jamais dupe qu’une dictature en chasse souvent une autre dans ces pays qui se redressent difficilement d’années de domination occidentale.

Le destin de Freda est intimement noué avec sa famille. Il y a d’ailleurs dans la représentation de cette cellule familiale quelque chose de très durassien. La mère est en effet prête à toutes les compromissions, pourvu que son fils puisse obtenir l’argent qui lui permettra de quitter Haïti. Elle accepte les yeux fermés que sa fille cadette offre son corps et sa jeunesse à des hommes riches, au mépris de sa liberté. Seule Freda résiste au déterminisme social et familial. Elle s’accroche aux études universitaires et hésite à suivre son amant dans son projet migratoire. Car Freda aime son pays. Elle est attachée à sa famille, au petit magasin alimentaire où elle vit avec sa mère, et à l’idée qu’un jour, elle aussi trouvera la solution pour sortir de la pauvreté. Elle refuse les mariages arrangés ou les relations intéressées avec des hommes riches, au contraire de sa sœur qu’elle ne parvient pas à protéger de ses dérives sentimentales et sexuelles.

Le cinéma haïtien est rare. Les images qu’on en connaît sont souvent celles de l’actualité. Ici la fiction fait honneur aux femmes. Même la mère dont on perçoit qu’elle est ravagée par une maladie mentale qui ne dit pas son nom, incarne une figure de liberté se pliant à l’ironie et au sarcasme et s’empêche de regarder la réalité. La bande-son qui accompagne le récit apporte aux personnages féminins une hauteur supplémentaire. L’émotion recherchée par Gessica Généus refuse la facilité dramatique. La mise en scène se plaît à valoriser la beauté presque magnétique de la jeune héroïne qui se transforme en un exemple de féminité et de grâce. Dans ce pays où les femmes sont obsédées par le blanchissement de la peau, Freda, au contraire, incarne la fierté d’être noire, libre et intelligente. C’est peut-être le signe que le déterminisme tiers-mondiste est une vision réactionnaire d’un temps passé et que la liberté s’incarnera dans les traits de ces gamines intrépides, certaines de leur pouvoir d’agir dans la société. » (avoir-alire.com)

Freda, premier long-métrage de la réalisatrice haïtienne Gessica Généus, nous ramène toujours au même plan fixe sur la façade d’une petite maison de Port-au-Prince. Chaque matin, l’imperturbable Janette (Fabiola Remy) en ouvre la porte pour découvrir la devanture de son épicerie, véritable centre de gravité de ce film choral. À la morale rigide et à l’inébranlable foi de « mamie Janette » répond l’errance de ses trois enfants, Esther, Moïse et surtout Freda (Néhémie Bastien), la seule à avoir été nommée d’après la tradition vaudou, avant que sa mère ne se convertisse au christianisme. Autour du foyer, la pauvreté, la violence et la colère de la rue forment un bruit de fond que la cinéaste réussit à faire entrer dans son film avec une aisance qui fait tout l’intérêt de Freda. Aux différents fils narratifs qui structurent le récit – Esther se laisse séduire par un riche sénateur, Moïse prépare son départ pour le continent et Freda continue de résister à son amant, Yeshua, qui voudrait l’emmener avec lui à Saint-Domingue –, Gessica Généus mêle ainsi des allusions directes à la situation politique du pays sous la forme d’images tournées pendant des manifestations et de débats entre étudiants. Au cours de l’une de ces discussions passionnées, un élève lance à son professeur : « On ne va pas courir après la politique, c’est elle qui nous court après. » Une phrase qui résume assez bien la façon dont le film accueille les sujets de société les plus divers (corruption, colonisation, blanchiment de la peau, affaire Petrocaribe, etc.) sans jamais donner l’impression de cocher des cases et en inscrivant toujours le discours politique dans les trajectoires individuelles de ses personnages… Freda réussit un double pari : explorer les contradictions d’un pays à travers son petit théâtre de personnages et rendre sensible l’aspiration au départ qui forme la trame commune de leurs destinées respectives. » (critikat.com)

« Assassinat du président, élections reportées, tremblement de terre, reflux de migrants : les malheurs d’Haïti vont finir par devenir aussi nombreux que les plaies d’Égypte. Tourné avant cette avalanche de catastrophes naturelles et politiques, Freda, de Gessica Généus, offre un regard sans fard mais jamais accablé sur la « perle des Antilles », en abordant un sujet peu traité au cinéma : la condition féminine dans un quartier populaire de la capitale haïtienne.

