Du Vendredi 10 au Dimanche 12 Novembre 2023
Au Cinéma Jean-Paul Belmondo (ex-Mercury) et dans la salle Pop-up du 109 (Pôle des Cultures Contemporaines de Nice)
Week-end événement avec Roland Vincent (compositeur), Vincent Comaret (monteur), Julien Lucq (assistant), Françoise Lebrun (actrice), Pascal Cervo (acteur), Ugo Broussot, acteur, Malik Saad (régisseur, acteur et compagnon de vie de Paul Vecchiali), Philippe Bottiglione (chef opérateur)
En souvenir du long compagnonnage entre Cinéma sans Frontières et Paul Vecchiali qui a souvent honoré Nice de sa présence au cours des 10 dernières années, Cinéma Sans Frontières organise en partenariat avec la Bande Passante 3 journées consacrées au cinéaste-producteur et cinéphile impénitent qu’il ne cessa jamais d’être : Vecchiali l’indépendant, Vecchiali le rebelle, Vecchiali l’inclassable.
Vendredi 10 Novembre 2023 à 20h
Cinéma Jean-Paul Belmondo (ex-Mercury) – 16 place Garibaldi – Nice
Les ruses du diable, film de Paul Vecchiali, France, 1965, 1h50.
Ginette mène un train de vie très modeste à Paris jusqu’au jour où elle commence à recevoir quotidiennement la somme de 10000 francs dans une enveloppe. Elle décide de profiter de la vie et repart à la campagne chez sa mère. Ginette lui demande si son père ne serait pas l’homme habitant dans un château à proximité. Vexée, sa mère la met et à la porte ! Elle décide alors d’aller seule à la rencontre de cet inconnu et leur entrevue se déroule très mal car il en vient à presque la violer…
…Les Ruses du diable noue ensemble, dès 1965, toutes les composantes du cinéma de Vecchiali : un réalisme parfois cru qui déjoue en même temps le « naturalisme », un goût du romanesque et du merveilleux, une « impureté » de genres (ou bien des tons) qui glissent ou s’accusent par contraste, une célébration sans partage d’une cinéphilie englobante, qui rassemble le cinéma « populaire », d’acteurs et de films, pré nouvelle vague, et la modernité à la fois documentaire et formelle, héritée de Godard ou Bresson (même si le second est en marge du mouvement : une sorte de grand tuteur). Au-delà de l’analogie musicale, et sans être dans un rapport d’imitation avec lui (ce serait plutôt une émulation fraternelle), Vecchiali occupe une place un peu similaire à celle de Demy vis-à-vis de la Nouvelle Vague : à la fois concordante, très occasionnellement, mais en même temps marginale, par l’irréductibilité de ses « dépassements artistiques ». C’est le cinéaste dont il se rapproche le plus par l’esprit, davantage que par la « lettre »…
…Les Ruses du diable surprend en premier lieu par la fraîcheur de son ton, en grande partie due à l’interprète, Geneviève Thénier, petite sœur choyée parmi les cousettes, midinette rieuse, et alter égale des autres jeunes actrices emblématiques de la Nouvelle Vague : Lola/Anouk Aimée ou Anna Karina chez Godard. C’est un parangon de la jeunesse insouciante et, en même temps, une jeune fille des quartiers du Paris populaire, qui a encore un pied dans le monde d’avant-guerre. Elle incarne d’emblée une double mythologie, l’une en train de se construire, et l’autre, dont le reflet persiste à travers la nouvelle, un chaperon d’aujourd’hui. Le parallèle avec Vivre sa vie de Godard est manifeste dans cette série de regards caméra, qui ponctuent les deux films, en interrogeant le spectateur de sa place par une adresse frontale. On retrouve également la même utilisation du sous-titre en réponse, « Film en douze tableaux » chez l’un, « Neuf portraits d’une jeune fille » chez l’autre. La particularité du film de Vecchiali est cependant induite par le titre, et son « diable », qui tire l’histoire du côté de la fable initiatique et fantastique, une sorte de conte fée un peu empoisonné par une cruauté malicieuse. La jeunesse de Ginette, et son insouciance, vont s’abimer progressivement, dans des sortilèges nocturnes et une série de mauvaises rencontres : des personnages duplices de vieux satire, mère fouettarde, et père « à cornes », qui finiront par dégrader son innocence, son appétit de vie, et les changer en mélancolie. Le personnage de Mariette, seule « bonne fée » de Ginette, et pendant de son innocence enfantine, s’éclipsera trop vite pour la protéger de toutes les illusions dans lesquelles la jeune cousette fonce, tête la première. Ne restera plus que la frêle embarcation, d’une jeunesse et d’une vie avalées, dans un précipité fantastique (culturopoing.com)
Geneviève Thénier, étonnante, fait de Ginette un personnage à la fois proche et très différent de celui qu’elle incarnait dans L’amour à la mer de Guy Gilles : à la fois gracieuse et presque vulgaire, enjouée et pleine de vitalité mais minée par la mélancolie, midinette mais se posant trop de questions, naïve et désarmée mais aussi rusée et manipulatrice. Autour d’elle Vecchiali sait faire exister une foule de personnages fortement caractérisés, frôlant souvent une forme de grotesque inquiétant (la voyante autoritaire exprimant son mépris pour les accessoires qui font la joie des extralucides, mais toujours surprenants, imprévisibles. Le plus émouvant est sans doute la vieille voisine interprétée par Germaine de France, notamment lors de la bouleversante séquence de la virée au parc, dernier envol d’un papillon qui épuise joyeusement ses ultimes forces.
