La lettre inachevée – 20ième Festival 2023



Vendredi 03 Mars 2023 à 20h – 20ième  Festival

Cinéma Jean-Paul Belmondo (ex-Mercury) – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Mikhail Kalatozov, URSS, 1959, 1h37, vostf

Le film est l’adaptation d’une nouvelle de Valeri Ossipov, qui s’inscrivait dans le registre dit de la « prose documentaire », genre en vogue à cette époque, et qui visait à mettre en scène des “aventuriers de la science” se consacrant à l’extraction des sous-sols et la découverte de ressources rares. La lettre inachevée chante donc les actions glorieuses d’une équipe de quatre géologues venus prospecter le plateau sibérien à la recherche des diamants réclamés par l’industrie soviétique. Le petit groupe sonde sans relâche terres et rivières. L’automne arrive et les vivres commencent à manquer, il leur faut rentrer. Mais au moment du retour, les éléments se déchaînent et ils doivent affronter les pires difficultés…

En première partie: Éruption à la Martinique (Georges Méliès, France, 1902, 1’03).

On estime qu’en dix-sept ans d’activité (1896-1913) Georges Méliès a réalisé près de 600 films de 1 à 40 minutes, en privilégiant la féerie et le fantastique, la science-fiction et la reconstitution historique. L’ensemble des réalisations de Georges Méliès est passé dans le domaine public au 1er janvier 2009, l’année suivant le soixante-dixième anniversaire de sa mort. Cependant, il reste le droit moral appartenant à la famille de Georges Méliès, ainsi que le droit de reproduction appartenant aux propriétaires des copies originales des films de Méliès – dont les projections ne sont donc pas gratuites… En 1911, Pathé devient le distributeur exclusif de la « Star Film » et prend progressivement le contrôle éditorial sur les films : « Méliès cessa toute activité cinématographique en 1913. C’est en mai de cette même année qu’il perdit sa femme et resta seul avec ses deux enfants, Georgette, née en 1888, dont je suis la fille, et André, né en 19014. Il ne pouvait disposer de ses fonds comme il le voulait à cause de son fils mineur dans la succession. Il se trouvait donc dans une situation financière extrêmement embrouillée lorsque la guerre de 1914 éclata. Le théâtre Robert-Houdin qui était devenu un cinéma avec séance de prestidigitation le dimanche seulement fut fermé dès le début des hostilités par ordre de la police. » (Madeleine Malthête-Méliès, petite fille de Georges Méliès, en 1961) Poursuivi par un créancier, il revend en 1923 à Pathé sa propriété transformée en cabaret d’opérette et quitte Montreuil. « Toutes les caisses contenant les films furent vendues à des marchands forains et disparurent. Méliès lui-même, dans un moment de colère, brûla son stock de Montreuil ». Ses films sont alors en majorité détruits (notamment fondus pour en extraire l’argent) ou vendus (récupérés au poids et transformés en celluloïd pour les talonnettes de chaussures destinées aux Poilus).

« Laissons les profits au capitaliste acheteur et marchand soit, mais laissons au réalisateur sa gloire, ce n’est pas trop demander, en bonne justice . » (G. Méliès)

