Vendredi 06 Mai 2022 à 20h
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Michelangelo Frammartino, Italie, 2021, 1h33, vostf
Dans les années 1960, l’Italie célèbre sa prosperité en érigeant la plus haute tour du pays. En parallèle, un groupe de jeunes spéléologues décident eux, d’en explorer la grotte la plus profonde. À 700 mètres sous-terre, ils passent inaperçus pour les habitants alentours, mais pas pour l’ermite de la région. Ils tissent avec lui des liens d’un genre particulier. Les chroniques d’Il Buco retracent les découvertes et parcours au sein d’un monde inconnu, celui des profondeurs, où se mêlent nature et mystère.
Notre article
par Josiane Scoleri
Il Buco comme les films précédents de Michelangelo Frammartino se passe en plein cœur des montagnes de Calabre, dans un endroit si reculé qu’il nous apparaît littéralement hors du temps. Ou plutôt nous sommes immergés d’emblée, comme si cela allait de soi, dans un temps autre, le temps géologique de la montagne, le temps du minéral face auquel nous sommes à peine un battement de cils. Frammartino possède cette qualité très rare de nous faire participer à l’immémorial des éléments. De nous faire sentir à quel point ils sont premiers par rapport à nous. Son regard nous décentre de notre position hégémonique auto-proclamée. C’est devenu si rare que nous en sommes tout déboussolés. Nous avons oublié qu’il fut un temps où nous n’étions pas les maîtres du monde, ni même une espèce dominante. Et franchement, au nom de quoi le serions nous? D’ailleurs, la plupart du temps, la caméra se tient loin des hommes. Le seul gros plan cadre le visage du vieux berger qui scande le film comme un leitmotiv. L’homme se confond presque avec l’écorce de l’arbre qui veille sur lui, au même titre que lui veille, de haut, sur ses bêtes au fond de la vallée. Immobile, Il semble le prolongement du rocher sur lequel il est assis. C’est d’ailleurs à ce titre que Frammartino le filme de si près, comme un élément parfaitement intégré à son écosystème. De fait, on ne connaîtra jamais son nom, il ne parle pas, mais communique tranquillement par de petits cris, de brefs sifflements avec son troupeau de vaches, peut-être encore plus impassible qu’elles. Une humanité d’avant la parole, en quelque sorte, dans un face à face avec la Nature où l’homme sait quelle est sa place. En contre-point, le film est très précisément daté. Il se passe en 1961 et s’ouvre sur l’inauguration, avec images d’archives en Noir et Blanc, du « Pirellone« , la fameuse tour du fabricant de pneus Pirelli à Milan. C’était à l’époque le bâtiment le plus haut d’Europe (124m) et il restera à tout jamais le symbole du boom économique de l’Italie du Nord. Mais surtout, Frammartino choisit des images où le journaliste qui couvre l’événement pour la RAI est embarqué dans une nacelle et s’élève au fil des étages jusqu’au sommet du bâtiment. C’est la montée au ciel. Tout un symbole au moment de l’exode massif des Italiens du Sud vers les villes industrielles du Nord.
Suite à cette entrée en matière, il sera encore beaucoup question de verticalité dans Il Buco. Mais après l’envolée vers les hauteurs – du gratte-ciel ou de la montagne – la verticale va s’inverser avec le voyage des jeunes spéléologues piémontais qui commencent par descendre en Calabre avant de s’enfoncer sous terre, à l’intérieur de cette fameuse grotte qui donne son nom au titre et qui fut explorée pour la première fois en 1961.
