Des jours et des nuits dans la forêt



Vendredi 07 Octobre 2005 à 21h15 – 3ième  Festival

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Satyajit Ray – Inde – 1970 – 1h51 – vostf

Quatre amis ont quitté Calcutta en voiture pour passer quelques jours de vacances dans la forêt de Palaman, à l’est de la province du Bihar. Ils décident de s’immerger dans la nature et d’oublier pour quelque temps la vie citadine. Les jeunes gens, Hari, célèbre champion de cricket qui vient d’être abandonné par sa petite amie, Ashim, jeune cadre séduisant plein d’avenir, Sanjoy, contremaître sérieux et inhibé, et Sekhar, jeune chômeur un peu parasite et drôle, s’installent dans un bungalow en dépit de l’interdiction affichée. Ils vont faire, au cours de leur bref séjour, des rencontres significatives : Lakha, qu’ils engagent comme domestique, Duli, la belle indigène sauvageonne, deux jeunes bourgeoises : Aparna, jeune fille intelligente et cultivée, et sa jeune belle-sœur, Jaya, trop jeune veuve frustrée et sensuelle. La nature, ils ne la connaissent que de façon livresque. Le retour à la nature se fait progressivement.

« Le film raconte l’envahissement de la nature par la culture et la contamination en retour de la culture par la nature. »

(H. Micciollo)

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Des jours et des nuits dans la forêt nous invite à suivre quelques jours de vacances de quatre amis dans la région du Bihar. Aucun évènement majeur ne vient troubler ces journées essentiellement rythmées par de petits faits quotidiens. Et pourtant, une intensité se dégage des images et nous fascine. Qu’est-ce que Satyajit Ray nous communique de si essentiel ? Avant tout, il peut être intéressant de préciser que le réalisateur se rattache à un courant de pensée moderniste appelé la Renaissance bengalie. Un courant, hérité notamment du poète Rabindranath Tagore, qui a favorisé l’ouverture de l’Inde aux valeurs de l’occident, dans la réciprocité, qui a préféré à l’Hindouisme traditionnel, une branche du brahmoïsme, progressiste, monothéiste, s’élevant contre le système des castes et favorisant l’indépendance et l’émancipation de la femme indienne, et enfin, qui s’est associé à de grands mouvements politiques de gauche.

Cette sensibilité est très perceptible dans Des Jours et des nuits dans la forêt dans lequel Ray dénonce la hiérarchie des castes à travers les comportements de quatre amis. Dès le départ, Ashim a beau dire dans la voiture « retournons aux lois de la nature » et Shekhar a beau vouloir couper avec la civilisation en brûlant un journal dès son arrivée au bungalow, leurs attitudes ne cessent d’exprimer la supériorité de leur statut social. Ainsi, lorsque les quatre amis prennent possession du bungalow, ils font fi des risques qu’ils font courir au gardien, ne se préoccupant que de le corrompre avec de l’argent et de s’attacher ses services. Ils se montrent peu attentifs à leur entourage, à la pauvreté de Loka, aux conditions de vie misérable du gardien dont la femme est malade. Rini le fera remarquer à Ashim. Ce sont aussi les petits incidents humiliants, notamment envers Loka, qui se multiplient tout au long du film. Shekhar refuse de le faire monter à l’avant de leur voiture, il est rabroué lorsqu’il mendie un pourboire. Plus tard, il sera injustement accusé de vol par Hari sans aucune preuve et renvoyé. Ainsi, les quatre amis nous apparaissent très vite puérils, légers, à travers leurs préoccupations essentiellement centrées sur eux-mêmes et sur leur confort personnel. La plupart de leurs échanges sont fait de petites disputes où la susceptibilité de chacun est heurtée. Et chaque soir, ils s’abandonnent à l’ivresse de l’alcool comblant ainsi le vide de leur existence. Leurs relations avec les femmes sont vécues dans ce même rapport de domination. Nous découvrons ainsi le sentiment d’humiliation ressenti par Ashim pour avoir été aperçu, tour à tour, ivre la nuit, manqué le rendez-vous du petit déjeuner, surpris en train de se doucher au bord du puits, et évité de justesse l’expulsion.

Ashim se sent gêné envers Rini, en position d’infériorité. A l’inverse, la jeune femme rit de ces situations qui auront permis à Ashim de descendre de son piédestal. La même tendance se repère chez Hari qui tente d’imposer à Dulli sa vision, n’aimant pas la voir travailler. Or, Dulli se révèle une femme moderne et indépendante dans sa façon d’assumer ses désirs et de gagner son argent. Ce n’est sans doute pas un hasard si Satyajit Ray a choisi la tribu des Santals, connue pour leur rébellion et pour avoir rejeté le modèle social des castes. De fait, à l’image de Dulli, les femmes santals sont beaucoup plus libres que celles de la société indienne traditionnelle. Quant à Shanjay, trop inhibé et trop conventionnel, il ne supportera pas la liberté avec laquelle Jaya déclare son désir et s’offre à lui. Mal à l’aise, Shanjay renvoie la jeune femme à sa solitude.

