L’Arche Russe



Jeudi 28 février 2019 à 20h30 – 17ième Festival

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Alexandre Sokourov, Russie, 2002, 1h36, vostf
Film tourné dans les Studios de Lenfilms (Saint-Petersbourg-Berlin)

Le film sera précédé de deux courts métrages :

  • La Momie de Lewis Eizykman (France, 2014, 6 min.) 

Une personne momifiée se montre en spectacle tous les jours au même endroit. Qu’il pleuve, neige ou vente, elle se tient là, immobile derrière ses bandelettes noircies par le temps. Un échantillon de l’humanité défile sous ses yeux, lui sourit, lui parle, lui fait des grimaces et lui donne de l’argent, mais sans jamais se demander qui se cache réellement derrière ce masque terrifiant.

  • La Part du gâteau de Quentin Lecocq (France, 2018, 2 min.20)

Les grands de ce monde partagent un dîner, quand vient l’heure du dessert.

  • L’Arche russe de Alexandre Sokourov (Russie, 2002, 1h36)

Invisible pour ceux qui l’entourent, un réalisateur contemporain se retrouve comme par magie dans le musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg au début du XVIIIe siècle. Il y rencontre un cynique diplomate français du XIXe siècle. Les deux hommes deviennent complices au cours d’un extraordinaire voyage dans le temps, à travers le turbulent passé de la Russie, qui les conduit jusqu’à nos jours.

Je voulais essayer de m’adapter au fil du temps en tant que tel, sans avoir à le remanier selon mes envies. Je voulais tenter une coopération naturelle avec le temps, vivre cette heure et demie comme si ce n’était que la durée séparant l’inspiration de l’expiration d’un souffle… c’était la tâche artistique ultime. ” (Alexandre Sokourov).

Notre article

Par Guillaume Levil

« Le cinéma, c’est le royaume des fainéants », scande le maître Sokourov lors d’une leçon de cinéma lors du festival de Locarno. Le cinéaste veut ainsi dénoncer les facilités utilisées par certains réalisateurs des temps modernes, eux qui prônent la violence et le voyeurisme, oubliant la finesse, la discipline, le travail, et donc le statut d’auteur d’où émane la responsabilité face à la création. Il est clair que quand on évoque les chiffres concernant L’Arche russe, on se dit que maître Sokourov n’a rien d’un fainéant : 867 acteurs pour ce film tourné en un seul plan-séquence, 1000 figurants costumés, 22 assistants réalisateur, 4 ans de préparation.

