Vendredi 14 avril 2017 à 20h30
Film de Kristina Grozeva et Petar Valchanov – Bulgarie – 2017 – 1h41 – vostf
Tsanko, un cantonnier d’une cinquantaine d’années, trouve des billets de banque sur la voie ferrée qu’il est chargé d’entretenir. Plutôt que de les garder, l’honnête homme préfère les rendre à l’Etat qui en signe de reconnaissance organise une cérémonie en son honneur et lui offre une montre… qui ne fonctionne pas. Tsanko n’a qu’une envie : récupérer la vieille montre de famille qu’on ne lui a pas rendue. Commence alors une lutte absurde avec le Ministère des Transports et son service de relations publiques mené par la redoutable Julia Staikova pour retrouver l’objet.
Notre critique
Par Josiane Scoleri
Glory est en soi un film qui mérite d’être découvert puisqu’il nous vient d’une cinématographie très rare. La Bulgarie produit, en effet, seulement trois ou quatre films par an et ils sont, de plus, rarement vus à l’étranger. Celui-ci est d’autant plus remarquable qu’il s’attaque à un genre vraiment difficile à exporter, celui de la comédie politique pince – sans- rire. Car comme chacun sait, l’humour est très certainement la chose la plus difficile à partager au-delà des frontières. Les deux réalisateurs nous offre ainsi une fenêtre sur l’état de leur pays, de l’ « élite » politique au citoyen lambda, où la comédie grinçante expose en quelques saynètes bien des vices cachés du système.
Le film fourmille de détails révélateurs qui parleront sans doute encore plus aux spectateurs bulgares, mais nous pouvons néanmoins tous en saisir la portée, y compris en dehors de ce qu’on appelait encore il n’y a pas si longtemps les « Pays de l’Est ». Pour être implicite, la référence à cet « avant la chute du rideau de fer » n’en est pas moins permanente et constitue certainement une clé de lecture diffuse du film. On retrouve de fait dans le scénario tous les travers si souvent dénoncés du temps de l’économie soviétisée, où chacun se sert au passage et ponctionne le système comme il peut avec un sentiment de légitimité absolue, puisque c’est ainsi que tout fonctionne/dysfonctionne à tous les échelons : la pénurie organisée et le marché noir, le détournement des fonds publics, le double langage et l’hypocrisie érigés en outil de propagande, le décorum de pacotille et la corruption généralisée. Sauf que le film se passe ici et maintenant, dans la Bulgarie membre de l’Union Européenne depuis 2007 et que les réalisateurs ont, de plus, puisé la matière première du récit dans un fait divers. Comme le disait si justement le comte de Lampedusa, il s’agit toujours de « tout changer pour que rien ne change »…
Le film n’est, pour autant, ni un documentaire, ni une diatribe virulente, il est même plutôt discret, dégageant une petite musique faussement modeste et c’est précisément ce qui fait tout son intérêt…Certains pourraient trouver les gags un peu trop faciles et largement prévisibles. Mais au-delà de la filiation burlesque clairement revendiquée tout au long du film, avec notamment un comique de répétition comme on n’en avait plus vu depuis longtemps au cinéma, la construction du film est en fait plus subtile qu’il n’y paraît à première vue. Elle est fondée sur un ressort simple et efficace : le contraste permanent entre deux mondes et à l’intérieur de ces deux mondes, l’opposition entre des personnages que tout oppose malgré leur proximité. D’un côté, Tsanko Petrov, modeste cantonnier dont le bégaiement fait sens et va bien au-delà d’un simple comique de situation . De l’autre, Julia Staykova, responsable des Relations Publiques au Ministère des Transports, où tout est nécessairement question de « communication » et d’emballage. Mais Tsanko n’a finalement pas grand chose à voir avec ses collègues de travail. De même que Julia se situe à des années lumière de son mari. Le montage est d’ailleurs souvent un montage alterné classique. Il nous fait donc passer sans