L’Amitié



Vendredi 12 Mai 2023 à 20h

Cinéma Jean-Paul Belmondo (ex-Mercury) – 16 place Garibaldi – Nice

Documentaire d’Alain Cavalier, France, 2023, 2h04

« J’ai intensément partagé le travail cinématographique avec certains, jusqu’à une amitié toujours vive. Filmer aujourd’hui ce lien sentimental est un plaisir sans nostalgie. Nos vies croisées nous permettent cette simplicité rapide de ceux qui ne se racontent pas d’histoires, qui savent être devant ou derrière la caméra, dans un ensemble de dons et d’abandon au film. » (Alain Cavalier)

Notre article

par Josiane Scoleri

Après ses nombreux portraits récents consacrés parfois à des personnalités connues (Philippe Labro par exemple), mais plus souvent à des anonymes (la fleuriste de la rue Monge, Guillaume le boulanger ou Léon le cordonnier de son quartier etc…) Alain Cavalier signe avec L’Amitié un film éminemment intime consacré à trois proches avec lesquels il a tissé, sur la longue durée, au fil de différents tournages ou projets, des liens forts et singuliers. Car « les affinités électives » sont avant tout affaire de singularité. C’est une entreprise extraordinaire que de vouloir montrer un sentiment aussi protéiforme et complexe que l’amitié. Si l’amour est la matière inépuisable du cinéma depuis les origines, l’amitié qui est pourtant une forme vitale d’amour, est souvent traité en comparse de seconde classe. L’amitié-type au cinéma est celle des deux amis inséparables jusqu’à… l’irruption de la femme qui sera fatale à leur belle relation. Même dans les « buddy movies« , catégorie hollywoodienne consacrée aux relations entre potes, amitié volontiers virile et plutôt brute de décoffrage, la relation sert presque toujours de prétexte à la peinture d’un milieu social ou professionnel, d’un hobby ou d’un territoire. Il est d’ailleurs remarquable que l’amitié au cinéma soit presque toujours masculine. À l’écran, les femmes entre elles sont avant tout des rivales, capables des pires vilénies plutôt que de chaleur et d’entraide, à quelques rares exceptions près (citons tout de même au moins Femmes, Femmes, le film culte de Paul Vecchiali ou plus récemment Certaines Femmes de Kelly Reichardt par exemple).

La grande originalité du film d’Alain Cavalier consiste à mettre en scène ici ses propres relations amicales. Fidèle à sa méthode depuis plus de 30 ans, le filmeur filme seul, avec sa petite caméra numérique. Il est très présent, même s’il reste toujours hors-champ. Tout au plus voit-on apparaître son reflet ici ou là, au hasard d’un miroir. Mais sa voix habite le film au même titre que les personnes qu’il filme. Le premier film dans le film est consacré à Boris Bergman, parolier, mais surtout ami de Bashung. C’est peut-être le portrait le plus complexe parce Cavalier prend le parti de donner toute sa place à celui qui n’est plus. Et le long compagnonnage entre Bergman et Bashung habite la parole et surtout les silences suscités – ou sans doute plus justement ressuscités – par le souvenir. Cavalier réussit ce miracle de proximité et de discrétion qui vient avec la connaissance fine de l’autre. Jamais intrusif malgré les plans très rapprochés, le regard de Cavalier à travers l’oeilleton de la caméra fait surgir l’émotion, comme si l’air se faisait plus dense, traversé par cette énergie si particulière de la confiance, de l’acceptation de l’autre tel qu’il est. Ce qui est peut-être la plus belle définition de l’amitié. Ce climat de confiance mutuelle permet également au filmé d’être lui-même, sans pose ni affectation, dans une grande disponibilité par rapport à l’exercice. C’est ainsi que surgissent, sans crier gare, les moments de grâce. Ces moments sont nombreux dans L’Amitié. Ils sont, à vrai dire, la raison d’être du film, et même de tout le cinéma d’Alain Cavalier.