Un cri d’admiration ou de désespoir

Il est difficile de parler de – pire, d’analyser – L’Arche russe tant ce film est à la fois magistral et chaotique. Et justement, c’est peut-être l’œuvre qui caractériserait le mieux cet oxymore vivant qu’est Sokourov. Un film fort, mais fragile. Engagé, mais stérile. Techniquement assumé, narrativement perdu. Alexandre Sokourov, qui critique la paresse de ses contemporains croit en la puissance du cinéma d’aujourd’hui, lui qui dirige une fondation d’aide aux jeunes réalisateurs – critiquée récemment par la justice. Lui considère que le cinéma est un art secondaire, lui préfère la peinture – il dit avoir choisi ce destin par accident – et pourtant est l’un des réalisateurs russes les plus reconnus. Sokourov est donc un paradoxe géant, et L’Arche russe suit le concept. Il suffit d’écouter le maître : « Je voulais essayer de m’adapter au fil du temps en tant que tel, sans avoir à le remanier selon mes envies. Je voulais tenter une coopération naturelle avec le temps, vivre cette heure et demie comme si ce n’était que la durée séparant l’inspiration de l’expiration d’un souffle… c’était la tâche artistique ultime. » D’accord… il y a là une recherche de l’unité, quelque chose de plus naturel où l’on pourra s’embarquer sans accroc. Dans ce cas l’idée du plan-séquence d’une heure quarante va dans le sens de cette prospection, mais à côté de cela, tout ce qui s’approche de la narration trempe dans un chaos inexorable. Inutile de tenter de deviner le lieu de l’histoire ! C’est tourné dans le joli palais de L’Ermitage à St Pétersbourg mais le film évoque tous les recoins de la Russie. Inutile de tenter de trouver l’époque de la diégèse ! Car ici gravitent des personnages historiques au milieu d’autres tout à fait contemporains, on parcourt 500 ans d’histoire à mesure que la visite du musée avance. Le narrateur lui même nous entraîne dans un flou cosmique – c’est Sokourov en caméra subjective qui parle à un diplomate du XIXème siècle. Sauf qu’à bien y réfléchir, à force d’entremêler tout ce qui existe dans un même film, chacun pourrait percevoir justement la célébration de l’unité totale. Il est vrai qu’on pourrait se perdre dans la recherche intellectuelle liée à tel tableau, tel personnage historique, tel clin d’œil littéraire, mais finalement, si l’on part du principe qu’il s’agit d’un hommage à l’unité globale, on peut simplement recevoir les images comme on vit un instant de simplicité. Fort de ce recul, le spectateur saura s’ouvrir à une sensation de plénitude provoquée par le profond respect de Sokourov pour la Russie éternelle. Il ne l’a jamais caché : l’auteur est amoureux du passé glorieux de son pays qu’il chérit ; ainsi il recréé par exemple un bal de toute beauté, à l’image d’une grande nation. Mais on ne peut s’empêcher de ressentir l’autre côté, celui de l’obscurité, celui d’un réalisateur qui pleure en effleurant les murs d’un musée chargé d’histoire. Il s’agit du désespoir d’un homme qui a vu son pays s’éloigner de sa prestance grandiose d’origine, parce qu’il fallait évoluer coûte que coûte, cohabiter avec son voisin européen, et peut-être pour lui la maturité n’a-t-elle pas tenu ses promesses.

Lenfilm : le spectre des studios de Leningrad

Alexandre Sokourov fait partie des réalisateurs auquel on pense lorsqu’on évoque les studios russes. On ne parle pas des studios géants de la Mosfilm mais des seconds en taille, gigantesque infrastructure fondée au temps où St Pétersbourg était encore Leningrad. Grâce à la protection d’Andrei Tarkovski qui admirait son travail de jeune cinéaste, Sokourov intègre Lenfilm en 1980. Cela ne l’a pas empêché de connaître encore des embûches liées à la censure par la suite, mais cet évènement l’a totalement ancré dans le paysage cinématographique russe, et par la suite, international. En grattant un peu plus dans l’histoire des studios, on comprend mieux l’accouchement d’un ovni comme L’Arche russe : Lenfilm sont les premiers studios créés par les Bolcheviks en 1918 ; ils subissent le poids de l’histoire, mais dès les années 20, c’est ici qu’on parle d’avant-garde. Evidemment, les studios se doivent de valider la propagande commandée par Lénine, mais en parallèle, ils recherchent une rentabilité commerciale, et l’on y propose des élans incroyables de recherche sur l’esthétique cinématographique, entremêlant toutes sortes d’expériences. Il y a création de « la fabrique de l’acteur excentrique » (FEKS), cellule dans laquelle toute expérimentation est la bienvenue. Ainsi est née la solide réputation de Lenfilm, basée sur l’avant-garde artistique. Pendant 10 ans, il n’existe pas d’organisme à l’échelle du pays pour gérer une censure globale, mais avec les années 30 arrive l’impératif de respecter le plan et la discipline de manière beaucoup plus pénible. Il n’empêche que Lenfilm avait d’ores et déjà assis sa réputation, et que les studios et leur image planent comme un fantôme d’expérimentation. On ressent ainsi ce lien affectif créé par l’histoire, entre le spectre des studios et le regard de Sokourov… pas étonnant que ceci aboutisse en 2002 sur un véritable plan-séquence, longtemps resté le plus long de l’histoire du cinéma : L’Arche russe.