cesse d’un monde à l’autre, dans un balancement qui pour être drôle n’en est pas moins féroce. Les deux réalisateurs n’hésitent pas à filer la métaphore, même si celle-ci ne nous apparaît pas toujours immédiatement. Ainsi, toutes les scènes chez le gynécologue sont en soi souvent très drôles. Julia doit en effet avoir recours à la procréation assistée et préfère de toutes façons dans un premier temps congeler les embryons… En super executive woman, elle n’a pas franchement la tête à la maternité…Mais les réalisateurs ne seraient-ils pas en fait en train de nous parler plutôt de cette difficulté à accoucher d’une société nouvelle qui travaille tout le pays? Et la ponction dont il est question à plusieurs reprises dans le cabinet du médecin fait forcément écho au fuel syphonné dans tous les dépôts de carburants… Et il n’est sans doute pas innocent non plus que la montre, qui est un personnage à part entière du film ,s’appelle rien de moins que Glory… Mais évidemment, l’opposition première, celle qui régit tout le film, met face à face l’honnêteté foncière de Tsanko qui ne manque pas de passer pour un demeuré et la magouille et combine à tous les étages de ceux auxquels il a affaire. Même le vague contre-pouvoir représenté par le journaliste poil à gratter du régime est sujet à caution vu la manière dont il se sert du brave Candide sans le moindre état d’âme et sans se préoccuper le moins du monde de protéger son lanceur d’alerte…
Le déroulement du récit est lui aussi classique, avec un fil narratif qui suit imperturbablement son chemin, de micro-événements en mini-rebondissements qui finissent malgré tout par créer un véritable suspense. Nous en sommes nous-même les premiers surpris tant le film joue la carte de la simplicité, voire de la banalité apparente. Mais les deux metteurs en scène, contrairement à leur personnage, ne sont pas de véritables Candide. Ils se montrent en réalité très habiles pour nous faire croire à plusieurs reprises que l’histoire est pliée. En d’autre termes, ils nous baladent. Et ce que nous voyons voir venir « gros comme une maison » est bien vite démenti par un nouvelle bifurcation du récit. C’est ainsi que nous sommes sûrs à plusieurs reprises que le pot de terre va se briser contre le pot de fer pour envisager derechef dans la scène suivante un « happy end » pépère…. avec néanmoins le pressentiment que quelque chose risque toujours de déraper. Et ce jusqu’au crescendo final qui nous prend complètement à revers avec une redoutable efficacité.
Sur le web
« …À ceux qui avaient espéré que la disparition de la censure et la suppression du monopole d’État libèreraient les énergies créatives, l’observation des vingt dernières années a apporté un cruel démenti. Avec l’avènement de la démocratie, l’ancienne filière cinématographique est démantelée: l’entreprise publique, Bălgarska kinematografija, qui assurait la production, la diffusion et l’exploitation des films est liquidée en mars 1991. Engagée dans une difficile transition vers l’économie de marché, l’État se retire d’une branche autrefois prioritaire. Dès 1993, un nouvel organisme public est cependant créé, le Centre national du film, qui a pour mission de soutenir la production, la distribution et la promotion à l’étranger des réalisations bulgares. Mais les aides publiques ne permettent de financer que deux fictions par an, alors que la production privée reste embryonnaire et que les coproductions internationales (notamment avec la France et dans le cadre d’Eurimages, le Fonds de soutien du Conseil de l’Europe pour le cinéma européen), encore trop rares, ne tiennent pas toujours toutes leurs promesses. Pour des milieux artistiques habitués à bénéficier de la manne publique, l’ajustement à la nouvelle loi du marché est cruel. En l’espace de quelques années, la production nationale s’effondre : le nombre de longs-métrages tombe à moins de cinq films par an (0 en 1999).