Pour chacun des personnages, nous entrons immédiatement de plein pied au cœur de leur vie quotidienne dès que le réalisateur passe la porte. Alain Cavalier prétend ne pas savoir filmer les paysages, mais il a un don certain pour faire exister devant la caméra l’atmosphère d’un chez soi, tout un environnement, ces objets auxquels on tient, un fauteuil confortable ou une simple table de cuisine. La caméra s’attarde juste ce qu’il faut et tout acquiert la fonction d’un révélateur (comme on appelait justement les produits qui font surgir les images de la pellicule). De l’artiste bourlingueur (Boris) au producteur quasi -aristocratique (Maurice) en passant par le coursier casse-cou (Thierry), nous avons l’impression de bien connaître ces trois personnes, de savoir qui elles sont en tant qu’être humain. Et ce qu’il y a d’extraordinaire dans ce film, c’est qu’à partir de 3 portraits à part entière qui pourraient constituer 3 films mis bout à bout, à partir de 3 relations amicales bien différentes, surgit un film, un objet de cinéma qui fait émerger une idée de l’amitié en tant que telle, comme prise sur le vif. Du fait même de la très grande diversité de personnalités, de milieux, d’âge, de situations et de lieux, quelque chose de ce lien impalpable et pourtant solide occupe l’espace et traverse l’écran jusqu’à nous. C’est un miracle de cinéma. On ne sait pas trop comment il se produit, mais il est là. Indéniablement présent, comme un parfum dont on dit qu’il est entêtant, par la grâce de cette présence forte et délicate, de cette caméra/œil, mais aussi oreille et même main. Tous les films de Cavalier sont fondamentalement sensoriels.

Au-delà du visuel, stricto sensu, les voix et les bruits ambiants y ont toute leur part. L’Amitié ne fait pas exception à la règle. S’ajoute ici en prime, pour notre plus grand plaisir, la voix toujours bouleversante de Bashung, sur son tube «Vertige de l’amour». Et une qualité presque tactile qui dit justement toute la proximité entre amis. Et pour une fois au cinéma, l’amitié prend le pas sur l’amour. Et même littéralement car dans L’Amitié, le filmeur filme aussi, à la marge, pourrait-on dire, les compagnes de ses amis, comme une touche indispensable permettant de compléter le portrait. De Mako, la femme japonaise de Boris Bergman, toute à sa discrétion à Florence Delay qui accepte de parler un peu d’elle-même et de son travail d’écrivaine jusqu’à Malika qui ne souhaite pas apparaître à l’écran, ces trois femmes, par leur être même transmettent cette multitude de petits riens qui disent la vie en commun, le partage, au-delà de tout discours. Et sans doute pouvons nous dire que le film lui-même est fait de mille petits riens, de mille détails savamment agencés qui font sens (dans tous les sens du terme). Et nous ne saurons jamais combien de centaines d’heures de rushs furent nécessaires.

Sur le web

« L’itinéraire cinématographique d’Alain Cavalier est d’une singularité inouïe. Auteur de films engagés (Le Combat dans l’île, 1961 ; L’Insoumis, 1964) ou plus classiques (Mise à sac, 1967 ; La Chamade, 1968), il est soudain profondément marqué par un drame personnel, qui l’amène à se replier sur lui-même (Ce répondeur ne prend pas de message, 1979) et à s’adonner à l’épure (Thérèse, 1986 ; Libera me, 1993). Il se soucie alors de cerner au plus près la vérité intrinsèque d’une activité artisanale féminine (Portraits d’Alain Cavalier, 1987-1992) ou d’un être (René, 2001) et cesse d’être un cinéaste pour devenir Le Filmeur (2004). Travaillant seul et n’utilisant qu’un outil, sa caméra DV, il s’efforce dorénavant de saisir le monde intérieur aussi bien de peintres renommés (Bonnard, 2005 ; Le Caravage, 2015) que de connaissances proches (Emmanuèle Bernheim dans Être vivant et le savoir, 2019). Ce qui le conduisit très naturellement, l’année dernière, à célébrer l’amitié qu’il a toujours entretenue avec trois personnes associées aux tournages respectifs de Thérèse (le producteur de films d’auteur Maurice Bernart), de Libera me (Thierry Labelle, courtier dans la vie et rôle d’un résistant dans le film), auxquels s’ajoute l’écrivain et parolier Boris Bergman, avec qui Cavalier avait eu un projet de film pour Alain Bashung.

C’est le parolier d’environ mille chansons, dont le mythique Vertige de l’amour de ce dernier, qui fait l’objet de la première séquence de L’Amitié, celle qui illustre le plus fortement le thème du film. Boris Bergman y évoque son passé familial, son travail avec le chanteur trop tôt disparu, son émerveillement constamment renouvelé à la vue de deux photos de Gloria Graham, son plaisir de retrouver les paroles d’un chant hébraïque, son amusement à peine gêné de montrer son bureau « bordélique » à souhait, mais aussi l’inoubliable souvenir de sa rencontre avec sa discrète épouse japonaise Masako Nonaka. Le tout est ponctué à la fois de beaux silences profondément ressentis que des tendres sourires d’un éternel gamin. Filmée avec respect et admiration par Cavalier, au moyen de longs plans-séquences, cette première partie nous permet de saisir avec beaucoup de sympathie la texture de l’âme de ce grand ami du filmeur.

