Jeudi 02 juin 2005 à 20h45 – 1er Festival de Printemps 2005
Film de Satyajit Ray – Inde – 1955 – 1h55 – vostf
Dans un petit village du Bengale, un enfant prénommé Apu naît dans une famille de pauvres gens où il y a déjà une fillette, Durga. La vie est dure et le père, un lettré qui vit dans ses rêves, ne parvient pas à nourrir tout le monde. Durga et sa mère pilent le manioc et épluchent les légumes. Apu grandit et va à l’école. Il écoute les histoires que lui conte et chante à la veillée Tante Indir…
Révélation du Festival de Cannes 1956, ce chef-d’œuvre humaniste fit découvrir aux occidentaux un auteur majeur et désormais incontournable : Satyajit Ray. Cependant, une large partie du public et de la critique le boudère. Seul A. Bazin et quelques rares chroniqueurs en remarquèrent les grandes qualités. Pather Panchali est le premier volet d’une trilogie dont les deux autres films (Aparajito / L’Invaincu, 1956 et Le Monde d’Apu, 1959) poursuivent la biographie imaginaire du jeune héros. Sous l’influence de Jean Renoir dont il avait suivi le tournage en Inde du film Le Fleuve et qui avait provoqué sa « conversion« , Satyajit Ray, de peintre qu’il était, devint avec Pather Panchali, premier film plus qu’inspiré, un cinéaste fondamental, le plus grand de son immense pays.
Filmographie (sélective) de Satyajit Ray : Pather Panchali (1955), Aparajito (191957), Le salon de musique (1958), Le Monde d’Apu (1959), La Déesse (1960), Trois filles (1961), La Grande ville (1963), Charulata (1964), Le Lâche (1965), Des jours et des nuits dans la forêt (1970), L’Adversaire (1970), Les Joueurs d’échecs (1977), Le Dieu éléphant (1978), Le Royaume des diamants (1980), Délivrance (1981), La Maison et le Monde (1984), Un Ennemi du peuple (1989), Les Branches de l’arbre (1990), Le Visiteur (1991).
Philippe Serve
Sur le web
Lorsque.Satyajit Ray a démarré la production de La Complainte du sentier, il avait un peu plus de 30 ans et un bagage essentiellement cinéphile, gagné par des heures d’analyse dans les salles obscures et le soutien de Jean Renoir, qu’il a assisté sur le tournage du film Le Fleuve à Calcutta. La découverte du Voleur de Bicyclette signé Vittorio De Sica, offrant un regard sans concession sur la misère humaine et lançant le néo-réalisme, l’a convaincu de passer derrière la caméra. Il n’imaginait pas que son projet, conçu en dehors des normes en vigueur dans le cinéma indien (composé uniquement de comédies musicales), l’occuperait trois années durant…
Satyajit Ray a choisi pour son premier film d’adapter un roman autobiographique de Bibhutibhushan Bandopadhyay, intitulé Pater Panchali. Il a contacté pour cela des producteurs, qui ont accepter de donner vie au projet à condition que le réalisateur passe le tournage en studio, accompagné de célébrités. Ray refusa et finança le film avec l’entièreté de ses fonds propres (et est allé jusqu’à revendre les bijoux de sa femme) et dénicha des acteurs amateurs. Il tourna uniquement le week-end, étant pris par son travail la semaine, jusqu’à ce qu’un an d’interruption menaça l’existence même du projet. La situation sera débloquée grâce à une intervention étrangère et par des fonds provenant du gouvernement bengali. Au total, cinq ans se seront écoulés entre l’écriture du scénario et la sortie du film.
» Pather Panchali obtint un grand succès public et critique au Bengale et valut à son réalisateur une reconnaissance internationale immédiate. Si l’univers de Ray reste profondément indien, il est en effet patent que ses inspirations néo-réalistes le destinait aussi à conquérir un public occidental. Ray détestait la production hindi dominante en Inde: pas question pour lui de céder à la mode des films de 3h entrecoupés de séquences musicales exaltant l’amour d’une belle héroïne et de son prince charmant. Pather Panchali révolutionne tous les codes du cinéma indien: tourné avec des acteurs pour la plupart amateurs, dans le décor ultra réaliste d’un pauvre village bengali, sans chansons mais bercé par les circonvolutions du sitar de Ravi Shankar, le film raconte la naissance du petit Apu et sa survie auprès d’une sœur espiègle, Durga, d’une mère Courage et d’un père absent.
