Vendredi 15 Novembre 2013 à 20h30
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Documentaire de Werner Herzog – Canada/Allemagne – 2012 – 1h45 – vostf
Dans le cadre du Festival Cinéma d’Amnesty International « Au coeur des Droits Humains » du 15 novembre au 1er décembre 2013.
Le 24 octobre 2001, dans la petite ville de Conroe au Texas, Jason Burkett et Michael Perry, en quête d’une voiture à voler, abattent de sang-froid Sandra Stotler, son fils Adam et l’ami de ce dernier, Jeremy. Retrouvés puis arrêtés, les deux jeunes hommes, âgés d’à peine 19 ans, sont condamnés : Burkett à la prison à perpétuité, Perry à la peine capitale. Le 1er juillet 2010 le cinéaste Werner Herzog interviewe Michael Perry, huit jours avant son exécution. Suite à cette rencontre, il retourne sur les lieux du crime, interroge les enquêteurs, consulte les archives de la police, discute avec les familles des victimes et des criminels, rencontre un ancien bourreau du couloir de la mort. Non pour juger mais pour essayer de comprendre. Au-delà du fait divers, Herzog nous entraine dans une enquête sur l’Amérique et les profondeurs de l’âme humaine.
Notre critique
Par Josiane Scoleri
Sur le sujet grave de la peine de mort, dans toute la cruauté et la banalité de sa pratique aux États-Unis, Into the abyss nous entraîne très loin dans les tréfonds de l’être humain. L’abîme du titre ne vaut pas seulement pour les protagonistes du film qui y sont très certainement tombés, mais pour tous le personnages secondaires et le spectateur lui même qui s’y trouve confronté très directement, dans le face à face sans fioritures des interviews qui se succèdent. Pour mener à bien son enquête et lui donner un impact maximum, Werner Herzog s’appuie sur une mise en scène simple, d’une extrême sobriété que certains trouveront peut-être même plutôt pauvre, mais qui s’avère d’une efficacité imparable. En effet, mis à part quelques images tirées des archives de police filmées sur les lieux du crime, la plupart du temps, Werner Herzog place sa caméra face au sujet, en plan moyen, sans distraction possible. Et chaque parole prononcée s’enfonce en nous comme lestée de plomb, de ce même plomb qui sert à fabriquer les balles. Les mots et les situations sont terribles, sans appel, sans espoir. Mais jamais le réalisateur ne laisse pénétrer la moindre goutte de pathos. Pas de commisération. Pas d’apitoiement, le dépouillement de la mise en scène crée une tension intérieure qui ne se dément à aucun moment. Et la respiration qui pourrait venir par un nouveau récit ou un nouveau visage s’avère à chaque fois de très courte durée. Au contraire, la tension monte à chaque tour d’écrou, inexorable. C’est toute la force du montage et c’est là que Werner Herzog révèle la subtilité de son savoir faire de cinéaste. Le cadre et le montage se renforcent l’un l’autre et ne nous laissent aucun répit. Pas le moindre flottement, pas le moindre interstice et même la section intitulée « Une lueur d’espoir » porte la marque de cette sorte de folie ambiante où il est difficile de trouver du sens.
La simplicité du dispositif et la gravité du propos créent presque instantanément une intimité forte avec tous ceux qui apparaissent à l’écran. Nous sommes happés par leur parole et lorsque certains reviennent une deuxième, voire une troisième fois à l’écran, nous nous retrouvons d’abord face à leur douleur. Une souffrance souvent si difficile à dire, qui déborde du cadre et semble pétrir la matière même du film. L’inhumanité du système ressort violemment de ces vies fracassées. Et ce, dès la première scène qui sert de prologue au film où l’aumônier de Death Row s’émerveille de la fragilité du vivant devant les croix du cimetière municipal. Sa dernière phrase suffit déjà à nous pétrifier sur notre siège. “No names, just numbers”. Des matricules qui ne sont pas sans en rappeler d’autres, de sinistre mémoire. Plan fixe sur ces chiffres de mort. Rideau. Le générique peut commencer. Et nous sommes déjà pris à la gorge.
Herzog pratique avec une grande maîtrise le hors champ. Souvent, presque toujours, nous devons nous contenter du récit. Il n’y a pas d’images qui illustrent le propos. Et lorsque nous sommes en extérieur, dans les lieux dont il a été question auparavant, les protagonistes ne sont plus présents à l’écran. Le hors champ s’applique d’abord à Werner Herzog lui-même tout au long du film. Sa voix, à la fois ferme et discrète, nous sert de boussole dans le paysage dévasté de ces vies dans lesquelles nous pénétrons d’emblée de plein pied. Et ce qui aurait pu être totalement insupportable, entre voyeurisme et misérabilisme, se révèle chez Herzog empreint d’empathie et de respect. Ce n’est pas la moindre de ses réussites.
