La Nuit du Chasseur



Vendredi 27 février 2004 à 20h45

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Charles Laughton et Robert Mitchum – USA – 1956 – 1h33 – vostf

Un prêcheur inquiétant poursuit dans l’Amérique rurale deux enfants dont le père vient d’être condamné pour vol et meurtre. Avant son incarcération, le père leur avait confié dix mille dollars, dont ils ne doivent révéler l’existence à personne. Pourchassés sans pitié par ce pasteur psychopathe et abandonnés à eux-mêmes, les enfants se lancent sur les routes.

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« Né en Angleterre, Charles Laughton, le réalisateur de La Nuit du Chasseur, commence par s’illustrer au théâtre, dans des pièces de Shaw et de Tchekov. Attiré par le cinéma, il fait carrière aussi bien en Angleterre, où La Vie privée d’Henry VIII (Alexandre Korda, 1933) lui vaut un Oscar, qu’aux Etats-Unis. Là, il donne quelques interprétations mémorables : le capitaine Bligh dans Les Révoltés du Bounty (Frank Lloyd, 1935), le personnage du bossu dans Quasimodo (William Dieterle, 1939). Doté d’un physique ingrat (« J’ai le visage comme l’arrière-train d’un éléphant », avait-il coutume de dire), à la fois homosexuel et taraudé par le refus de sa femme, l’actrice Elsa Lanchester, d’avoir des enfants, Laughton est un être complexe. Il est aussi un acteur difficile à diriger, exigeant de retourner les scènes jusqu’à ce qu’il soit satisfait de son jeu, et versant dans le cabotinage le plus éhonté s’il n’est pas dirigé par un réalisateur à poigne. L’échec de La Nuit du Chasseur le contraint à abandonner la réalisation alors qu’il a en projet d’adapter Les Nus et les Morts de Norman Mailer, que Raoul Walsh tournera finalement en 1958. Charles Laughton redevient donc simple acteur pour, entre autres, Billy Wilder (Témoin à charge, 1957), Stanley Kubrick (Spartacus, 1960), Otto Preminger (Tempête à Washington, 1962).

La démarche de Charles Laughton a ceci de suicidaire qu’elle prend le contre-pied du principe d’identification, sur lequel repose tout le cinéma hollywoodien. C’est là, certainement, l’explication première de l’incompréhension que le film a suscitée et de son terrible échec commercial. Le cinéaste cherche à transposer au cinéma le principe de distanciation que Brecht (avec qui il avait eu l’occasion de travailler) avait élaboré pour le théâtre. C’est-à-dire qu’il n’attend pas que le spectateur adhère de façon émotionnelle au récit, mais qu’il exerce son esprit critique à l’égard du spectacle qui lui est proposé. Pour cela, il emploie différents procédés : regard caméra, mouvements de caméra aériens ostentatoires, cache devant l’objectif, effets musicaux appuyés, jeu des acteurs non réaliste (certaines des expressions de Robert Mitchum semblent empruntées au loup de Tex Avery), anachronisme de l’esthétisme qui renvoie au cinéma muet (années vingt), imageries et archétypes du conte pour enfants, humour noir. En revanche, le recours à la transparence ne participe pas de cette démarche dans la mesure où elle était utilisée par tous les cinéastes de l’époque et notamment par Alfred Hitchcock, grand maître de l’identification. Laughton nous indique ainsi qu’il s’agit de voir dans La Nuit du Chasseur autre chose que l’histoire de deux enfants poursuivis par un méchant beau-père et sauvés par une bonne vieille dame. Cette « gentille histoire » est, en réalité, un récit d’une grande ambition.

La Nuit du Chasseur se veut une mise en garde, non contre la religion, mais contre les ravages provoqués par les évangélistes. Laughton, qui par ailleurs fait des lectures de la Bible à la radio, dénonce le pouvoir quasi sectaire que ces gens, qui se réclament de Dieu, exercent sur la population ; il dit en particulier que sous couvert d’énoncer de grands principes, ces évangélistes ne sont intéressés que par l’argent. Dans le même temps, il ne montre aucune sympathie pour les personnes qu’ils abusent, bernent, manipulent. Le réalisateur établit, là, entre autres, un parallèle entre la crédulité des habitants de ce village d’Ohio et celle des spectateurs américains : Hollywood, opportunément surnommée « la Mecque du cinéma », est considérée par les intellectuels de gauche à la fois comme une « usine à rêves » qui a pour fonction de détourner le public des véritables questions qui se posent à la société, et comme une industrie gérée par des capitalistes new-yorkais, plus soucieux de profits que de création artistique.

En 1955, les Etats-Unis viennent de se débarrasser du sénateur du Wisconsin, Joseph McCarthy, qui, de 1950 à 1954, a pris la tête d’une véritable croisade anticommuniste, allant jusqu’à mettre en cause George Marshall et l’armée américaine, ce qui a provoqué sa perte. Par ses beaux discours pleins d’emphase et de conviction, ses mensonges, ses preuves inventées de toutes pièces, il incarne tous les excès et les dérives de cette « chasse aux sorcières ». Il est tentant de voir en Harry Powell, le « chasseur » du titre, une métaphore de McCarthy : comme lui, sous couvert d’oeuvrer pour le bien de la communauté, il profite de la crédulité de gens tout prêts à le suivre, tels des moutons de Panurge. Charles Laughton, s’il n’est pas inscrit au parti communiste américain, éprouve de la sympathie pour bon nombre de ses adhérents. En 1947, il travaille avec Joseph Losey (qui sera contraint à l’exil en 1951, pour ne pas avoir à dénoncer ses camarades) sur Galileo, une pièce de Bertold Brecht. Celui-ci est le onzième communiste à comparaître devant la commission des activités antiaméricaines (le HCUA), le seul qui ait accepté de répondre, contrairement aux dix (les fameux Dix d’Hollywood) qui l’ont précédé et qui ont refusé de dire s’ils étaient ou non communistes. Cette attitude leur vaut d’aller en prison, pour outrage au Congrès. Pour sa part, Brecht nie tout en bloc et s’empresse de quitter les Etats-Unis.

Charles Laughton filme le scénario à la manière du cinéma muet, en ayant la volonté de retrouver la magie que cet art exerçait sur lui quand il était enfant. Il décide de tourner en noir et blanc et en format standard, alors que la couleur et le CinemaScope connaissent une grande vogue, en cette année 1955. Il adopte différents styles selon les situations du film. Toutes les scènes qui illustrent la vie quotidienne dans la petite ville où vit la famille Harper ainsi que celles chez Mme Cooper relèvent d’un genre appelé l’Americana et sont traitées à la manière de David W. Griffith. Pas celui des grandes fresques historiques : Naissance d’une nation (1915) ou Intolérance (1916), mais celui d’oeuvres plus modestes, comme Le Roman de la vallée heureuse (1918) ou Le Pauvre amour (1919). Le filmage est alors simple, avec une prédilection pour les cadrages frontaux et les éclairages légèrement vaporeux. La présence de Lillian Gish constitue un hommage au père du cinéma américain. Les scènes avec le pasteur et les enfants rappellent le grand art du cinéma expressionniste. Les jeux d’ombre et de lumière sont appuyés, Robert Mitchum ne craint pas, dans son jeu, d’en rajouter. Il y a d’ailleurs de nombreuses similitudes avec M le maudit (Fritz Lang, 1931) : frustration sexuelle du personnage principal, utilisation du couteau comme substitut à l’acte sexuel, cave comme lieu des pulsions, recours à une esthétique hétérogène encore imprégnée de cinéma muet, etc. Enfin, certaines scènes avec le pasteur et Willa, par exemple celle du meurtre dans la chambre, ne sont pas sans évoquer le travail d’épure, tout protestant, que Carl Dreyer imposait à ses décorateurs et chefs opérateurs (La Passion de Jeanne d’Arc, 1928, ou Dies Irae, 1943). De ce patchwork d’influences est née une oeuvre unique : cette seule réalisation de Charles Laughton, tirée du seul roman que Davis Grubb a écrit, ne ressemble à aucun autre film et occupe une place à part dans l’histoire du cinéma. »

