Vendredi 04 Février 2011 à 20h30 – 9ième Festival
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Ed Wood – USA – 1953 – 1h07 – vostf
La lutte intérieure d’un être pour savoir qui l’emportera en lui, l’homme ou la femme.
Notre critique
Par Philippe Serve
Ed Wood reste décidément un drôle de type. Labellisé – à juste titre sans doute – plus mauvais réalisateur du monde, auteur assez logique du pire film de l’Histoire du Cinéma (Plan 9 From Outer Space, 1959), il n’en reste pas moins une légende sympathique, voire fascinante, le genre de personne dont on aime à se moquer mais avec tendresse. Gageons que le magnifique film de Tim Burton (Ed Wood, 1994, avec un Johnny Depp habité dans le rôle-titre) a beaucoup joué en ce sens. Ed Wood était un artiste car il se vivait tel. Il avait foi en son art – le cinéma populaire – et en sa propre passion. Dépourvu d’égo dont la surdimension semble l’état naturel à Hollywood, il se moquait également du box-office, ce tiroir-caisse tenant lieu trop souvent de programme artistique dans la Cité des Anges. Il était un amateur au sens noble du terme, un artisan à l’âme d’enfant, bricolant son jouet sans se rendre compte du décalage entre son monde et celui d’un 7ème Art arrivé depuis très longtemps à maturité. Bon, d’accord, le résultat n’a jamais été à la hauteur de ses ambitions. Le moins qu’on puisse dire. Le spectateur – non prévenu – de ses films pourrait demander le remboursement de son ticket sans qu’on ose s’en offusquer. Et pourtant quelque chose nous empêche de jeter Ed Wood et ses films au tout-à-l’égout des cinéastes et oeuvres à oublier en priorité et pour l’éternité, canal évacuateur déjà encombré d’une meute que l’auteur de ces lignes imagine menée fièrement par notre BHL national et son inénarrable Le Jour et la Nuit. Ed Wood, par sa foncière honnêteté – et aussi, avouons-le, parce qu’il sait nous faire exploser de rire même à son corps défendant – trouve grâce à nos yeux. Sans délirer comme certains voyant en lui un grand poète – même si le souhait de l’être existait bien chez lui – on ne peut rester insensible à sa démarche. Voilà un homme qui, lorsqu’il tourne son premier long-métrage Glen or Glenda (1953) – après deux courts dont le premier pour la télévision – est un jeune cinéaste de 29 ans décidant de livrer une ode à la pratique du Travestissement. Une apologie des travelos ?! Quoi ? Dans l’Amérique du début des années 50, doublement marquée par le Code de censure Hays (1934-1966) et le Maccarthysme – qui ne fut pas seulement une hystérie anti-communiste mais aussi une affirmation tous azimuts de l’Amérique blanche, ségrégationniste, chrétienne et hautement morale (le Code Hays avait d’ailleurs été écrit par deux ecclésiastiques) ?! Ne mégottons pas : Ed Wood aurait mérité une médaille du courage pour oser tourner un tel appel à la tolérance. Histoire d’en rajouter une couche et puisque le film s’avère très largement autobiographique, Ed Wood décida d’y interpréter lui-même le rôle principal. Une audace capable de briser votre carrière hollywoodienne d’entrée ! Bien sûr, ce n’est pas celle-ci qui ruina un futur peut-être – hum, hum – brillant, mais bien la catastrophique réalisation de Glen or Glenda. Oui, le film est formellement risible. Les scènes surréalistes (rêves et cauchemars, apparitions démoniaques…) nous laissent bouche bée, l’utilisation de bandes d’actualités – les stock shots – en forme de montage parallèle incompréhensible (des bisons !) dépasse l’entendement. Le sommet est atteint avec la présence et la performance – aujourd’hui cultes – du légendaire Bela Lugosi, le Dracula de Todd Browning (1931). En savant ( ?) azimuté délivrant un discours fumeux et sentencieux que l’on se délecte à revoir et à réécouter en boucle, l’acteur-cabotin reste inoubliable, hélas pour lui. Qui ne pourra jamais oublier son « Pull the strings ! » (Tirez les ficelles !) et surtout sa tirade : « Prenez garde ! Prenez garde ! (Beware ! Beware ! Qu’il prononce Bivère) Méfiez-vous du dragon vert assis sur le pas de votre porte. Il mange les petits garçons, la queue des chiots et les gros escargots. » Du grand art !