Ce sont les copies piratées ou confisquées de ses films qui ont permis de sauver la plus grande partie de l’œuvre du maître, quand enfin les chercheurs se sont intéressés à l’histoire du cinéma. Henri Langlois, créateur de la Cinémathèque française, a contribué à la postérité du cinéaste en sauvant, peu avant sa mort, une partie de ses films (aussi bien issus de sauvegardes effectuées directement à partir des négatifs d’origine que, pour l’essentiel de son œuvre, de copies illégales), dont il a supervisé la restauration. La petite-fille de Georges Méliès, Madeleine Malthête-Méliès, devient à 20 ans la secrétaire d’Henri Langlois dans la toute nouvelle Cinémathèque française. Celui-ci « l’incite à rechercher ses films dont il ne restait rien : seulement huit sur plus de 500 ». La jeune secrétaire voyage alors sur tous les continents pour leur recherche et leur identification. Elle rédige une biographie de son grand-père (Georges Méliès, l’enchanteur, 1973) et fonde en 1961 l’association Cinémathèque Méliès – Les Amis de Georges Méliès. La diffusion des films du Maître est également le fait d’autres admirateurs, la quasi-totalité des films retrouvés étant distribuée par Lobster Films mettant à disposition les versions noir et blanc, mais aussi les versions originales colorisées, peinte à la main, image par image. C’est le cas notamment du Voyage dans la Lune (1902), qui fit le tour du monde dans sa version coloriée, avant d’être longtemps considérée comme perdue. Une copie est miraculeusement retrouvée en 1993 à Barcelone, en très mauvais état, les spires de pellicule étant jointives. Les délicats travaux de restauration débutent en 1999 pour décoller et numériser les images, les images manquantes (perdues ou trop dégradées), étant reprises de la meilleure version noir et blanc du film, prêtée par Madeleine Malthète-Méliès et recoloriées. La restauration engagée permet au public de redécouvrir cette œuvre importante du cinéma mondial. (Josiane Scoleri)

Notre article

par Josiane Scoleri

Kalatozov est l’homme des superlatifs. Les mots qui viennent spontanément à l’esprit pour ses films les plus connus sont : grandiose, démesuré, exacerbé, excessif… mais peut-être surtout, avant tout, soviétique, tant son art est entré dans l’histoire du cinéma comme l’un des exemples les plus saisissants de l’esthétique et du savoir-faire légué par la grande école initiée par Vertov, Dovzhenko et Eisenstein. La lettre inachevée est probablement à ce titre son film le plus emblématique et pourtant le moins bien connu. Accusé régulièrement depuis ses débuts de « formalisme », péché capital s’il en est du temps du réalisme socialiste, Kalatozov a souvent été victime de la censure y compris pendant la période dite du dégel où les contraintes s’étaient un peu assouplies après la mort de Staline. Soy Cuba qui est pourtant un hymne vibrant à la révolution cubaine a été ainsi enterré dès le retour de Kalatozov à Moscou, alors qu’il avait travaillé à son film pendant près de 2 ans, avec des moyens inégalés. L’accueil à Cuba fut tout aussi mitigé.

L’Histoire a maintes fois prouvé que les œillères idéologiques provoquent presque nécessairement une cécité esthétique fulgurante. Or, ce qui distingue l’œuvre de ce réalisateur, c’est précisément son audace formelle. Une inventivité virtuose, dont les secrets de fabrication demeurent souvent aujourd’hui encore un mystère (cf la scène emblématique de l’enterrement dans Soy Cuba). Cette audace formelle se double chez Kalatozov d’un souffle épique qui atteint son apogée dans La lettre inachevée. Si la Nature, les grands espaces, les forêts millénaires sont des thèmes récurrents de la littérature et de la culture russes en général, les grands réalisateurs soviétiques s’en emparent dès les débuts du cinéma pour donner corps à l’immensité de la tâche qui attend la Révolution. La taille même du pays, ses paysages contrastés, son climat souvent extrême, tout concorde pour exalter la ferveur révolutionnaire qui se doit elle aussi d’être extrême pour relever tous les défis.

