Jeudi 24 Mars 2016 à 20h30 – 14ième Festival
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Court-métrage de Yanira Yariv – Italie – 2015 – 30′ – vostf
En présence d’Eric Vidal, responsable du Festival « Les écrans documentaires » à Arceuil, de la réalisatrice Béatrice Kordon et de la productrice Vanessa Ramonbordes, ACIS Productions.
Amori e metamorfosi
À quelques kilomètres de Rome, les dunes de Sabaudia, les marais du Circée et la cascade montagneuse d’Arpino deviennent les décors de fabuleuses transformations : Callisto y est changée en ours, Jupiter se métamorphose en Diane, Glaucus devient un monstre marin et la nymphe Salamachis se fond à jamais dans le corps du jeune Hermaphrodite. Mais dans chacune de ces transformations se joue aussi celle de leurs interprètes, donnant ainsi un nouveau souffle aux « Métamorphoses » d’Ovide, et questionnant le rôle des identités et des genres dans notre société.
Trois couples, six interprètes, pour raconter trois contes tirés des Métamorphoses d’Ovide. Un personnage-narrateur (Ovide) et un choeur (des éléments du théâtre grec classique) introduisent les scènes, qui prennent forme dans un décor naturel très simple et très puissant -les côtes du Latium ou les bois de la Sabaudia. C’est ainsi que l’on découvre le changement de Jupiter en Diane pour séduire Callisto, elle-même changée en ours par la jalouse Junon. Ou encore: Glaucus, un homme qui devient mi-poisson et essaie de convaincre la néréide Scylla à se donner à lui. Enfin, Hermaphrodite, qui garde en elle-même à jamais la nymphe Salamachis, en rendant impossible aux yeux des autres de définir son genre. Le texte original d’Ovide, écrit à l’époque de la Rome ancienne, parle, bien évidemment, d’amour et de métamorphoses, en reprenant des mythes issus de la tradition grecque; dans ce contexte, le monde des dieux se mélangeait souvent avec le monde des mortels. Les changements de formes étaient donc vécus en tant que pratiques assez communes. La réalisatrice franco-israelienne Yanira Yariv reprend ces mythes éternels en les actualisant, afin de parler des métamorphoses et des amours d’hommes et de femmes transgenre. A la fin de chaque légende, la réalisatrice nous propose un plan rapproché sur les personnages qui parlent de leur propre métamorphose. Certain-e-s se confient longuement, d’autres un peu moins, certain.e.s préfèrent se concentrer sur un aspect des relations amoureuses vécues. Par les mots de ses interprètes, Amori e Metamorfosi pose des regards intimes sur la construction de l’identité et sur les multiples variations de l’amour.
Ils nous tueront tous
Court métrage de Sylvain George (France, 2009, 10′).
Description, dans la nuit noire, près du port de Calais, d’une rafle de migrants. Description, dans le noir, d’une nuit politique.
Notre article
par Josiane Scoleri
Sylvain George a commencé à travailler il y a une dizaine d’années sur le thème des migrations au XXIème siècle. Il y a consacré un vaste cycle constitué de nombreux courts-métrages, de la série des ciné-tracts Contre-feux et de trois longs-métrages L’impossible (2009) Qu’ils reposent en révolte (2010) et Les éclats (2011). La matière filmique qui a donné naissance à chacun de ces films, quel que soit leur format, provient de tournages qui généralement se répartissent sur plusieurs années avant de prendre leur forme définitive grâce à un travail de montage exigeant et une transformation radicale de l’image. En effet, Sylvain George tourne en couleurs et nous livre ensuite des films dans un Noir et Blanc magnétique où ombre et lumière deviennent un personnage à part entière. De fait, les rares passages laissés quelquefois en couleurs nous sautent au visage avec une violence et une étrangeté sans pareille. Surtout, Sylvain George fabrique des films à l’esthétique puissante dans un respect absolu des personnes qui s’offrent ainsi à son regard dans la confiance réciproque qui s’est construite sur la durée. On s’en doute, ce travail n’a rien à voir avec les images volées à la va-vite lors de reportages formatés pour la consommation télévisuelle immédiate. Dans le même temps, Sylvain George se tient résolument aux antipodes de l’autre écueil à éviter absolument en pareilles circonstances, je veux dire l’insupportable esthétisation de la misère, qui est un affront aussi grand pour ces personnes en souffrance que l’appropriation méprisante de leur image évoquée plus haut.