De la contrainte à la liberté

La contrainte technique de l’unité de plan est énorme, mais comme on l’a dit, elle permet au projet de Sokourov d’établir définitivement son désir de recul. D’autres s’étaient frottés à ce défi, comme Hitchcock avec La Corde… mais vous le savez, ne disposant pas, lui, de caméra numérique il était obligé de « tricher » tous les quarts d’heure environ, à la fin du magasin de pellicule. Aujourd’hui plusieurs expériences ont été homologuées, sortant du carcan de l’expérimental comme Victoria (Sebastian Schipper, 2015) film de genre véritablement captivant ; Mike Figgis avait quant à lui dès 2000 tourné Timecode, film étonnant dans lequel l’écran, scindé en quatre parties, présente dans chaque case un plan-séquence d’1h30 – et les quatre histoires se croisent de temps en temps… mais nous restons là dans le cinéma expérimental. Et donc, même si la technicité pourrait faire fuir les amoureux du saint scénario – car c’est ici l’histoire qui doit souvent se soumettre à la technique – on ressent paradoxalement l’éclosion d’une certaine forme de liberté, le fameux souffle dont parle Sokourov. Cette notion est à mettre en parallèle avec le travail de création cinématographique en studio, où il faut tout recréer pour faire aboutir le rêve artistique d’origine, mais ceci permet justement de se rapprocher le plus possible de la vision originelle. Il n’est ainsi pas étonnant de rencontrer des films « de studio » parmi les petits budgets, ou parmi les courts-métrages alors que ce type d’infrastructure pourrait faire peur aux financiers. Dans La Momie de Lewis Eizykman, tout a été construit au service d’un film de quelques minutes seulement, permettant une liberté totale. L’autre court-métrage choisi, La Part du gâteau de Quentin Lecocq, propose un lieu unique qui rappelle le travail des studios, avec quelques personnages qui symbolisent les continents du monde : une unité de lieu qui permet un recul total sur une thématique appropriée. Peut-être qu’aujourd’hui, de même que des brasseries artisanales éclosent partout au grand désarroi des géants de la bière de masse, le vrai travail de création a besoin de petits studios pour s’épanouir à la dérobée.

Sur le web

Recomposant l’histoire russe sur plusieurs générations pendant un long plan séquence d’une heure et demie, la préparation technique et des acteurs de L’Arche russe a nécessité une préparation très précise. Il a en effet fallu gérer après des mois de répétitions, dans le musée l’Ermitage dont la surface correspond à une trentaine de plateaux de tournage, trois orchestres, 22 assistants à la réalisation et 867 acteurs et figurants.

Alexandre Sokurov explique son intention d’exposer L’Arche russe en un seul plan-séquence dans le musée de l’Ermitage : « (…) le producteur Andreï Deriabine m’a proposé de participer à un projet important qui serait basé sur l’Ermitage. Il connaissait ma grande admiration, ma révérence presque religieuse envers ce musée. J’ai eu alors une idée, mais elle était très coûteuse et extrêmement difficile à réaliser. L’idée était de tourner le film, disons, sans reprendre son souffle« .

L’Arche russe a été tourné en une seule fois le 23 Décembre 2001 dans le musée de l’Hermitage de Saint Petersbourg. Aucune coupure, et donc aucun montage, n’ont été nécessaires pour présenter le film. Néanmoins, aucune erreur durant le tournage n’était permise, aussi bien pour les acteurs que pour les techniciens. Cet exploit n’avait encore jamais été réalisé auparavant.

Pour pouvoir répondre au défi technique de tourner un film sans aucune coupure, Aleksandr Sokurov a dû se mettre à la pointe de la technologie numérique, les moyens de tournage classiques ne répondant pas à de telles exigences. C’est lors du Marché de Cannes en 2000 que le metteur en scène a découvert un tout nouveau genre de caméra numérique, avec un excellent rendu visuel et qui permet de tourner un film d’une heure et demie en une seule prise.