Mais cette émotion par moments très forte est tenue à distance (la fin qui rend hommage au Dieu Mizoguchi du Destin de Madame Yuki), le film ne s’y complaît pas plus que dans la nostalgie passéïste ou dans l’éxubérance enjouée de la comédie musicale (le feu d’artifice de couleurs de l’ouverture ; le choeur des cousettes ; les deux entrées successives de Ginette dans l’atelier, dont on croit un moment que la seconde va annuler la première). Car la légèreté grave du film repose sur l’équilibre précaire, le frottement, les sautes (d’humeur), la tension entre sentimentalisme cru (sans sensiblerie) et humour sec, entre immédiateté et distance, classicisme et expérimentaion formelle (la tentative avortée de retour à la couleur comme un effort désespéré pour s’accrocher à la vie)…(avoir-alire.com)
… Les Ruses du diable est le premier film de Paul Vecchiali. Celui-ci relate une histoire de roman photo (une jeune couturière se voit recevoir chaque jour d’un destinataire inconnu une forte somme d’argent qui bouleverse son mode de vie), très Nouvelle Vague, qui fait balancer le film entre la vitalité doucereuse d’un Demy et l’ironie attendrie d’un Godard, est portée par la jeunesse de son actrice qu’accompagne une mise en scène attentive aux multiples espace des vies. En effet, le trajet de l’héroïne s’adjoint toujours d’une découverte des intérieurs et des paysages ; et les conditions de vie, toutes sensibles, éclairent ceux qui y vivent. Le film est magnifique dans la générosité qu’il offre à chacun de ses personnages, même les simples figurants, sans rien enlever pourtant à l’héroïne et sans jamais se confondre avec elle… À la recherche de son mécène fantôme, Ginette bute sur des pans de réalité concrète (y compris sa mère et une jeunesse abandonnée à la province) face auxquels elle répond avec son intelligence et ses forces propres. (critikat.com)
Samedi 11 Novembre 2023 à 14h
Salle Pop-up du 109 (Pôle des Cultures Contemporaines de Nice)
Dans le cadre de l’Automne de l’Image en partenariat avec La Bande Passante:
Table-Ronde illustrée par de nombreux extraits de films en présence de tous les invités,
et Projection/Débat avec deux films entièrement improvisés, tournés en une journée:
Trous de mémoire et Bonjour la langue.
Trous de mémoire, film de Paul Vecchiali, France, 1984, 1h20.
Françoise et Paul, qui ont vécu ensemble, se retrouvent un après-midi dans un parc, à l’initiative du second, qui veut la reconquérir et lui demande de l’aider à retrouver un souvenir perdu.