Dans la société patriarcale qu’est Haïti, les femmes n’ont pas toujours leur mot à dire. Mais Freda (Néhémie Bastien) n’a pas sa langue dans sa poche. Au grand dam de sa mère Jeannette (Fabiola Rémy), qui aimerait bien marier ses filles pour améliorer le quotidien auquel elle subvient péniblement grâce à sa petite échoppe. Un quotidien difficile, ponctué de fusillades en pleine rue et de manifestations contre la corruption généralisée et la pauvreté endémique.

« Il me semble que la misère est moins pénible au soleil, surtout quand on n’a jamais vécu à Port-au-Prince », chante Freda l’espiègle, en raillant Charles Aznavour que va entendre sa sœur, la belle Esther (Djanaïna François), dans un club chic de la capitale. L’humour est ici, plus qu’ailleurs encore, l’expression polie du désespoir, même rehaussée de l’accent rond et chantant du créole.

Moins politisée que Freda, qui étudie l’anthropologie à l’université, Esther préfère se blanchir la peau et flirter en soirée, quitte à délaisser l’élu de son cœur pour un homme politique en vue. Les noces s’annoncent belles : Jeannette est ravie, mais Freda se méfie…

Venue du documentaire, la réalisatrice Gessica Généus filme au plus près ses formidables actrices, extraordinaires de justesse et de vérité, d’autant plus attachantes qu’elles sont pétries de contradictions. Sur le visage creusé de Jeannette, la mère, se lisent les lignes accidentées d’une vie de tourments et de séismes intimes, aussi dévastateurs que les tremblements de la terre haïtienne.

Freda, pour sa part, aspire à prendre son envol, mais, voulant croire dans l’avenir de son pays, hésite à le quitter pour rejoindre son petit ami à Saint-Domingue. Ce dernier est parti depuis qu’il a reçu une balle perdue dans son sommeil, à travers le frêle mur de sa maison. Les fissures créées dans la paroi sont toujours là, pour laisser les esprits protéger les lieux et inspirer ses occupants, espère l’amant de Freda. « Il y a une fêlure en toute chose. C’est ainsi qu’entre la lumière », chantait Leonard Cohen dans la chanson Anthem. Voilà qui dit bien le message de ce beau film plein d’énergie et d’espérance. » (la-croix.com)

« … Freda marquant par son casting, son choix narratif et sa sensibilité, raconte la société haïtienne comme on ne l’a jamais regardée.

Huit minutes de standing ovation. Au dernier Festival de Cannes, dans la catégorie « Un certain regard », Freda a fait sensation. Une réalisatrice méconnue, un premier long-métrage de fiction, un casting en partie non professionnel et un sujet, Haïti, sans cesse renvoyé au catastrophisme, ce n’était pas le glamour ni le faire-valoir qui s’invitait ce soir-là. L’affaire laissait donc augurer du meilleur. On a vu Freda et on a applaudi aussi. Sa réalisatrice Gessica Généus, ses trois héroïnes et l’équipe du film y embrassent la société haïtienne dans son entièreté, dans sa puissance de séduction, dans sa complexité et dans sa soif inextinguible de liberté. Approche rare et précieuse, loin des clichés de pays maudit trop souvent rencontrés à l’égard de la petite île.

Freda est d’abord un film de femmes, de femmes fortes, car en Haïti, il faut l’être pour affronter une société patriarcale tout en endossant la fonction de chef de famille sans broncher. Incarnée par la formidable Fabiola Rémy, dont c’est le premier rôle au cinéma, Jeannette joue la mère courage avec un naturel désarmant. Solidement campée sur ses deux jambes, la carrure charpentée, elle semble pouvoir déplacer des montagnes. Mais son visage et son mutisme, parfois rompu par une cascade de rires, trahissent sa fragilité. Elle veille, Jeannette, comme elle peut. Elle veille sur ses deux filles, Freda et Esther, que tout oppose.

La première, cramponnée à ses études, prône la non-violence, espère un avenir meilleur pour son pays et refuse de le quitter pour rejoindre son fiancé en République dominicaine, l’autre partie de l’île, bien plus douce à vivre. La deuxième, papillonnant d’un homme à l’autre, cherche une issue dans ses conquêtes amoureuses et finalement dans les bras d’un riche député corrompu.

Les trois bravent la lâcheté des hommes et la dure réalité haïtienne, unies par une affection et une solidarité indéfectibles malgré leurs divergences. Les trois, surtout, ne sont jamais dans la victimisation dans laquelle on aime souvent enfermer les femmes. Elles décident de leurs destins, assument leurs choix, quand bien même ils peuvent être vains. Elles s’accordent la liberté.

