La Flamme verte



Samedi 18 Mai 2024 à 20h

Cinéma Jean-Paul Belmondo (ex-Mercury) – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Mohammad Reza Aslani, Iran, 2008, 1h50, vostf

Nardaneh est destinée à être mariée avec un homme mort. Un jour, elle se perd dans un désert et se retrouve enfermée à l’intérieur d’une forteresse dépourvue de porte. Elle parvient à pénétrer dans une chambre où repose le corps inerte d’un homme, son futur époux, qui ressuscitera si quelqu’un lit le livre posé à son chevet, pendant sept nuits et sept jours. Nardaneh entreprend la lecture, ce qui l’entraîne à travers l’histoire de l’Iran, depuis l’Empire arsacide jusqu’à l’époque moderne, en explorant la mythologie iranienne et le mysticisme persan. Le septième jour ne se déroule pas comme prévu : l’arrivée d’une servante provoque des conflits et modifie ainsi le cours du destin de Nardaneh…

A propos du réalisateur Mohammad Reza Aslani

Né en 1943, Mohammad Reza Aslani est un poète, graphiste, scénariste, théoricien et réalisateur iranien.

Diplômé de l’université des beaux-arts et de l’école de cinéma de Téhéran, Aslani commence à travailler d’abord en tant que chef décorateur à la télévision iranienne où il rencontre Fereydoun Rahnema, poète et cinéaste, grâce à qui le jeune Aslani fait son premier court-métrage documentaire/expérimental, La Coupe Hassanlou, en 1964. Rahnema envoie le film à Henri Langlois qui réagit positivement et le projette à la Cinémathèque française, ce qui permet à Aslani d’avancer dans sa carrière de cinéaste.

Jusqu’en 1975, Mohammad Reza Aslani se fait remarquer en tant que scénariste de films d’auteur, notamment pour Les Mongols (1974) et Le Jardin des pierres (1977) de Parviz Kimiavi, Le Matin du quatrième jour (1972) de Kamran Shirdel et L’Impasse (1974) d’Amir Naderi. En parallèle, Aslani continue à réaliser d’autres courts-métrages documentaires et de fiction, notamment La Caille : le garçon qui demandait (1970) avec un style proche de l’esthétique des films de Bresson. Cela lui vaut la réputation de cinéaste ‘‘trop intellectuel’’ et son cinéma est critiqué comme ‘‘impopulaire’’ à cause de sa distance avec l’esthétique du cinéma iranien dominant : une étiquette qui allait miner la suite de sa carrière.

Aujourd’hui, grâce à la redécouverte de son premier long-métrage L’Echiquier du vent (1976), puis de son second film La Flamme verte (2008), Aslani est considéré comme l’une des plus importantes figures du cinéma d’auteur iranien.

Notre Article

par Josiane Scoleri

Mohamamd Reza Aslani, cinéaste, poète, romancier, graphiste était totalement inconnu en Europe il y a encore deux ans, malgré ses multiples talents et sa longue carrière. La découverte de L’échiquier du vent, film réputé perdu, miraculeusement ressurgi des oubliettes après plus de 40 ans, nous avait déjà ébranlé. Avec La flamme verte, son deuxième long-métrage tourné en 2008, c’est un véritable éblouissement. En effet, Aslani appartient très clairement à la galaxie des cinéastes-poètes, quelque part du côté de Paradjanov et de Pasolini. Ce n’est certes pas la moindre des compagnies.

Il n’y a pas un plan dans le film qui ne soit un tableau tant la composition est millimétrée. (couleurs, lumière, volumes, etc…). Et pourtant Aslani évite sans effort le risque de maniérisme qui aurait pu plomber le film et le faire tomber dans une sorte d’imagier orientaliste. Il va tellement loin dans le chatoiement des étoffes, dans l’agencement méticuleux des objets, la virtuosité des clairs-obscurs et le bain sonore dans lequel il nous plonge qu’il élève le film vers une tout autre dimension. En effet, les longs plans-séquence sont habités par une tension qui porte le film. C’est ce qui lui donne son unité profonde malgré une construction en labyrinthe où nous nous perdons volontiers sans la moindre envie d’en sortir.