Dans La lettre inachevée, la doxa officielle est respectée. Les quatre personnages sont héroïques. Ils sont même, chacun à sa manière, d’une abnégation totale, prêts à sacrifier leur vie pour le bien commun. Les censeurs avaient de quoi être satisfaits. Sauf que le film est ailleurs. La lettre inachevée est en fait un film sauvage, on pourrait presque dire un film païen ou un film animiste. Un film qui a inventé les images immersives avant l’heure. Le tandem Kalatozov/Ourousevsky, (son chef opérateur attitré depuis Quand passent les cigognes) semble s’en donner à cœur joie pour fabriquer des images à couper le souffle, comme si la mise en place de l’histoire et la présentation des personnages n’étaient que prétexte à l’envolée qui va nous emporter pendant plus d’une heure dans la deuxième partie. Dans le même temps, le réalisateur, en fidèle héritier de la grande école du VGIK, sait filmer les corps et les visages. Les gros plans sont de fait tout aussi saisissants que les plans larges. Les personnages sont ainsi magnifiés, les expressions, les regards saisis par une photographie qu’on pourrait qualifier d’expressionniste si le terme n’était pas déjà pris dans l’histoire du cinéma. Et pourtant, ils en ressortent profondément incarnés, bien au-delà des simples archétypes qu’ils sont censés représenter. Les plongées et contre-plongées se succèdent, les cadrages et la composition des plans ont quelque chose de brutal et de savant à la fois qui nous transporte de minute en minute. C’est ainsi que l’émotion naît, souveraine, au cœur de l’image. À noter aussi, l’utilisation du contre-jour où les personnages apparaissent découpés en silhouette noire sur un paysage immense. La caméra joue ainsi sciemment de ce balancement entre proximité et éloignement, ombre et lumière dans une tension très forte entre volonté de puissance des hommes qui oublient volontiers leur condition de Lilliputiens et forces de la Nature qui n’en a cure. Effet démultiplié par la bande-son, brutale et savante elle aussi, en osmose avec les images, se situant résolument dans un au-delà du naturalisme. Nous sommes dans la fresque, nous sommes dans le mythe et il ne faudrait surtout pas attendre du récit le moindre semblant de vraisemblance. Au fur et à mesure que le film progresse, que les saisons se succèdent, la marche de plus en plus entravée de nos héros est celle des Titans. Et lorsque Constantin, le capitaine de l’expédition se retrouve seul survivant dans la neige et la glace face à la débâcle du fleuve, la démesure de l’entreprise est telle qu’elle balaye toute objection étroitement rationnelle.

Il faut être Kalatozov pour nous imposer et nous faire acquiescer à un scénario aussi violemment improbable. Que ce soit l’assemblage du radeau alors que l’homme est à bout de forces depuis longtemps ou son sauvetage final où contre tout attente il ouvre encore les yeux, la beauté des images est telle que nous sommes prêts à faire fi de toutes les conventions attachées à la figure du Super héros, même les plus extrêmes. La lettre inachevée est ainsi un de ces films qui s’impriment durablement sur la rétine par leur audace. Il nous embarque littéralement dans un crescendo sans faille, où les moments de calme sont aussi intenses que les scènes les plus dramatiques. C’est aussi à cette puissance du souffle, à cette tension de tous les instants que l’on reconnaît les très grands films. À n’en pas douter La lettre inachevée en fait partie.

Sur le web

« Parmi les cinéastes soviétiques qui prirent à cœur de mettre en scène, d’une façon ou d’une autre, l’héroïsme, Mikhail Kalatozov occupe une place particulière. Il participa en effet à la fin des années 1950 à la percée internationale d’un cinéma soviétique post-Staline : son film Quand passent les cigognes, qui narre les épreuves traversées par une jeune femme séparée de son fiancé par le début de la Seconde Guerre Mondiale, fut auréolé de la Palme d’or au Festival de Cannes en 1958 et connut un grand succès public, autant dans les pays du bloc de l’est que dans ceux de l’Europe occidentale. Les propositions esthétiques novatrices de ce mélodrame torrentueux, louées à sa sortie en salles, sont toutefois nées de la collaboration avec un second esprit créatif à l’identité forte, le chef opérateur Sergueï Ouroussevski. Les deux artistes, qui s’entendaient sur une conception profondément formaliste du cinéma, poursuivront leur travail jusqu’à la réalisation du triomphant Soy Cuba en 1964.