De l’ivresse des sommets au centre de la Terre, on pourrait presque se croire chez Jules Verne, l’esprit de conquête en moins. Mais ça fait bien toute la différence. Cette exploration est au cœur du film et elle constitue en soi un véritable exploit de cinéma, à savoir: filmer dans le noir absolu avec qui plus est les difficultés d’un espace aussi contraignant. D’ailleurs Renato Berta, un des chefs opérateurs les plus chevronnés, 77 ans et 120 longs-métrages au compteur, au service des plus grands auteurs, ne s’y est pas trompé. Il n’avait jamais éclairé un film où il lui faudrait apprivoiser l’obscurité la plus totale et il a relevé le défi. Toutes les images filmées à l’intérieur de la grotte sont absolument somptueuses. A fur et à mesure que l’équipe s’enfonce plus profondément, le minéral se fait de plus en plus organique. Ce n’est pas pour rien qu’on parle de boyaux et de veines.
Frammartino réussit à nous faire ressentir cette plongée sous terre comme une immersion dans un organisme vivant, un peu comme ces documentaires médicaux qui nous font découvrir l’intérieur des vaisseaux ou des organes. L’impression est réellement saisissante. Frammartino s’avère un virtuose de la composition des plans et du cadre, mais un virtuose qui resterait modeste, entièrement au service de son propos. L’alternance entre la lumière (dehors) et la nuit (dedans),entre le point de vue panoramique en surplomb du berger et la vision constamment empêchée sous terre, constitue la colonne vertébrale du film. Et dans le même temps, Frammartino nous parle surtout de cinéma. Cette grotte éclairée par intermittence, où les ombres captent notre regard et par la même notre imagination – où les bruits sont étouffés, où la parole ne porte pas, nous renvoie nécessairement au mythe de la caverne et aux peintures des premiers hommes, comme si le cinéma en était le prolongement évident. Le cinéma, à la fois comme moyen d’explorer le réel et de révéler l’intériorité la plus méconnue. Frammartino fait partie des cinéastes qui ont une foi inébranlable dans les moyens du cinéma.
Sur le web
Michelangelo Frammartino est né à Milan en 1968. Il a étudié l’architecture au Politecnico di Milano, où il a développé une passion pour la relation entre l’espace physique et les images photographiques, la vidéo et le cinéma. Après avoir obtenu son diplôme, il a poursuivi ses études à la Civica Scuola del Cinema de Milan, où il a conçu des installations vidéo influencées par les recherches artistiques du Studio Azzurro. Son premier film, Il Dono (2003), tourné dans le village de ses parents en Calabre, a été présenté au festival du film de Locarno. Son deuxième long métrage, Le Quattro Volte (2010), a été présenté à la Quinzaine des réalisateurs. En 2013, l’installation Alberi, une boucle de 26 minutes, a été présentée pour la première fois au MoMA PS1 et a ensuite été montrée dans d’autres musées.
Lorsqu’il tournait Le Quattro Volte (2010) à Alessandria del Carretto, au sud de l’Italie, le maire de la ville, Antonio La Rocca (Nino), lui-même spéléologue, a aidé Michelangelo Frammartino à faire des repérages. Il disait souvent, au cinéaste, combien le massif du Pollino est merveilleux. Ce dernier se souvient : « Il trouvait que j’étais trop concentré sur la culture des arbres à l’époque – et voulait que je consacre au moins une journée entière à visiter la zone. Le Pollino, un massif du sud des Apennins, à la frontière entre la Basilicate et la Calabre, est un territoire vaste et fascinant. Il présente des canyons, des sillons profonds où passent des rivières. Sa nature et sa faune sont extraordinaires, notamment les aigles royaux, les griffons et les loups. Pour me convaincre de la beauté du Pollino, Nino m’a d’abord conduit à l’entrée du Bifurto.Pour quelqu’un comme moi, qui n’est pas un spéléologue, cela ressemblait à un simple trou dans le sol. Situé au milieu d’un maquis méditerranéen assez commun, il n’était pas particulièrement fascinant. Je me souviens l’avoir regardé avec incrédulité. Il a commencé à expliquer comment il l’avait détecté. Comment il avait passé des années