Ini Avan, Celui qui revient



Vendredi 11 Octobre 2013 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Asoka Handagama – Sri-Lanka – 2013 – 1h44 – vostf

De nos jours, au nord du Sri Lanka… Après deux ans passés dans un camp de réhabilitation sous contrôle gouvernemental, un ex combattant de l’armée rebelle vaincue retourne dans son village. Il y retrouve la femme qu’il a aimée, et entreprend de revenir à une existence normale. Coupable, aux yeux des villageois, d’avoir survécu, il est très vite rattrapé par les haines et les fantômes du passé. Une rencontre inattendue va peut-être changer le cours de son destin. Le récit se déroule au nord de l’île, dans la région de Jaffna, où se concentre la minorité tamoule de Sri Lanka. La péninsule de Jaffna, à quelques dizaines de kilomètres de la côte indienne, a longtemps été sous le contrôle du mouvement séparatiste des Tigres Tamouls (LTTE) en lutte contre le gouvernement de Colombo depuis le début des années 80. Cette guerre civile a duré près de 30 ans, et causé la mort de près de 100 000 personnes, appartenant aux trois communautés cinghalaise, tamoule et musulmane. Elle a pris fin en mai 2009, après l’écrasement du LTTE par l’armée gouvernementale, et la mort de son chef historique, Vellupillai Prabhakaran. « Lui », le protagoniste du film, enrôlé par le LTTE comme enfant soldat, est l’un de ces 280 000 Tamouls qui ont été parqués, après la guerre, dans des camps de réfugiés sous contrôle de l’armée sri lankaise, pour y être « réhabilités ». Ce n’est que deux ans plus tard qu’il peut enfin regagner son village.

Notre critique

Par Josiane Scoleri

Le film de Asoka Handagama est un film surprenant. Il a un côté massif comme la silhouette de son héros sans nom et en même temps la délicatesse du rire têtu de son héroïne. Il allie des traits essentiels des films à grand succès hindis ou tamouls comme le mélo ou plus récemment les films de gangsters et un regard d’auteur, une écriture très personnelle sur la situation si difficile de son pays déchiré par 30 ans de guerre. Le film s’ouvre sur un long plan de cet homme encore jeune plus ou moins assoupi dans un autobus brinquebalant. Asoka Handagama excelle dans les plans moyens qui enserrent ses personnages tout en donnant quelques indications significatives sur leur tenue et leur environnement immédiat. Ils sont révélateurs de cet alliage de proximité et de retenue qui caractérise la manière Handagama. Il y aura très peu de gros plans tout au long du film. Et ils seront d’autant plus saisissants d’intensité. Notre héros rentre donc au pays après des années dont on ne saura presque rien, si ce n’est qu’elles furent certainement terribles et qu’elles imprègnent chacun des habitants du village. Aucun flash-back, pas de récit. Cet homme se tourne résolument vers l’avenir. Mais le présent est sombre et semé d’embûches. Encombré des fantômes de tous ceux qui ne sont pas revenus. Entravé par les éternelles pesanteurs des conventions sociales et de la tradition.

Les premières minutes du film sont marquées par ces regards à la dérobée, ces silhouettes qui se détournent et qui fuient le contact avec cet homme dont visiblement la présence n’est pas bienvenue. En quelques petites touches, le décor est posé, la situation claire : le retour sera rude. Les retrouvailles avec la mère sont graves et ne donnent lieu à aucune effusion. Les voisins lui hurlent leur deuil à la gueule et se font menaçants, mais dans un cas comme dans l’autre, « Il » (le titre du film en tamoul signifie « Lui, désormais« ) ne bronche pas. Il traverse la vie et l’écran avec cette présence d’une densité qui impose le respect. L’acteur est impeccable dans le rôle, bien planté sur ces deux jambes, toujours en alerte. On devine la longue habitude qui est devenu une seconde nature. Rarement déstabilisé, il a visiblement développé un sixième sens du danger tout en gardant une sensibilité pour qui est plus faible que lui et notamment les femmes. La rencontre avec son amour de jeunesse donne lieu à une scène comme en apesanteur et à de superbes cadrages autour de la grille qui les sépare avec une savante utilisation du rouge que porte la jeune femme. Mais nous ne sommes pas à Bollywood, les deux tourtereaux ne se retrouvent pas sans transition à chanter et danser dans les montagnes du Cachemire. Ils restent plantés là, à devoir imaginer une solution pour sortir de l’impasse.

Les femmes dans les films de Asoka Handagama sont souvent à la fois les personnages les plus vulnérables de par leur statut social et les plus inébranlables, mues par une force de vie qui fait défaut aux hommes. Les personnages féminins de Ini Avan ne dérogent pas à cette ligne. Que ce soit la mère, l’ancienne promise ou la femme de l’ancien garde de sécurité, toutes, chacune à leur manière, font de la résistance. Elles permettent au réalisateur d’aborder ce sujet qui fâche, encore et toujours dans la plupart des sociétés du monde (ou devrais-je plutôt dire dans toutes) : l’inégalité criante entre les hommes et les femmes. Et là, le film de Hadagama prend un tour inattendu. Après une première partie où nous sommes confrontés à des situations récurrentes dans tout le cinéma du grand voisin indien: la mère obligée de mettre en gage les bijoux de sa dote ou la jeune femme, mariée de force, qui se retrouve veuve, la deuxième partie s’avère beaucoup plus originale et beaucoup plus radicale. La vie du héros, et le film, basculent avec ce nouveau gagne-pain qui lui tombe dessus sans crier gare et l’apparition tout aussi inopinée d’une nouvelle héroïne. Le scénario bifurque et le récit change complètement de registre, de rythme et de contenu.