Nichée au 33 d’une rue de Port-au-Prince, dans un quartier populaire, la petite boutique de Jeannette tient lieu de refuge. Son perron, de cocon. On y discute, on s’y réconforte, on s’y chamaille. Nous, spectateurs, sommes sur le trottoir d’en face, un décor frontal, simple – qui ne manque pas de rappeler ceux des films de Spike Lee – et paisible. Ou presque. Car le soir, parfois, quand Freda tire le rideau de fer de l’échoppe, un cadavre allongé dans la rue la regarde.

Gessica Généus, qui vient du documentaire et par ailleurs comédienne, a tourné ce film en décor réel et dans l’urgence, en janvier 2020. Port-au-Prince est alors à feu et à sang. La population révoltée par la corruption, le laisser-aller de ses dirigeants, les souffrances quotidiennes, manifeste après avoir vécu un « Peyi Lock », un « pays cadenassé », un confinement de plusieurs mois dû à l’insécurité. On s’enfermait alors pour éviter les gangs, la violence gratuite.

Brodée sur le fil du réel, la mise en scène de Gessica Généus mêle le reportage à sa fiction. Elle confronte les images de manifestations, du vaudou avec le carnaval, des cérémonies protestantes et du Yanvalou, haut lieu festif et culturel de Port-au-Prince, à la vie de Freda et Esther. Un aller-retour entre la boutique et son hors-champ qui brosse toute la société haïtienne et donne des clefs. Réalisé en seulement un an, depuis l’ébauche du scénario jusqu’à son tournage, Freda réussit le pari de regarder « Haïti en face » comme Gessica Généus aime à définir sa démarche, dans sa complexité, sa force et sa beauté. On se surprend même, dans le long plan-séquence final, magnifique, à lire dans le visage inondé de larmes d’une Jeannette revenue à la vie, l’espoir et l’avenir dont ce pays est capable. » (marianne.net)

Tourné à Haïti en janvier 2020, Freda nous provient d’un territoire de cinéma peu exploré et d’un pays où la production cinématographique reste très limitée. C’est dans un contexte politique délétère (corruption et affrontements armés, depuis le tremblement de terre qui a ravagé l’île il y a plus de dix ans) que Gessica Généus, réalisatrice et comédienne haïtienne, a dû et pu, avec l’aide des habitant·es d’un quartier de Port-au-Prince, mener à bout le tournage de ce premier long métrage de fiction.

En un sens, Freda est à l’image de son héroïne qui persiste à vouloir rester dans son pays et de son autrice qui aura bataillé pour imposer à son film la langue créole plutôt que le français.

Freda est un film de résistance, qui nous envoie des nouvelles d’une société en crise et de sa jeunesse noctambule, mais qui se dérobe à tout exposé purement factuel et à la photographie misérabiliste d’un pays et d’un peuple meurtris. C’est un film qui en contient plusieurs (le teen movie, la radioscopie documentaire d’un pays, le drame d’un secret de famille…) et s’ouvre sur d’étranges images censées, on le comprend, figurer les souvenirs traumatiques d’une enfant violée.

L’enfant, c’est la Freda du titre, une étudiante en anthropologie que sa mère préférerait voir travailler et se conformer à quelques normes résiduelles d’un colonialisme encore persistant (“Avec tes cheveux [crépus], tu as l’air d’une vendeuse de rue”, lui dit-elle).

Dans une bicoque qui sert d’épicerie, petite scène de théâtre filmée, maison de poupée défraîchie, s’organise la vie de cette famille où vivent également Esther, la sœur qui rêve d’Occident, de peau blanche et tente de fuir sa condition en se jetant dans les bras d’hommes riches et Moïse, frère qui jouit de sa place d’homme et sera bientôt sauvé en partant pour le Chili, terre d’immigration pour beaucoup de jeunes Haïtien·nes.

C’est avec une sobriété de trait, un équilibre trouvé dans l’agencement entre la légèreté de ton de la chronique et la violence d’images documentaires montrant le pays en feu, que Gessica Généus ouvre un interstice qui lui permet de regarder la ville et les êtres bouger – comme Freda qui regarde à travers le trou d’un mur de chambre qui lui fait penser que la vie est trop fragile.

S’il est un film de résistance, c’est aussi parce que Freda fait de l’expérience des femmes une expérience autre, un périple, un motif de ralliement qui, dans la dernière partie du film, après une disparition mystérieuse, et dans l’étreinte réconciliatrice entre une mère et sa fille, trouve sa plus vibrante incarnation. » (lesinrocks.com)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h précises.

Entrée : Tarif réduit 6,5 €. Adhésion : 20 € (5 € pour les étudiants) . Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier et à l’atelier Super 8. Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici


 

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