Dimanche 01 décembre 2002 à 20h45
Film de Ingmar Bergman – Suède – 1960 – 1h29 – vostf
Deux bergers violent et assassinent une jeune fille. Les deux meurtriers s’enfuient et trouvent refuge chez un riche propriétaire terrien. Ils ignorent qu’il est le propre père de la victime.
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Le film s’inspire d’une ballade d’origine romane datant du Moyen-Age, reprise de nombreuses fois en vers et en proses. C’est cependant en Scandinavie qu’elle devient une véritable légende. Le jaillissement de la source sous la tête de la morte et la construction d’une église à l’emplacement de celle-ci viennent de la version nordique légendaire, à laquelle s’intéressait Bergman depuis ses études de littérature à l’université. Le film d’Ingmar Bergman fut entièrement écrit par Ulla Isaksson, romancière suédoise réputée. Elle avait déjà participé au scénario d’Au seuil de la vie et adapte cette fois-ci un conte médiéval suédois originellement intitulé « La fille de Töre à Vänge« .
« …Le XIVème siècle marque la transition définitive du paganisme au monothéisme chrétien au terme d’un mouvement de christianisation datant du XIIème siècle en Suède, mais les deux cultes cohabitent à ce moment-là encore en Europe. Le film montre comment, alors que la classe possédante dont les familles sont converties de longue date implorent les crucifix, le peule, lui, exhorte la divinité Odin. Il fait état de la façon dont la religion officielle a absorbé en son sein les superstitions ancestrales (les pâtres apeurés par l’apparition d’un crapaud quand Karin croit être sous la protection subite d’un saint). Famille prospère sous la bénédiction du Christ, les Töre accueillent pourtant dans leur maison une bâtarde, Inger, la sœur adoptive, née d’une sorcière, qui craint les anciens dieux et en est réduite à nourrir les cochons, en concurrence avec Karin, la légitime et favorite. Le pouvoir médiéval abrite sous son toit ces deux figures qu’il nous a léguées en lourd héritage : la vierge et la souillon.
Mais pour le cinéaste, l’irrationalité apparente des croyances populaires est plus proche d’une certaine vérité du monde que la religion des maîtres. Les mauvais présages ne mentent pas tant que ça, tandis que l’innocence de Karin n’est guère ici qu’un autre nom de l’idiotie. Quand sa mère, bigote asséchée par les mortifications, lui enfile la robe de célébration, elle ne manque pas d’insister sur les neuf jeunes filles qui se sont épuisées à son tissage, un rappel que le luxe se mesure toujours à la souffrance de ceux qui le produisent. Karin va payer cher sa désinvolte flamboyance, ses privilèges et leur ostentation. Inger voyait juste quant à elle, en craignant pour la fille de riches son entrée dans les bois. Autant le dire, La Source est un film hautain. Une recherche historique de ce qui frappe comme l’évidence dans une époque « moins civilisée » comme disent les cuistres, mais qu’on retrouve comme un nœud dur sous la dentelle raffinée.
Nulle complaisance dans la mise en scène de l’agression. Bergman est conscient que le filmage d’un tel acte n’en traduit jamais l’horreur véritable. C’est par ses suites que celle-ci nous est transmise. Après le viol, Karin avance hagarde, des sanglots la débordent. La caméra fixe son regard alors que son hoquet pleureur s’apparente de plus en plus à un jappement. Il traduit alors tout l’effroi, le désarroi à n’avoir pu s’extraire de l’animalité du réel. Il en va de même pour sa mise à mort : c’est la perte subite d’appétit du garçon, qui s’apprêtait après des jours de famine à avaler le pain de la jeune fille devant son cadavre, qui nous en transmet la terreur. Chez Bergman, l’horreur vient toujours après, comme pour ses couples qui réalisent après coup l’infamie pour eux et pour l’autre que les mots qu’ils viennent de lâcher signifie. Ses mises en scène se construisent systématiquement sur cet écart glaçant entre le coup porté, ou reçu, et sa conséquence sur l’autre ou sur soi.