de sa vie à le cartographier, en utilisant les anciens systèmes – avec la côte et un clinomètre. Comment il y était entré des centaines et des centaines de fois, pour en faire le relevé parfait. Comment il avait dormi et mangé là-dedans. Il y avait laissé une partie de sa jeunesse. Bien sûr, cet endroit avait une signification très spéciale pour lui. J’ai commencé à le comprendre. Nino a laissé tomber une pierre dans le trou et je me souviens qu’il a fallu 3 ou 4 secondes pour que la pierre touche quelque chose. C’était comme si la pierre était désynchronisée. C’est alors que j’ai vraiment compris. C’était en 2007. En 2016, Nino a organisé une campagne exploratoire pour tenter de débloquer le “trébuchet”, ce que j’avais jusque-là considéré comme le trou dans le sol. J’ai passé quelques semaines avec le groupe de spéléologues, à creuser, à m’interroger. Là, j’ai rencontré Giulio Gècchele, 82 ans, qui avait dirigé la première expédition en 1961. Il devint une source d’inspiration. »
En 1961, alors que le boom économique mondial battait son plein en Italie, Giulio Gècchele et son jeune groupe de spéléologues ont entrepris une expédition spéléologique qui s’est terminée par l’ascension d’un trou et par la descente à une profondeur d’environ 700 mètres sous terre. Michelangelo Frammartino précise : « Au fond de la péninsule italienne, ils ont découvert la deuxième grotte la plus profonde du monde, le gouffre du Bifuto. Ce record était inconnu des explorateurs eux-mêmes. Au cours des mêmes mois, le monumental gratte-ciel Pirelli, un exemple vertigineux d’architecture, est achevé. L’édifice fait la une des journaux, bénéficie d’une large couverture médiatique et devient rapidement le symbole tape-à-l’œil d’une Italie ayant atteint l’objectif vertical le plus élevé. Pourtant, la découverte des spéléologues n’est pas rendue publique et reste aussi obscure que le sombre monde souterrain dans lequel elle a été réalisée. »
Pour Michelangelo Frammartino, Il Buco est un film conçu pour être vu au cinéma dans l’obscurité de la salle, avec d’autres. : « Plonger le public dans la même substance que les spéléologues. En spéléologie, on ne voit pas les autres spéléologues. L’obscurité vous fait vous déplacer dans l’espace au gré de vos besoins, elle est sans vanité. La spéléologie n’est pas un sport – dans le sport, même au moment de la grande fatigue, on est toujours sous le regard du public, des fans, des caméras. La spéléologie, c’est dans le noir, sous terre, dans la boue. Les spéléologues sont habillés plus comme des nettoyeurs de rue que comme des athlètes« , explique le réalisateur. Trouver le casting a constitué un vrai défi pour Michelangelo Frammartino car l’idée d’être visible via la participation à un film n’intéressait pas les « acteurs« . Ils voulaient rester dans l’obscurité, être sous terre : « J’aimais l’idée de travailler avec des gens qui ne voulaient pas faire de film, qui ne voulaient pas être vus. Dans la spéléologie, il y a presque une propension à la défaite, dans le sens où il n’y a pas de triomphe. Il n’y a pas de sommet à atteindre comme en alpinisme où l’on gagne, où l’on réussit dans l’entreprise. Dans la grotte, on ne sait pas où l’on va. Il n’y a pas de point fixe à atteindre. Lorsque l’exploration se termine, c’est une petite défaite. Le point d’arrivée est généralement un endroit laid, un endroit étroit, sale et boueux. Il y a toujours une sorte de mélancolie. Cette vocation à la disparition, plutôt qu’à l’affirmation de la visibilité, était intrigante sur le plan cinématographique. Lorsque j’ai fait ma première expérience de spéléologie avec Nino, je me suis intéressé à cette exploration du noir – où l’élément cinématographique le plus fondamental, la lumière, est absent. Le début de la spéléologie moderne, avec la fondation de la première société de spéléologie en France, se situe en 1895 – une année emblématique pour nous cinéastes, avec sa coïncidence avec la naissance du cinéma. Je ressens ce lien fort entre l’obscurité et le cinéma – ces faisceaux de lumière dans l’obscurité » , raconte le metteur en scène.