Maurice Bernart offre à celui-ci une seconde occasion de bien traiter son sujet, cette fois avec plus de distance. Il doit à ce producteur courageux, parfois même téméraire (Les Ailes de la colombe, Benoît Jacquot, 1981), son plus grand succès à l’écran, son si personnel portrait de Thérèse de Lisieux. Marqué par l’âge, recherchant une certaine sérénité à l’approche du grand départ, l’hôte aux trois domiciles et au cheval fougueux reçoit Cavalier avec une certaine circonspection admirative. Lui aussi se livre très naturellement au jeu des questions et réponses, ne cachant pas ses soixante-dix ans d’addiction à la cigarette, sa croyance en la séparation du corps et de l’âme, sa nécessité de porter des chaussures bien cirées, sa haine des mouches, des petits oiseaux et du mot « pitch ». Cavalier lui rappelle qu’il n’avait pas aimé lire dans le scénario de Thérèse que l’on verrait la religieuse assise sur un pot de chambre, ce que le cinéaste d’alors s’empressa aussitôt de supprimer. De même que pour Boris Bergman, notre filmeur ne manque pas de consacrer du temps à l’épouse du producteur, écrivaine de renom (elle récite un passage de son roman La Vie comme au théâtre), mais aussi ancien « modèle » de Robert Bresson, Florence Delay, qui tint le rôle-titre du Procès de Jeanne d’Arc (1962). Là aussi, le filmage se veut de proximité, ne résistant pas à la nécessité existentielle de montrer le besoin quotidien éprouvé par cet homme heureux mais fatigué de faire une « sieste méditative ». Un accompagnement, pour d’autres des plus intrusifs, mais pour Cavalier, des plus amicaux.

Le troisième volet est consacré à l’un des interprètes principaux du film sans paroles, mais aux images éloquentes, Libera me. À l’époque du tournage, Thierry Labelle était coursier. Il l’est encore, vit, avec son épouse Malika (qui ne souhaite pas être montrée) et leur tortue, dans une maison avec un jardin potager, doté de nombreux arbres fruitiers, qu’ils ont mis vingt ans à financer. D’origine modeste, l’homme au langage simple et spontané, ponctué de rires aussi gênés que reconnaissants, parle avec un naturel touchant de son grave accident de moto comme de ses ongles autrefois rongés et maintenant nets depuis le Covid. Il présente au caméscope de son ancien réalisateur son casque de pompier devenu trop étroit, mais aussi un tableau qu’il a peint (une bouche d’égout et une barre rouge) en référence au Sida. Un portrait qui complète parfaitement l’ensemble, dans lequel trois classes sociales différentes, autrefois opposées et vindicatives, sont fondues en une seule, celle de l’amitié universelle. Cela par un artiste que son rejet du cinéma industriel et son choix de s’adonner au pur amateurisme (voir ses mouvements de caméra parfois approximatifs et son générique rédigé à la main) ont transformé en un véritable humaniste. » (bande-a-part.fr)

« … L’Amitié, aussi simple et modeste que le laisse présager son titre, se fait le fruit condensé de centaines d’heures d’images où il retrouve et discute avec trois de ses collaborateurs et amis, comme si la caméra n’existait pas où presque.

Soit le parolier Boris Bergman, le producteur Maurice Bernart et le coursier/acteur non professionnel Thierry Labert, trois figures comme autant de portraits à la fois tendres et attentifs, complètement dans la lignée de son Six Portraits XL où il se fond derrière la caméra, où il s’imprègne du réel sans pour autant se départir des oripeaux de la fiction (il dirige clairement ses invités), commentant lui-même ses propres images au présent et faisant du spectateur le témoin complice de discussions faîtes – principalement – de souvenirs, des bouts de vies et rencontres sentimentales qu’il nous partage où encore des petits instants de poésie que son œil cinématographique capte avec grâce.