Certains professionnels du cinéma tentent leur chance à l’international, avec des fortunes variées ; d’autres se reconvertissent, parfois dans de petits métiers fort éloignés du Septième art. Maints acteurs survivent grâce au théâtre qui, plus vite que le cinéma, parviendra à reconstituer son public dans les grands centres urbains. La jeune génération des réalisateurs trentenaires au moment du changement de régime doit mettre son œuvre entre parenthèses : d’aucuns se tournent vers la réalisation de documentaires – moins onéreuse – ; les plus chanceux travaillent pour la télévision. En cette période d’effervescence politique, les bancs de l’Assemblée nationale se colorent aussi de visages connus : acteurs, écrivains-scénaristes ou cinéastes. Evgueni Mihajlov (qui avait fait ses débuts en 1983) se fait connaître du grand public en tant qu’auteur de l’enregistrement qui conduit le président Petăr Mladenov (issu de l’ancien Parti communiste) à la démission en juillet 1990. Un universitaire et critique de cinéma, Ivaylo Znepolski, devient ministre de la Culture (1993-1995). Il faut attendre la fin des années 1990 avant que les perspectives professionnelles dans la filière s’éclaircissent un peu : la croissance du secteur de la publicité, le développement des chaînes télévisuelles privées et des réseaux câblés fournissent des débouchés aux diplômés de l’Académie nationale pour l’art théâtral et filmique (NATFIZ). La plupart des cinéastes sont toutefois contraints de multiplier les engagements en attendant de pouvoir, un jour, tourner à nouveau pour le cinéma.
Si on peut parler d’une « génération perdue » de cinéastes aujourd’hui âgés d’une cinquantaine d’années, qui furent touchés de plein fouet par les changements de 1989, la création cinématographique bulgare reconquiert peu à peu la visibilité qui avait été la sienne dans les années 1970-1980. S’y détachent notamment les figures d’Ivan Čerkelov et Vasil Živkovde (Oburnata elha/Le sapin renversé, 2004), de Georgi Djulgerov (Lejdi Zi/ Lady Zee, 2005, Kozelat/La chèvre, 2009) de Radoslav Spassov (Otkradneti oči/Les yeux volés, 2004) et de Milena Andonova (Majmuni prez zimita/Singes en hiver, 2007). Chez les cinquantenaires, l’œuvre de Krasimir Kroumov irradie une poésie singulière (Smisălăt na života/Le sens de la vie, 2004). Une jeune génération est par ailleurs en train d’émerger, associée aux noms de Milena Andonova, Zornica Sofia, Igliki Trifonova ou Nadežda Koseva, dont le court-métrage Omlet/Omelette a été primé au Festival américain de Sundance en 2009. A la rentrée 2009, le public français devrait par ailleurs découvrir un jeune cinéaste bulgare passé par la Fondation européenne pour les métiers de l’image et du son (FEMIS), Kamen Kalev (34 ans), dont le premier long-métrage, Eastern Plays, a été présenté à Cannes dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs… »
KRISTINA GROZEVA a d’abord travaillé comme journaliste pour la télévision bulgare. Elle a également poursuivi des études à la National Academy of Theater and Film Art de Sofia, et son court métrage de fin d’étude s’est fait remarquer à l’international, remportant plusieurs récompenses dans des festivals étudiants.
PETAR VALCHANOV est diplômé de la National Academy of Theater and Film Art de Sofia. Il y a rencontré Kristina Grozeva. Ensemble, ils ont réalisé plusieurs documentaires et courts métrages, dont JUMP, premier court métrage bulgare à être présenté en compétition internationale au Festival de Clermont-Ferrand. Le film a notamment remporté le grand prix du Festival de Bruxelles et le prix du meilleur film court au Festival de Busan. Ils ont réalisé en 2014 The Lesson, leur premier long métrage de fiction. Glory est leur second long métrage