Il Buco est son troisième long-métrage, sélectionné en compétition à la Mostra de Venise 2021 où il a remporté le Prix du Jury.
« Ce n’est pas peu dire qu’on attendait de pied ferme le retour de Michelangelo Frammartino, puisque ce sont onze années qui se sont écoulées depuis son précédent film, Le Quattro Volte, et dix-huit ans depuis celui d’avant, le tout aussi formidable Il Dono. Il a fallu être patient pour enfin pouvoir découvrir Il Buco, aussi patients que les spéléologues du film avançant, sans savoir à quoi s’attendre, dans les tréfonds d’une grotte inexplorée. Cette grotte, c’est l’abismo del Bifurto, située en Calabre et explorée pour la première fois en 1961. C’est cette exploration que Frammartino porte à l’écran, mais le terme reconstitution de rend pas justice à l’ambition et la singularité artistique de son entreprise. Ni clairement fiction ou documentaire, Il Buco est tout d’abord un film sans dialogues. Il y a bel et bien des acteurs dans le film, mais peut-on réellement dire qu’ils interprètent des personnages à proprement parler quand ils sont privés de toute contextualisation narrative (ils n’ont ni nom ni histoire) et qu’ils n’ont pas plus d’importance que les autres éléments de la nature autour d’eux ? Cette formule, presque magique, était déjà celle des précédents films du cinéaste. Sa caméra suit les explorateurs sous la surface de la terre (les claustrophobes sont prévenus) , capte leur avancée de façon factuelle, mais filme tout autant la vie paisible qui suit son cycle naturel et placide à la surface : des fourmis marchant parmi les herbes, un vieil homme qui se meurt, des nuages qui s’en vont au loin. A la surface, l’entrée de la grotte n’a l’air que d’une faille presque invisible. Le monde, lui, continue de tourner, et il faut effectivement un sacré talent poétique pour le mettre en scène. Les costumes et les accessoires (harnais, bougies) sont les seuls indices qu’Il Buco se situe dans les années 60. C’est suffisamment discret qu’on se demanderait presque par moments pourquoi Frammartino a pris la peine de situer son film dans le passé. Ce décalage participe pourtant à son impressionnant travail sur les échelles. Les paysages à l’intérieur et l’extérieur de la grotte n’ont pas changé depuis des siècles. Y juxtaposer des tenues ne correspondant qu’à un point ponctuel et révolu de l’histoire humaine crée un vertige plus puissant encore que des habits contemporains. En filmant cette grotte, Frammartino met en scène plusieurs gouffres, plus immenses encore : celui entre l’homme et la nature, le passé et le présent, le connu et l’inconnu, le monde prosaïque et le monde invisible… …C’est paradoxalement quand Frammartino filme le noir total, quand seuls les bruits ou quelques ombres peuvent nous renseigner sur l’immensité folle des lieux, qu’il nous accueille le plus. Plus fortes que n’importe quel effet 3D, ces scènes génèrent une puissante perte de repères géographiques et temporels. Frammartino se joue littéralement des frontières, combien de cinéastes peuvent se vanter d’une telle liberté ? » (lepolyester.com)
« On les connaît, ces réalisateurs qui ressassent leurs obsessions au fil de leur film. Michelangelo Frammartino en fait partie. Toute sa filmographie s’attelle à restituer l’histoire et l’existence de l’arrière-pays calabrais. Dans Il Dono (2003) il racontait la fin de vie d’un berger qui voyait son pays natal se transformer sous l’influence des outils technologiques. Dans le documentaire Alberi (2013), il se plongeait dans les traditions et les rituels en faisant rejouer un rite perdu à de réels habitants. Il Buco se lit comme un produit hybride. De l’expédition qui a vraiment eu lieu, on ne saura que peu de choses. La dimension contextuelle s’efface et n’apparaît à l’œil du spectateur qu’au travers de menus détails. Le plus flagrant est l’apparition de la revue transalpine Epoca et son titre rouge criard. Sur la couverture, on