La Nuit du Chasseur se présente sous la forme d’un conte de fées et a l’apparence d’un rêve. Ainsi sommes-nous, doublement, encouragés à explorer la dimension psychanalytique du récit. Les lectures que l’on peut en proposer sont multiples : John se voit confier par son père un secret trop lourd à porter. A la fin du film, l’arrestation d’Harry Powell est filmée de la même façon que celle de son père : l’enfant se tient le ventre (comme au début), il s’adresse au pasteur qu’il confond avec son véritable père : « Papa, c’est trop, papa, je ne peux pas supporter ça ». Il le frappe avec la poupée qui finit par s’ouvrir en laissant l’argent s’échapper de son ventre, comme si l’enfant se libérait, se vidait, accouchait du serment qu’il avait fait, et pouvait renaître à la vie. Les récits bibliques de Mme Cooper prennent alors tout leur sens : John n’est plus l’enfant d’un roi, qui doit tuer ceux qui convoitent l’or de son père, comme il le croyait, mais Moïse, le bébé recueilli au bord de la rivière par une femme. Pour Pearl, la poupée ne renvoie pas à l’idée d’une renaissance, mais à la question qui occupe tous les enfants selon Freud, celle de leur origine. Elle découpe des billets (que le père avait placés sous ses yeux dans le ventre de la poupée), leur donne une forme humaine et les prénomme John et Pearl. Dans cette vision fantasmée qu’elle se fait de sa conception, elle et son frère auraient été engendrés par l’argent. Cela traduit à quel point cette valeur est prégnante pour la famille Harper, et au-delà pour les Américains. Enfin les deux enfants peuvent être amenés à se demander quelles sont les véritables intentions du pasteur, qui s’est introduit dans cette famille, en épousant leur mère que, de toute évidence, il n’aime pas. Certains cadrages sur le pasteur, la dimension sexuelle de son couteau à lame rétractable, la scène de la cave sont autant d’indices de la pédophilie, réelle ou supposée, de cet homme de religion. Toutes ces lectures, qui se superposent sans s’annuler, contribuent à rendre passionnante la signification qui se dégage de cette oeuvre de cinéma qui n’est simple qu’en apparence. » (Didier Le Roux, Film et Culture)

La Nuit du Chasseur dépeint une Amérique rurale hors du temps (alors que l’histoire est sensée se dérouler lors de la dépression des années 30), proche de celle de David Wark Griffith. Le film est un hommage évident à son cinéma, en partie à travers l’actrice Lilian Gish, qui fut son égérie et une des plus grandes actrices américaines du muet.

La Nuit du Chasseur est certes le seul film de Charles Laughton, mais pas son unique expérience de la réalisation. Six ans auparavant, alors qu’il jouait l’inspecteur Jules Maigret dans L’ Homme de la tour Eiffel, l’acteur en réalisa une partie sans être crédité. Le producteur Irving Allen était le réalisateur originellement prévu pour ce film franco-américain. Mais après seulement trois jours de tournage, Charles Laughton menaça de quitter le projet si Burgess Meredith n’en prenait pas les commandes. Laughton dirigea quant à lui les scènes où Meredith jouait.

Le traitement du noir et blanc oscille entre expressionnisme (l’ombre de Robert Mitchum envahissant la chambre des enfants) et réalisme (les scènes de Shelley Winters avec ses enfants). La photo est l’oeuvre de Stanley Cortez qui travailla aussi avec Orson Welles sur La Splendeur des Amberson.

Robert Mitchum a 35 ans au moment du tournage. Il consolide ici sa statuaire : solitaire, paupières lourdes, sourire ambigu, poitrine massive et timbre de voix mémorable. L’année suivante, en 1956, son arrestation et son emprisonnement pour détention de marijuana, loin de briser son aura, va au contraire asseoir un peu plus sa légende.

Peter Graves, qui joue ici le petit rôle du père truand des enfants, deviendra autrement plus célèbre une décennie plus tard, en incarnant Jim dans la série télévisée Mission : impossible.

Ce film fit l’objet d’un remake en 1991 pour la télévision. Contrairement au film qui épousait le point de vue des enfants, le téléfilm se concentre sur le personnage du précheur incarné par Richard Chamberlain. Tout le monde s’accorde à dire que cette nouvelle mouture dirigée par David Greene ne parvient aucunement à égaler l’original.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

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