Aslani reprend à son compte le principe des «Mille et une nuits» faisant de La flamme verte une véritable profession de foi dans le pouvoir du récit, capable non seulement de maintenir en vie, mais même de nous faire revenir de la mort. Ainsi Nardaneh (sublime Mahtab Keramati qui porte le film de bout en bout) entreprend-elle par la lecture à voix basse des 7 récits du livre au chevet du mort de ressusciter l’époux qu’on lui destinait. La chronologie s’entremêle, entre mythes et légendes de la Perse antique. Nous cheminons comme dans un rêve dans des décors plus grands que nature, du plus dépouillé au plus exubérant, dans une conscience flottante entre deux mondes où l’on ne sait jamais si ce que nous voyons relève à proprement parler du récit censé se dérouler sous nos yeux ou d’une divagation hallucinatoire. Cette impression est encore renforcée par l’apparition des mêmes acteurs dans chacun des chapitres, malgré la diversité des personnages.

Nos repères et notre conception linéaire du temps s’en trouvent singulièrement malmenés. Ce n’est certainement pas ainsi que l’écriture de scenario est enseignée dans les écoles de cinéma! Et pourtant, au milieu toutes ces ramifications, la progression dramatique du film s’amplifie savamment tout au long des sept chapitres jusqu’au dénouement final qui nous prend par surprise, dans une ultime fulgurance visuelle où la forme épouse le fond si intimement qu’ils en deviennent stricto sensu absolument indissociables. C’est d’ailleurs le défi que relève ce film de faire advenir, précisément par les moyens du cinéma, non seulement des récits fondateurs de la culture persane, mais aussi des traits essentiels de la philosophie et des religions pré-islamistes.
Par exemple, le thème du miroir qui sert d’alpha et d’oméga au film, est par essence l’objet symbolique de l’introspection, pratique indispensable qui caractérise toutes les philosophies orientales.

De même, le montage éclaté qui nous fait perdre nos repères temporels renvoie indirectement à la poursuite du dépassement de l’ego, autre thème essentiel de l’Orient. Ou encore les panoramiques plutôt rapides pour aller d’un personnage à l’autre qui pointent notre interdépendance ontologique plutôt qu’un champ/ contre-champ classique où chaque personnage est fortement individualisé, notamment dans les dialogues. On comprend au fur et à mesure de la progression du film que nous sommes bien loin d’une simple illustration.

Pour le public iranien, les allusions au «Livre des Rois», aux Odes de Rumi ou au philosophe mystique rebelle Sohrevadi sont nécessairement limpides. Si elles le sont nettement moins pour nous, spectateurs occidentaux, nous percevons néanmoins clairement le propos et les intentions du réalisateur. Et nous sommes prêts à le suivre dans cette ronde à la fois poétique et métaphysique, quitte à nous perdre un peu par moments. Aslani prend bien soin d’ouvrir et le film par une scène contemporaine dans un geste qui pose ainsi d’entrée de jeu la continuité de l’Histoire, à l’opposé du récit officiel qui préfère parler d’une rupture tranchée entre un avant et un après l’enracinement de l’islam en Iran. Cette affirmation est en soi un engagement de la part de l’artiste face au pouvoir symbolisé ici par l’institution de la justice.

De manière générale, il est beaucoup question de pouvoir dans La flamme verte. Le pouvoir qui s’acquière par la force et la ruse et qui se perd de même dans un mouvement de balancier qui semble être toute l’histoire de l’humanité. Aslani s’avère très habile dans l’art de tisser son récit pour passer sans couture d’une époque à l’autre. Notamment avec l’irruption aux deux tiers du film du personnage du photographe, sortant d’une voiture brinquebalante, avec son immense l’appareil photo. Les époques se télescopent sous nos yeux dans ces paysages qui tiennent du début du monde. L’impression tenace d’un mirage ne nous lâche pas et nous ne retrouvons de nouveau dans le même tribunal qu’au début. Où le juge avoue son impuissance.