Après la problématique du retour stricto sensu, l’atterrissage en quelque sorte, le film entre de plein pied dans celle de la réinsertion dans une société qui a elle -même perdu ses repères (cf. le bijoutier, ou l’émigré au Canada). Tout se complique. Le réalisateur négocie ce tournant avec une grande habileté et nous emmène en terrain inconnu qui se révèle de plus en plus miné. Les personnages qui apparaissent alors autour du héros, de secondaires vont acquérir pas à pas une dimension qui confine au tragique. Dans cette deuxième partie, la jeune mère effacée de la première photo de famille va s’avérer un personnage étonnamment fort et complexe, capable d’encaisser les pires coups du sort. Au début, nous sommes desarçonnés par ses éclats de rire qui semblent fuser au pire moment. Mais nous allons très vite entrer dans sa vision du monde où une seule chose compte : survivre, quel qu’en soit le prix. Sa frêle silhouette cache en réalité une redoutable guerrière et la victime de toutes les violences acquiert une stature et une présence insoupçonnées.

Le titre du film aurait aussi bien pu être ‘‘Le soldat et la Combattante’’. Sans pathos, sans emphase, d’une main très sûre, Asoka Handagama nous donne à voir au travers de cette femme qui apparemment subit son sort depuis toujours la matière même dont sont faits les résistants.

Sur le web

Réalisateur sri-lankais connu pour son audace à dénoncer les difficultés économiques et les clivages culturels d’un pays déchiré par la guerre, Asoka Handagama a déjà réalisé six longs-métrages. Né avec l’indépendance de Ceylan en 1947, l’encore jeune cinéma sri lankais a grandi sous l’influence du cinéma indien (hindou et tamil) dont il reproduit les conventions et les genres (principalement le mélodrame familial). Mais à l’ombre de la figure tutélaire de Lester James Peries, contemporain de Satyajit Ray, plusieurs générations de réalisateurs se sont succédées depuis pour créer un authentique cinéma d’auteur. 
Représentant le plus respecté mais aussi le plus controversé de ce que l’on pourrait appeler la « 3e génération », Asoka Handagama, né en 1962, avait commencé à se faire connaître à l’international, avec deux longs métrages sortis en France au début des années 2000 : This is my Moon et Flying with one Wing. Ce mouvement de reconnaissance est brutalement stoppé en 2005 avec l’interdiction qui frappe, avant même d’avoir été vu, son 5e long métrage, Akshraya (rebaptisé depuis Goodbye Mum). Son septième film Ini Avan, Celui qui revient décrit avec délicatesse le malaise d’un temps de paix, quand le traumatisme d’un vain conflit imprègne et corrompt toujours les relations sociales, et marque, comme pour le « héros » du film, le retour du cinéaste dont on était sans nouvelle depuis 8 ans.

Ini Avan, Celui qui revient est un film qui aborde la problématique du difficile retour à la réalité après avoir survécu à la guerre. Le réalisateur Asoka Handagama explique à quel point cette tentative de retrouver un semblant de normalité est une lutte quotidienne : « Trente ans de guerre, c’est suffisamment long pour que toute une génération ne sache rien d’autre que porter une arme. Pour tous ces enfants et ces jeunes gens (…) le retour à une vie normale est un autre combat, plus douloureux et dangereux encore que celui qu’ils avaient affronté avant. Déjà victimes parce que entraînés de force dans la machine de guerre, ces hommes et ces femmes se retrouvent à nouveau aspirés dans un cercle infernal de violences et de souffrances…« 

Ini Avan, Celui qui revient marque également l’occasion pour Asoka Handagama de parler de la douleur endurée par son pays, après trente longues années d’une guerre destructrice dont l’occident ne sait finalement pas grand chose (guerre civile dont les dégâts ont été incroyablement amplifiés par la violence du Tsunami de 2004). Le conflit, au Sri Lanka, a beau être terminé, l’avenir de la communauté reste relativement incertain. Dans ce film, le cinéaste a choisi de se placer du côté de la minorité tamoule, afin de faire entendre sa voix. Il explique qu’  »il a simplement montré la vie telle qu’elle est à Jaffna, lorsqu’une nouvelle forme de capitalisme, néolibéral, s’épanouit une fois la guerre terminée. La ville est en pleine fièvre, mais à mon sens, cela ne génère pas de vrai développement économique, mais enrichit les profiteurs sur le dos des populations. Je ne voulais pas non plus parler de la guerre, mais de ce qui va se passer si on n’y prend pas garde !« 

Avant de sortir enfin sur les écrans, Ini Avan, Celui qui revient a été présenté dans les plus grands festivals internationaux dont Toronto, Tokyo, et Cannes. Si le cinéma d’Asoka Handagama s’est tant démarqué aux yeux de la critique et du public très sélect des grands festivals, c’est indéniablement par son style très particulier, mêlant des influences proches d’un cinéma plus commercial et une identité propre.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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