Dimanche 08 Février 2015 à 20h30 – 13ième Festival
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Oldřich Lipský – Tchécoslovaquie – 1964 – 1h38 – vostf
Arizona 1885. L’arrivée à Stetson City d’Ezra Goodman, représentant d’une ligue antialcoolique, et de sa fille Winifred contrarie les agissements de Doug Badman, tenancier du saloon. Dans cette petite ville où les saouleries et les bagarres sont quotidiennes surgit alors Joe Limonade dont le maniement du colt et le prosélytisme pour la limonade Kolaloka sont légendaires…
Notre critique
par Vincent Jourdan
Combien d’enfants de par le monde n’ont pas joué aux cow-boys et aux indiens, arpentant cet univers d’aventures que Jacques Brel appelait « le Far West » ? Le western, ses mythes et ses codes ont nourrit l’imaginaire de plusieurs générations. « Cinéma américain par excellence » selon André Bazin, « Art typiquement américain avec le jazz » pour Clint Eastwood, le genre est né quasiment avec le cinéma, quand les spectateurs de 1903 découvert Le vol du grand rapide de Edwin S. Porter et Wallace Mc Cutcheon. Très vite populaire, les courts métrages en deux-bobines prolongent le succès des revues à bon marché et révèlent des stars comme Broncho Billy Anderson, Tom Mix, William S. Hart ou Harry Carey. Il acquiert ses lettres de noblesse avec La caravane vers l’ouest (1923) de James Cruze et Le cheval de Fer (1924) de John Ford, vision épique de John Wayne et John Ford en 1960 l’histoire récente des USA. En 1930, l’échec de La piste des géants de Raoul Walsh le relègue aux films de série et aux cow-boys chantants pour une décennie. Il revient au premier plan avec une série de grands films signés, à la fin des années trente par John Ford, Henry King, Cecil B. de Mille et Fritz Lang.
Le Far West en voyage
A la fin des années cinquante, le transfert de la série B à la télévision et les mutations de Hollywood donnent au genre un coup de mou. Il va se produire alors un phénomène unique dans l’histoire du cinéma. Le western est repris par l’Europe, l’Italie en particulier, qui bouleverse les codes pour donner naissance à un sous genre prolifique et très populaire une dizaine d’années. La disparition des grands maîtres, le naufrage du cinéma italien, l’avènement du cinéma de science- fiction et l’échec symbolique de La porte du paradis de Michael Cimino, signent un radical coup d’arrêt. Une génération s’éteint. Pourtant la nouvelle va reprendre formes et codes pour les injecter dans de nouveaux univers. Le western mute. D’où vient cette vitalité ? Sans doute de la simplicité de ces formes et codes qui leur ont permis de s’imprimer en profondeur dans les imaginaires collectifs et leur donne une souplesse ouvrant de multiples possibles. Un certain type d’attitude, de paysage, d’écriture, de musique, de cadre cinématographique, sont immédiatement identifiés « western » quand bien même ils se situent dans un cadre qui n’a rien à voir avec l’histoire de l’Ouest américain de la seconde moitié du XIXème siècle.
Souplesse. Raciste, impérialiste, violent, sexiste, homophobe, réactionnaire, manichéen, le western a été tout cela, mais il a pu plus souvent que l’on ne le croit, être le contraire. Comme en son temps la tragédie classique, le western peut aborder tous les thèmes et le plus grand, celui de la condition humaine. Il peut parler de toutes les époques, raconter toutes les histoires. Dès le départ, il séduit tout le monde. Dès 1906 Joë Hamman et Jean Durand tournent des westerns dans le bois de Meudon et en Camargue. Nous le retrouverons dans les films de cangaceiros brésiliens, au Chili et en Argentine dans la pampa sauvage. Il dialogue avec les films de samouraïs japonais d’Akira Kurosawa qui inspire en retour John Sturges et Sergio Leone (Yōjimbō, Le Garde du corps de Kurosawa, dont Pour une poignée de dollars est un remake non autorisé absolument fidèle). Le wuxapian (film de sabre) chinois pille ses bandes sonores, les allemands de l’Est font des indiens des héros anticolonialistes (Les loups blancs, de Konrad Petzold en 1969) et à l’Ouest on adapte les romans de Karl May : entre 1962 et 1965 paraissent 11 adaptations des romans de May et de son héros apache Winnetou, en particulier sous la caméra de Robert Siodmak. Australiens et sud-africains mettront le genre à leur sauce, jusqu’au Salvation de Kristian Levring présenté au dernier festival de Cannes. Les turcs aussi produiront toute une série de westerns à partir des années soixante.
Un western à la sauce limonade
Joe Limonade présenté ce soir est typique de cette universalité du genre. Réalisé en 1964 par le réalisateur Oldřich Lipský en Tchécoslovaquie, il s’inspire des écrits de Jiří Brdečka, également scénariste. Le film a une évidente visée parodique, mais avec un respect amusé pour les codes, rendant hommage aux cow-boys de l’ère du muet comme des cow-boys chantants. On pense beaucoup à Roy «Yeepee-kaï-yay » Rogers, le cowboy chantant, et ses chemises chamarrées. Le héros du titre, tireur d’élite, est aussi grand buveur du soda Kolaloka ce qui permet d’égratigner l’American way of life des sixties. Au même titre que Sous le soleil blanc du désert, le « western » soviétique réalisé en 1970 par Vladimir Motyl, Joe Limonade est un immense succès populaire – le plus grand de l’histoire du cinéma tchèque dit-on – et un film admiré par Henry Fonda lui- même. Comédie musicale aux filtres de couleurs vives, Joe Limonade aligne les clichés comme à la parade pour les passer à la moulinette de l’inventivité du cinéma des pays de l’Est de l’époque et de son sens aigu de l’humour. Le film se rapproche avec bonheur d’une version cinéma du Lucky Luke de Morris et Goscinny. Il bénéficie surtout d’une production soignée, avec des moyens conséquents, d’une interprétation pleine de fantaisie, et d’une réalisation vive qui en font plus qu’une simple curiosité, un véritable OVNI à découvrir, une manière de film culte.