Alors dans ce film où une même actrice incarne plusieurs personnages de femmes irradiant de force à travers toutes les vicissitudes de la vie, des femmes qui prennent leurs décisions pour elles-mêmes en dépit des apparences, des femmes en situation d’exercer le pouvoir, comment ne pas penser au mouvement qui traverse l’Iran depuis plusieurs années, illustré par le magnifique slogan: «Femmes, Vie, Liberté». Comment ne pas rêver à la fragilité du régime en place? La flamme verte a été tourné en 2008, soit près de 15 ans avant les manifestations qui ont ébranlé le régime. Une fois encore le poète aura été visionnaire.

Sur le web

Véritable élément du patrimoine cinématographique iranien pourtant méconnu en Occident, La Flamme verte repose sur une structure complexe et passionnante, puisant son inspiration dans la fable iranienne du Sangu-e SabourLa Pierre de patience ») et dans plusieurs passages du recueil poétique de Ferdowsi, œuvre majeure de la mythologie iranienne, ainsi que dans la philosophie illuminative de Sohrevardi et les profondes réflexions mystiques des poèmes de Roumi. Le cinéaste Mohammad Reza Aslani déploie une esthétique visuelle flamboyante qui fusionne habilement la miniature persane, notamment celle de l’école Qajar, avec les chefs-d’œuvre de la peinture occidentale, comme ceux de Georges de La Tour, Vermeer et Rembrandt. À travers sa narration labyrinthique, La Flamme verte tisse une atmosphère onirique où le temps cesse d’être linéaire et où les personnages voyagent à travers les différentes époques de l’histoire de l’Iran. Inédit en France, La Flamme verte est une splendide méditation sur la quête de l’Absolu.

« La fable Sangu-e Sabour (“La Pierre de patience”), équivalent indo-iranien de La Belle et la Bête, constitue la trame centrale du récit de La Flamme verte. Au cours du septième récit du film, Nardaneh aspire à obtenir une pierre de patience pour y déverser ses tourments et ses mélancolies, ainsi qu’un miroir magique afin d’exposer la vérité face aux perfidies et à la traîtrise de sa servante. […] À travers ces jeux de miroir, le cinéaste reprend les paroles du poète Dehlavi concernant la nature illusoire du reflet. Aslani met l’accent sur la vision déformée de l’être humain à l’égard de la réalité, de sa propre personne, d’autrui, du temps et de l’espace. En plaçant un miroir magique (déformant) devant la caméra, il convie le spectateur à observer à son tour les personnages et éventuellement le monde à travers ces miroirs, en vue de se rapprocher d’une vérité enfouie. Selon le cinéaste, “l’histoire de l’Iran est jalonnée de trahisons ayant entraîné la chute de chaque empire, de chaque dynastie, parce que les souverains se sont contentés de contempler la réalité à travers un miroir qui leur en offrait une vision altérée, plutôt que de chercher à discerner la vérité”. En reconstruisant des épisodes de l’histoire de l’Iran et des fragments du récit mythologique de Ferdowsi sur le roi Haftvad au sein de la fable persane Sangu-e sabour, Aslani évoque d’une manière symbolique l’état actuel de la société iranienne. Le cinéaste illustre par son film l’idée qu’une issue possible pour échapper à l’impasse sociopolitique réside dans le courage de se scruter à travers un miroir magique et d’accueillir la vérité. Dans L’Échiquier du vent (1976), Aslani avait anticipé comment les religieux pourraient accéder au pouvoir en trompant les opprimés du pays. En 2007, dans La Flamme verte, Aslani prophétise l’importance du rôle des femmes pour échapper à la répression qui sévit en Iran. “Nardaneh représente un exemple de ces femmes iraniennes, capables d’offrir une renaissance à leur patrie inerte, ayant courageusement affronté leur propre reflet dans le miroir magique, en vue de mieux se connaître, de mieux appréhender le monde et de saisir le véritable sens de la liberté”. » (Gita Aslani Shahrestani)

En 2021, nous avions pu voir L’Echiquier du vent du cinéaste iranien Mohammad Reza Aslani, film tourné en 1976 et resté inédit en France jusqu’à la distribution de cette œuvre par Carlotta Films – et une sortie vidéo quelques mois plus tard. Œuvre fascinante, mélange de suprême élégance et de cruauté raffinée, L’Echiquier du vent prouvait qu’on peut encore exhumer des trésors cinématographiques qui semblaient voués à l’oubli et constater comme le dit Martin Scorsese que « nous pouvons considérer Aslani comme une nouvelle voix dans le cinéma nous appelant depuis le passé ». Aussi, la perspective de découvrir un autre long-métrage du réalisateur d’un tel chef d’œuvre pouvait provoquer à la fois une attente exigeante et la peur d’être déçu.

