Vendredi 10 Février 2012 à 20h30 – 10ième Festival
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Peter Watkins – Royaume-Uni – 1965 – 50′ – vostf
Une bombe nucléaire tombe dans le comté de Kent en Grande-Bretagne. C’est la panique. Des milliers de morts immédiates. La clarté insoutenable fait fondre les globes oculaires. On brûle les cadavres et on achève les blessés dans les rues. Les stocks de nourriture saine sont pris d’assaut par les pillards. On interviewe les survivants hébétés à qui la Protection Civile conseille d’emporter leur Livret de caisse d’épargne avant de rentrer dans les abris…
Notre critique
Par Philippe Serve
1965. Harold Wilson, Premier ministre travailliste, arrivé au pouvoir de justesse l’année précédente (200 000 voix d’avance et 4 sièges de majorité à Westminster) trahit sa promesse électorale d’un désarmement britannique unilatéral et, tout au contraire, décide d’un renforcement de son arsenal nucléaire. Nous sommes en pleine guerre froide et les Etats-Unis passent à la vitesse supérieure au Vietnam en décidant d’envoyer des forces terrestres au Sud (185 000 hommes à la fin de l’année) et en bombardant massivement le Nord sur lequel seront déversées un demi-million de tonnes en 38 mois. Les arsenaux nucléaires qui recouvrent déjà la planète génèrent la peur d’un grand cataclysme atomique.
Peter Watkins a étudié la question en profondeur et décide de tourner un film qui traitera des conséquences d’une attaque de ce type sur l’Angleterre. Il propose son projet à la BBC. Qui est alors Peter Watkins ? Un jeune réalisateur de 30 ans qui, après quatre court-métrages (dont Le Journal d’un soldat inconnu / The Diary of an Unknown Soldier, 1959 et Visages oubliés/Forgotten Faces, 1961) s’était fait remarqué avec son premier long métrage : La Bataille de Culloden (Culloden, 1964). Tourné pour la toute nouvelle deuxième chaîne de la BBC, le film mettait en scène la dernière bataille ayant eu lieu sur le sol britannique, le 16 avril 1746, à la suite de la révolte écossaise et catholique jacobite menée par le légendaire Bonnie Prince Charlie contre les forces protestantes du Roi George II. L’affrontement tourna au massacre avec plus de 1000 tués du côté des Highlanders rebelles, contre une cinquantaine d’Anglais seulement. Peter Watkins décida de traiter cet événement historique en métaphore de la guerre du Vietnam (et du massacre des highlanders vietnamiens) et sous la forme d’un reportage in vivo, avec interviews sur le champ de bataille des protagonistes. Ce dispositif scénique, ajoutée au fait de tourner uniquement avec des acteurs non professionnels et purement locaux – autrement dit descendants directs des véritables protagonistes, dans le but que les citoyens se ressaisissent de leur propre Histoire – allait devenir la marque la plus caractéristique des oeuvres ultérieures de Peter Watkins. Très bien accueilli par la critique après sa diffusion sur les écrans de la BBC, le film constitua une incontestable innovation dans le domaine du documentaire historique. Peter Watkins reste fidèle à son parti pris cinématographique lorsqu’il tourne The War Game. Cette fois, ce n’est pas le Vietnam qui est visé mais le silence assourdissant des médias britanniques – et en premier lieu de… la BBC – sur les conséquences qu’entraînerait une guerre nucléaire. Vingt ans tout juste, vingt ans seulement après Hiroshima et Nagasaki, la perspective semble tout à fait d’actualité. La Chine vient de rejoindre les Etats-Unis, l’Urss, le Royaume-Uni et la France dans le club des puissances nucléaires. Mais les informations et les avertissements à la population sur le danger effroyable qui flotte au-dessus de sa tête comme une épée de Damoclès au goût d’apocalypse, sont très précautionneusement gardées secrètes malgré le développement de la Campagne pour le désarmement nucléaire (CND). Et les premiers complices de cette chape de plomb et de silence imposée par le pouvoir politique – encouragée par l’armée et soutenue par les églises – sont bien ces médias dont le premier devoir, pense Peter Watkins, devrait précisément être celui d’informer les citoyens, de dire la vérité. Pour ce faire, le cinéaste va s’appuyer sur des faits incontestables, des éléments tirés des deux terribles expériences atomiques précédentes de 1945 mais aussi des bombardements massifs ayant abouti aux destructions totales ou en grande partie de Dresde, Darmstadt, Hambourg ou Tokyo, ainsi que des tests effectués dans le Nevada en 1954. Peter Watkins récolte également toutes les données émanant des pouvoirs publics eux-mêmes, ainsi que de spécialistes : stratèges, membres de la Défense Civile, biophysiciens, médecins, psychiatres.