Nous avons déjà invité Sylvain George à deux reprises à Cinéma sans frontières et son travail ne pouvait manquer au vu du thème du festival de cette année consacré aux différentes formes d’exil. Nous avons donc choisi deux de ses courts-métrages Ils nous tuerons tous et Les nuées sur ces hommes et ces femmes qui tentent l’impossible passage des frontières que nous avons tenu à mettre en regard du film de Béatrice Kordon Les insensés, fragments pour un passage inspiré de la très belle citation de Foucault sur la folie : « Enfermé dans le navire d’où on n’échappe pas, le fou est confié à la rivière aux mille bras, à la mer aux mille chemins, à cette grande incertitude extérieure à tout. Il est prisonnier au milieu de la plus libre, de la plus ouverte des routes : solidement enchaîné à l’infini carrefour. » Il est le Passager par excellence, c’est à dire le prisonnier du passage. Il nous est apparu que ces phrases s’appliquer douloureusement à tous les prisonniers derrière les barbelés de Ceuta ou les grilles du port de Calais. Encore plus remarquable, des correspondances plastiques très fortes se font jour entre les oeuvres de ces deux cinéastes attachés a priori à des univers très différents. Enfermement, Sentiment d’abandon, Espaces clos même quand ils ouvrent sur la mer ou le plus beau des ciels, Lieux indéfinis pour un refuge toujours aléatoire. Danger et menace en permanente latence. Errance. Tous ces éléments se répondent d’un film à l’autre avec une acuité qui fait mal. La folie comme exil et l’exil comme folie, pris dans l’impossible passage.
Sur le web
En pleine nuit, dans une zone informe près de Calais, sur un bout de terrain vague enserré entre deux haies de grillages, la voix grave et douce d’un jeune homme à la peau noire brise le silence en faisant ce constat, simple et sans appel. D’autres énoncés tout aussi brefs et définitifs, tout aussi doucement murmurés, en riant parfois, sont prononcés par d’autres voix, celles d’autres migrants africains qui se réchauffent avec lui, autour d’un feu improvisé à même la poussière. Furtif instant de répit pour des hommes traqués, par la misère qui les a poussés sur les routes d’un côté, par les forces de police qui les empêchent d’entrer dans la forteresse Europe de l’autre. Sylvain George les a filmés là, entre ces deux rangées de grillage — position stratégique dérisoire d’où il peuvent voir arriver les flics d’un côté, et s’enfuir de l’autre. Leurs beaux visages éclairés par les flammes, filmés en gros plan,dans un noir et blanc splendide, illuminent l’écran, quelques minutes seulement jusqu’à ce que de derrière une des grilles, on distingue les phares d’une camionnette de flics, et qu’ils prennent la fuite. Leurs silhouettes disparaissent dans la nuit, laissant le cinéaste et la caméra seuls filmer les traces encore chaudes de leur présence évanouie. Ils nous tueront tous… a la puissance et la beauté d’un blues déchirant, un blues d’aujourd’hui, un blues de ces pays froids aux portes desquelles viennent se fracasser tant de vies.
Les nuées
Court métrage de Sylvain George (France, 2012, 6,2′).