La Flamme verte, tourné en 2008, répond parfaitement aux espoirs de voir une histoire aussi riche formellement et aussi superbement écrite que l’était L’Echiquier du vent. On est ici face à une sorte de conte, tiré à la fois d’une fable iranienne, de plusieurs passages d’un recueil poétique et de réflexions philosophiques. On navigue entre plusieurs époques, peut-être même entre différents niveaux de réalité. Le vieil homme a-t-il rêvé qu’il devenait gouverneur ? À quelle époque vivent réellement les personnages ? L’existence ne serait-elle finalement qu’un songe, parfois idyllique, parfois cauchemardesque ?

Brassant des thèmes comme le pouvoir, la vérité et le mensonge, les croyances et superstitions, La Flamme verte navigue entre tradition et modernité. D’une beauté formelle inouïe, le film déploie une histoire teintée d’onirisme et de mysticisme qui invite à s’abandonner. Il faut laisser de côté son esprit trop cartésien, accepter de ne pas forcément tout comprendre à cette intrigue labyrinthique et se laisser porter par la splendeur des images, la musique envoûtante. La mise en scène majestueuse, la beauté des mouvements de caméra, les mélopées hypnotiques et enivrantes, tout cela est au service d’un récit sur l’illusion existentielle, l’intemporalité des grandes vérités de la vie et de la mort. On trouve dans La Flamme verte des scènes magnifiques, stupéfiantes comme celle des aveugles, celle de ces images de chevaux qui se cabrent ou les lentes déambulations dans le mystérieux palais.

Après le choc esthétique de la découverte de L’Echiquier du vent, voici donc un autre trésor de Mohammad Reza Aslani, un film passionnant par la forme et le fond, une œuvre d’une grande richesse qu’une seule vision ne semble pouvoir épuiser. (lebleudumiroir.fr)

… Le film de Mohammad Reza Aslani permet de s’immerger dans l’histoire Perse du pays, l’Empire arsacide jusqu’à l’époque moderne, et d’en rencontrer certains de ses personnages historiques. Ainsi, le spectateur, à travers l’intrigue principale, va découvrir quelques chapitres de l’histoire iranienne dans lesquels une certaine violence s’invite.

Mahtab Keramati est remarquable en personnage principal lisant, jour après jour, des récits prenant vie devant les yeux des spectateurs. Pegah Ahangarani est formidable en servante nouvellement arrivée. Les autres comédiens interviennent à différents moments, dans des rôles variés, de temps en temps même dans plusieurs des chapitres narrés.

Le film se déroule dans de nombreux décors, qui sont parfois dans des ruines imposantes. Il bénéficie des costumes variés de Zhila Mehrjui et de Sholeh Navab Tehrani permettant de représenter différentes périodes. On peut aussi apprécier la diversité des tenues habillant des individus étant aussi bien des paysans que des nobles, voir des rois.

L’œuvre montre une succession de transformations de l’Iran, basées souvent sur les trahisons qui ont impacté durablement les périodes où elles se sont déroulées.

Le fil rouge de l’intrigue se focalise sur une étrange histoire d’amour surprenante dans laquelle une femme honore les injonctions qu’une étrange voix la pousse à respecter. Alors que son propre destin est perturbé par l’arrivée d’une nouvelle venue qui va aussi avoir un impact sur son avenir semblant tout tracé.

La belle photographie de Morteza Poursamadi s’associe fort bien avec la musique très agréable de Mohammad Reza Darvishi. En effet, cette dernière est parfois très importante et agrémente parfaitement un récit qui reste longtemps en mémoire… (unificationfrance.com)

… Le film s’ouvre par un verset de la deuxième sourate du Coran : « Comment pouviez-vous renier Dieu ? Vous qui étiez mort et à qui Il donna la vie ? Il vous fera mourir et vous fera revivre encore jusqu’à ce que vous soyez ramené à ses côtés. » À travers ces mots sacrés introductifs, se dessine la double identité de l’Iran, prise entre le zoroastrisme (religion iranienne fondée au VIe siècle, incarnée par le feu et dont le principe de « rénovation finale » symbolise l’espoir de la résurrection) et la loi du Coran. Cette flamme verte homonyme, c’est le brasier qui représente les zoroastriens, conjugué au vert qui pare les atours de l’Islam.