reconnaît des stars, mais aussi le président Kennedy. Cette présence du monde extérieur est diluée dans un acte poétique : lorsque les spéléologues entament leur descente dans la grotte, ils éclairent les profondeurs inexplorées en brûlant les pages du magazine. Le bruit social s’éteint. Il Buco brille surtout par une réalisation qui en fait une expérience unique. Le spectateur est immergé dans les hauts plateaux calabrais grâce aux arrangements sonores. Les bruissements des feuilles, la résonance des pas dans le gouffre et les cris des hommes enveloppent les plans qui se construisent comme des tableaux. Les personnages apparaissent à l’écran comme de petits êtres progressant dans une toile vivante. La caméra reste immobile, surplombante. Elle reste à distance de l’humain, comme si seul un regard discret et extérieur pouvait entraîner un regard respectueux et authentique. Ce regard approfondi du paysage vivant est très loin de la carte postale. L’horizon ne renvoie jamais à un regard complaisant et régionaliste. Frammartino est un artiste qui joue des contrastes et utilise l’environnement dans un acte de création. Par exemple, l’intérieur de la crevasse se métamorphose en une atmosphère lunaire. Les couleurs sont brunes et orangées tirant sur l’ocre. La brillance des parois émerge des petites ampoules fixées sur les casques des spéléologues, créant des jeux d’ombres et de lumières. La succession des panoramas nous en fait oublier la quête de ces hommes qui ne cessent de progresser dans les méandres de la terre. Il en va de même pour le sort réservé à cet ermite qui guette au loin l’agitation créée par des étrangers. C’est que le réalisateur parvient certainement au but escompté : emmener le spectateur à être absorbé par ses impressions. La plongée contemplative est réussie. » (cineman.ch)
« Plus de dix ans après Le Quattro Volte, le cinéaste calabrais Michelangelo Frammartino signe avec Il Buco un film hypnotique célébrant les autres espaces d’une Italie en plein essor économique. Passé l’ouverture en contre-plongée sur le fameux gouffre (le Buco du titre), l’Abisso del Bifurto, sous le regard nonchalant de quelques bœufs, Frammartino illustre les beautés étendues des plaines adjacentes, au son de l’écho d’un paysan calabrais, avant de poser la dialectique de son film. Dès les premières minutes, Frammartino filme des villageois regardant un reportage sur la tour Pirelli, érigée au début des années 1960, haute de 127 mètres de haut. Dans l’ombre de ce gigantesque édifice vertical, Frammartino place son récit au cœur du miracle économique italien de la fin des années 1950, et plus largement dans un monde régi par la course à la hauteur : économique, et dans une plus large mesure culturelle – la période d’Il Buco correspondant par exemple aux prouesses de Youri Gagarine. Dans ce monde concentré sur la verticalité et l’élévation, le regard du cinéaste italien se porte comme Le Quattro Volte sur les espaces qui échappent à cette quête, poursuivant comme son précédent film l’exploration de la campagne calabraise. Mais pas seulement. À l’inverse de Platon qui incitait à sortir de la caverne, Frammartino invite à y plonger, pour trouver dans l’infra-monde une poésie que son cinéma est à même de révéler. Comme Le Quattro Volte qui mettait sur le même plan l’humain, l’animal, le végétal et le minéral, Il Buco est un film de connexion. Il rapproche deux univers en marge de la verticalité des années 1960, car les spéléologues œuvrent sous l’oeil d’un paysan, dont l’écho ouvre le film. Le film, par ses raccords, va faire dialoguer ces deux mondes hors du temps, l’un de profondeur et l’autre d’horizontalité. Sous le cinéma de Frammartino, et dans une forme d’animisme, grotte, spéléologues, aïeux, arbres et animaux forment un grand tout rompu au rythme de la Nature, auquel l’essor économique échappe. La conjugaison se fait également entre les immensités de la caverne et des