… La récente disparition de Paul Vecchiali a laissé un trou béant dans un territoire du cinéma français qu’on nomme bien volontiers comme étant celui de la marge. Le cinéaste allait encore un peu plus loin quand il déclarait n’être pas dans la marge, car “pas même dans le cahier”…
… Un homme et une femme parlent dans la nature, tentent de se rappeler leur histoire commune qui s’est achevée il y a quatre années. Deux êtres ne cessent de se réajuster l’un à l’autre dans de longs plans au sein desquels Georges Strouvé, directeur de la photographie régulier de Vecchiali, travaille les corps avec des zooms flottants qui épousent la lumière vivante du flux du jour. Des zooms parfois déchirants de tristesse qui isolent le visage mélancolique de Françoise où la face espiègle et insondable de Paul. Ces retrouvailles difficiles ont lieu dans un terrain vague, comme s’il fallait à nouveau tout construire, y inventer les nouvelles règles du jeu pour les mettre aussitôt en pratique, dans une mise en scène qui s’écrit au moment du tournage.
Assis·es sur un banc, Françoise et Paul s’affrontent lors d’une bataille navale. La séquence n’est pas sans rappeler le face-à-face de Jean-Pierre Léaud et Anne Wiazemsky dans La Chinoise de Godard. Wiazemsky y feignait une déclaration de rupture amoureuse sur fond de musique pour mener à bien une démonstration politique : il faut mener la lutte sur deux fronts. Musique et langage. Ici, sur leur banc, Paul et Françoise, papier et crayon en main, se tirent des bombes sur l’échiquier de leurs souvenirs perdus, enchaînent les “coups dans l’eau” et n’arrivent plus à se retrouver. Jeu et langage. Dans les errances d’une parole sans cesse ébréchée, Trous de mémoire est aussi un récit sur son propre tournage, un film qui emporte avec lui le souvenir d’une journée. Une journée d’innocence où l’on cherche à pouvoir se dire les choses, encore éreinté·es d’une bataille lointaine. Où l’on se donne rendez-vous par hasard, où l’on traque une dernière fois les chansons oubliées.
C’est ce trou de mémoire, somptueux, qui rappelle comme les hommes vivent dans les souvenirs des femmes et dont elles sont les gardiennes miraculeuses. Touché coulé en plein cœur. (lesinrocks.com)
… En 2020, dans son avant-dernier film, Un Soupçon d’amour, Paul Vecchiali imaginait une comédienne répétant Andromaque et y donnant la réplique à un partenaire qui ne serait autre que son propre mari, à la ville. Fiction rejoignant la réalité filmique et en dévoilant progressivement les pans douloureux. Trente-cinq ans plus tôt, dans Trous de mémoire (1985), le cinéaste, en duo avec Françoise Lebrun au scénario et dans une interprétation très largement improvisée, imaginait les retrouvailles d’un ancien couple, séparé depuis longtemps déjà. Un rendez-vous provoqué par l’homme, dans un parc désert, au petit matin, sur les rives d’une importante retenue d’eau. Eau captive, comme métaphore, précisément, de la mémoire qui reste et se refuse à fuir, en dépit du titre ?…
… Dans un espace-temps resserré à l’extrême – puisque l’entrevue ne s’étirera pas davantage que d’un matin jusqu’au soir, et que le couple ne quittera pas un périmètre très limité sur ces rives -, le spectateur-auditeur est témoin d’une forme de badinage post-amoureux, au cours duquel les deux membres du couple, alternativement et jamais dans la synchronie, se cherchent, s’approchent, refluent, se dérobent. La musique d’Antoine Dornel, au clavecin baroque, redouble et confirme ce caractère de quête amoureuse très policée. Toutefois celle-ci ne se joue pas dans le dédale de salons lambrissés, mais en pleine nature. Une nature dont la caméra très subtile de Georges Strouvé capte avec beaucoup de douceur toute la beauté, à l’occasion de pauses ménagées dans le dialogue et permettant à la musique de prendre place. Le scintillement des feuillages bruissant entre ombre et soleil n’a pas de secrets pour son objectif, qui se montre également très sensible au passage des nuages, venant soudain obscurcir ou tamiser une scène, à la manière d’un sujet, ou d’une humeur…
Mais ce badinage amoureux est-il aussi badin que le voudrait l’étymologie ? Les larmes, les aveux de blessure, de désir, diront bien la gravité, peut-être même la radicalité de ce qui se joue là, en accord avec Musset et la conclusion de sa pièce On ne badine pas avec l’amour. Qu’en est-il de ce duo formé par le réalisateur et par Françoise Lebrun, l’actrice vers laquelle Vecchiali revenait toujours ? Au-delà du jeu de deux acteurs, on ne peut se défendre contre le sentiment que, à travers la fiction, quelque chose se livre là de la profondeur d’un lien, de sa vérité, même. Ou du cinéma comme monde parallèle, où les rêves sont également vrais. Ainsi, il serait moins question, ici, de « trous de mémoire » que de trous dans le réel, laissant passer la vérité de la fiction. Le personnage de Françoise exprime d’ailleurs ce doute auprès de Paul : « Je ne sais jamais quand tu joues, quand tu es sincère… ». Ce flou, cette potentielle bivalence, sont sans doute la marque du cinéma de Vecchiali, sur fond de conscience du tragique. (lemagducinema.fr)
Bonjour la langue, film de Paul Vecchiali, France, 2023, 1h20.