La première image panote sur la statue d’un groupe : un homme debout tenant une balance tandis qu’en superposition sonore, une femme plaide la justice auprès d’un juge. Ce sens de la justice et, plus exactement, les vertus du libre arbitre, de la faculté de se déterminer, est au cœur même du zoroastrisme. L’origine orientale de cette religion, comme le confucianisme ou le shintoïsme, explique probablement sa faculté d’être une foi en même temps qu’une sagesse.

Après ces prolégomènes formels, s’ensuit la séquence d’un homme au volant d’une Audi rouillée, avec 2 femmes voilées à son bord, aux portes d’un château en ruine. Dans ce désert contemporain, ils s’arrêtent au milieu d’une route, dans un paysage à la puissance tellurique et à la doublure sepulcrale typiquement iranienne (pour qui a longtemps sillonné les rhizomes pittoresques des films de Kiarostami).

Après avoir pénétré le château, la plus jeune des deux femmes se perd dans l’obscurité du bâtiment, tandis qu’une voix pousse un chant traditionnelle : « C‘était la nuit de Zamzam. Les larmes vertes couleront. Jusqu’à Sarandib. » On saisit alors que, comme dans une incantation de Shéhérazade, la même protagoniste se voit propulsée dans un pays fastueux, où la végétation a retrouvé ses droits et les parures persanes toute leur splendeur d’antan.

Dans la beauté des décors, comme cette chambre diaphane où repose la silhouette inerte d’un homme, transpercé de flèches, serti par les tentures qui cernent le lit, gît l’imaginaire des grands Modernes (Bergman, Tarkovski, Angelopoulos). Dans ce faste pittoresque, traverse aussi le souvenir de Paradjanov, celui que Godard qualifiait de « gardien du temple de la couleur au cinéma » .

Le film traverse, en autant de séquences orchestrées comme les strophes d’un sonnet, des périodes phares de l’Histoire du pays, en en chantant les louanges. Ce contraste avec le réalisme cru auxquels les films de Farhadi et Roustaee nous ont habitués donne à découvrir ou à se rappeler la profondeur poétique de l’Iran…

… Cette traversée dans le passé (dont Faulkner n’aura jamais eu assez raison en ayant écrit « Le passé n’est jamais mort, il n’est même pas passé ».) offre à la fois au cinéaste et à son spectateur l’opportunité de traverser l’imaginaire moderne de l’artiste (et qui tend plutôt du côté de l’Est, en Europe) et l’histoire aux influences orientales de son pays… (eastasia.fr)

La Flamme verte est inédit en France. Nardaneh souhaite ressusciter son futur époux tué au combat par 7 flèches. Pour cela, elle doit rester éveillée 7 jours et 7 nuits et lire le livre posé au chevet de son mari. La chambre où repose le corps est située à l’intérieur d’une forteresse sans portes d’où Nardaneh ne peut s’échapper. Elle commence une lecture qui l’entraîne à travers l’histoire de l’Iran, de l’Empire Arsacide jusqu’à l’époque contemporaine, le film explore la mythologie iranienne et le mysticisme persan dans un déroulé onirique… Le réalisateur a attendu plus de 30 ans pour réaliser son 2e film. Mohammad Reza Aslani insiste dans son film pour créer une esthétique flamboyante, avec une caméra au mouvement constant qui voyage dans un univers hors du temps. Les jeux d’ombre et de lumière mettent en valeur les lieux et la beauté des histoires.