Un morceau de cinéma intime, authentique et jamais forcé qui, évidemment, pourrait paraître anecdotique voire totalement ennuyeux pour le spectateur lambda, mais qui prend des atours bouleversants pour quiconque cherche à y déceler sa vérité : une belle ode à l’amitié et à l’importance des proches – et encore plus au crépuscule d’une vie -, concoctée par un cinéaste, un filmeur qui saisit avec délicatesse l’universalité dans la banalité de son quotidien… » (focus-cinema.com)

… Trois portraits où les motifs dialoguent et se répondent, et où s’accomplit comme jamais le geste épuré, sensible et malicieux d’un cinéaste devenu filmeur d’un quotidien transmué en poésie….

« Ces images, nous raconte le cinéaste, sont issues d’une partie de mon journal filmé un peu spéciale qui consiste à m’attacher à des personnes parce qu’elles ont quelque chose de filmable, qui m’attire. Et comme je les connais bien, elles m’acceptent. Je passe une journée ou deux avec elles, je les filme en même temps que je parle ou que je mange avec. Et elles ne sont pas du tout gênées. Donc ce sont de bons compagnons de travail. Et à un moment, il y a un petit chemin de narration qui commence à raconter quelque chose de très intéressant. Alors je décide de le suivre jusqu’au bout et d’essayer d’en faire un film. Mais je ne sais pas lequel. Je ne sais pas la distance, je ne sais pas si cette personne sera seule ou pas, je ne sais pas non plus si ce film ne sera pas refusé par elle peut-être, parce qu’elle en a le droit. […] Et ces trois hommes, je les ai réunis dans L’Amitié parce que je me suis aperçu que j’avais travaillé avec chacun d’entre eux à l’intérieur du travail cinématographique et qu’ils étaient coupés en deux, c’est à dire qu’ils avaient eu des envies, mais qu’ils n’étaient pas allés jusqu’au bout.[…] Et, cela fait récit, aussi bien qu’un film de fiction. En général, les films de fiction d’ailleurs sont construits sur des histoires réelles comme celles-là, et puis mises en forme, réécrites, surdosées dramatiquement en général, « sur-musiquées » et surinterprétées par des femmes sublimes et des hommes à biceps, courageux. Je ne critique pas l’autre : je l’ai pratiqué et avec un plaisir profond et j’en ai gardé des traces, la trace du récit, celle de la présence. On ne peut filmer quelqu’un que s’il a une présence à la caméra, sinon ça ne fonctionne pas.[…] [En filmant ces hommes], je retrouve un peu les problèmes que j’avais avec les acteurs quand je travaillais avec eux, c’est à dire qu’il y a d’abord une attirance physique : c’est l’ombre, la lumière, le regard, la parole beaucoup, l’écoute de la personne et le sentiment qu’on a pour elle. C’est un ensemble, un peu amoureux évidemment, mais la vie est amoureuse… » (radiofrance.fr)

« Alain Cavalier, qui s’est lui-même surnommé, à travers un titre, « le filmeur », fait partie de ces rares cinéastes qui se servent tous les jours de leur caméra. Ses derniers films ne sont constitués que d’une infime partie des centaines, voire des milliers d’heures de rushes qui dorment tranquillement chez lui. L’Amitié, film modeste, est ainsi assemblé à partir d’images filmées au cours de ces dernières années…

… Les journaux filmés de Cavalier tirent leur grande singularité du rapport qu’ils entretiennent à l’enregistrement. Au lieu de commenter a posteriori les plans qu’il a tournés, comme ont pu le faire Jonas Mekas, David Perlov ou Ross McElwee, Cavalier parle ou commente ce qu’il filme, comme s’il composait une voix-off en direct. Ses films sont résolument ancrés dans un présent qu’il organise et met en ordre comme il le peut, avec un mélange de tendresse et de fausse approximation : il demande à ses amis de se déplacer d’un point à un autre, oriente leur regard, leur suggère d’adopter tel ou tel geste, etc. Autant de directives qui donnent la sensation d’assister à un making-of intégré à la matière même du film. Sa mise en scène, à la fois humble et précise, n’est dictée que par le cadre et la situation : lorsqu’il pose son œil sur l’œilleton de la caméra (il tient à la tenir de cette manière, et non à bout de bras), la frontière entre ce qu’il vit et ce qu’il filme s’estompe. L’objet de son regard a rarement semblé aussi modeste que dans ce film-ci…

… La démarche pourrait parfois sembler trop anecdotique si un discret génie n’était pas à l’œuvre. Grâce à lui, le film tire des scènes bouleversantes de moments anodins… L’insouciance du film s’explique au fond par l’îlot qu’il représente au milieu d’un océan d’archive… » (critikat.com)