L’ Arche russe a été présenté en compétition officielle au Festival de Cannes 2002. Aleksandr Sokurov est d’ailleurs un habitué de la Croisette : il avait déjà présenté en compétition Taurus en 2001 et Moloch en 1999 (Prix du Meilleur scénario).

«Filmer l’Art et l’Histoire revient finalement à filmer les hommes, en premier lieu, à retranscrire les joies, les peines, les intrigues qui vont mener aux événements historiques. C’est à cette tâche que s’attèle admirablement Alexandre Sokourov, après avoir décrit les tourments de Lénine et Hitler dans ses deux précédents films (Moloch et Taurus): filmer les hommes, à hauteur d’homme, les regarder, les espionner sans être vu, grâce à une caméra subjective et omnipotente transcrivant la vision de l’artiste lui même présent dans le film. Au delà de la performance technique qui intéresse manifestement peu le cinéaste (en témoignent les quelques erreurs grossières de mise en scène), il y a le désir évident de visiter le musée de l’Homme qui a pris place, devant sa caméra, dans les palais majestueux de l’Ermitage, à Saint-Pétersbourg. Et visiter ce musée revient à se balader de pièce en pièce, en observant la comédie humaine qui se joue sous nos yeux. Mensonges, tromperies, amours, jeux, théâtre, mondanités, autant de figures imposées composant l’Histoire d’un pays qui, un jour, a été grand; autant de scènes parfois intimes que le cinéaste regarde sans jamais intervenir, discutant avec son interlocuteur européen, commentant ce spectacle.

Chez Sokourov, pas de pulsion voyeuriste, juste le désir d’être là, d’être le témoin d’un monde qui n’existe plus. Ces hommes et ces femmes qui s’essoufflent devant la caméra existent ainsi moins comme individus que comme actants de l’Histoire d’un pays dont le cinéaste observe la lente et inévitable dégradation – passant d’ailleurs fréquemment sous silence l’après révolution russe. Il demeure pourtant quelques erreurs dans ce désir de regarder l’Histoire dans les yeux. Maîtrisant mal l’aspect technique du plan séquence, le cinéaste abuse de zooms et de recadrages systématiques lors de l’entrée dans chaque pièce. Mal préparé, ce plan qui se veut grandiose – quoique le cinéaste affirme le contraire – souffre d’imperfections qui le handicapent, jusque dans le principe de vision subjective parasité par une caméra qui s’élève parfois à trois mères du sol. Seul véritable bémol du film, ajouté à la voix off du cinéaste pas toujours heureuse. Mais, bien qu’isolée, cette erreur empêche le principe de filmage de l’Histoire de s’affirmer pleinement, et l’œil du réalisateur devient parfois celui d’un narrateur omniscient et divin, au caractère contradictoire avec ce désir de regarder les Hommes sans jamais les mettre en scène.

En observant les hommes et les femmes qui ont présidé au destin de la Russie, Sokourov construit littéralement l’arche du titre, selon le sens que l’on donnait à ce mot au XVIè siècle: un coffre contenant des trésors et des archives. Véritable document historique, le film, bien que relativement obscure pour le spectateur européen, constitue un portrait d’un pays à travers les âges. De pièce en pièce, le temps avance, recule, s’arrête durant quelques minutes sur un détail (Catherine II cherchant un endroit pour se soulager) ou au contraire un haut fait (la visite de l’ambassadeur de Perse). Qu’est ce que la Russie, c’est l’éternelle question posée tout au long du film. Civilisation lointaine, éloignée par un vingtième siècle houleux, pays à la situation bancale, aujourd’hui difficilement connectable à l’Europe, la Russie d’hier, avec tout ce qu’elle contient de majestueux, est ainsi conservée par cette arche russe qui préserve les trésors et archives des siècles précédents, ceux qui ont vu la grandeur de ce pays. Dans un soucis d’équité, le minimaliste y côtoie le fastueux, l’intrigue de fond de cours prend autant d’ampleur que l’événement politique, les moments se mélangent, comme autant d’instants magiques renforçant la nostalgie évidente de Sokourov. La dernière scène, qui suit celle, splendide, du bal, est à ce titre exemplaire.