Alors que son train est à l’arrêt en gare de Draguignan, Jean-Luc décide soudain de descendre pour rendre une visite impromptue à son père qu’il n’a pas vu depuis plus de six ans.
Explorant les liens familiaux et défiant les conventions de l’industrie, le dernier film de Paul Vecchiali témoigne de l’esprit inébranlable du cinéma d’auteur dans ce qu’il a de plus pur.
Quand le vétéran du cinéma français Paul Vecchiali est décédé, en janvier 2023, à l’âge de 92 ans, il a laissé derrière lui un travail inachevé, Bonjour la langue. Vecchiali souhaitait au départ adapter un roman, mais face à différents obstacles, désireux de produire quelque chose, il a pivoté pour se lancer dans un projet improvisé, tourné en un seul jour en octobre 2022. Vecchiali y joue, aux côtés de son collaborateur régulier Pascal Cervo, nous livrant un drame familial qui se passe dans trois lieux différents. Après six ans sans se voir, Jean-Luc (Pascal Cervo) vide son sac et reproche à son père Charles (Paul Vecchiali) d’avoir toujours fait passer la passion de son travail avant sa famille. L’oeuvre, minimaliste, aborde le sujet des relations humaines, des conflits, des regrets et des impermanences de la vie…
… Ce film est à la fois un hommage et une réponse à l’Adieu au language de Jean-Luc Godard, et il est dédié au réalisateur pionnier… Malgré un rythme initialement tranquille et un dispositif assez simple, le montage établit un tempo qui conserve tout du long son élan, donnant à l’ensemble un dynamisme émotionnel qui fait pendant à la simplicité apparente d’un cinéma réduit à l’essentiel.
… Si Bonjour la langue se présente comme une étude des liens familiaux par deux acteurs, c’est à la fois un film-manifeste et un geste radical, particulièrement en relation avec les normes et difficultés de l’industrie du cinéma. Ce titre incarne la liberté créative que Vecchiali a défendue tout au long de sa carrière, ce qui a en retour consolidé son statut d’auteur et l’indépendance artistique pour laquelle il était encensé. Bonjour la langue fait honneur à la production significative de Vecchiali, avec une filmographie de plus de 70 travaux qui le place aux côtés de cinéastes comme Manoel de Oliveira et Alejandro Jodorowsky, qui comme lui se sont entièrement dévoués à leur métier jusqu’à leur tout dernier souffle. (cineuropa.org)
Dimanche 12 Novembre 2023 à 14h et 16h30
Cinéma Jean-Paul Belmondo (ex-Mercury) – 16 place Garibaldi – Nice
La cinéphilie de Paul Vecchiali au delà des années 30 avec la projection de leur dernier film:
Les Deux Cavaliers de John Ford, et La Rue de la Honte de Kenji Mizoguchi.
Les Deux Cavaliers, film de John Ford, USA, 1961, 1h49, vostf
Le shérif Guthrie McCabe, fumeur et alcoolique notoire, voit un jour débarquer dans sa ville une vieille connaissance, le lieutenant Jim Gary. Autour d’un verre, les compères décident de partir en territoire indien. En effet, ils vont tenter de négocier avec les Comanches la restitution des prisonniers blancs qu’ils ont capturés au cours des dix dernieres années…
Les Deux Cavaliers est le premier film où le cinéaste John Ford dirige James Stewart. L’année suivante, les deux hommes se retrouvent pour l’inoubliable L’Homme qui tua Liberty Valance. James Stewart jouera ensuite dans deux autres films du réalisateur : La Conquête de l’Ouest (1962) et Les Cheyennes (1964). Richard Widmark a également joué dans trois films de John Ford : Les Deux Cavaliers mais également La Conquête de l’Ouest et Les Cheyennes.
