Vendredi 08 Février 2013 à 20h30 – 11ième Festival
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Kim Ki-Young – Corée du Sud – 1960 – 1h51 – vostf
Suite à un déménagement dans une maison plus grande, la femme d’un professeur de musique persuade celui-ci d’engager une domestique. Mais bientôt, la servante devient la maîtresse et la calme maison devient alors le lieu d’un dramatique huis clos.
Notre critique
Par Olivier Bitoun
Kim Ki-young est un cinéaste qui a eu une importance considérable pour toute une génération de réalisateurs sud-coréens. Ainsi, Park Chan-wook (Old Boy) et Bong Joon-ho (The Host) ne manquent pas une occasion de rappeler l’influence de ce cinéaste qui a érigé le baroquisme et l’excentricité en règle d’or. De manière encore plus parlante, Im Sang-soo (The President’s Last Bang) réalise en 2010 un remake de La Servante (distribué en France sous le titre The Housemaid), une manière pour lui de célébrer le demi-siècle d’un film qui a provoqué une forme de révolution dans le paysage du cinéma sud-coréen. La trentaine de films que Kim Ki-young a réalisés entre 1955 et 1990 forme un véritable continent qui reste à explorer, tant ses oeuvres demeurent inconnues et invisibles pour le cinéphile français qui n’a pas eu la chance de suivre la rétrospective que la Cinémathèque française lui a consacrée en 2006. Dans les années 50, Kim s’illustre dans un style du mélo néo-réaliste qui a alors la faveur du public et donc des producteurs. Il rencontre ainsi plusieurs succès mais, plutôt que de poursuivre dans cette voie, il décide de s’affranchir des canons du mélodrame sentimental réaliste.
C’est avec La Servante qu’il opère ce basculement qu’il appelait de ses voeux. Il vient de monter sa propre société de production, ce qui lui offre une liberté totale dans ses choix esthétiques. Il tourne ainsi son film quasi intégralement en studio alors que la norme est alors de filmer dans la rue. La maîtrise des décors, des éclairages, du cadre sont la condition sine qua non pour qu’il puisse accomplir cette révolution qu’il entend mener, à savoir abandonner un réalisme devenu dogmatique pour proposer des oeuvres lorgnant du côté de l’expressionnisme et de la psychanalyse. Conforté par le succès de La Servante, il réalisera par la suite des films très personnels, à mi-chemin du mélodrame et du cinéma de genre. Ses réalisations sont marquées par une exubérance formelle et thématique, un érotisme, une cruauté et un discours politique engagé et contestataire qui va faire école. Parfois menacé par la censure, Kim est plébiscité par un public qui suit avec passion chacun de ses nouveaux films et lui réserve parfois de véritables triomphes dans les salles. Cet âge d’or dure jusqu’au début des années 80, le cinéaste s’enfonçant au cours de cette décennie dans la marginalité, son cinéma se faisant toujours plus radical, violent et iconoclaste. Cette marginalité lui confère un statut de cinéaste culte pour une nouvelle génération de cinéphiles qui voient bientôt en lui le « pape coréen du cinéma bis ». La découverte aujourd’hui de La Servante semble donner raison aux thuriféraires du cinéaste, Kim Kiyoung pervertissant complètement le genre, transformant ce qui aurait pu être un mélo social tire-larmes en suspense terrifiant et sadique flirtant avec le film d’horreur et la farce grotesque.
L’histoire, inspirée d’un fait divers, raconte comment une servante aux yeux de biche embauchée par une famille bourgeoise va peu à peu prendre l’ascendant sur le maître de maison et faire imploser la cellule familiale. Kim tire de ce récit classique une oeuvre trouble et dérangeante. Il appuie sur le sadisme et la cruauté des situations, transforme son héroïne en figure démoniaque, érotique et perverse, et surtout refuse de se cantonner à un genre spécifique. Le film navigue ainsi d’un style à un autre, passant de la critique sociale à la satire, de l’humour noir au drame intimiste. La bande-son, détonnant mélange entre ritournelles sirupeuses et mélodies anxiogènes et grinçantes, joue également sur les frontières poreuses entre farce et horreur, drame et pantalonnade. On se prend ainsi à rire de situations tragiques ou terrifiantes sans plus trop savoir si c’est par maladresse – Kim n’y va pas de main morte dans l’outrance – ou par une volonté délibérée de sa part. On penchera pour la seconde hypothèse, Kim souhaitant d’évidence déstabiliser le spectateur en détournant ou accentuant les codes du genre dans l’optique de provoquer chez lui des réactions troubles et ambiguës. Son film se présente en effet comme un divertissement pour « ménagère« , un public cible d’une bonne partie de la production sudcoréenne de l’époque. Il reprend ainsi des thèmes classiques de ces films (la concupiscence des hommes et la perversité de belles jeunes femmes prêtes à détruire un foyer pour assouvir leurs pulsions sexuelles), semblant ainsi flatter son public féminin en répondant à ses attentes. Seulement, il pousse ces thèmes jusqu’à l’excès, si bien que les réactions de ses spectatrices se font aussi outrancières que les actes criminels et lubriques des protagonistes du film. Kim Ki-young aimait à raconter que des femmes se levaient lors des projections et réclamaient, hystériques, « la mort de cette salope » ! Le final ne change rien à l’affaire : Kim pervertit le genre, s’en amuse et fait surgir la part violente et sadique de la spectatrice venue tranquillement se rassurer quant à la malignité des jeunes femmes et au destin funèbre qui attend l’époux adultère.