La Russie s’éloigne, viennent le froid, le vide, le brouillard. Qu’est devenu cette société? « Songe à tous ceux qui furent depuis le début des temps. Et moi, aussi passager qu’eux, je me dissous peu à peu, comme eux pour me fondre dans leur grisaille. Comme tout ce qui m’entoure, ce monde massif lui-même, qu’ils ont élevé pour y vivre, décline et se dissout« . Ce sont les mots qui accompagnent les images finales, mortuaires et neigeuses, des Gens de Dublin, dernier film de John Huston dans lequel le cinéaste octogénaire dépeint une société en perdition, condamnée, hantée par le souvenir, et pour laquelle l’avenir n’existe plus. La fin d’une société qui a connu ses sommets, le souvenir d’une époque que l’on a pas vécue, mais qui nous hante par son charme, sa beauté, sa culture, et que pleure ici le narrateur. Philosophant sur son pays, discutant avec ce diplomate français, il fait le point sur les relations fondamentales entre l’Europe et la Russie, qui ont conduit cette dernière à sa perte, tout en avançant au milieu de ces murs chargés d’Histoire. Donnant vie aux objets qui constituent ce musée, le cinéaste éprouve le désir de transmettre ce qu’il voit et qui soudainement se meut devant l’œil de sa caméra, expérience unique et hallucinante, véritable syndrome de Stendhal, consistant à perdre pied devant la beauté des œuvres. Au milieu de ce musée, à l’intérieur de cet arche, le cinéaste ne sait plus où il est, perd conscience et se réveille littéralement au centre du tableau, à la recherche d’un temps perdu et canonisé.

Filmer le temps, c’est filmer le souffle, sans laisser au spectateur le temps de reprendre le sien. D’où la continuité dramatique. D’où le plan séquence, simple instrument d’une philosophie de l’Histoire qui consiste à brouiller la temporalité, à confondre les époques, dans le but de présenter non pas un film historique, mais un film sur l’Histoire justement. L’Histoire étant pris ici dans le sens d’un concept ambigu et spirituel, mis à plat par une caméra qui passe d’une époque à l’autre aléatoirement, revient en arrière, avance dans le temps, sans jamais suivre une quelconque échelle linéaire ou chronologique. Expérience troublante et unique que celle de Sokourov que de nous plonger dans un univers qui n’est pas le notre, que l’on ne connaît que figé par les peintures et sculptures de l’époque, et qui soudainement se met à vivre sous nos yeux, sans jamais reprendre son souffle. Expérimentation consistant à matérialiser ce qu’est le temps, à nous le faire littéralement voir et entendre. Le temps, c’est cette représentation théâtrale, c’est ce bal fabuleux mené par les valses du chef d’orchestre Valery Gergiev, c’est ce siège de Stalingrad durant neuf cents jours par les nazis, c’est cette famille du Tsar qui dîne alors que la révolution gronde à l’extérieur…

Montrer le temps, c’est montrer tout cela dans une même continuité, sans souffler, sans s’arrêter, sans couper la caméra et entamer une phase de montage habituellement propre au cinéma. Filmer ce flot d’images et de pensées, de mouvements, enregistrer les mots et les événements qui ont fait ou défait l’Histoire de la Russie, afin d’en livrer un portrait incroyablement nostalgique à destination des générations futures, d’en conserver un instantané, tel est le rêve, l’ambition que le cinéaste a su mener à son terme. Cette Arche Russe, c’est le cri d’amour et de désespoir d’un artiste à son pays, le don qu’il lègue à ses contemporains et à ses enfants. Tout cela à la fois.» (filmdeculte.com)

