Il était un père



Vendredi 06 janvier 2006 à 20h45

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Yasujiro Ozu – Japon – 1942 – 1h26 – vostf

Dans une ville de province, un enseignant veuf mène une vie modeste avec son fils unique. Lors d’un voyage scolaire, un élève se noie dans un lac. L’enseignant prend la responsabilité de l’accident et doit démissionner. Il quitte alors la ville avec son fils pour retrouver leur région natale. Au cours du voyage, le père et son fils discutent de la vie, de leur avenir. Une relation à la fois proche et distante s’établit entre eux. Ils vont pêcher à la ligne et c’est le moment que choisit le père pour annoncer à son fils qu’il ira étudier dans un internat et qu’ils vont désormais vivre éloignés l’un de l’autre.

Notre critique

Par Philippe Serve

Très souvent, un film d’Ozu se termine par un plan fixe – une « nature morte » – identique à celui d’ouverture. Le spectateur en tire inévitablement un sentiment proche de la plénitude, une sorte de réconfort, quelle que soit l’histoire qu’il vient de suivre. Cette signature s’avère très révélatrice non seulement du style mais aussi de l’esprit Ozu. D’ailleurs, qui penserait à séparer l’un de l’autre ? La vie est un cycle et l’Homme n’en constitue qu’une partie. Ce qui est advenu est advenu, on ne peut rien changer à rien, « la vie est ainsi » (l’une des phrases les plus prononcées dans les films d’Ozu), les choses avancent, toujours au même rythme, mais pour revenir en quelque sorte au même point. Présence de la nature, absence de notre être. Même si la tempête a soufflé un instant, les flots retrouvent à la fin leur calme et les vagues abordent le rivage les unes derrière les autres, toujours identiques, toujours différentes. Le destin alla jusqu’à appliquer cette philosophie à la vie même d’Ozu, mort le 12 décembre 1963, autrement dit le jour de son 60ème anniversaire. Le cercle parfait se refermait et on pouvait alors graver sur sa pierre tombale et selon son désir le caractère « Mu » qui signifie quelque chose comme « Rien, Néant, Vide ». Concept en lien direct et en harmonie avec toute son oeuvre qui tend, à l’égal de celle d’un Beckett ou d’un Tchékhov, à dépouiller, encore et encore, afin d’atteindre à la vérité du cœur nu.

Jamais Ozu ne juge ses personnages, ils sont présentés dans leur simple humanité, c’est à dire dans leur extrême complexité nourrie de contradictions. Pas de héros, pas de méchants, les conflits sont exposés mais ne débouchent que sur leur simple constatation. La coexistence pacifique doit être la règle car la différence, la disparité – présente à tous les niveaux de l’existence – fait partie intégrante de la vie et doit être admise. Expliquer la fascination – et plus encore le bonheur – que procure la vision d’un film d’Ozu est une tâche bien difficile. Ici, aucune analyse psychologique pour voler à notre secours, les personnages ne semblent avoir aucun antécédent et passent – fausse impression, cependant – pour interchangeables. L’action, au sens physique du terme, est totalement inexistante et le mot « péripétie » étranger au vocabulaire d’Ozu. L’histoire se révèle toujours plus ou moins la même (des rapports familiaux), les acteurs et actrices, repris de film en film tel le fidèle des fidèles Chishu Ryu, feraient presque passer notre Jean Lefèvre pour un acteur hystérique, les titres des films se confondent les uns avec les autres – Je suis né, mais… J’ai été diplômé, mais… J’ai été recalé, mais… Femme perdue, Femme d’une Nuit, Femme de Tokyo, Femmes au combat,  Printemps tardif, Printemps précoce, Début d’Eté, Fin d’Automne, Automne précoce (Dernier Caprice), Après-midi d’Automne (Le Goût du Saké)…