Toutes ces tensions entre les personnages, Ray les désamorce à chaque fois faisant en sorte qu’aucun conflit n’éclate ouvertement, privilégiant ainsi une résonance intérieure. Des jours et des nuits dans la forêt aborde également une réflexion très subtile sur le rapport entre nature et culture dont Rini incarne merveilleusement l’équilibre. Ashim cerne difficilement la personnalité de la jeune femme qui est extrêmement raffinée et cultivée. Ses choix de lecture et de musique témoignent d’une curiosité universelle tandis que son retrait révèle sa propension à la réflexion et à l’intériorisation. En même temps, il exprime son besoin de contact avec la nature dont Rini semble à chaque instant goûter la paix et l’harmonie.

Ce rapprochement entre nature et culture est sans doute une des magies du film. L’élégance des personnages, leur raffinement, alors qu’ils marchent au coeur de la forêt, donnent aux images un charme intemporel. A la fois sauvage et cultivée, la forêt nous apparaît comme un lieu de mémoire, un point d’origine, où l’homme peut remonter à la source du temps. L’immobilité des arbres nous communique le sentiment d’un temps suspendu, identique à celui de millions d’années écoulées, tandis que la présence de Rini et d’Ashim dans le bungalow, des disques et des livres, nous renvoie au présent, à la modernité. Ray crée une superposition temporelle avec ses images, tout comme avec la musique qui traverse parfois le fi lm, tel un cri, mêlant un rythme tribal et moderne.

Le plus surprenant est de découvrir combien Rini incarne aussi cette mémoire. Contrairement à la légèreté des quatre amis, il émane de sa personne une épaisseur, ainsi qu’une grande lucidité d’esprit. La mémoire est ce qui fonde l’humanité de Rini, la rattache aux générations précédentes dans la continuité. Au cours du jeu dans la forêt, moment clé du film, nous découvrons qu’elle est dotée d’une excellente mémoire. Elle confirmera à Ashim qu’elle se souvient parfaitement de tous les noms énumérés. Rini est mémoire. Mémoire d’évènements douloureux tels que la mort de sa mère et le suicide de son frère qui l’ont tant fait souffrir. Elle est aussi figure du temps qu’elle semble contenir, tel un réceptacle, à l’image du plan sur la plage où la jeune femme égrène le sable dans sa main. Marquée par les souffrances, Rini confesse à Ashim combien elle trouve son comportement enfantin. Nul doute que pour Ray la mémoire est une dimension humaine fondamentale. Or, il est intéressant de constater comment le réalisateur parvient à lui donner corps. Aucune image ne nous est donnée des souvenirs de Rini. Sa parole seule suffit. A l’inverse, des images surgissent tout à coup pour évoquer les souvenirs d’Ashim ou d’Hari. Or, étonnamment, elles ne semblent rattachées à rien et manquent de profondeur. A cet instant, le passé semble « comme chosifié, détaché du travail autour de la mémoire, du champ vivant du souvenir, pour devenir mécaniquement un objet de vignettes narratives, illustratives et explicatives.»

Au contraire, le visage de Rini nous renvoie à une profondeur intérieure. En lui se refl ète les noms énumérés dans la forêt : Rabindranath Tagor, Mao Tse-Toung, Karl Marx, Shakespeare, Hélène de Troye, Cléopâtre… Sans aucun doute, tous ces hommes et femmes de culture très diverses font partie d’elle. Ils ont participé à former sa pensée et sa conscience. C’est alors que nous touchons un des sommets de la virtuosité de Ray, concentrée dans sa façon de fi lmer les visages : le visage de Rini est l’épiphanie de cette conscience. Il reçoit le monde et le réfléchit en pensée.

A propos du « Salon de Musique » Charles Tesson écrivait que « le visage du zamindar est à la fois une nappe de conscience (la perception tournée vers l’extérieur) et une nappe de mémoire (une perception intérieure, une image mentale sonore)».«Filmer un visage pour Ray c’est provoquer cette rencontre entre la conscience du présent (percevoir la réalité du Bengal qui l’entoure, la montrer) et la mémoire du passé: l’héritage familial, la Renaissance bengale. L’expérience de cinéma est pour Satyajit Ray ce bloc magique » selon la métaphore de Freud. Une nouvelle fois, Ray est parvenu à figurer l’invisible.

Christine Fillette


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

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