Sur le web
Dans les années 40, l’écrivain et dessinateur tchèque Jiri Brdecka crée dans un magazine le personnage de Joe Limonade, un cow-boy de fantaisie qui séduit immédiatement la jeunesse du pays. Cette parodie du Far West connaît un tel succès populaire que son auteur l’adapte dans les années 50 au théâtre dans une mise en scène d’Oldřich Lipský. Les deux hommes s’entendent si bien qu’ils décident de collaborer sur une version cinéma de ce personnage d’opérette. Ils ont toutefois des difficultés pour imposer l’idée auprès des autorités communistes qui voient d’un mauvais œil la création d’un western en terre socialiste, même parodique. Finalement, le film voit le jour en 1964 pour le bonheur du public tchèque qui lui réserve un accueil chaleureux.
Alors que l’on pouvait craindre une parodie lourde et condescendante, Joe Limonade s’avère être une excellente surprise qui tient encore la route de nos jours grâce à des gags absurdes particulièrement efficaces, mais aussi à un respect pour le genre abordé. Tout en se moquant des conventions et autres clichés véhiculés par le genre, les deux auteurs ont pris soin de ne jamais avoir recours au cynisme. Baignant dans des filtres de couleurs qui évoquent les images teintées du temps du muet, le long-métrage se veut également un hommage aux premiers westerns du début du 20ème siècle, avec leurs histoires uniformément binaires (le bien contre le mal).Toutefois, la parodie se dote d’un sous-texte amusant qui vise à déglinguer la mentalité américaine, uniquement intéressée par l’argent, tout en vantant les mérites de la famille. Avec beaucoup de malice, les auteurs parviennent à trouver le juste équilibre entre charge anticapitaliste et hommage sincère envers un genre populaire. Passé inaperçu en France, puis totalement éclipsé par les westerns venus d’Italie, cet OVNI tchèque est donc une véritable curiosité à découvrir d’urgence.
On trouve dans ce film une ironie, une légèreté, des clins d’œil politiques qui rappellent certaines comédies de la Nouvelle Vague tchèque. Doté d’une solide culture cinématographique, Oldřich Lipský fait référence à des classiques de la fin du muet ou des débuts du parlant. Il met à profit toutes les techniques possibles : noir et blanc, filtres colorés, ralentis, accélérés dignes du cinéma burlesque de Mel Brooks ! Dans son « opéra équestre » comme il qualifie ce film, il apporte aussi un traitement musical exceptionnel avec des morceaux country et jazzy. La voix du méchant cowboy chantant Horatio est celle de Karel Gott surnommé le « Sinatra de l’Est ». Pour figurer le désert d’Arizona, le film fut tourné dans une ancienne carrière de calcaire à 25 km au sud de Prague…
Paradoxe pour un film qui est aussi une comédie musicale, Jo Limonade est tiré d’un roman homonyme de George Brdečka, écrivain mais aussi cinéaste, qui en assura l’adaptation conjointement avec le réalisateur Oldřich Lipský. Oldřich Lipský est (avec son cadet Václav Vorlícek) un des deux grands noms de la comédie tchèque des années 60 et 70. Issu d’une famille de comédiens, frère cadet d’un acteur célèbre (Lubomír Lipský), père et grand-père de comédiens et comédien lui-même à ses débuts (à la fin des années 40), il passa par la mise en scène de théâtre avant de devenir un célèbre réalisateur de comédies déjantées le plus souvent coécrites avec George Brdečka (le duo Lipský – Brdečka étant le pendant de celui constitué par Vorlícek et Macourek), mais aussi parfois avec Milos Macourek.
L’acteur principal, Karel Fiala, est un authentique ténor d’opéra. Il jouera l’interprète de Don Giovani dans « Amadeus », et est le seul à ne pas être doublé dans les numéros musicaux. Květa Fialová, l’interprète de Lou Tornado, et Milos Kopecký, qui joue Horace Badman, empruntent pour les parties chantées les voix des deux plus célèbres chanteurs tchécoslovaques de l’époque, Yvetta Simonová et Karel Gott (surnommé la voix d’or de Prague). Si Milos Kopecký était déjà à l’époque une énorme vedette (il fut entre autres, deux ans plus tôt, l’inoubliable Baron de Crac de Zeman), ce film marque les débuts cinématographique d’Olga Schoberová. Une Olga Schoberová qui ne s’appelait pas encore Olinka Bérova et qui ici crève l’écran, autant pour ses talents d’actrice que pour son physique. Cette même année 1964, elle fera ses débuts internationaux dans un autre western (allemand celui-là), Les chercheurs d’or de l’Arkansas, avec Mario Adorf et Horst Frank ; tourné dans les mêmes décors de ville que le présent film, décors consistant en de simples façades et qui seront brûlés pour les besoins d’une scène d’incendie.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Vincent Jourdan.
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