Ainsi coincé entre un grand succès de son époque et une œuvre ambitieuse redécouverte tardivement, La Lettre inachevée, produit en 1959 d’après une nouvelle de Valeri Ossipov, apparaît moins comment un moment fort de la filmographie de Kalatozov que les deux longs-métrages susmentionnés… La parenté avec Quand passent les cigognes se ressent nettement dans ce film, au registre pourtant bien différent. Quittant les chemins du drame historique pour ceux du franc survival en milieu sauvage, La Lettre inachevée met à nouveau en scène des personnages pris dans une situation qui les dépasse largement (ici, une expédition scientifique qui, suite à une série de catastrophes naturelles, tourne au cauchemar) et se distingue par sa maîtrise du temps et des accents dramatiques du récit, au cours d’une heure et demie qui semble étendue par l’ampleur des événements traversés. Le motif visuel de l’entrave est également repris, les personnages ne se frayant plus un chemin dans une foule bouleversée par la guerre mais entre les branches serrées des forêts de Sibérie : leur récurrence rappelle que les fictions de Kalatozov sont animées par une forme de lutte – contre l’environnement extérieur, contre la détresse intérieure – qui est un sujet profondément politique. La critique Eugénie Zvonkine rappelle à ce titre que l’histoire du film s’écrit sur fond d’héroïsme et de progrès technique, l’hypothétique gisement de diamants que recherchent les géologues pouvant devenir une grande ressource économique pour l’URSS. Le récit développe ainsi avec finesse une lecture patriotique, où les scientifiques se lancent dans une expédition dangereuse pour, littéralement, rendre leur pays riche par le travail de la terre, et où la question du sacrifice, tapie dans l’ombre, attend son heure.

La Lettre inachevée demeure accablant pour ses personnages comme pour son spectateur. Il est difficile de ne pas rester suspendu à l’enchaînement dramatique implacable des avaries, des circonstances malchanceuses et des changements météorologique violents. De tous les films « en immersion », celui de Mikhail Kalatozov et Sergueï Ouroussevski est certainement l’un des plus réussis, car il ignore tout acharnement complaisant par son rapprochement constant avec les quatre protagonistes, jusqu’à suivre le fil de leurs pensées, en silence, en montrant simplement les moments de chavirement dans leur regard et leurs expressions. La résilience face au désespoir est de ce fait abordée aussi frontalement que la manière dont les géologues envisagent leur propre mort, et intervient au cours d’une entreprise générale que l’on sait vouée à l’échec : le dénouement le plus noir, que l’on entraperçoit au terme du récit, nous est toutefois épargné, par un rêve puis un regard qui rétablissent l’unité intérieure de l’un des personnages. Finesse, encore, de la part du réalisateur, qui, rejetant les conclusions asphyxiantes, consacre plutôt son énergie et ses choix de mise en scène à la recherche d’un certain lyrisme…

… L’action est redoublée par la perpétuelle suggestion de l’immensité et de la dangerosité de la Sibérie, par le travail de cadrage du ciel, le tournage dans les bois denses ou encore la présence subite de la neige et du vent dans le cadre. Kalatozov s’en remet à la puissance expressive de ses paysages, manipulés à loisir pendant le tournage (le témoignage d’un technicien révélant que l’équipe a déterré et replanté plusieurs centaines d’arbres pour satisfaire les demandes du réalisateur et du chef-opérateur) mais pourtant relais d’un écrasant effet de réel.

La réalité du terrain et des conditions de tournages, qui transparaît à l’image, reste en prise avec le caractère proprement halluciné de certaines séquences et oblige le spectateur à en revenir à cette question du « comment ils ont fait ça ? », qui n’est ici pas soluble par la réponse unique des effets numériques. Les épreuves auxquelles sont confrontés les géologues sont impressionnantes car elles se sont réellement déroulées devant la caméra, mais aussi parce que la mise en scène ne ressent pas le besoin de surjouer à tout instant ce sentiment de démesure. L’ampleur du feu de forêt de la première partie du film paraît ainsi moins effroyable que le fait que la catastrophe s’inscrive dans le temps et que les personnages apprennent à faire avec, à coexister avec ce fond embrasé dans les scènes qui suivent. Cette vision de folie dure et dure encore, jusqu’à relever – presque – de la normalité…