Le film est une splendeur visuelle qui se base autant sur l’art de la miniature persane que sur la peinture occidentale. La méditation est intense et le film doit être vu sur grand écran pour en admirer toute la magnificience. (publickart.net)

… Poète et réalisateur iranien engagé, Mohammad Reza Aslani n’a jamais bénéficié en Occident, de l’exposition à laquelle ont eu droit certains de ses compatriotes, tels qu’Abbas Kiarostami ou Asghar Farhadi. Pire encore, sa première fiction, L’Échiquier du vent est restée longtemps invisible, la plupart des copies ayant été détruites par le régime politique, car le film contrevenait aux bonnes mœurs… Fort heureusement, ce petit bijou a profité d’une complète restauration il y a quelques années et les cinéphiles ont pu enfin découvrir une œuvre unique, pétrie par le symbolisme un poil maniéré de son auteur.

Et c’est désormais l’autre travail du réalisateur, à savoir La Flamme verte (produit en 2008) qui est mis à disposition de ces mêmes curieux. Sorti de sa quasi-retraite à l’époque, Mohammad Resla Aslani avait proposé cette fois-ci une fable initiatique, déconcertante, très éloignée a priori de la critique bourgeoise de l’Échiquier du vent et pourtant très proche dans sa forme et dans les thématiques abordées… De fait, La Flamme verte s’impose davantage comme un objet non identifié qu’un pur produit expérimental, ce qui le rend d’autant plus précieux.

Pourtant, rien ne prédispose à un tel voyage à travers le temps, puisque l’introduction, très sage, voire convenue, présente un couple à la limite de la rupture, venu chercher réparation au tribunal pour des raisons incongrues (surtout lorsque l’on connaît le sort réservé aux femmes en Iran). Mais le côté justement ubuesque de l’affaire en question permettra d’immerger progressivement le spectateur dans un désert aride, au sein duquel se dresse une étrange fortification qui a bravé les âges, malgré les soubresauts liés à la guerre et aux complots en tout genre.

Et dans ce remous perpétuel, deux époux doivent braver les tempêtes. Mohammad Reza Aslani plante ainsi un décor aux couleurs chatoyantes et alterne les époques par de menus changements, des artifices astucieux se conjuguant à une économie de moyens forcée. Les interprètes endossent le rôle de leurs vies précédentes, dans un festival de saveurs et de tonalités visuelles assez déconcertant. Le récit en huis clos parle de réincarnation et fait voyager l’esprit de sa protagoniste à travers les mots rapportés d’un ouvrage dans la veine des Mille et Une Nuits.

Par conséquent, l’équilibre du long-métrage repose sur l’alternance judicieuse entre moments dans une chambre prison et un semblant de palace. De cette composition tragique, ne ressort victorieuse qu’une reine abîmée par les épreuves et le destin, mais toujours digne dans l’adversité. Le cinéaste profite de son désespoir pour traiter de la ténacité intacte de cette femme et évoque comme dans L’Échiquier du vent, des relations ambiguës entretenues avec sa servante, dans le cadre d’une critique féroce qui s’étend au-delà de la philosophie Hégélienne.

Dans sa réflexion, Mohammad Reza Aslani s’affranchit peu à peu de la dialectique du maître et de l’esclave et se rapproche davantage du lien toxique qui unit les personnages du Servant de Joseph Losey. Il n’est plus question d’acquérir sa liberté (un objectif vital dans le pays natal du metteur en scène), mais d’imposer sa volonté, de remplacer l’autre au sommet d’une pseudo hiérarchie même si l’on bafoue les concepts d’honneur et de mérite. Le cinéaste inocule non seulement une once de noirceur dans son film, il injecte aussi un degré de cynisme entre les strates bien établies d’un jeu de pouvoir prédéfini.

Et dans ces eaux troubles, chacune et chacun navigue comme il peut, confronté à la misère, à la solitude, à une fin prochaine. Mohammad Reza Aslani expose à merveille l’infinie tristesse, mais également les mystères d’une foi qui prévaut sur un dogme réducteur puisque dans ces instants, on revient à un credo limpide, dénué des mensonges des prélats, celui d’un humanisme élémentaire, issu des contes d’antan. Réel et mythe se confondent pour préserver la morale et le processus, si complexe à appréhender au dépar,t achève la construction d’un édifice fragile, mais si bien modelé à l’arrivée.