plaines et le travail laborieux des spéléologues et paysans, mise avec simplicité sur le même plan, avec ce même tempo propice à la contemplation. Il s’instaure de la mise en scène du cinéaste un vrai dialogue, d’autant plus signifiant que le film est quasi exempt de paroles. Le geste de Frammartino a quelque chose de transcendantal, de quasiment magique, dans sa capacité à lier différents éléments non miscibles. À mesure que l’exploration avance, le gouffre, dans tout ce qu’il révèle d’immense et de tentaculaire, prend des allures lovecraftiennes : le minéral paraît être boyaux, créature naturelle à part entière. Il se dégage de l’exploration une exaltation de l’environnement, une pure émotion intensifiée par le travail prodigieux sur le son, mais surtout sur l’image. La lumière des lampes, des flammes et la présence dans de telles profondeurs des spéléologues et des caméras devient sortilège, autant qu’elle exalte la claustrophobie générée. Outre le traitement de la caverne, la photographie de Renato Berta sublime de ses cadres fixes la trivialité de ce qui est filmé : qu’il s’agisse de quotidien paysan ou scientifique, l’insouciance des animaux, ou le calme des paysages naturels. Récompensé d’un prix spécial du jury lors de la dernière Mostra, Il Buco est une indéniable merveille plastique, dont l’exploration des ténèbres de son abysse se doit d’être découverte plongé dans l’obscurité d’une salle de cinéma. Ce que cherche à raconter Il Buco tient moins dans ses rebondissements que dans l’émotion et sa proposition philosophique. Profondeur, surface, étroitesse, immensité, vie, mort. Tous ces éléments sont filmés avec le même regard mystique et topographique, propre au cinéma de Frammartino. Une vision cyclique du monde, où le mouvement qui régit le passage du temps et sa répétition – comme l’étaient les saisons et les quatres « temps » de Le Quattro Volte – régit bien plus le monde que toute autre force. » (lebleudumiroir.fr)
« Si la caverne de Platon était cinéma, faire un film sur l’exploration d’une grotte très profonde signifierait descendre dans les entrailles du cinéma lui-même, amener la lumière dans les ténèbres d’un monde inconnu, projetant ce faisant de longues ombres. Le spéléologue Andrea Gobetti écrit : ”nous pénétrions en rampant les entrailles de la terre pour ne pas sentir l’angoisse du temps qui s’écoule. » C’est exactement comme passer deux heures dans une salle sombre pour regarder un film. Conscient de cela, Michelangelo Frammartino a présenté à la 78e Mostra de Venise, en compétition, le long-métrage Il Buco, où un groupe de jeunes spéléologues piémontais s’enfonce dans le sous-sol du mont Pollino, dans les Apennins, entre Calabre et Basilicate, au niveau du gouffre du Bifurto, dans ce dont ils vont découvrir que c’est la troisième grotte la plus profonde de la planète. Il ne s’agit pas d’un documentaire, mais de la recréation d’un événement survenu en 1961 en Italie. Le réalisateur milanais a équipé 12 jeunes spéléologues (sélectionnés sur un an et demi dans le cadre d’un casting couvrant toute l’Italie) avec du matériel d’époque, d’il y a 60 ans, et il les a filmés renouvelant l’entreprise de leurs prédécesseurs sur les 700 mètres que fait cette étroite fracture du sol. Ce qui frappe dès la première image est une photographie à couper le souffle, qui représente une nature vierge où domine le vert, moucheté de petits points qui sont des animaux répartis dans les pâturages, et les teintes chaudes et humides de la grotte. L’auteur de cette magie est le chef-opérateur suisse chevronné Renato Berta (76 ans), qui a travaillé avec des maestros comme Godard, Resnais, Rohmer, Rivette, Malle, Téchiné, Huillet-Straub et De Oliveira. Les grottes constituent un hors-champ absolu – comme l’a fait observer Frammartino lors d’une rencontre avec la presse à la fin du tournage du film – une zone obscure hostile à la caméra. Et pourtant, « le