… Le projet cinématographique de La Lettre inachevée pourrait se résumer à ça : une visée régulière du sublime, portée par l’ambition de faire grand – par les moyens de tournage, par le formalisme des images et par la dramaturgie. Empoignant à pleines mains ce que d’autres ne manipuleraient que délicatement, Mikhail Kalatozov est le réalisateur du bousculement, qui va jusqu’au bout de ce qu’il fait, jamais frileux de rien, et qui, pour le prouver, ira filmer de la plus belle manière la chaleur de Cuba – en pleine crise des missiles. » (lebleudumiroir.fr) « Si La lettre inachevée est sans doute le plus beau film de son auteur, cela tient notamment au fait que, contrairement à Quand passent les cigognes et Soy Cuba, la petite histoire ne s’y conjugue plus à la grande, offrant à Kalatozov un autre horizon pour parfaire son art… Après une violente nuit d’orage, un incendie se déclare pour venir mettre en danger le groupe de chercheurs et les messages de détresse qui s’ensuivent restent sans réponse ; les secours n’arrivent pas, l’État abandonnant le quatuor à son triste sort. L’écriture d’une lettre par Konstantin, le leader de l’expédition, à sa femme restée à Moscou, témoigne de cette même mise à distance qui sépare le groupe de tout contact direct avec la civilisation. Ce déchirement mélodramatique annonce dans le même temps la destinée de Tatiana (Tatiana Samoïlova, actrice principale de Quand passent les cigognes) et d’Andreï, le jeune couple du groupe. L’isolement de ses personnages encourage ainsi Kalatozov de mettre en scène une confrontation directe entre l’homme et la nature.

Cette mise à l’épreuve des corps dans un environnement hostile, trop vaste pour eux, trouve dans la courte focale un terreau paradoxalement fertile. Comme dans Quand passent…, elle tend d’abord à mettre en valeur les corps et les visages au travail en dépit de la grandeur de la nature qui les entoure… Cette mise en valeur du travailleur est pour autant rapidement atténuée par un ensemble de surimpressions où apparaissent des flammes qui renversent la domination que l’homme pense exercer sur la nature. Ici, le feu dévore le cadre et s’ajoute aux éléments naturels qui se déchaînent sur les membres de l’expédition : le vent souffle sur une colline où ils apparaissent plus petits et en difficulté, avant qu’une rivière ne menace de les emporter…

… S’ensuit une série de péripéties où le film s’en tient essentiellement à montrer durant près d’une heure la lutte des corps avec les éléments. Le feu, la boue, le vent et la neige, tous omniprésents dans cette région, auront raison de l’ingéniosité des membres du groupe. Même le dernier survivant, Konstantin, qui tente d’allumer un feu sur une embarcation au beau milieu d’une rivière gelée, est rattrapé par les forces élémentaires. Après une ultime rêverie qui le voit fantasmer un retour à la civilisation (des ouvriers, des bateaux et sa femme surgissent en surimpression), son corps finit recouvert d’une fine couche de neige. L’ultime regard qu’il adressera à ses sauveteurs, souligné par un champ-contrechamp muet, entre deux gros plans de visages extatiques et un travelling arrière qui s’élève dans l’immensité du ciel sibérien, lance un dernier appel à l’humilité de l’Homme face au monde qui l’entoure. » (critikat.com)