Qu’on ne compte pas non plus sur les dialogues. Pas de longs et profonds échanges bergmaniens ni de pétillance à la Lubitsch. On parle peu chez Ozu et on se contente de répondre aux propos de son partenaire par un « mmm… » et un hochement de tête accompagnant un léger et indescriptible sourire à la Mona Lisa… Contemplatifs, les personnages d’Ozu ? Oui, à n’en pas douter. Cette attitude, comme légèrement distante et non dénuée souvent d’ironie, fait écho à celle d’Ozu, le cinéaste qui tourna pendant huit ans de guerre (1937-45) sans jamais céder aux pressions du pouvoir militaire qui exigeait des films de propagande. Non seulement il sut rester d’une intégrité artistique et morale totale dans son travail, mais sans son intervention décisive le film du jeune Akira Kurosawa, Sanshiro Sugata  (1943) aurait fini charcuté par les censeurs de la toute puissante commission militaire qui réclamait de nombreuses coupures.

Comme l’a écrit Donald Ritchie : « Travaillant sur un matériau traditionnel et usant de moyens traditionnels, Ozu eut pourtant l’énergie et l’intuition d’empêcher la dégénérescence de son travail formel en pur formalisme. Sa méthode st invariable. Son antitraditionnalisme repose dans son point de vue entièrement contemporain et est garanti par son honnêteté hors du commun. Chez Ozu, la répétition signifie la vitalité, une vitalité qui puise son énergie en elle-même: l’absence de mouvement n’entraîne pas pour autant le statisme. Pour ces nombreuses raisons, les personnages qu’a mis en scène Ozu ont une validité et une vérité qui dépassent de loin le simple cadre cinématographique. Après quelques heures passées en leur compagnie, nous avons de la peine à les quitter. Nous sommes parvenus à les comprendre. Et cette compréhension, cette connaissance, rejaillit sur nous et sur notre vie. » Bien des spectateurs occidentaux ne parviennent pas à entrer dans l’univers d’Ozu lequel d’ailleurs et comme le rappelle encore Donald Ritchie, ne pensait pas que ses oeuvres pouvaient être saisies par un étranger : « Ils ne comprennent pas – c’est pour ça qu’ils disent que c’est Zen ou quelque chose du même acabit. »

Pourtant, devant un film d’Ozu bien plus que devant n’importe quelle autre œuvre cinématographique graphique, le spectateur retrouve, à travers ses personnages, sa vraie place, sa vraie identité : un élément de la nature au sein de ce qui ressemble fort à un simple rêve, la Vie. L’immuabilité de la vie se nourrit de transitoire dont nous sommes juste une composante. Nous reste à accepter avec humilité notre état et à célébrer ce monde grâce à une prise de distance tissée de douce mélancolie, le fameux concept japonais du mono no aware, cette sorte de tristesse sereine. Et la conscience que s’agiter ou trop espérer de la vie ne sert à rien car l’homme, jamais, ne changera son destin : il naît, il vit avec un lot majoritaire de souffrance, il meurt. Reste, heureusement, le saké à ingurgiter. Et les films d’Ozu à admirer. Et là, soudain, la vie paraît plus facile…

YASUJIRO OZU (1903 – 1963)  Filmographie sélective :

1932 : Gosses de Tokyo 1933 : Coeur capricieux 1934 : Une histoire d’herbes flottantes 1935 : Une auberge à Tokyo 1936 : Fils unique 1942 : Il était un père 1947 : Récit d’un propriétaire 1949 : Printemps tardif 1951 : Début d’été 1952 : Le Goût du Riz au Thé vert 1953 : Voyage à Tokyo 1956 : Printemps précoce 1957 : Crépuscule à Tokyo 1958 : Fleurs d’Equinoxe 1959 : Bonjour et Herbes Flottantes 1960 : Fin d’Automne 1961 : Dernier Caprice 1962 : Le Goût du Saké.


Présentation du film et animation du débat avec le public :Philippe Serve.

Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h30 précises.

N’oubliez pas la règle d’or de CSF aux débats :
La parole est à vous !

Entrée : 7,50 € (non adhérents), 5 € (adhérents CSF et toute personne bénéficiant d’une réduction au Mercury).

Adhésion : 20 €. Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, ainsi qu’à toutes les séances du Mercury (hors CSF) et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier.
Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici


Partager sur :