Les Deux cavaliers fut un véritable échec critique et commercial à sa sortie. Il fut notamment reproché au film que les acteurs James Stewart et Richard Widmark étaient trop vieux pour leur rôle. En effet, dans le roman de Will Cook, les deux personnages ont quinze ans de moins que les acteurs. John Ford avouera d’ailleurs plus tard n’avoir fait le film que pour des raisons financières.
Entre le très beau Sergeant Rutledge (Le Sergent noir) et le magnifique Homme qui tua Liberty Valance, John Ford accepta de réaliser Two Rode Together (Les Deux Cavaliers) avant tout pour l’argent et surtout pour faire plaisir au patron de la Columbia, Harry Cohn. L’histoire et les thématiques étaient assez semblables à celles de La Prisonnière du désert (The Searchers) : des hommes à la recherche de captifs des Indiens, le drame de ces prisonniers que l’on accepte avec difficulté une fois rentrés au bercail puisque ayant frayé (et plus si affinités) avec des « sauvages« . Mais le ton devait être bien plus désabusé, cynique et désenchanté. Le scénario de départ d’après un roman de Will Cook (Comanche Captive) ne lui convenant pas, il le fit réécrire par Franck Nugent. Le résultat ne le satisfit guère plus. Richard Widmark pensait qu’il était trop âgé pour le rôle mais accepta pour le plaisir de tourner avec John Ford. James Stewart était lui aussi ravi de pouvoir jouer sous la direction d’un des autres plus grands du western avec Anthony Mann… (dvdclassik)
… Avec sa maîtrise légendaire de l’espace et du rythme, le réalisateur passe du buddy movie au tragique le plus noir. La violence éclate, soudaine, retombe aussi vite pour réapparaître, plus maîtrisée, insidieuse, dans la scène du bal, où une femme sauvée des Comanches affronte le mépris de la «bonne société». On a tendance à l’oublier, mais, avec John Ford, le sauvage n’est jamais celui que l’on croit. (telerama.fr)
La Rue de la Honte, film de Kenji Mizoguchi, Japon, 1956, 1h27 , vostf
Dans une maison de geishas de Yoshiwara, le quartier des plaisirs de Tokyo, on s’inquiète d’une nouvelle loi discutée au parlement prévoyant l’interdiction de la prostitution. Mickey, une nouvelle employée jeune et sans complexe, est décidée à gagner le plus d’argent possible.
Sorti au Japon le 18 mars 1956, La Rue de la Honte (Akasen chitai) est le dernier film réalisé par Kenji Mizoguchi. Le cinéaste mourra le 24 août de la même année alors qu’il préparait, avec son collaborateur habituel Yoshikata Yoda, le tournage de Contes d’Osaka qui sera finalement réalisé par Komisaburo Yoshimura.
Yoda n’est pas crédité au générique de La Rue de la Honte, dont le scénario, écrit par Masashige Narusawa d’après un roman de Yoshiko Shibaki, cherche à dresser un tableau de la situation des prostituées au moment où le parlement japonais débattait autour du projet d’une loi interdisant les maisons closes. (avoir-alire.com)
Film choral, La Rue de la Honte lève un voile cynique sur les rapports sociaux entre ces travailleuses du sexe formant une micro-société qui serait la métastase d’une société nippone gangrenée par la misère de l’après-guerre préludant à sa reconstruction. Une œuvre testamentaire corrosive et virulente.
Dans La Rue de la Honte, Kenji Mizoguchi aborde crûment la prostitution comme un phénomène de société régi par une économie de marché et suspendu aux décisions velléitaires d’un gouvernement fantoche amplement décrié et dénoncé pour son hypocrisie et sa franche incompétence. La question brûlante d’interdire la prostitution est sur toutes les lèvres et débattue au parlement japonais. Le décret d’interdiction sera d’ailleurs promulgué peu de temps après la sortie du film comme si sa portée sociologique avait fait jurisprudence.