Outre la malignité dont fait preuve le cinéaste, c’est son talent de metteur en scène qui fait de La Servante une date du cinéma coréen. Son utilisation des travellings, la façon dont il compose ses cadres, la place qu’il donne au hors champ, la manière dont il éclaire décors et personnages sans aucun souci de réalisme, tout confère à transformer son mélodrame en véritable film d’horreur. Il filme ainsi la demeure bourgeoise du couple comme une maison hantée, avec des murs rugueux qui semblent recouverts d’une gangue végétale et qui donnent un aspect vivant, organique, à l’habitation. Kim Ki-young fait de l’espace de la maison une extension directe de ce qui travaille intérieurement les personnages, établissant d’évidents raccords entre la topographie des lieux – tout en antichambres, étages, impasses et cloisons – et une vision freudienne de la psyché humaine. Plus prosaïquement, c’est l’espace qu’offre la demeure bourgeoise qui permet à un corps étranger de s’insérer dans la famille. Au début du film, celle-ci est soudée, chaque membre est lié à l’autre par le fait de partager une pièce unique. En voulant accéder à un statut social supérieur, la famille signe son arrêt de mort : c’est en s’écartant les uns des autres, en découpant l’espace de vie jusqu’ici partagé en cellules distinctes que le lien fort qui unissait cette famille se délite et que la servante peut jouer sur la jalousie de l’épouse, le désir du mari et la peur des enfants pour faire éclater la petite communauté. C’est donc aussi un discours social que propose Kim. A l’étage, il y a le père et son piano, symbole de la réussite sociale et de l’occidentalisation des moeurs. Au rez-de-chaussée, c’est l’atelier de la mère qui toute la journée est affairée sur sa machine à coudre. La servante est cantonnée à cet étage mais n’a de cesse de vouloir gravir les marches pour accéder à l’époux, pour partager son ascension sociale, elle qui vient de la campagne. Kim est scandalisé par le sort de ces jeunes filles qui viennent à la ville gagner leur argent et qui n’ont d’autre horizon qu’un travail d’esclave dans les usines (le portrait que fait le cinéaste de l’usine textile, que l’on croit longtemps être une prison, est à ce titre emblématique) ou la prostitution. Malgré cet aspect horrifico-comique, Kim Ki-young propose ainsi une peinture très réaliste de la société sud-coréenne, montrant l’asservissement de la femme et la domination masculine. Épouse et servante partagent le même espace, entre l’atelier et la cuisine, au côté des rats, aspirant toutes deux à rejoindre l’homme qui lui s’épanouit au-dessus dans un espace aéré et vitré, profitant de la musique et de ces cigarettes qu’il fume à la chaîne. Kim Ki-young se place clairement du côté de la femme, de la servante, présentant ses actes sadiques et criminels comme une juste revanche sur le mâle dominateur et la société bourgeoise qu’il représente. Car outre les lieux, Kim Ki-young soigne avant tout la façon dont il met en scène son héroïne, la transformant en apparition fantomatique qui prend peu à peu possession du champ, du film. Au départ effacée, elle s’impose peu à peu par sa présence érotique, ses regards furieux et inquiétants, par la manière dont elle surgit dans le cadre en apparaissant dans un coin du plan à la faveur d’un changement de lumière ou d’un déplacement de caméra. Kim Ki-young rompt bien avec la forme néo-réaliste pour aller du côté d’un Hitchcock, s’amusant même d’ailleurs à citer Soupçons dans son film. La Servante est loin d’être un chef-d’oeuvre incontournable du cinéma coréen, mais pour qui aime les oeuvres qui ne craignent pas l’outrance, le grotesque, c’est un film à découvrir impérativement, au-delà de sa simple importance historique.
Sur le web
Datant des années 60, la pellicule de La Servante a été délabrée au point que les sous-titres occupaient finalement la moitié de l’image. Le film n’était alors diffusé que dans une version tronquée de deux séquences. Grâce au soutien de la World Cinema Foundation, le Korean Film Archive a réussi à restaurer la copie du film et à rétablir toutes les parties abimées : « Je suis fier que la World Cinema Foundation ait joué un rôle dans la restauration et la préservation de cette œuvre remarquable. J’ai hâte que de nouveaux spectateurs découvrent et se mettent à aimer La Servante« , confie Martin Scorsese, fondateur de l’organisation.
Kim Ki-Young a lui-même tourné deux remakes de La Servante : La Femme de feu (1970) et La Femme de feu-82 (1982). En 2010, le film a également inspiré le réalisateur sud-coréen Im Sang-soo qui en a fait un troisième remake, intitulé The Housemaid comme l’original.
La servante est interprétée par Eun-shim Lee, qui signe ici son seul et unique rôle. Ce film est une référence incontournable dans le cinéma coréen des années 60. Parmi les réalisateurs qu’il a beaucoup influencés, on peut citer Park Chan-wook, le réalisateur de Old Boy et Kim Ki-duk, celui de Printemps, été, automne, hiver… et printemps.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.
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