Samedi 05 Mai 2007 à 21h – 5ième Festival
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Ken Loach – Royaume-Uni – 1969 – 1h50 – vostf
Billy Casper vit dans une petite ville minière du nord-est de l’Angleterre, à Barnsley, dans le Yorkshire. Il a une douzaine d’annéeset l’univers dans lequel il vit ne correspond pas à son attente. Sa mère ne s’occupe guère de lui son frère aîné Jude, le traite en souffre-douleur. Quelques petits travaux avant l’heure d’ouverture de l’école et de menus larcins lui procurent un peu d’argent de poche. A l’école, Billy est distrait indiscipliné, entouré de camarades et de professeurs plus hostiles qu’amicaux.. Un jour, Billy déniche un jeune rapace; il vole alors dans une librairie un traité de fauconnerie et entreprend de dresser l’oiseau. Il se donne tout entier à cette tâche et lorsqu’un professeur, attentif, lui demande d’exposer à la classe l’art de dresser un faucon, Billy réussit à intéresser tous ses camarades…Mais le gamin a détourné une petite somme d’argent que son frère lui avait confiée pour jouer aux courses : Jude se vengera en tuant l’oiseau, le seul ami de l’enfant.
Notre critique
Par Philippe Serve
South Yorkshire, nord de l’Angleterre. La décade prodigieuse se termine, celle des sixties pendant laquelle le pays s’est retrouvé au centre du monde (Beatles, mini-jupe, James Bond, Coupe du Monde de football, Palme d’or à Cannes pour Knack de Richard Lester, etc.) et John Lennon va pouvoir chanter « The Dream is over » (« Le rêve est fini« ).Pour Ken Loach, tout commence ou presque. Deux ans après son premier film, Pas de larmes pour Joy (Poor Cow, 1967), passé largement inaperçu et qui ne sera distribué en France que des années plus tard, il fait sensation à Cannes avec Kes. Loin des fanfreluches hippies qui décorent encore Carnaby Street à Londres, il transporte le spectateur dans une région où la modernité des années 60 ne semble guère s’être invitée. Région minière définitivement sinistrée deux décennies plus tard sous les coups de la politique de Margaret Thatcher et où, sous un ciel aussi gris que les incertitudes du futur, on vit encore selon les critères et réflexes des années 50, dans un climat social et éducatif étouffant où les élèves sont envoyés à la prière (l’Assembly) après chaque appel.
La difficulté à joindre les deux bouts, pour ne pas dire la pauvreté de la classe ouvrière, nourrit le quotidien d’hommes et de femmes n’ayant que la soirée du samedi soir au pub pour s’égayer. Quel autre horizon pour les hommes que de descendre au fond des puits de mines et pour les femmes d’essayer de survivre en torchant les gamins sous les assauts d’un machisme nourri à la bière ? Ken Loach, formé à l’excellente école documentariste de la télévision anglaise, dénonce cette misère mais sans le militantisme que l’on retrouvera plus tard dans ses films. S’il peint le malheur, il le fait sans la moindre trace de misérabilisme et n’oublie jamais l’idée d’un autre possible qui pourrait ressembler à un semblant de bonheur. Plutôt que des discours, Loach a recours à l’humour pour déconnecter le tragique d’un lourd sentiment de fatalité. D’où ces scènes de comédie si caractéristiques de son style cinématographique tel qu’il va s’affirmer au fil des ans. Ces instants, qui ont pour fonction de révéler la force de vie inscrite au plus profond de chaque être et leur force de résistance, semblent chevillés aux corps fatigués mais toujours en marche.
Billy, le jeune protagoniste de Kes, est un mal-aimé de 15 ans, bousculé par les faux-durs de son école comme par son frère aîné, tout cela devant une mère démissionnaire et un père enfui on ne sait où. Loach ne cherche pas à nous faire passer Billy pour un petit ange victime de son environnement. Un peu menteur, un peu voleur, bagarreur, Billy ne nous en apparaît que plus humain. Il est en cela le précurseur de tous les futurs anti-héros du cinéaste, à commencer par Janice, la jeune fille qui lui succèdera dans le terrible et glaçant Family Life (1972) ou, plus proche, Liam, l’adolescent de Sweet Sixteen (2002).
Lorsque le proviseur, qui ne sait que hurler et châtier à coups de baguette sur les doigts des mauvais élèves fumeurs, martèle à ses victimes : « Je ne vous comprends pas… Non, je ne vous comprends pas !« , il s’abuse lui-même. Car ce n’est point de compréhension dont il est ici question. Mais de regard, d’attention. Billy l’explique au seul professeur qui veuille bien s’intéresser à lui : « Si on a de mauvaises notes, c’est qu’on est abruti » [affirment les professeurs, qui] « n’attendent que la fin de la leçon. On ne les intéresse pas et c’est réciproque. » Ce regard, cette attention, voilà justement ce dont Billy a su faire preuve envers son jeune faucon. Un intérêt plein de respect. Billy sait-il qu’il parle de lui-même lorsqu’il évoque à l’enseignant son désir de laisser voler son oiseau librement, le sachant sauvage et impossible à apprivoiser ? Et, enfonçant le clou, il revendique pour Kes son caractère unique, si différent de ces perroquets dont raffolent tant de gens, de ceux qui répètent en boucle, bien sagement et comme le chantait cette même année Ray Davies avec les Kinks : « Yes Sir, no Sir / Permission to speak Sir / Permission to breathe Sir / What do I say, how do I behave, what do I say ? » (1). Cette aspiration à la liberté, cette revendication d’être unique et non robotolomisé, de vouloir échapper à la machine à broyer et à uniformiser que représente un système éducatif reposant tout entier sur l’ordre, la répression et l’hypocrisie, voilà ce qui anime en réalité Billy. Un thème que l’on retrouvera très présent dans les années suivantes, comme une obsession, dans divers concept albums ou opera-rocks des meilleurs groupes anglais tels Schoolboys in Disgrace (The Kinks, 1975), ou The Wall (Pink Floyd, 1979).
Si le constat de Ken Loach est sévère, il demeure juste de bout en bout et ne ferme pas la porte à l’espoir. Une magnifique scène le prouve. Celle où, encouragé par son professeur, Billy communique à ses camarades de classe sa passion pour son faucon, où lui, le cancre, utilise des mots techniques que même son prof ignore Mais cette porte restera-t-elle longtemps entrouverte ? Les applaudissements recueillis risquent fort de rester les seuls qui lui seront jamais accordés. Ken Loach n’a pas choisi de raconter un conte de fée mais de montrer le sort réservé à ceux laissés sur le bord de la route, privés d’argent, de stabilité familiale, d’écoute, d’un système éducatif digne de ce nom. Servi par une distribution en grande partie non professionnelle et par un admirable David Bradley dans le rôle de Billy (élu meilleur espoir du cinéma britannique), Ken Loach réussit une merveille de délicatesse et un modèle d’équilibre entre documentaire et fiction.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.
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