Le commerce lucratif de la prostitution apparaît caricaturalement sous un jour idyllique comme une activité de salut public ; voire, dans ce contexte particulier de l’après-guerre, de salubrité publique. Le lupanar devient un « samu social» pour femmes à la dérive. La maison de passes du film est d’ailleurs dénommée de manière affriolante « Dreamland » qu’on pourrait traduire par « îlot de rêves » par euphémisme pour masquer une industrie du sexe qui, contre toute attente, sait s’adapter à l’air du temps. Pour contourner les interdits de la loi anti-prostitution du 26 mai 1956,les proxénètes ne sont jamais à court d’imagination. D’autres établissements « spécialisés » aux appellations savoureuses et aux pratiques sophistiquées verront le jour par la suite telles les « Soapland » maquillant une prostitution active mais à vertu « prophylactique » pour prévenir les maladies vénériennes.
En 1948, avec Femmes de la nuit, Mizoguchi dénonçait déjà une prostitution institutionnalisée dans un registre néo-réaliste où la violence sexuelle faite à ces esclaves du sexe les vouait à une spirale d’existence auto-destructrice. La rue était alors le lieu de propagation de la syphilis et ces femmes de la nuit en portaient les stigmates. Dix ans après, le cancer de la prostitution s’est métastasé ; gagnant en légitimité comme un mal nécessaire qu’on doit restreindre, proscrire et, pour finir, interdire. Le film, dans sa progression, laisse deviner cette inéluctabilité sous-jacente.
Dans Une femme dont on parle (1954), Mizoguchi observait avec amertume le lent processus de détérioration du statut de la geisha en tant que « dame de compagnie » pratiquant les arts traditionnels du divertissement. Ce film s’intéressait à la vie des pensionnaires d’une « okiya », maison de geishas, laissant deviner en filigrane ce glissement progressif vers une prostitution de bas étage.
La Rue de la Honte ne fait qu’entériner cet état de faits et ne laisse plus aucune ambiguïté sur la nature des activités pratiqués dans les bordels. Par opposition aux Femmes de la nuit qui dénonce une prostitution sauvage et rampante ravalée par l’exercice de la « rue », La Rue de la Honte ouvre des perspectives en se focalisant sur les destins liés de plusieurs prostituées.
Mieux vaut encore l’enfer du lupanar que l’enfer de la rue. Semble suggérer la morale sous-jacente du film. Et la maison close tient ici lieu de havre et d’hospice pour femmes maltraitées. Ce qui n’est pas le moindre des paradoxes. En montrant « sans fards » cette prostitution« institutionnalisée, Mizoguchi en donne à voir une description naturaliste à la manière d’un Zola ou d’un Balzac. Comme Zola décrivant Le ventre de Paris, Mizoguchi éclaire avec la même acuité d’observation les « entrailles » d’une maison de plaisirs dont il explore tous les rouages.
Au sommet de la hiérarchie, le souteneur et sa femme sont de véritables chefs d’entreprise dont le fonds de commerce est la prostitution considérée comme un commerce légalisé et comparable à n’importe quel autre. Tous les commerces avoisinants profitent par essaimage de l’activité des plaisirs tarifés. Certains fournisseurs sont parfois payés « en nature » par les prostituées qui ne peuvent honorer les ardoises qu’elles leur laissent.
L’argent « sale » de la prostitution circule en permanence pour « faire tourner » le commerce et la « machine sociale » et irriguer une économie parallèle en circuit fermé. Ainsi du fournisseur de literie et de tissus, à peine a-t-il- été réglé des factures qu’on lui doit qu’il réinjecte son pécule dans la consommation des courtisanes de bas étage dont il devient le micheton. Un brin paternaliste, le proxénète se comporte comme un « responsable des ressources humaines »(DRH) tandis que sa femme tient la caisse et houspille gentiment ses protégées. Le couple exhorte sans cesse leur main d’oeuvre à être de bonnes « gagneuses » productivistes et méritantes pour améliorer leurs moyens de subsistance. Tout le monde sans exception au sein de ce quartier des plaisirs Toshiwara de Tokyo semble trouver son compte dans l’exploitation éhontée qui est faite de ces femmes ; autrement livrées à elles-mêmes et à leur sort peu enviable. Tous les commerces avoisinants profitent par essaimage de l’activité des plaisirs tarifés.