Rien, absolument rien dans The War Game, n’est inventé. Toutes les interventions – par exemple celles des hommes d’église ou des scientifiques – sont rigoureusement retranscrites et rejouées. Ainsi des propos d’évêques anglo-saxons au Conseil oecuménique tenu au Vatican : « Il faut apprendre à vivre avec la bombe, même sans l’aimer, pourvu qu’elle soit propre et dans le bon camp (of a good family) ». Les scènes d’évacuation massives de la population en cas d’attaque nucléaire sur l’Angleterre (10 millions de personnes, soit 20% de la population) sont directement inspirées du véritable plan établi par le gouvernement britannique en 1962. Les informations distillées par le film, à la manière d’un reportage-type de la BBC, terrifient. On y apprend que le temps accordé à la population entre la détection d’une attaque nucléaire ennemie et l’explosion des ogives nucléaires, se situeraient entre une minute et trois minutes trente. Temps réduit à… trente secondes si l’attaque est lancée à partir de sous-marins. Pas vraiment le temps de voir venir… Filmé caméra à l’épaule, The War Game nous plonge au coeur même du drame, en plein chaos, en pleine horreur. La retransmission de ce que l’on nomme « tempête de feu » – déclenchée par l’explosion nucléaire mais pas seulement, voir les cas de Dresde ou Hambourg – relève tout simplement du grand cinéma. Les très nombreux gros plans sont saisissants, véritables portraits photographiques renvoyant à ce qu’avait déjà fait Watkins avec maestria dans son Forgotten Faces, reconstruction de la révolution hongroise de 1956. En moins de 50 minutes, on en apprend plus sur le sujet – et de manière indélébile – qu’en 20 ans de visionnage de télévision. 20 ans, le temps pendant lequel la BBC interdira la diffusion du film, non seulement sur ses ondes mais également à l’étranger. Elle prétendra, têtue, avoir pris seule la décision alors qu’il apparaîtra vite qu’elle avait elle-même foulé aux pieds sa propre indépendance sous la pression du gouvernement de sa Très Gracieuse Majesté à qui elle avait diffusé en grand secret le brulot de Peter Watkins. Incapable de s’assumer et de prendre ses responsabilités, Auntie (« Tatie« , surnom de la BBC) affirmera avoir choisi de ne pas diffuser le film uniquement sur des critères de qualité : « Une partie de ce projet était expérimental, comme dans toute production télévisée. De tels programmes expérimentaux échouent parfois et doivent être abandonnés en cours de route, en dépit des dépenses déjà effectuées. Ils n’en sont pas moins nécessaires au développement du média et ce genre d’échecs constitue le prix que nous devons être prêts à payer si nous voulons apporter de nouvelles formes et de nouveaux sujets dans le cadre de la télévision« . Plus hypocrite, tu meurs ! Et la Beeb se porte toujours bien, merci pour elle…
Si La Bombe (le film en fut et continue bien à en être une !) constitue l’un des documents les plus terrifiants et les plus poignants jamais tournés, il ne le doit pas seulement à la force de son sujet ou à l’impact des faits révélés mais aussi à la maestria de la réalisation cinématographique. S’entourant de techniciens de très haute qualité – notamment Peter Bartlett à la photo et Michael Bradsell au montage – Peter Watkins démontrait une parfaite maîtrise et une vraie vision artistique qu’il sut peut-être égaler plus tard (Punishment Park, 1970; Edward Munch, 1973; La Commune, 1999) mais sans doute pas dépasser. Son agilité à dissoudre les frontières entre fiction et réalité, à rendre le spectateur éveillé et, d’une certaine manière, aussi participatif que ses comédiens amateurs en une sorte d’interactivité cinématographique, la précision de son discours – résolument engagé – et sa foi en l’outil cinéma, sont autant d’éléments ayant permis à The War Game de faire partie de ces oeuvres que l’on se doit tout simplement d’avoir vues au moins une fois dans sa vie. D’autant que si la guerre froide est terminée, 20 000 têtes nucléaires persistent à pointer leur nez de par le monde. Quant à la collusion médias-pouvoirs politiques nous tenant à l’écart des vrais enjeux, allumez juste votre télévision ou votre poste de radio et vous y entendrez – à condition de savoir écouter comme nous y a toujours invité Peter Watkins – un lourd silence perdu dans le vacarme de la monoforme, selon la dénomination chère au cinéaste.