L’industrie indienne déplora que Ray puisse montrer l’Inde dans la plus navrante réalité de son statut tiers-mondiste; il n’y a rien pourtant de misérabiliste dans Pather Panchali. C’est avec pudeur que le cinéaste décrit le quotidien de cette famille où manger deux repas par jour est une fête mais où il faut le plus souvent se contenter de grignotages aléatoires. À l’instar d’un autre chef d’œuvre, Les Temps modernes de Chaplin, le thème de la faim est central dans le film: c’est autour d’un fruit volé ou d’un marchand de bonbons que les personnages se retrouvent et trompent la misère. Avec la faim, vient la résignation et/ou le silence pour les adultes et l’incompréhension pour les enfants. La joie et l’amour ne sont pas pour autant absentes du film, ni traités avec simplicité: l’agressivité de la mère, personnage magnifique, n’a d’égale que le don de soi et l’abnégation dont elle fait preuve. Douleur et bonheur vont de pair et Pather Panchali conjugue parfaitement la magie du sourire de Durga, filmée en gros plan, ou la souffrance atroce du père qui apprend, au retour d’un long voyage, que sa fille a disparu pour toujours, et hurle silencieusement, sans émotions factices mais dans l’émotion brute de l’instant et la rythmique si particulière au cinéma indien, où le temps semble s’écouler plus lentement qu’ailleurs.
La grande réussite de Ray se trouve bien dans la façon dont il s’empare de ses influences néo-réalistes italiennes pour faire un film aux thématiques profondément indiennes. Ray, qui venait de la grande bourgeoisie bengalie, ne connaissait rien de l’existence des villageois pauvres. Il lui insuffle pourtant un grand réalisme, tout en faisant résonner les thématiques qui lui sont chères. En Inde, le cinéma fit et fait toujours beaucoup pour la reconnaissance du rôle vital des femmes dans un pays où elles sont encore traitées comme des êtres inférieurs. Dans Pather Panchali, Ray souligne sans avoir l’air d’y toucher l’injustice dans le traitement réservé au fils, choyé et éduqué, quand la fille n’est bonne qu’à recevoir des gifles ou à balayer le sol de la maison. Dans le foyer, c’est pourtant la mère qui porte à bout de bras la vie des enfants quand le père fait mine de se déclarer poète; quant à Apu le petit homme, il est guidé en tout par sa sœur plus débrouillarde que lui et ne fait que recevoir et observer d’elle. Lorsqu’elle meurt, c’est une partie de l’univers du petit garçon qui disparaît à jamais; en prenant l’initiative de jeter dans le fleuve les perles qu’elle avait volées, il se montre enfin capable de prendre lui-même en charge sa vie, ce qu’il fera dans les deux volets suivants de la «trilogie d’Apu», Le Monde d’Apu et L’Invaincu.
Au-delà du grand bouleversement que constitua pour le cinéma indien la sortie du film, comme de la naissance d’un grand maître, Pather Panchali amène aussi à vivre l’Inde autrement que dans la vision exotique des palais de maharajahs et à relativiser les images terrifiantes de la pauvreté. Bien avant d’être un pays du Tiers-Monde ou un fantasme de Blancs nourris au karma et au yoga, l’Inde est un pays à la culture millénaire, aux ambitions artistiques dignes de sa démesure et au cinéma riche de mille joyaux. Pather Panchali est de ceux-là. » (critikat.com)
La Complainte du sentier a relevé deux défis à sa sortie en 1957 : ouvrir la voie à une nouvelle conception du cinéma en Inde et faire fi de son budget restreint pour atteindre le grand public. Le premier challenge déclencha en partie le rejet des autorités du Bengali, accusant le film de ne présenter qu’une vision négative du pays, loin des comédies musicales enjouées d’usage. Le deuxième brilla au travers d’un succès local et d’une reconnaissance internationale, à la tête de laquelle trônait le prix cannois du document humain en 1956. Aujourd’hui, le long-métrage continue d’être salué par des institutions, comme la BFI, qui l’intègre à son classement des « 50 films qu’il faut avoir avant 14 ans« .
Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.
Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h30 précises.
N’oubliez pas la règle d’or de CSF aux débats :
La parole est à vous !
Entrée : 7,50 € (non adhérents), 5 € (adhérents CSF et toute personne bénéficiant d’une réduction au Mercury).
Adhésion : 20 €. Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, ainsi qu’à toutes les séances du Mercury (hors CSF) et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier.
Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici