Vendredi 28 Juin 2013 à 20h30
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Michael Cimino – USA – 1980 – 3h36 – vostf
Deux anciens élèves de Harvard se retrouvent en 1890 dans le Wyoming. Averill est shérif fédéral tandis que Billy Irvine, rongé par l’alcool, est membre d’une association de gros éleveurs en lutte contre les petits immigrants venus pour la plupart d’Europe centrale. Averill s’oppose à l’intervention de l’association sur le district et tente de convaincre son amie Ella, une prostituée d’origine française, de quitter le pays.
Notre critique
Par Josiane Scoleri
Avec La Porte du Paradis, Michael Cimino signe en 1980 un film hors norme qui va bouleverser durablement non seulement la carrière du réalisateur mais l’ensemble de l’industrie du cinéma aux Etats-Unis. Dès ses deux premiers longs-métrages qui lui ouvrirent rapidement la voie du succès: Thunderbolt and Lightfoot en 1974, distribué en France sous le titre Le Canardeur où Clint Eastwood joue un vétéran déjanté de la guerre de Corée, et surtout The Deer Hunter en 1978 qui récolte 5 Oscars en plongeant l’Amérique toute entière dans la folie de la guerre du Vietnam (cf le titre français Voyage au bout de l’enfer, beaucoup plus explicite), Michael Cimino avait déjà choisi un parti-pris risqué en remuant le couteau dans la plaie de l’histoire contemporaine des Etas-Unis. La Porte du Paradis est un projet autrement ambitieux puisqu’il touche aux mythes conjugués du « melting pot » et de la conquête de l’Ouest en s’appuyant là-aussi sur des faits historiques.
Le « melting pot« , c’est le creuset magique de l’Amérique telle qu’elle se rêve. Toutes les nationalités, toutes les langues, tous les particularismes s’y fondent pour donner naissance à la nation américaine (cf aujourd’hui encore l’obsession du patriotisme et des drapeaux dans toutes les manifestations publiques). Alors que la peine, le mythe du « melting pot » s’avère une illusion essentielle à un semblant de cohésion sociale. Quant à la conquête de l’Ouest, c’est l’épopée fondatrice dont tout peuple a besoin pour se constituer. Le légende met en scène les valeureux pionniers qui affrontent un environnement hostile, immense et sauvage incarné à tout jamais par l’Indien voué à disparaître face à l’avancée inexorable de l’homme blanc.
Dans un tel scénario, il n’est même pas concevable de parler d’un génocide des Indiens. Les faits d’armes des pionniers sont héroïques. Leur cause est noble. Dieu voulait qu’elle l’emporte et c’est bien ce qui s’est produit. Rideau. Rapporté à la planète cinéma, il n’est pas étonnant qu’Hollywood ait inventé le western et lui ait consacré des milliers de films. Avec son pouvoir d’identification sans égal, le cinéma, par le biais du western et de tous ses archétypes a donné une légitimité et un ancrage populaire indéboulonnable à cette vision acritique de l’histoire du Far West. Il fallut attendre les années 70 pour que quelques rares exceptions comme Little Big Man ou Jeremiah Johnson apportent un bémol à cette partition millimétrée.
Mais Cimino va beaucoup plus loin et retourne complètement le genre puisqu’il va nous livrer un film qui a tout du western…sauf les Indiens. Tous les ingrédients sont là: le shérif, les migrants durs à la peine, les riches propriétaires terriens et bien sûr les gardiens de troupeaux (c’est-à-dire, vous l’aurez deviné, les cowboys) qui jouent de leur pistolet sans se poser beaucoup de questions. Et n’oublions pas le bordel en lisière du village qui a fidèlement accompagné la progression vers l’Ouest. A partir de là, Cimino va donner corps sous nos yeux à toute la société américaine. Ce qui est en soi un exploit, mais il va le faire qui plus est avec passion et virtuosité. Le film démarre littéralement sur des chapeaux de roue avec la fête de fin d’études à Harvard (apparemment bien loin du grand Ouest et des nécessiteux qui le peuplent). Et Cimino de nous régaler d’emblée avec deux morceaux de bravoure : le discours tout en ironie de Billy Irwine et la ronde endiablée autour du grand arbre où va se distinguer Averill (premier cercle, premier niveau de pouvoir). Et si le réalisateur prend soin de nous décrire avec force détails l’élite WASP (White, Anlo-Saxon, Protestant) des jeunes diplômés, ce n’est pas pour nous éblouir par la maestria de ses mouvements de caméra, mais bien pour nous signifier que les futurs propriétaires terriens et grands éleveurs de bétail de l’Ouest lointain, ce sont eux.
