Vendredi 28 Septembre 2007 à 20h30
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Bahman Ghobadi – Iran-Irak – 2006 – 1h47 – vostf
Mamo est un vieux musicien kurde de grande renommée qui vit au Kurdistan iranien. Depuis 35 ans, date de la prise de pouvoir par Saddam Hussein, il n’a pas eu le droit de donner de concert au Kurdistan irakien. A la chute du régime, l’interdiction est levée. L’un des ses fidèles admirateurs, Kako, emprunte un bus décati pour mener à bien cette mission sacrée : conduire Mamo sur le lieu de son concert, de l’autre côté de la frontière, après avoir rassemblé les dix fils de Mamo, tous musiciens et adultes (certains sont sexagénaires), et qui vivent éparpillés dans la partie iranienne du Kurdistan.
Notre critique
Par Elyse Domenach
La Mort n’est rien
Des hommes tapent des mains et frappent du pied devant un combat de coq, quand survient la nouvelle. Le grand musicien kurde Mamo est enfin autorisé à se produire en Irak. C’est assez pour jeter l’assemblée discordante vers un même but : réunir les « fils » de Mamo et conduire les musiciens à Arbil ! Un moustachu clownesque s’empare du bus local et prend la tête d’un improbable convoi à travers l’Ouest iranien. Seulement, en Iran les femmes sont interdites de concert. L’équipée devra donc monnayer le franchissement des barrages de police, s’engager dans d’infinies palabres avec les garde-frontières, et essuyer quelques coups au passage. Le road-movie commence sur le ton de la farce, avec une bande de musiciens aussi rouillés que leurs instruments. (…) Ce quatrième long métrage confirme la place de Ghobadi dans le cinéma iranien post-révolutionnaire (Samira Makhmalbaf, Jafar Panahi, Hassan Yaktapanah) : marginale en termes politiques et géographiques, mais centrale esthétique-ment (Caméra d’or à Cannes en 2000 et Coquillage d’or à San Sebastián cette année).
Jusqu’ici Ghobadi avait saisi l’esprit de résistance de son peuple dans des figures d’enfant : dans les larmes d’un garçon dont la mule refuse d’avancer (Vivre dans le brouillard, court métrage primé à Clermont en 1998), dans l’obstination d’un aîné à conduire son cadet handicapé jusqu’en Irak où il sera opéré (Un Temps pour l’ivresse des chevaux, 2000), dans les stratagèmes d’un chef de bande pour survivre dans les champs de mine (Les Tortues volent aussi, 2005). Il s’éloigne d’une veine réaliste qui privilégie les personnages enfantins pour biaiser avec la censure (Kiarostami et Makhmalbaf l’ont fait avant lui), et retrouve l’inspiration plus touffue des Chants du pays de ma mère.
Ghobadi endosse le point de vue d’un vieillard qui avance péniblement sous la lune, et assume pour son peuple une vulnérabilité nouvelle : loin de la vaillance et de l’indiscipline célébrées précédem-ment, loin aussi de l’icône du cheval qui se cabre au sommet d’une montagne (Viva Zapata !). Mamo est le dépositaire d’une tradition qui, avec lui, tutoie la mort. Lorsqu’il perd courage, c’est tout le peuple kurde qui vacille. Ghobadi réalise un film hanté par la mort et pourtant étonnamment serein, sous le signe du précepte antique « la mort n’est rien, puisque quand elle est là je n’y suis plus. »
Half Moon commence là où finit Vivre dans le brouillard, avec la communion des hommes dans le chant, et chemine de l’élection d’un homme à celle d’une voix, en lien avec le Très-Haut. Dans la trame lisse du scénario, Ghobadi inscrit au ralenti des trouées poétiques. Au son des flûtes et des violons, Mamo s’imagine gisant dans un cercueil que traîne une femme dont les habits colorés resplendissent dans la neige (comme le manteau jaune de Madi dans Un Temps pour l’ivresse des chevaux).
Au cœur de sa mise en scène, le cinéaste installe une indécision. Les visions de Mamo frisent la prémonition. Elles font presque advenir le réel qu’elles projètent. Comme dans Les Tortues volent aussi, les prévisions fiables seront démenties une à une : le diagnostic des médecins, les informations des médias. Quand la vie quotidienne plonge dans le cauchemar, il faut s’attendre à voir le réel dicté par la fiction. Quitte à donner raison à un gamin affabulateur. Quitte à croire (finalement) aux rencontres providentielles. Ghobadi met à profit un savoir-faire de photographe et de documentariste pour nourrir ses fictions des débordements du réel : « ce qui peut paraître surréel dans mes films s’est le plus souvent passé » (Positif, n°512, p. 27). A travers les chants traditionnels, il fait entendre les aspirationsnationales des kurdes. La censure iranienne ne s’y est pas trompée. Les visions de Mamo sont subversives. Elles défient l’interdiction faite aux femmes de chanter en public (comme Les Chants du pays de ma mère, pourtant épargné). Par-dessus tout, elles font croire à la possibilité de changer les choses : espoir démocratique par excellence.
Alors que son compatriote Panahi choisit la chronique en temps réel pour dénoncer le sort fait aux femmes (quelques heures de la journée de quelques marginales dans Le Cercle, un match de foot passé derrière les gradins dans Hors Jeu), Ghobadi s’en remet au merveilleux. Les élues apparaissent et disparaissent comme des anges : enlevées à la communauté des chanteuses exilées, découvertes par miracle dans la ferveur d’un enterrement ou tombées du ciel sur le toit du bus. Leur voix sait réveiller les morts et redonner espoir aux vivants. A mi-parcours, apparaît au détour d’un virage du village troglodyte où sont parquées toutes les chanteuses du pays. Postées sur les toits avec leurs tambours dans des habits colorés, elles font une haie d’honneur au maestro. Les lignes géométriques parcourues de cercles et de taches se croisent, formant d’admirables tableaux. Puis, dans un sauvetage de conte, l’une de ces vestales commande à une volée de luges fondant sur la troupe en déshérence. Le plan rappelle la glissade des pneus de contrebande à flanc de montagne dans Un Temps pour l’ivresse des chevaux.
Pour le New Crowned Hope Festival de Vienne, Ghobadi a composé un requiem vibrant, dédié à la musique kurde. Mamo y incarne « l’esprit de Mozart », venu draper de musique une mort annoncée.
Filmographie de Bahman Ghobadi :
1998 : Vivre dans le brouillard 2000 : Un temps pour l’ivresse des chevaux 2003 : Les chants du pays de ma mère 2005 : Les tortues volent aussi
Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.
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