La maison close reproduit à tous ses étages une hiérarchie de la « débrouille » et un système D de la vénalité que facilite cette volatilité de l’argent facile. Peu scrupuleux, les tenanciers de la maison de passes, sous couvert de protection sociale envers leurs employées de la gagne , ont quelque peine à dissimuler une cupidité servile.Ils font de leurs protégées les victimes d’un esclavagisme sexuel en employant la ruse et en leur laissant présager des fins de mois difficiles si elles ne « mettent pas les bouchées doubles ». Leurs exhortations au travail sonnent curieusement comme les prédications familières d’un prêtre à ses ouailles pour inciter à la dévotion. Sauf qu’en l’occurrence, il est question d’incitation à la débauche à laquelle la loi portera un coup d’arrêt décisif. Les représentants des forces de l’ordre tempèrent , quant à eux, les ardeurs de ces femmes vénales en leur promettant que le gouvernement leur trouvera de l’embauche dans la perspective de leur prochaine reconversion après l’adoption de la loi anti-prostitution.
Pour se convaincre de l’utilité « sociale »de son business, la matrone comptable du bordel (Sadako Bawamura) interpelle le policier avec l’aplomb d’une mère maquerelle: « Cela fait 300 ans que le quartier des plaisirs de Yoshiwara existe. Une affaire aussi lucrative pourrait-elle durer aussi longtemps si elle n’était d’utilité publique? » A plusieurs reprises dans le film, son époux, Mr Taya (Eitaro Shindô), stimule ces femmes comme un chef d’entreprise le ferait avec son personnel : « nous sommes des travailleurs sociaux. Et ce sont nous les propriétaires de cet établissement qui vous protégeons et non le gouvernement qui votent ces lois ridicules. Sous notre égide, vous ne mourrez pas de faim et ne commettrez pas de suicide. Nous pallions largement les insuffisances de la politique de santé de ce gouvernement.» Même si les prostituées ne sont pas dupes de ce discours abusivement paternaliste, elles se rangent du côté du patron car la perspective de la loi anti-prostitution ne leur laisse que peu d’espoir de pouvoir encore exercer leur activité.
Dans son film choral, Mizoguchi balaie tout l’éventail possible des cas sociaux de prostituées en présence et entrecroise leurs destins de vie. La corporation en son entier est menacée . Sans pressentir qu’il tire là sa dernière révérence cinématographique, le cinéaste tourne des images de racolage des prostituées sur la voie publique… (iletaitunefoislecinema.com)
… La filmographie de Mizoguchi est truffée de ces films frondeurs envers cette nouvelle société nipponne, où tradition et modernité ne cohabitent que dans une difficile dualité idéologique. Son regard ethnologique est ici sidérant de justesse, tant son approche douloureuse du basculement libertaire de l’époque charnière qu’il décrit, est minutieuse. Il ne s’agit plus seulement d’observer le microcosme sociétal féminin d’un bordel tourmenté par une nouvelle loi ravageuse pour la profession. Son ambition va bien au-delà. Ce cadre est un prétexte pour dépeindre un Japon en pleine mutation politique, alors toute juste libéré du joug des Alliés et de l’emprise de L’Oncle Sam. Cette liberté, en apparence salutaire, cache bien des vices que la nouvelle prospérité financière ne saurait cacher. Ces femmes, vivant en vase clos sous l’emprise d’une mère maquerelle et d’un propriétaire d’une maison close, représentent cet enfermement moral dicté par la nécessité de se vendre au plus offrant pour essayer de survivre décemment. L’aliénation du corps est une autre forme de diktat que l’argent permet d’acheter…(lemagducine.fr)
… Dans ses films, Mizoguchi sublime ses femmes, qu’il dépeint comme des victimes, bien sûr toujours luttant pour préserver leur dignité, parfois jusque dans la mort. Humiliées par les hommes, écrasées par les conventions sociales, elles semblent appliquer le précepte que le père de Sansho transmet à son fils : ”Sois dur avec toi-même, généreux avec les autres.” (…) L’aliénation des femmes : Mizoguchi restera fidèle à ce thème jusqu’à son dernier film, La Rue de la Honte, qui décrit, d’une manière cruellement réaliste le quartier des plaisirs de Tokyo : les femmes y sont des marchandises, ni plus ni moins. (telerama.fr)
Présentation des films et animation des débats avec le public : Josiane Scoleri, Bruno Precioso et Vincent Jourdan.
Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil aux heures précises.
N’oubliez pas la règle d’or de CSF aux débats : La parole est à vous !
Entrée : Tarif adhérent: 6,5 €. Tarif non-adhérent 8 €. Adhésion : 20 € (5 € pour les étudiants) Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier et à l’atelier Super 8. Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici