La terre éphémère



Vendredi 19 Décembre 2014 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de George Ovashvili – Géorgie – 2014 – 1h40 – vostf

Sur le fleuve Inguri, frontière naturelle entre la Géorgie et l’Abkhazie, des bandes de terres fertiles se créent et disparaissent au gré des saisons. Un vieil Abkaze et sa petite fille cultivent du maïs sur une de ces îles éphémères. Le lien intense qui les lie à la nature est perturbé par les rondes des garde-frontières.

Notre critique

par Josiane Scoleri

La terre éphémère  est un film d’apparence modeste, simple et lisible. La caméra  est là pour capter tous les gestes du quotidien et aucun d’entre eux n’est inutile. C’est un film qui pourrait s’appeler « Le Hasard et la Nécessité ». Le hasard, c’est la Nature – avec un très grand H – qui en est maître, Le fleuve fait surgir ses/ces îlots de limon comme il les emporte, selon ses humeurs auraient dit les Anciens, selon la météo disent les Modernes. Mais au fond, peu importe, puisque l’Homme, malgré ses éternelles prétentions, n’est pas maître des éléments et ne le sera jamais,..  Il lui reste la nécessité de vivre, et celle des personnages de la Terre Éphémère est particulièrement rude.

Le film est rythmé par les différentes étapes de la prise de possession des lieux par le grand-père et sa petite-fille. D’abord la construction de la cabane. Le grand-père a l’assurance tranquille de l’expérience. Sa petite-fille l’assiste, puisqu’il le faut bien. Son regard nous dit un certaine absence  et parle de résignation. Le grand-père, au contraire est dans une absorption absolue à chacun des ses gestes et de ses observations, du fleuve, de la terre, des oiseaux. Tout fait sens pour lui.  Et, en tant que spectateurs, nous sommes attentifs comme lui, au moindre son, aux changements de lumière, à la direction du vent. Viendront, de la même manière, au même rythme, les semailles et les différentes étapes de la culture du maïs. Le cycle de la nature est souverain et les hommes n’ont pas d’autre choix que de s’y conformer du mieux qu’ils peuvent.

S’il se contentait de cette veine « anthropologique », la Terre éphémère serait un joli film, avec de très beaux plans, une bande-son soignée et une lumière très travaillée. Elemér Ragalyi est, de fait, un chef op expérimenté qui connaît très bien son métier. Mais cette approche naturaliste  est à la fois la dominante du film et son contre-point. Car en filigrane, se dessine une autre thématique qui apparaît d’abord de manière fugace ( des coups de feu au loin, le bruit de moteur du canot des garde-frontières…) et qui ira s’amplifiant au fur et à mesure que le scénario avance. La question de la frontière et des langues, comme dans « L’autre rive », le premier film du réalisateur, devient ici essentielle, et avec elle surgit avec force la folie des hommes, tout aussi  irrationnelle, tout aussi absurde, que la nature est aveugle.

La trame du récit se densifie. Les coups de feu se précisent, les contrôles se font plus pressants et à partir de là, Ovashvili va mener de front deux lignes ou plutôt deux voix qui finiront par se croiser. La première  est la continuation du thème de la nature. Au fur et à mesure que le maïs pousse, nous voyons en parallèle grandir Mariam.  À son arrivée sur l’île, la petite fille s’accrochait à sa poupée face à l’âpreté de la situation  et ne s’en séparait jamais. Puis vient le moment où elle l’accroche au mur, elle grandit. Les commentaires, les regards plus ou moins appuyés des garde-frontières lui renvoient une féminité d’elle-même qu’elle ignore encore. Là aussi, la menace est latente. Jusqu’à ce que l’Histoire à son tour fasse irruption sur ce coin de terre qui existe à peine. Le jeu de la toute jeune actrice est d’ailleurs remarquable. Nous voyons vraiment sous nos yeux comment la chrysalide de l »enfant va laisser la place à la très jeune fille : davantage de présence, davantage d’aisance dans le mouvement, davantage d’audace dans le regard. Cette métamorphose se concrétise dans la présence du jeune soldat blessé. Bien sûr le grand-père est là qui veille au grain et un regard suffit pour rentrer dans le rang.

Le deuxième thème est donc celui de l’Histoire en train de se faire aux mains si peu habiles des hommes. Le réalisateur tisse savamment sa toile en un crescendo totalement maitrisé. La menace se fait se plus en plus oppressante. Le centre de gravité du film – et notre attention- se déplace des plans de maïs pourtant de plus en plus grands vers les allées et venues des hommes en armes. Les plans de nuit sont magnifiques et distillent la peur. Le travail sur la bande-son est là aussi essentiel. Tous les bruits ambiants sont magnifiés et contribuent à faire monter l’angoisse.