hors-champ, l’invisible, représentent sa ‘substance’ la plus profond. » Pour souligner l’aspect sociologique du profond fossé qui sépare nord et sud en Italie, le réalisateur nous montre le boum économique des années 1960 à travers les images du bâtiment le plus haut d’Europe, le Pirellone qui venait d’être construit à Milan, que les habitants du village calabrais le plus proche de la crevasse regardent sur la télévision en noir et blanc du bar local. Une conquête humaine qui semble le miroir parfait du gouffre créé par la Nature. Les gestes lents et les appels lancés en direction des vaches par un vieux berger aux yeux bleus servent de contrepoint à l’entreprise des 12 spéléologues. Le paysan est filmé en gros plan, alors qu’on ne voit jamais les explorateurs qu’au loin, depuis un poste d’observation situé en altitude, comme vus par un regard impartial. Les dialogues sont inintelligibles (comme dans son film précédent) ; le micro de Simone Paolo Olivero les a enregistrés de manière naturaliste, et cela crée une impression de suspens absolu … Il Buco, né de la rencontre avec le territoire du Pollino et avec le spéléologue Nino Larocca, confirme que le réalisateur a adopté cette approche du Septième Art qu’on appelle le “slow cinema” ou le cinéma du réel, modelé sur la respiration et le battement de l’espace qu’il explore, à travers un récit anti-dramatique… » (cineuropa.org)
« …Dans Il Buco, le cinéaste italien filme en parallèle l’exploration du gouffre du Bifurto, qu’il décrit très méticuleusement, et les journées qui se ressemblent d’un vieux pâtre, qui observe de loin l’agitation autour de ce « trou » qu’il a toujours connu sans avoir jamais eu l’idée d’y descendre. Le soir, le vieil homme rejoint ses amis à l’alpage. Tandis que les spéléologues se réunissent autour d’un feu de camp avant de regagner leurs tentes. Frammartino fait se répondre ces deux récits pour souligner l’absurdité et la beauté de cette entreprise de Nordistes descendus dans le Sud pour sonder les entrailles de la Terre, avec leurs cordes, leurs échelles et leurs lampes à gaz frontales. Où se confrontent deux temporalités: celle d’un cycle naturel immuable et celle d’une modernité qui ne cesse d’accélérer le temps… Il est difficile de saisir pleinement le sens d’Il Buco. Mais le but de Michelangelo Frammartino n’est pas de nous dire quelque chose, plutôt de nous faire ressentir la vibration tellurique d’une nature majestueuse au sein de laquelle s’ébat l’humanité. Face à ce vide sous leurs pieds, les hommes ne sont que peu de choses et pourtant, leur désir d’exploration est plus fort, leur permettant de transcender leur condition d’animal. C’est là la puissance du cinéma de Michelangelo Frammartino, de transformer le naturalisme radical de sa mise en scène en une expérience quasi mythologique, en réussissant sans cesse à faire dialoguer l’anecdotique et le primordial, le vide et le tout, l’Humain et le Cosmos. Et ce à travers la puissances des images, qui construisent à elles seules une narration d’une grande fluidité. Il Buco impressionne par la splendeur des paysages calabrais, mais aussi par cette plongée au coeur de la Terre que nous propose l’Italien, aux côtés d’une équipe de vrais spéléologues progressant, petit à petit, le long des quelque 700 mètres de galeries souterraines avec deux fois rien: des gants, des cordes, des pierres ou des papiers enflammés que l’on jette dans le vide pour sonder la profondeur du gouffre… Et il faut souligner l’impressionnant travail sur l’image de Renato Berta, immense directeur photo suisse de 76 ans… Un vrai tour de force! » (lalibre.be)
Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.
Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h précises.
Entrée : Tarif unique 8 €. Adhésion : 20 € (5 € pour les étudiants) . Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier et à l’atelier Super 8. Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici