Vendredi 29 Mars 2013 à 20h30
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Antonio Méndez Esparza – Espagne – 2013 – 1h50 – vostf
Après avoir travaillé aux États Unis, Pedro revient dans son petit village dans les montagnes du Guerrero, au Mexique. Il y retrouve sa femme et ses filles. Avec ses économies accumulées, il aspire enfin à mener une vie meilleure avec les siens, et même à réaliser son rêve : former un petit groupe de musique, les Copa Kings.Mais les opportunités de travail sont rares et la frontière entre ici et là-bas ne cesse d’occuper l’esprit et le quotidien de Pedro et de ceux qui l’entourent. Aquí y Allá porte sur le bonheur de vivre parmi les siens, la perte et les souvenirs de ceux que nous laissons derrière nous.
Notre critique
Par Josiane Scoleri
Le thème de la frontière est un thème inépuisable dans la cinématographie mexicaine.Et pour cause : 3200 km de l’Atlantique au Pacifique séparent le Mexique des États -Unis. 1500 km sont constitués par le Rio Grande et aujourd’hui plus de 1000km sont doublés d’un mur, pardon d’une clôture de sécurité…
Nombre de films nous parlent de la difficulté à franchir cette frontière, des patrouilles de contrôle,« les redoutables coyotes », des stratagèmes pour déjouer leur surveillance, de la périlleuse traversée du fleuve, des trafics en tous genres qui fleurissent dans ces villes qui font régulièrement la une des journaux télévisés… et qui hantent le cinéma depuis toujours. : El Paso , Tijuana, Ciudad Juarez…. évoquent aussi bien Buñuel, Orson Welles ou encore aujourd’hui les frères Coen, sans parler des multiples westerns et autres thrillers de la grande époque des studios d’ Hollywood. D’autres films encore s’attachent à nous montrer la vie de celui qui a réussi à émigrer, la démerd, les embrouilles, le rêve, la réussite quelques fois… Rien de tel ici. Même si l’ombre portée des États-Unis plane sur le film et dans l’esprit de tous les personnages, nous sommes dans le paisible village de Copanatoyac, entouré des montagnes de l’État de Guerrero, dans le Sud du pays, bien loin de la frontière.
Pedro, l’émigré, est de retour au pays. Le film va s’attacher à ce retour, à cette vie quotidienne qu’il lui faut ré-apprendre. Cela signifie ré-apprendre aussi la vie familiale, apprivoiser ses filles qu’il n’a pas vu grandir, redonner confiance à sa femme après de longues années d’absence. Le film excelle à capter ces petits rien de tous les jours, les regards à la dérobée, les silences, mais aussi les tensions, les frustrations rentrées, les attentes déçues. Le film épouse le rythme de cette vie rurale qui semble s’écouler paisiblement malgré toute son âpreté. Le réalisateur privilégie les plans fixes qui nous permettent de pénétrer dans l’esprit des lieux et des hommes, de nous imprégner de leur vie.
Les acteurs sont tous des non professionnels et les personnages du film des habitants du village. Pour la plupart, ils incarnent à l’écran qui ils sont dans la vie. C’est le cas de la femme de Pedro par exemple, mais pas de leurs deux filles qui sont néanmoins aussi du village. L’ensemble est vrai et sonne juste de part en part car la caméra les laisse respirer à leur rythme grâce à un réalisateur entièrement à l’écoute de leurs mots, de leurs gestes et de tout ce qui ne passe pas par la parole. Ce respect est la marque du film et nous fait du bien à nous spectateurs, en retour. Et surtout, la mise en scène se fait extrêmement délicate pour tout ce qui touche au projet de Pedro. Un rêve poétique et inhabituel : se servir de son petit pécule new-yorkais pour monter, non pas un bar ou une épicerie, mais son propre groupe de musique. Ce qui nous vaut des scènes lumineuses et tendres, surtout lorsque Pedro prend sa guitare et chante pour sa famille. Signalons au passage que Pedro est le compositeur de la plupart des musiques et des chansons du film…
La structure en 4 parties voulue par le réalisateur ajoute à la limpidité du film. Nous sentons monter la tension au fur et à mesure du déroulement du récit. Après « le Retour » chargé d’espoir malgré les difficultés de ré-adaptation, la deuxième partie s’intitule « Ici » , et ici, la réalité, toute rurale qu’elle est, est bien rude. Le rythme change imperceptiblement. Le film dépasse l’histoire personnelle de Pedro pour prendre du champ et nous brosser une toile de fond beaucoup plus vaste en pointant sobrement mais sans appel les dysfonctionnements de la société mexicaine et ses inégalités profondes. L’articulation se fait tout naturellement avec le troisième chapitre intitulé « l’Horizon ». Titre qui peut paraître bien cruel à tous ceux qui se heurtent encore et toujours à un manque de perspectives angoissant. Le tableau gagne en ampleur et en émotion, même si à aucun moment le film ne se départit de cette retenue qui caractérise tous les personnages. Et nous touchons du doigt à quel point le « là-bas » du titre (et de la quatrième partie) est présent dans les conversations, dans les préoccupations avouées ou cachées, dans les rêves ou les cauchemars. Il s’insinue dans la vie de chaque famille, toutes générations confondues (cf la visite à la vieille dame) et tourne souvent à l’obsession.C’ est là qu’ intervient justement le personnage du jeune Nestor qui ne voit lui non plus d’autre issue à sa vie que de partir …là-bas. La roue tourne, le cycle continue, et c’est, à n’en pas douter, l’aspect le plus noir du film. Sans trémolo, sans le moindre pathos et donc d’autant plus efficace. Les Européens ont appelé ce continent l’Amérique latine, et cette étiquette géographique nous fait souvent oublier que les peuples qui étaient là avant l’arrivée de Christophe Colomb, n’étaient ni Indiens , ni Latins… Pedro et ses comparses, tenaces et taiseux face aux soubresauts de la vie sont là 400ans plus tard pour en témoigner. « No me gusta ser pobre, pero mucho menos ser rico, lo que me gusta es ser sencillo » (« Je n’aime pas être pauvre et encore moins être riche, ce qui me plaît c’est d’être simple »)
Sur le web
Ici et là-bas a été tourné dans une zone montagneuse du Mexique, plutôt difficile d’accès, et où la population ne vit que grâce à l’aide financière de ceux qui ont réussi à émigrer aux États-Unis. Même si Ici et là-bas est une fiction, l’empreinte du documentaire y est très présente. Tous les acteurs du film sont non-professionnels et interprètent des personnages qui portent le même nom qu’eux. Antonio Méndez Esparza s’est documenté auprès d’eux, s’inspirant de la manière dont ils vivaient pour écrire son scénario.
Le titre du film renvoie à la relation entre le Mexique et les États-Unis : « L’ici, c’est le Mexique et là-bas, c’est ce qu’il y a après la frontière. Dans le film, il y a différents éléments qui renvoient aux États-Unis, comme le poster dans la chambre d’un des personnages avec un slogan en anglais, ou le fait qu’ils aiment le Coca-Cola« , explique Antonio Méndez Esparza.
Ici et là-bas est un petit film indépendant sans grand budget. Les producteurs ont donc fait une demande d’aide financière via internet et le site Kickstarter. Cette somme n’était pas destinée à finir le film, mais à faire venir les membres de l’équipe du film et leurs familles du Mexique au Festival de Cannes. L’opération a d’ailleurs bien fonctionné, puisqu’ils ont reçu la somme dont ils avaient besoin.
Le comédien qui interprète le personnage principal de Ici et là-bas représente le point de départ du film. Mais c’est aussi l’une des personnes qui a permis au film d’exister : « Pedro De los Santos Juárez a été ma plus grande influence pendant le tournage. Il est le premier rôle du film mais son importance est encore plus grande : c’est lui qui a installé la confiance entre notre équipe et les gens du village où l’histoire se déroule« , explique le réalisateur Antonio Méndez Esparza. Cette relation ne s’est pas construite au moment du tournage, mais cinq ans auparavant, lors de la rencontre entre le cinéaste et Pedro, qui travaillait alors dans un supermarché. Pedro De los Santos Juárez ne fait pas qu’interpréter le rôle principal du film, puisqu’il signe avec son groupe (Copa Kings) la musique qui rythme Ici et là-bas.
Ici et là-bas est le premier long métrage d’Antonio Méndez Esparza. Sélectionné à la Semaine de la Critique lors du Festival de Cannes 2012, Ici et là-bas a remporté le Grand Prix Nespresso.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.
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