A partir d’ un cas tragiquement banal entre mille, le réalisateur tisse une toile de plus en plus complexe qui peu à peu fait surgir un portrait très fouillé de cette Amérique de « petits blancs pauvres » qui ne semblent pas vivre sur la même planète que l’Amérique puissante et ivre d’elle-même qui occupe le devant de la scène internationale. Le mythe du self-made man qui constitue le fondement de la société américaine, en sort gravement écorné, car pour ces jeunes, de toute évidence, il n’y a guère de perspectives. Les plus « chanceux » sont ceux qui apprennent à lire en prison et n’y retournent pas tout de suite… Sans commentaire. Le film se construit dans la grande variété des regards portés sur le drame. Chacun parle depuis la place qui est la sienne et le montage permet justement à chacun de développer son point de vue. Retour sur soi, bilan de vie, deuils, reconstruction réelle ou fictive, refuge dans la foi ou dans la famille, tous les stratagèmes sont mis à l’épreuve. Chacun se débrouille comme il peut et se bricole son kit de survie. Les points de vue sont souvent incompatibles, les logiques s’ignorent. La violence, sourde ou explicite, est omniprésente et semble constituer le seul horizon possible. Elle imprègne les mots et les pensées. “It’s me and you against the whole world”. La vie se résume à la guerre. Comment croire au libre arbitre face à toutes ces vies marquées avant tout au coin d’un déterminisme social implacable?
Le constat est amer. La prise de conscience de l’ancien capitaine de Death House apporte certes un peu de baume au coeur, mais elle semble bien peu de chose face à l’ampleur des dégâts. Le film de Werner Herzog ne nous permet pas de rêver, de croire à un avenir meilleur ou seulement possible. Nous ne sommes pas à Hollywood, et ça en serait indécent. Et le personnage le plus insondable, le plus invraisemblable même de ce point de vue-là est sans nul doute la jeune femme qui se marie, sans l’avoir rencontré auparavant, avec ce condamné à la réclusion perpétuelle et attend même un enfant de lui… De quel avenir parlons-nous?
On le voit, Werner Herzog aborde mille questions au-delà du thème central de la peine de mort. Autant d’aspects comme autant d’éclairages pour essayer de démêler l’écheveau des passions et des affects, de déchiffrer les forces obscures qui sont à l’oeuvre dans cette alliance opaque entre droit et pulsions. Au risque de sortir un peu sonné de la projection….
Sur le web
Dans Into The Abyss, Werner Herzog a fait le choix de rencontrer des condamnés à mort peu avant leur exécution. Parmi eux, Michael Perry, l’un des trois accusés impliqués dans une affaire de triple meurtre, livre une interview au cinéaste, huit jours avant sa mort. C’est le seul entretien qui existe de lui.
Dans l’affaire de triple meurtre à laquelle s’intéresse Werner Herzog, deux coupables ont été identifiés puis condamnés. Mais tandis que le premier, Michael Perry, a écopé de la peine capitale, le second, Jason Burkett, a eu plus de chance : face aux lourds antécédents de son père et de ses frères, tous toxicomanes et délinquants, l’accusé a bénéficié de la clémence des juges, qui ont épargné sa vie au profit d’une peine de prison à perpétuité.
Si le film se penche spécifiquement sur une affaire précise et recueille les témoignages des personnes qui y sont reliées, le documentaire fait également office de constat sur un univers carcéral obscurantiste où règnent la violence et l’illettrisme, s’imposant comme le reflet d’une Amérique arriérée où se rencontrent des destins abîmés par la vie.
Si le cinéaste Werner Herzog affirme ne pas être un farouche activiste, il se positionne cependant contre la peine de mort en référence à la propre histoire de son pays. Selon lui, aucun état ne devrait détenir le droit de vie et de mort sur ses citoyens. « Je n’ai pas d’argumentaire à proposer, mais une histoire, celle de la barbarie de l’Allemagne nazie. (…) Aucun Etat ne devrait pouvoir s’arroger le droit, sous aucun prétexte, d’exécuter un être humain. Point final« , déclare-t-il catégoriquement. Mais afin qu’aucune ambiguïté ne plane sur son film, le réalisateur tient également à préciser qu’il n’excuse en rien les crimes qu’ont commis les accusés qu’il a suivis pour les besoins de son documentaire.
Parmi tous les témoignages recueillis pour les besoins du film, Werner Herzog a rencontré Fred Allen, un ancien bourreau qui a démissionné après des années de service : suite à une grave dépression nerveuse, Allen s’est retrouvé dans l’incapacité physique et mentale de retourner dans la maison d’arrêt, alors même qu’il était jusqu’ici partisan de la peine de mort. De cette manière, le cinéaste souhaitait montrer que l’exécution sommaire d’individus est un acte contre-nature.
La mort n’est d’ailleurs que l’une des facettes du film : l’urgence de la vie en est l’autre ligne conductrice. Comment devrions-nous vivre nos vies selon ceux qui attendent leur exécution ? Comment Fred Allen décrit-il une vie intègre faite d’attention à la beauté de la Création ?
Plus qu’un plaidoyer contre la peine de mort, Into the Abyss est, comme tous les films de Werner Herzog, une plongée dans l’abîme de l’âme humaine, une réflexion sur le chaos du monde et sur les tentatives des hommes pour y trouver du sens.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.
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