« … Dès la préparation du film (qui est une commande, rappelons-le), Kalatozov souhaite ajouter un cinquième protagoniste à l’histoire : la nature. Son idée est d’abandonner la personnalité des protagonistes aux scénaristes et de prendre en charge, avec son chef opérateur et son décorateur, la construction de Dame-nature. On sait l’attachement quasi mystique qu’éprouvent les Russes pour cette dernière. À cette fascination culturelle, il faudra un film hallucinatoire. La nature déchaînée a toujours fait partie du bagage des héros romantiques et surhumains. Dans le cadre de la propagande, il est nécessaire de montrer l’homo sovieticus aux prises avec un environnement hostile qu’il faut maîtriser sous peine de disparaître : les étendues sauvages et inexploitées sont un défi technique, mais surtout une provocation. Rien ne doit être laissé au hasard, rien ne doit être inexploitable. La nature sera donc travaillée par Kalatozov comme il travaillerait un personnage : il est nécessaire de la montrer intégralement. Le tournage durera une année entière, pour permettre de filmer les quatre saisons. Les éléments naturels, aussi, seront convoqués : le feu (incendie), l’eau (pluie et torrents), la terre (boue, degrés), le vent (bourrasques). Sur chacun de ces quatre plans, il faut montrer un environnement déchaîné où, paradoxalement, l’homme est ridicule.

Il faut ici saluer le remarquable travail du décorateur David Vinitski dont le travail sur ce film a été décisif. La méthode est simple : c’est à lui d’esquisser in abstracto le cadre naturel de l’action, et ce sera au réalisateur et au chef opérateur de trouver les lieux correspondant au storyboard. Kalatozov a privilégié cette méthode de production du fait qu’il ne souhaitait pas offrir une œuvre trop réaliste, pour sortir, justement, du cadre de la nouvelle originelle qui privilégiait la vraisemblance et la profusion. C’est donc en parcourant les landes sibériennes et les vallées mongoles que Kalatozov et Ouroussevski vont tenter de faire exister leurs dessins préparatoires. Va commencer un lourd travail de bricolage, consistant à déplacer avec minutie des souches, des pierres, et à reconstituer un environnement sublimé…

… C’est bel et bien un cinéma exigent : audacieux sur la forme, et authentique sur le fond… La Lettre inachevée vaut avant tout par son traitement de l’image et de l’espace naturel. » (dvdclassik.com)

« La lettre inachevée est un pur chef d’œuvre quelque peu oublié de nos jours malgré son brio formel et la puissance de ses images. Du très grand cinéma, assurément…

… Il s’agit donc d’un récit bien plus simple et épuré que celui du film précédent, mais Kalatozov et son célèbre chef opérateur Sergueï Ouroussevski y voient l’occasion de se surpasser sur le plan stylistique. Effectivement, ils envisagent de tourner une œuvre qui immergerait le spectateur au cœur d’une nature particulièrement hostile. Pour cela, ils conçoivent d’abord sur le papier des scènes apparemment irréalisables, comme l’attestent les épreuves du script qui sont aujourd’hui conservées dans les archives du film en Russie. A eux ensuite de parvenir à retranscrire à l’écran ces moments démentiels. Pour cela, les auteurs ont disposé d’un budget conséquent et surtout d’une durée de tournage exceptionnelle de plus d’un an…

La lettre inachevée précipite donc quatre acteurs dans une nature terriblement hostile marquée par un froid polaire (parfois descendant jusqu’à – 50 degrés). Tourné avec des caméras imposantes qui ne cessaient de tomber en panne, le survival soviétique suit donc les aventures de quatre géologues qui découvrent un gisement de diamants pour le compte de l’Etat. Malheureusement, un incendie imprévu au cœur de la taïga les oblige à fuir et à se perdre dans cette forêt primaire qui est la plus vaste du monde.

Dès lors, le spectateur est invité à suivre pas à pas le calvaire de ces héros qui tentent de survivre par tous les moyens afin d’offrir à leur pays une nouvelle opportunité économique. Certes, le sujet pouvait faire craindre un excès de patriotisme et de pathos, mais c’était compter sans l’intelligence des artisans à l’œuvre. Tout d’abord, Kalatozov et son opérateur Ouroussevski se font plaisir en expérimentant quasiment à chaque plan. On doit notamment souligner l’impressionnante fluidité d’une caméra sans cesse en mouvement grâce à l’habileté et à l’immense talent d’Ouroussevski…