«Faire un film en un seul plan, c’est un fantasme vieux comme le cinéma. Certains l’ont déjà réalisé, comme Michael Snow ou bien Hitchcock (dans La Corde, où il avait un peu triché). Alexandre Sokourov s’y essaie à son tour, dans un plan-séquence virtuose d’une heure et demie, qui nous fait visiter le légendaire musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg, en traversant au sens propre des époques ressuscitées. Un diplomate français du XIXe, intarissable, nous fait pénétrer par une porte dérobée dans le majestueux palais, et nous sert de guide critique. Il s’adresse à nous, au réalisateur d’aujourd’hui dont nous épousons le regard grâce à une caméra dite « subjective » et dont nous entendons la voix. De galeries en salles luxuriantes, d’antichambres en escaliers imposants, on parcourt ce vaste dédale en croisant des personnages historiques (tiens, lui, c’est Pierre le Grand…), on picore des bribes de conversations, on assiste à un bal, bref on revit au quotidien l’histoire de cette cité des arts qui fut à l’origine le lieu de résidence de Catherine II.

Célébrer le présent continu, le cosmos, guetter l’épiphanie, c’est en général ce qui motive le choix d’un plan-séquence qui dure. Rien de tel ici. Sokourov recrée une unité de l’Histoire, il veut effacer les ruptures, retrouver un temps perdu, reconquérir un territoire morcelé. Volontiers réactionnaire, il n’a jamais caché sa mésestime pour son époque, se tournant plus volontiers vers la grande Russie impériale, sans pour autant la vénérer aveuglément, sans pour autant non plus rejeter le communisme en bloc. C’est qu’il y a chez lui une nostalgie profonde, maladive, un sentiment complexe d’esthétique et d’idéologie entremêlées, un absolutisme spécifiquement russe. En choisissant d’orchestrer ce long plan-séquence dans ce lieu historique, Sokourov trouve une forme pour que cette nostalgie soit féconde et non plus complaisamment maladive : elle lui permet d’éclairer simultanément les toiles des maîtres et l’époque de leur création, de réunifier le passé et le présent dans un mouvement indivisible.

Passons sur l’obstacle permanent de cette caméra subjective, un procédé qui s’est avéré presque toujours contre-productif, et qui empêche ici de vraiment profiter du spectacle. Car il y a du spectacle, en coulisses ­ lorsque Catherine II a une envie pressante ­ comme dans les salles, dans les réceptions ou les bals. Le faste n’a rien de figé : il nous apparaît en rêve, en passant, dans un bruissement de robes à crinoline, dans le brouhaha de rires perlés et de palabres lointaines. On circule dans une effervescence nacrée, au milieu de tableaux vivants, voilés de lumière fantomatique. Sokourov rend de fait surtout hommage à la peinture, un art qu’il juge noble à la différence du cinéma, outil grossier qu’il a choisi par accident. Cette position passéiste, fût-elle rétrograde, lui a déjà inspiré des oeuvres passionnantes. Quelque chose ici empêche pourtant la magie de poindre, quelque chose qui s’accommode mal de la durée et du recueillement : le jacassement constant du guide, détracteur ironique de l’esprit de clocher russe. On étouffe, on songe au record homologué de la visite la plus rapide du Louvre (dans Bande à part, de Godard), on songe aussi à la visite, clandestine celle-là, nocturne et fantastique, d’un autre musée, par ce même Sokourov, dans son magnifique Elégie de la traversée (2001). Et l’on se dit que non, décidément, les visites guidées obligatoires, ce n’est pas notre tasse de thé.» (telerama.fr)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Guillaume Devil

Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h30 précises.

Entrée : 7,50 € (non adhérents), 5 € (adhérents CSF et toute personne bénéficiant d’une réduction au Mercury). Adhésion : 20 €. Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier.

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