La Source tétanise par sa façon de ne pas ciller d’un pouce de sa trajectoire fatale. Par une providence perverse et maléfique nous ramenant à la cruauté des contes, les coupables ne peuvent prendre gîte que dans la bâtisse du père de l’assassinée. Se faire justice ne peut ici être que la suprême injustice : la mise à mort de l’enfant, qui n’a pas participé au méfait et était paradoxalement le seul à en éprouver du remords. Là encore, Bergman joue à plein de l’étirement du temps, la longue préparation du père, qui abat à la force de ses bras un arbre sacré, se morigène de ses branches, se lave méthodiquement à l’eau brûlante, avant le massacre dont la rapidité d’exécution ne laisse aucune place à l’hésitation. Tout est encore dans l’après-coup : son épouse prise d’une affection coupable pour la dépouille du garçon, le patriarche portant le sang des malfrats sur les mains. Roitelet qui se rêvait en seigneur des armes et dont le tablier de cuir ensanglanté ne donne à voir qu’un boucher.
Entre l’expiation et le blasphème, Bergman ne peut choisir : il place les deux dans la bouche du père, à genoux non loin du corps de Karin. Le coup de force discipliné, la tuerie méthodique des coupables, tout cela n’a fait que reculer vers une catharsis l’expression de la pire souffrance qui se puisse imaginer : celle de la perte d’un enfant pour ses parents. Une source pourtant jaillit, après qu’un arbre a été abattu. Cet espoir est encore là, il revient au spectateur de décider si la pietà finale est artificiellement greffée sur les caprices de la fatalité ou en représente le point nécessaire de destination. Bergman contredit pour un temps encore les mots de Michelet : « Là où paraissent les chrétiens, parait le désert. » Avec La Source, il entame dans son œuvre un processus d’athéisation où chaque film constitue comme une missive se rapportant à une étape du dur cheminement, avec ses hésitations et rechutes, une mauvaise foi souvent évidente et une obsession du mal de vivre avoisinant le délire de persécution. Au terme de ces quelques films mal-aimables et bouleversants, luttes au corps-à-corps avec ses manquements, sa propre lâcheté, il ne se posera plus la question inutile – « Où était Dieu ? » – mais celle exigeant, en lieu et place de l’agitation, le courage de ne plus se trouver d’excuses : « Où sont les hommes et les femmes ? » (dvdclassik.com)
Pour la sortie de La Source, Bergman est au plus bas : l’immense succès qui a accueilli successivement Le Septième Sceau et Les Fraises sauvages a nourri beaucoup d’attentes pour son film suivant, Le Visage. Or, celui-ci fut mal reçu par le public et la critique, considéré comme une oeuvre mineure du cinéaste. La Source recevra malheureusement un accueil équivalent : on y voit à l’époque une académique réussite technique et un propos confus. La scène de viol fait également polémique et paraît inutile au public, choqué.
Ingmar Bergman considéra différemment son film au cours des années. S’il y voit d’abord l’une de ses meilleures réalisations, il y verra finalement une version ratée de Rashomon et des Bas-Fonds d’Akira Kurosawa.
Si le film ne fut pas extrêmement bien reçu à sa sortie, il lança par contre un genre maintes fois réédité depuis, le rape and revenge movie. Wes Craven l’un des grands noms du cinéma d’horreur s’y est bien entendu essayé ; il se fait une réputation en réalisant son premier film La Dernière maison sur la gauche en 1972, inspiré de La Source. Un remake de son film sortira même en 2009, mis en scène par Dennis Iliadis. Mais on y trouve aussi Dennis Yu, avec Shan Kou, ou Aldo Lado avec Le Dernier train de la nuit. De plus, le film est cité en référence dans plusieurs classiques du cinéma d’horreur, qu’il y ait ou non scène de viol et de vengeance (malgré tout assez fréquentes). On peut nommer Evil Dead II de Sam Raimi, Day of the woman de Meir
Zarchi, ainsi que les documentaires The American Nightmare d’Adam Simon, Never Sleep Again (making-of de Nightmare on Elm Street) de Jeffrey Schwarz et American Grindhouse d’Elijah Drenner.
Comme Le Septième Sceau, La Source est un film cité par Van Halen dans son morceau intitulé « Le Septième Sceau« .
Alors qu’à sa sortie, le film ne rencontre pas son public, La Source connaît pourtant un franc succès au festival de Cannes où il remporte le Grand Prix de la critique. L’année suivant sa sortie (1961), il est également récompensé de l’Oscar du meilleur film en langue étrangère. La réception du film est donc des plus paradoxales, d’autant plus qu’à Cannes, c’est avec Fellini et Visconti qu’il partage le prix, pour leur films respectifs La Dolce vita et Rocco et ses frères.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.
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