Glory est le second volet d’une trilogie et fait suite à The Lesson, sorti en 2015. Kristina Grozeva et Petar Valchanov s’inspirent de faits divers issus de coupures de presse, auxquels ils ajoutent de nouveaux événements imaginaires. « Aucun des films n’a de prétention biographique, nous nous inspirons simplement de faits divers et nos films démarrent là où ce qui est raconté dans les coupures de presse s’arrête.« . L’histoire vraie de Glory s’est déroulée en 2001 : « Un cantonnier trouve un tas de billets sur les rails et les remet à la police, et il reçoit en récompense une montre qui ne fonctionne plus au bout de quelques jours. Dans une interview qu’il a donnée plusieurs années après, le cantonnier déclare que s’il trouvait à nouveau un tas de billets par terre, il passerait simplement son chemin. Pourquoi cette déclaration ? Cela nous a intrigués et notre imagination s’est mise au travail« , se remémorent les réalisateurs. Avec Glory, Kristina Grozeva et Petar Valchanov entendent mettre en lumière la corruption qui gangrène la société bulgare jusque dans les plus hautes sphères du pouvoir. Ils ajoutent: « Le mélange de comédie et de drame nous a toujours beaucoup inspirés. Dans la vraie vie, ces deux composantes vont de pair, on passe sans cesse de moments heureux à des moments plus douloureux. C’est sans doute pour cela que la tragicomédie est le genre qui nous semble le plus réaliste.«
« …Glory rend superbement compte de la distance qui sépare les autorités, corrompues, des travailleurs dévoués qu’elles emploient. D’un côté, il y a Petrov, qui prévient à la force du poignet les accidents ferroviaires depuis 25 ans. De l’autre, il y a des gens haut-placés qui s’inquiètent des accusations de corruption lancées par un journaliste du nom de Kiril Kolev (joué par l’acteur et réalisateur Milko Lazarov). Quand Petrov assure qu’il comprend bien que la compagnie nationale des chemins de fer est en déficit, le ministre ignore l’information, car les deux hommes appartiennent bel à bien à deux mondes qui ne sont pas faits pour communiquer – une absence de voix au chapitre des plus démunis bien soulignée par les problèmes d’élocution de notre pauvre héros… »(cineuropa.org)
Kristina Grozeva et Petar Valchanov déplorent la situation très difficile de l’industrie cinématographique en Bulgarie, qui empêchent la production de nombreux films et surtout leur exportation à l’étranger. Devant le manque d’aides de l’État, les cinéastes doivent composer avec des budgets très serrés, sans possibilité de financement alternatif. « Le système de subvention d’État est stagnant, et nous n’avons pas de sources de financement alternatives. Très peu de films sont produits chaque année et le budget alloué au cinéma est souvent dirigé vers des projets non aboutis, qui une fois finis, ne rencontrent aucun public, ni ici, ni à l’étranger. La distribution des films en Bulgarie, et tout particulièrement pour des films d’auteur, est un défi quasiment insurmontable. De plus en plus souvent, les réalisateurs trouvent un moyen de produire leurs films avec un budget très réduit, parfois même, sans budget préalable. C’était le cas pour notre premier film, The Lesson « , expliquent-t-ils…Grozeva et Valchanov veulent toutefois se montrer optimistes : « Nous savons qu’il y a tout un réseau d’artistes et techniciens très talentueux qui ont beaucoup d’amour pour le cinéma Parmi eux, il y a notamment Ralitza Petrova, Nikolay Todorov, Dimitar Sardjev, Milko Lazarov, Pavel Vesnakov, Iliyan Metev, Dragomir Sholev and Konstantin Bojanov, pour ne nommer qu’eux. D’ailleurs, cinq de ces réalisateurs apparaissent comme acteurs dans Glory !« .
Kristina Grozeva et Petar Valchanov ont fait appel aux deux acteurs qu’ils avaient dirigé dans The Lesson, Margita Gosheva et Stefan Denolyubov. Les réalisateurs voulaient au départ attribuer le rôle du responsable des relations publiques à Denolyubov, avant de se raviser et de lui donner celui du cantonnier. Après réflexion, les cinéastes ont en effet décidé de choisir une femme, et en l’occurence Gosheva, pour lui donner la réplique. « Cela permettait aussi de faire un contrepoint intéressant avec leurs rôles respectifs dans The Lesson, cela constituait un petit défi pour eux. Ils redoutaient un peu le tournage au début, ils ont finalement réalisé deux magnifiques performances« , ajoutent-ils. L’équipe technique est également la même que sur le film précédent, à l’exception de l’arrivée du scénariste Decho Taralezhkovqui » qui a joué un rôle important dans la conception du scénario (et qui a même un petit rôle devant la caméra !). Nous sommes déjà en train de travailler ensemble sur de nouveaux projets.«
Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.
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