Sur le web
Commande officielle de la B.B.C., ce stupéfiant « documentaire d’anticipation« , sur le déclenchement de la guerre atomique, ressemble à une version filmée de La Guerre des mondes d’Orson Welles construite à base de pseudo-images d’archives. Cinglante diatribe contre les silences du pouvoir, la diffusion de La bombe a été uniquement autorisée au cinéma par crainte que le film déclenche un vent de panique et pousse les spectateurs au suicide. La Bombe a obtenu l’Oscar du documentaire aux États-Unis et le Grand prix du court métrage à la Mostra de Venise. La B.B.C. a interdit sa diffusion télévisuelle dans le monde entier jusqu’en août 1985.
Après des études d’art dramatique à l’Académie Royale de Londres (RADA), Peter Watkins passe à la réalisation avec deux essais prometteurs : The Diary of an Unknown Soldier (1959), reconstitution d’une tranchée anglaise de 1916 dans la campagne british, et The Forgotten Faces (1961) sur le soulèvement de Budapest en 1956. En 1963, il est engagé à la B.B.C. et y réalise deux films très controversés, La Bataille de Culloden (1964) et surtout La Bombe (1966), censuré sur le petit écran anglais, mais qui le fera connaître dans le monde entier. Devenu un spécialiste de la politique-fiction, ses opus suivants se signaleront de plus en plus par la virulence de leurs attaques : Privilège (1967) sera un des premiers films à évoquer les arcanes du rock, Les Gladiateurs évoque l’amour immodéré des peuples pour les jeux et Punishment Park (1971), son deuxième film américain, imagine une sorte de goulag made in USA où les jeunes contestataires servent de cible à la police. Avec Edvard Munch, la danse de la vie (1976), le jeune « homme en colère » renouvelle son style en apportant une dimension nouvelle au genre de la biographie d’artiste. En 1977, il dénonce à nouveau, avec Force de frappe, la course aux armements nucléaires, sujet qui lui inspirera une odyssée de 14 heures tournée sur trois ans, Le Voyage (1987).
Peter Watkins s’explique: « J’ai réalisé La Bombe à une époque où le gouvernement anglais (et la B.B.C.) faisait l’apologie de la force de dissuasion nucléaire. La propagande officielle assurait la population que les mesures prises par la Protection Civile en Grande-Bretagne une farce aux bonnes intentions permettraient au pays de pouvoir se relever après une guerre nucléaire totale. Juste avant de démarrer le tournage du film, j’ai envoyé le scénario au British Home Office (l’équivalent de notre Ministère de l’Intérieur, NDR), institution gouvernementale en charge du Programme de Protection Civile. J’avais dans l’idée de leur poser des questions sur la localisation des abris anti-atomiques en Grande-Bretagne. Le British Home Office a appelé la chaine en état de panique et, dès lors, la B.B.C. a tout fait pour m’empêcher de tourner les prises de vue ont duré quatre semaines, et le tournage s’est déroulé au printemps 1965. Une fois le montage de La Bombe achevé, la B.B.C. a saisi le film pour statuer sur son sort. A partir de ce moment-là, on ne m’a plus donné une information sur ce qui se passait. Par la suite, j’ai appris que les pontes de la B.B.C. avaient, en septembre 1965 et par deux fois, secrètement projeté le film aux membres du Cabinet du Premier ministre d’alors, Harold Wilson, et les avaient invités à donner leur opinion sur le bien fondé de sa diffusion à la télévision britannique. Avaient été aussi conviés à ces projections, le British Home Office, le ministère de la Défense nationale et le Post Office (le CSA anglais, NDR). En agissant de la sorte, la B.B.C. avait violé sa Charte d’Indépendance. J’ai donc immédiatement remis ma démission, et j’ai informé la presse de cette affaire. Ignorant les milliers de lettres des téléspectateurs et les injonctions de nombreux notables qui demandaient que La Bombe soit diffusé, la B.B.C. a décidé, en novembre 1965, de bannir le film. Face à la montée de la protestation populaire, la B.B.C. s’est résolue, en février 1966, à organiser six projections exceptionnelles de La Bombe au National Film Theatre à Londres. Seuls étaient invités, toutefois, les membres de l’establishment et des journalistes pro-nucléaires. Les autres, à savoir le reste de la presse et le public, ne pouvaient pas accéder à la salle, un cordon de sbires de la B.B.C. leur en interdisant l’accès. Avec ce documentaire, je n’ai pas cherché à exagérer l’horreur de la situation. Si La bombe choque le spectateur, ce n’est pas parce qu’on a eu recours à des effets de terreur, mais parce qu’il voit pour la première fois, avec l’évidence de l’image, ce qu’il ne veut pas voir et ce qu’on ne lui laisse pas voir.«
Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve
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