« … Comment dire de façon plus émouvante et plus drôle ce qu’est l’art ? D’abord l’art est artisanat. En filmant cette main droite exceptionnellement dépourvue de sa caméra, le filmeur donne à voir son outil de travail. Main qui caresse, main qui crée. Alain Cavalier écrit son cinéma à la main. Rien de plus fort, en ouverture du film, que la plume qui court sur le papier, traçant à l’encre les paroles de Vertige de l’amour comme l’arabesque d’un ruban qui se déroule. Cinéma sensuel et spirituel que celui de Alain Cavalier. Car l’art est ensuite affaire de métaphysique. Dans L’Amitié, la transcendance passe par l’immanence : c’est par la palette infiniment variée de la matière concrète que ce cinéma humble accède au trait de lumière de l’esprit. Une lumière qui, comme le vent, va où elle veut et n’a nul besoin de dogmes…

L’Amitié est aussi un grand film sur l’amour, cette base de nos vies que le cinéma a trop souvent galvaudée, par ses mensonges sur grand écran et ses à-peu-près de convenance. Le filmeur à l’affût peint en réalité le portrait de trois couples, un homme se définissant pour partie par son rapport à la personne qui vit avec lui (Alain Cavalier en sait quelque chose). Révélatrices de leur compagnon, les épouses de Boris, Maurice et Thierry : douce et en retrait, comme le veut sa culture japonaise, la femme attentive de Boris ; voyant tout et dirigeant la maisonnée, la femme illustre de Maurice ; aimante et dépendante, la femme modeste de Thierry. À chacun de ces couples en mouvement, Alain Cavalier demande de lui décrire les circonstances de leur rencontre, qui disent beaucoup de leurs vies…

… Le fil rouge de ces vies pourtant accomplies, heureuses à leur manière, est une forme d’inachèvement, celle qui caractérise l’humaine condition. Boris aurait préféré le rôle de chanteur à celui de parolier dans l’ombre ; Maurice n’a jamais osé passer à la réalisation de long métrage, qui le tentait. Petit banlieusard, Thierry s’est rêvé navigateur solitaire. Ces « grands départs inassouvis« , ces horizons secrets font partie intégrante de leur riche personnalité, comme d’autres manques peuplent certainement celle du filmeur. Tout portrait est un autoportrait, et L’Amitié n’échappe pas à cette règle. Les reflets d’Alain – dans un sombre miroir ancien de l’intérieur cossu de Maurice, dans la porte coulissante d’un bus, dans les lunettes de Boris posées parmi le désordre de son bureau – disent l’inscription du filmeur dans son geste créateur. Si la pudeur d’une malice qu’on s’applique à soi-même comme à l’autre n’est jamais très loin, qu’on distingue dans le trou de chaussette du coquet Maurice lorsqu’il s’en va faire sa sieste, l’essentiel est à rechercher ailleurs, dans ce qu’il faut nommer la grâce, qui obsède Alain Cavalier.

Grâce de l’instant, que seul peut saisir un cinéma libéré des pesants apprêts de son industrie. Libre, le cinéaste rejette le mijoté du préparé, l’explicite du voulu ; ce qui n’exclut nullement le travail. À la ligne de sa longue patience, il pêche des moments de grâce que l’instant donne à profusion à qui sait les prendre au vol. Ce sont ces parcelles d’éternité, de beauté pure – parfois le filmeur ne peut se retenir d’admirer la lumière fugace d’un lieu – qui justifient son attention constante. Cette grâce touche à une forme de sainteté, et ce n’est certes pas hasard si la caméra de L’Amitié croise la silhouette, le regard et la voix d’une femme forte qui fut Jeanne d’Arc pour Robert Bresson : l’écrivaine Florence Delay est l’épouse de Maurice Bernart. Lorsque l’alerte octogénaire lit deux passages de ses livres, on retrouve la voix vive de ses vingt ans que Robert Bresson sut capter. Car si le corps change, la voix demeure. Cette lumineuse Jeanne d’Arc le renvoie à la sainte dont il fit le portrait à sa façon inimitable, Thérèse qu’incarna, c’est le mot, la miraculeuse Catherine Mouchet. Tous les films de Alain Cavalier explorent le mystère renouvelé de la grâce de la vie. » (jeunecinema.fr)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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Entrée : Tarif adhérent: 6,5 €. Tarif non-adhérent 8 €. Adhésion : 20 € (5 € pour les étudiants) . Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier et à l’atelier Super 8. Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici


 

 

 

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