Ed Wood tournait sans moyens car personne ne voulait financer ses films. Plan 9 fut réalisé grâce au soutien de son propriétaire, leader d’une congrégation de Baptistes, qui accepta d’investir comme producteur exécutif à condition que le cinéaste et sa « star », le catcheur Tor Johnson, acceptent d’être baptisés. Ce qu’ils firent, Tor Johnson étant tellement gros que ce dernier fut baptisé dans une piscine ! Ou quand la réalité dépasse la légende… Ed Wood faisait preuve de tant d’enthousiasme et d’optimisme qu’il parvenait à convaincre sans mal non pas les financiers d’Hollywood mais les laissés-pour-compte et autre has-been du cinéma. Les liens d’amitié qu’il avait noué avec ses acteurs et actrices restèrent solides et ces derniers ont toujours évoqué par la suite la mémoire du réalisateur avec beaucoup de tendresse. Pour Glen ou Glenda, il engagea son ancienne petite amie, Dolorès Fuller qui, sans le savoir dans un premier temps, joua son propre rôle. Elle ignorait en effet l’habitude d’Ed Wood de porter des dessous féminins et même de s’habiller complètement en femme. Elle lui fit vraiment cadeau devant son insistance de son pull angora rose, devenu une obsession pour l’auteur de Revenge of the Dead. L’amitié nouée avec Bela Lugosi, acteur fini et héroïnomane, demeura très forte jusqu’à la mort de l’interprète de Dracula pendant le tournage de Plan 9. Tim Burton l’a d’ailleurs parfaitement rendue dans son film. Il se rêvait Orson Welles – son idole, né le même jour que lui – et devint Ed Wood. Un homme courageux, qui fit la guerre du Pacifique dans les Marines et débarqua pour une bataille sanglante sur l’île de Tarawa en portant sous son uniforme un soutien-gorge rouge et une petite culotte. Un soldat multi-décoré qui laissa plusieurs dents – moindre mal – dans un corps à corps avec un soldat japonais puis fut blessé un peu plus tard à la jambe par un tir de mitrailleuse. Un homme qui osa défier l’Amérique dans sa morale étroite et conservatrice tout en martyrisant sous son manque cruel de talent (?) le porte-drapeau du pays à la bannière étoilée le plus admiré dans le monde: Hollywood. Un tel homme mérite forcément le respect.
Sur le plan cinématographique, osons proclamer l’indicible : Ed Wood fut, quelque part, un avant-gardiste. Qui d’autre osa bousculer à ce point la grammaire cinématographique dans un cinéma des fifties totalement formaté ? Les séquences en « négatif » de The Bride and the Beast , le montage discontinu, les faux-raccords gigantesques, la mise à distance du spectateur (effet de distanciation brechtien) par l’exposition des ficelles – au propre comme au figuré, cf. les assiettes-soucoupes volantes de Plan 9 se balançant au bout de leur fil ou la cabine de pilotage du même film simplement faite d’un rideau-douche – la présence inexplicable et absurde de certains personnages (Bela Lugosi dans Glen ou Glenda), le mélange de fiction et de documentaire, tout cela finalement se révèle bien novateur. Ed Wood, précurseur des nouvelles vagues du début des années 60 ? Ed Wood père spirituel de Godard ? Sans aller jusque là et tout en reconnaissant que la paire Belmondo-Jean Seberg de A Bout de Souffle possède plus de charme que celle constituée par les zombies Tor Johnson et Vampira, on peut pourtant oser dire qu’à sentences définitives et brumeuses égales, le spectateur a le droit de choisir celles lancées avec emphase par Bela Lugosi plutôt que celles murmurées par JLG, ou les jumping cuts involontaires et naturels de Ed Wood à ceux, calculés et finalement artificiels, du cinéaste suisse. Bien entendu, ces quelques réflexions enfiévrées et edwoodiennes n’engagent que son auteur et CSF ne saurait en aucun cas être collectivement poursuivi pour de tels propos blasphématoires, vivement rejetés et honnis par les autres animateurs de l’association… Comme tous les génies méconnus, Ed Wood termina sa vie tristement, tournant ou écrivant quelques pornos, s’abîmant dans l’alcool et mourant, pauvre et oublié, à seulement 54 ans. Oublié ? Que nenni !
Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.
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