Calais toujours, le jour se lève, une rafle s’achève. Des hommes sortent de terre, la vie reprend son cours. Souveraineté de certains gestes…
Sylvain George a commencé à tourner en 2005 et a constitué une immense archive — plus de mille heures de rushs — formant une chronique des oppressions et des résistances. Il a expérimenté tous les moyens techniques — super 8, vidéo, numérique, téléphone portable — et toutes les durées, mais toujours en tournant autour de ces mêmes figures. Dans cette pratique se sont liés trois soucis : éthique — comment filmer ceux qui n’ont rien rien sans voler leur image ? — ; esthétique — comment rendre une dignité visuelle à ces êtres sans tomber dans le spectaculaire ? — ; politique — quelles images opposer à celles du pouvoir ? Les films nés de cet enregistrement acharné épousent le devenir des événements qu’ils accompagnent. Toujours remontés, grandissant par agglomération de fragments, ils ne constituent pas des œuvres closes et organiques, mais des dynamismes poreux à travers lesquels les mêmes images fondamentales circulent. Sylvain réalisera en 2011 un long métrage intitulé Les Éclats (Ma gueule, ma révolte, mon nom) égrènant quelques pans de vie de migrants de Calais, leurs fuites face aux rafles, leurs moments de repos et de joie…Sylvain George rappelle que les migrants sont ceux qui, toujours montrés, et souvent avec obscénité, ne sont jamais interrogés ; ils ne sont pas des parts politiques, mais de simples restes. Les films de George entendent construire un lieu pour leur parole, aussi faible soit son écho. Un poème de George Sylvain lu à la fin de Ils nous tueront tous définit la substance de ses films : « Voici, des mots de feu, des notes de feu, des images de feu […]. Nous sommes des corps de feu. » Sylvain George va jusqu’à définir son œuvre comme un « poème filmique incendiaire. Le feu est à la fois l’origine du mal et son remède, le sceau du malheur historique et l’étincelle de l’espérance que ses films tentent de raviver. Il dit la souffrance comme la révolte, et cristallise l’ensemble de l’œuvre autour de sa figure, parce que, élément dialectique par excellence, il marque le point d’incandescence à partir duquel la misère se retourne en colère. C’est là la trajectoire de la majorité des films de Sylvain George. Ils commencent par la présentation des corps exposés et se terminent par une bataille…L’état d’incandescence (sur le cinéma de Sylvain George) par Gabriel Bortzmeyer, Revue Vacarme 2012/2 (N°59)
Les insensés, fragments pour un passage
Moyen métrage de Béatrice Kordon (France, 2014, 58′).
« Enfermé dans le navire d’où on n’échappe pas, le fou est confié à la rivière aux mille bras, à la mer aux mille chemins, à cette grande incertitude extérieure à tout. Il est prisonnier au milieu de la plus libre, de la plus ouverte des routes. Il est le Passager par excellence, c’est à dire le prisonnier du passage. Et la terre sur laquelle il abordera, on la connait pas , tout comme on ne sait pas, quand il prend pied quelque part de quelle terre il vient. »
…Les Insensés, fragments pour un passage trace une cartographie sensible de la maladie mentale ouverte à tous les décloisonnements. Le film de Béatrice Kordon est en effet une traversée : du monde tangible à celui de l’inconscient et du rêve, du monde des vivants à celui des morts, du cinéma même. Il est un lieu de passage entre des matières d’images et de sons (bruits, musiques, voix), une zone poreuse où les notions d’altérité et d’altération se frottent pour faire surgir des expériences très singulières… Entre Voir, Voix, et Danse (des ténèbres : étonnantes réminiscences des figures du Bûto), c’est sur ces terres si mal connues que nous sommes conviés, ici, à accoster. (Texte d’Eric Vidal)
Présentation des films et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri, Eric Vidal, Béatrice Kordon et Vanessa Ramonbordes.
Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h30 précises.
N’oubliez pas la règle d’or de CSF aux débats :
La parole est à vous !
Entrée : 7,50 € (non adhérents), 5 € (adhérents CSF et toute personne bénéficiant d’une réduction au Mercury).
Adhésion : 20 €. Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, ainsi qu’à toutes les séances du Mercury (hors CSF) et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier.
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