… Avec La lettre inachevée, le cinéphile est convié à visionner des plans incroyables durant la totalité de la projection. A chaque moment, on se demande comment les artistes et techniciens ont pu faire pour livrer de telles images. Il faut bien entendu saluer l’implication des quatre acteurs qui ont certainement souffert mille morts pour donner naissance à ce bijou du cinéma mondial. Soumis à des conditions climatiques atroces, à une humidité permanente, à des conditions sanitaires précaires, ils ont dû lutter durant une année entière sans se plaindre, au risque parfois de perdre la vie…

… Si le film met bien en avant l’héroïsme des pionniers, il n’en décrit pas moins des êtres humains rongés par leurs doutes, leurs obsessions et leurs désirs enfouis. Alors que La lettre inachevée tente de montrer la volonté humaine de domination de la nature, Kalatozov a l’extrême intelligence de faire de ce combat un objectif quasiment inatteignable. Tout en magnifiant la beauté de la nature grâce à des images en noir et blanc très contrastées, Kalatozov n’en livre pas moins une vision très sombre d’un espace indomptable où l’être humain n’est plus rien. Cela donne lieu à des plans bouleversants où l’homme n’est plus qu’une ombre perdue au milieu de l’immensité. De quoi donner le vertige et nous remettre à notre juste place face à l’environnement. Film de tous les excès formels, La lettre inachevée s’impose comme un bloc de cinéma pur comme on n’en fait plus… » (cinedweller.com)

… Le scénario est longuement travaillé par Kalatozov, avec l’auteur, Valeri Ossipov, puis avec le co-scénariste de Q u a n d p a s s e n t l es c i g o g n e s, Viktor Rozov, ainsi qu’avec le dramaturge Grigori Koltounov, pour aboutir à un récit aussi épique que panthéïste, exprimant une vision de la nature à la fois contradictoire et complémentaire. En effet le scénario final fait de l’environnement hostile de la Sibérie un personnage à part entière, « q u i d o it p o u v o i r j o u e r même sans acteurs » selon le désir de Kalatozov, à la fois filmé comme une force à combattre et à soumettre, dans la plus pure tradition productiviste et matérialiste portée par le communisme, mais également utilisée sous l’oeil de sa caméra comme un outil esthétique servant à exprimer les états d’âmes des personnages, qui font corps avec elle, sous toutes ces formes (liquide, boueuse, enflamée…).

La collaboration entre Kalatozov et Ouroussevski est toujours aussi fertile que sur le tournage de Quand  passent  les  cigognes, ce dernier ne reculant devant aucune audace pour repousser les limites techniques des prises de vues. D’autant que la méthode de travail de Kalatozov l’y oblige : en effet, celui-ci ne conçoit pas son découpage en fonction de la réalité de décor choisis après repérages. Au contraire, comme le dit la spécialiste du cinéma russe Eugénie Zvonkine, il place « l’imagination avant le réel », en dessinant ses scènes en amont, sans se soucier de réalisme, pour ensuite partir à la recherche du décor naturel le plus proche de sa vision. Une méthode iconoclaste, qui n’est pas sans poser de sérieux problèmes logistiques, certains des lourds équipements techniques ne pouvant tout simplement pas être transportés sur les lieux reculés du tournage, et obligeant Ouroussevski à expérimenter en permanence… De fait, le tournage du film se révèle au moins aussi épique que le récit, s’étalant sur une année entière pour permettre à Kalatozov et Ouroussevski de capter les 4 saisons, et plongeant l’équipe dans des fleuves en crue, un véritable incendie mal contrôlé manquant de tuer Ouroussevski lui-même, mais aussi, lors des scènes d’hiver, dans des conditions climatiques extrêmes, avec des températures chutant jusqu’à -50° sur le plateau, au point de voir la caméra s’éteindre sous l’effet du froid polaire… » (art-et-essai.org)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h précises.

Entrée : Tarif adhérent: 6,5 €. Tarif non-adhérent 8 €. Adhésion : 20 € (5 € pour les étudiants) . Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier et à l’atelier Super 8. Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici


 

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