Certes, l’action lente déstabilisera, déconcertera et fera même fuir les plus impatients. Mais les mieux armés découvriront toute la singularité d’un poème incandescent, sa pertinence toujours d’actualité, son héroïne brillant de mille feux et le talent indéniable d’un artiste loin d’être prophète dans sa contrée. (boojum.fr)

Le second film inédit du poète et plasticien Mohammad Reza Aslani explore divers épisodes de l’histoire iranienne narrés par une femme captive à son époux défunt. Une virevoltante traversée des apparences dont la beauté plastique et la déconstruction narrative sont les normes troublantes…

… Par rapport à sa première œuvre labyrinthique L’échiquier du vent, la Flamme verte est encore plus complexe. Le point de départ de ce récit fractionné et déconstruit, transposition poétique de la miniature persane, mêlant les époques et les registres, est une fable intitulée Sangu-e Sabour, dont s’inspira au même moment le romancier et cinéaste afghan Atiq Rahimi, avec son roman Syngué Sabour. Pierre de patience (prix Goncourt 2008), qu’il adapta ensuite au cinéma. Mais aucun rapport entre le traitement du sujet par l’auteur afghan et par le poète iranien.

… Dans ce film, Mohammad Reza Aslani explore les origines de l’Iran, « qui est jalonné de trahisons ayant entraîné la destruction de chaque empire et de chaque dynastie ». Fable intemporelle, car si le décorum et le contexte sont plus largement féodaux que contemporains, le film recèle en filigrane une satire du présent. L’essentiel pour le spectateur occidental non initié réside dans la sophistication du filmage et de la mise en scène, dans les costumes et lumières raffinés. Les extérieurs furent tournés dans l’imposante forteresse de Rayen, proche de Kerman.

Les intérieurs, d’une grande pureté architecturale, sont l’écrin idéal de tableaux archaïques et colorés, violents et agités, rappelant l’art visuel de l’Arménien Paradjanov, autre poète inclassable de la pellicule, qui reconstitua également des contes et épisodes orientaux sur un mode pictural. Bien qu’adoptant un filmage moins statique et frontal que celui-ci, Aslani fait revivre une civilisation enfouie, à l’instar de la belle Nardaneh qui ressuscite son époux par la magie de sa voix. Cette jeune femme est en même temps la victime d’une intrigue tordue, ourdie par sa servante, achetée à des saltimbanques de passage.

Ce film met en avant la féminité sous toutes ses formes, qu’il soit question d’une reine, prisonnière ou domestique. Pour Gita Aslani Shahrestani, fille du cinéaste, celui-ci « prophétise l’importance du rôle des femmes pour échapper à la répression qui sévit en Iran ». Le sous-texte politique de ces fables gigognes façon Mille et Une Nuits fait de l’œuvre d’Aslani un contrepoison idéal à l’obscurantisme du régime islamique. (humanite.fr)

… L’ouverture du film peut d’abord faire penser à La Belle et la Bête, mais elle se complexifie peu à peu. Les récits contenus s’emboîtent en une construction savante qui s’affranchit de l’espace et du temps, qui fait des allers-retours entre l’époque contemporaine et la mythologie ; les personnages voyagent entre différentes époques de l’histoire de l’Iran.

C’est alors plutôt à Œdipe Roi (1967) et même à Médée (1969) de Pier Paolo Pasolini que l’on pense, la cruauté des situations en moins, car une grande douceur traverse les récits. Le conte devient philosophique ; la leçon est subtile par la propension du film et des personnages à agir en miroir. Le miroir est d’ailleurs le leitmotiv visuel et psychologique de ce film, depuis un prologue dans un tribunal où une femme est jugée car son mari lui reproche de se regarder sans cesse dans un miroir, jusqu’à l’épilogue qui est une résolution du sort de Nardaneh par une vérité révélée grâce à des miroirs déformants.

« Je suis, et mouvant, et stable
Je suis une mer noyée en moi-même
Quel étrange océan infini je suis !
« 

(Ce sont les paroles d’un dernier chant obsédant qui clôt le film de manière poétique.)

Méditation sur la quête de l’Absolu, accompagnée de chants traditionnels iraniens qui ponctuent le film, La Flamme verte est une œuvre onirique et d’une belle finesse, filmée avec un sens de l’espace remarquable et d’une grande beauté visuelle. (jeunecinema.fr)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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