Point n’est besoin de connaitre les tenants et aboutissants du conflit entre la Géorgie et l’Abkhazie, le danger est là. Le grand-père agit, comme il le fait dans la vie quotidienne, sans la moindre hésitation, en homme qui ne risque pas de se tromper sur ce qui est vrai. Toutes les patrouilles, qu’elles soient géorgiennes, abkhazes ou russes sont dangereuses. Et parfaitement absurdes, gonflées de leur propre importance, incapables de seulement entrevoir la vanité de leur agitation, même face à cette nature si puissante. Rien n’est entièrement explicite dans ces échanges et pourtant chaque scène apporte un détail qui nous permet d’en savoir suffisamment pour nous repérer. La mise en scène garde à tout moment cette fluidité qui est la marque du film comme si elle était elle aussi dictée, déterminée même par l’eau du fleuve. Le fleuve, lui va reprendre tous ses droits en un final somptueux qui remet violemment les pendules à l’heure. La toute dernière scène du film renvoie en miroir à la première et l’on comprend rétrospectivement la signification tragique des nombreux plans où le grand-père pensif, ressort le fume-cigarettes qu’il a trouvé en arrivant sur l’île. Sans le moindre discours. Comme le dit Ovashvili, le cinéma, ce sont avant tout les images.

Sur le web

George Ovashvili raconte: « J’ai beaucoup de bons souvenirs d’Akhazie. J’ai passé mes étés sur la côte abkhaze de la mer noire. J’y ai rencontré ma première petite amie. C’était un pur bonheur; nous ne savions pas ce qu’était la guerre. Et puis un jour, en Pitsunda, une des plus belles régions d’Abkhazie, un type, un pistolet à la main, nous a dit: « vous devez quitter notre terre, vous êtes géorgiens ». C’était en août 1992, la guerre commençait. Mes amis et moi sommes partis. Deux cent cinquante milles géorgiens résidant en Abkhazie ont dû quitter leur terre et leur maison. Beaucoup y sont restés à jamais, à cause de notre puissant voisin.« 

L’Allemagne, la France, la République Tchèque, la Hongrie, le Kazakhstan et la Géorgie ont joint leurs forces pour donner vie à ce long métrage de George Ovashvili qui confie que  » C’était une joyeuse Tour de Babel, sans malentendus, grâce à nos nombreux interprètes. Le résultat est un langage unique et universel : le cinéma. Je pense que la diversité de l’équipe a renforcé le thème universel du film. Bien que l’histoire se situe dans un contexte géopolitique très spécifique, je m’intéresse essentiellement aux conflits qui divisent les hommes entre eux mais aussi de leur combat contre la nature. » Les équipes créative et technique à l’origine du film recensaient des membres d’origines aussi diverses que multiples. Ce qui n’a pas toujours été un atout, au contraire : la langue et certains aléas inhérents au dispositif de production se sont quelques fois avérés être un obstacle, que chacun a, cependant, su surmonter.

L’une des difficultés majeures à laquelle furent confrontés les techniciens du film fut la construction de l’île sur laquelle séjournent le vieil Abkaze et sa petite fille. A propos de cet ïle, George Ovashvili ajoute: « Je ne l’ai pas trouvée ! J’ai sillonné la Géorgie pendant deux ans, visité tous les fleuves et les lacs, mais je n’ai jamais trouvé celle qui convenait. J’ai fini par comprendre que celle île n’existait pas et qu’il nous faudrait la construire. Personne ne croyait que cela pouvait être possible, mais nous avons réussi. Nous avons construit notre Terre éphémère au milieu d’un vaste lac artificiel. »  En effet, plutôt que de s’installer sur un morceau de terre quelconque, George Ovashvili et son équipe ont préféré monter l’île de toutes pièces, ce qui a demandé un travail titanesque. A la fin du tournage, le décor a été détruit.

Au total, 70 jours auront été nécessaires pour enregistrer La Terre Ephémère. Le tournage s’est étendu sur trois saisons, entre le printemps et l’automne. La réalisation, le scénario et même la production de La Terre Ephémère sont du fait de George Ovashvili.

La Terre Ephémère a été présenté en compétition officielle au prestigieux Festival International du film de Karlovy Vary (République Tchèque). Le film fit sensation auprès du jury et remporta même le Globe de Cristal.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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