On l’aura compris, la grille de lecture de Cimino se situe aux antipodes de la fable du « melting pot« . La société américaine est une société de classes où comme partout ailleurs une toute petite minorité concentre tous les attributs du pouvoir, de la richesse et de la connaissance et méprise violemment le reste de l’humanité qui ne fait pas partie de son monde. Après la minorité donc, le film aborde le rest e du monde avec là aussi une première scène choc où il apparaît clairement qu’en gardant le bétail, les bouviers gardent avant tout la propriété privée. La mise en scène est contrastée, forte. Elle dit à elle seule, ou presque, l’âpreté de la vie, les tensions, les conflits à la vie à la mort qui sont le quotidien de ces hommes et de ces femmes qui espèrent et tentent de survivre. Le rythme du film, plein de ruptures et de soubresauts, est à l’image de cette épopée. Tout en finesse, le réalisateur a l’habileté de trouer son récit de scènes plus douces qui tournent autour du personnage d’Ella, la tenancière du bordel.
Inoubliable Isabelle Huppert, fraîche, juvénile, lumineuse. Mais là encore, Cimino prend l’Amérique à revers. Au lieu d’une histoire d’amour convenue entre la belle prostituée et le shérif/dandy esseulé, il nous offre un tableau autrement plus complexe en faisant de Nat – le pistolero aux dents longues qui aspire à l’élégance du shérif – le deuxième prétendant d’Ella. Entrelacs d’autant plus subtil qu’Ella n’est pas sans éprouver une certaine tendresse pour celui qui tout comme elle, veut s’en sortir à tout prix. Pour reprendre les mots de la critique américaine « On ne sait pas qui aime qui » crime de lèse-film hollywoodien s’il en est ! Et comme si ce n’était pas suffisant, Cimino, tout vibrant de l’esprit des années 70, insuffle à cette histoire un vent de liberté qui n’a déjà plus cours à l’aube des années Reagan. La figure du cercle revient à plusieurs reprises dans le film, et souligne à chaque fois l’enfermement des personnages (notamment la magnifique scène de danse en patins à roulettes des migrants qui répond à celle de Harvard) et va culminer bien sûr avec la scène de bataille finale. Entretemps, nous aurons entendu quelques discussions en allemand ou bulgare (quelle audace) et toucher du doigt l’organisation sans faille d’un pouvoir qui se veut sans partage. Le miroir que Cimino tend à l’Amérique est tout aussi impitoyable. Celle-ci ne lui pardonnera pas.
Sur le web
Ce film est l’un des plus gros gouffres financiers de l’histoire du cinéma et entraîna la faillite de la société United Artists, rachetée par la Metro Goldwyn Mayer. Lors de sa présentation, les critiques furent tellement mauvaises que United Artists décida de faire plus de 300 coupes et de réduire le film de plus d’une heure pour le ramener à une durée d’environ 2h30 (au lieu de 3h39). L’accueil auprès du public n’en fut pas moins catastrophique et le film ne récolta qu’un million et demi de dollars de recettes pour un budget trente fois supérieur ! Ce n’est que 5 ans plus tard, en 1985, que Michael Cimino fit un nouveau film : L’Année du dragon.
Tout au long du tournage, Michael Cimino a fait preuve d’un perfectionnisme à toute épreuve. Il y avait déjà quatre jours de retard sur le planning après cinq jours de tournage car il n’était pas rare que le cinéaste fasse 50 prises d’une même scène. Au final, le tournage s’est étalé sur 165 jours. Le montage fut tout aussi épique puisque Cimino, possédant le « Final cut », posta un garde armé devant la salle de montage qui avait pour ordre de ne laisser entrer aucune personne en provenance d’United Artists.
Ce film marque la première apparition au cinéma d’Anna Thomson, ici sous son nom de jeune fille Anna Levin, mais aussi de Willem Dafoe sans qu’il en soit crédité au générique, et de Terry O’Quinn, le célèbre John Locke de la série Lost, les disparus.
La restauration numérique de La Porte du paradis a été réalisée par The Criterion Collection, sous licence de MGM, avec le soutien de Park Circus et de Colorworks. La Porte du paradis a d’abord été distribué dans une version de 219 minutes, sortie en 1980 sur un petit nombre de copies 70 mm, avant d’être réduit à 149 minutes et diffusé de façon plus large en 1981. Le négatif original ayant lui-même été raccourci au cours du procédé, il ne pouvait servir de base pour cette restauration de la version longue. Heureusement, avant d’être retouché, le négatif avait été préservé sur des matrices de séparation des couleurs JCM, c’est-à-dire des éléments de sauvegarde correspondant à chacune des trois couleurs de la pellicule : jaune, cyan et magenta. Ces matrices ont été scannées à une résolution de 2K chez Colorworks à Los Angeles, puis réassemblées numériquement afin de reproduire les couleurs du négatif original. À partir de ces éléments scannés, Michael Cimino a pu créer la présente version de 216 minutes. Le carton et la musique d’entracte ont été retirés et quelques scènes ont été rafraîchies au montage. The Criterion Collection a effectué des travaux supplémentaires pour corriger les couleurs et supprimer complètement les poussières et rayures, et a restauré la bande sonore à partir du mixage 6 pistes magnétiques. L’intégralité de l’étalonnage ainsi que de la restauration de l’image et du son a été directement supervisée par Michael Cimino.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri et Bruno Precioso.
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