Samedi 02 Février 2013 à 20h30 – 11ième Festival
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Rainer Werner Fassbinder – Allemagne – 1972 – 2h04 – vostf
Célèbre dessinatrice de mode à Brême, Petra von Kant, capricieuse et autoritaire, vit avec Marlène, à la fois secrétaire et bonne à tout faire. Divorcée et mère d’une adolescente élevée en pension, sa vie se partage entre son travail et le silence obstiné de Marlène. Petra fait un jour la connaissance de Karin Thimm, une cover-girl arriviste qui, après un long séjour à l’étranger et un mariage raté, revient s’installer en Allemagne. Elle compte bien profiter de l’influence de Petra pour se lancer. La styliste s’en éprend et lui voue une passion sans limite : elle la protège, lui trouve du travail et l’installe chez elle...
Notre critique
Par Josiane Scoleri
Avec Les larmes amères de Petra von Kant, Fassbinder explore une fois de plus les multiples facettes des relations amoureuses avec leur lot de malheur et de délices. Et nous retrouvons ici ce qui constitue sans doute un des fils conducteurs de son oeuvre, cette difficulté a communiquer qui tourmente si fort les êtres humains, même au coeur du bonheur. Sont bien sûr présents bon nombre des autres ingrédients des relations humaines, au premier rang desquels le rapport de force et le goût du pouvoir, la soif de succès et de reconnaissance. A partir de là, Fassbinder va tisser dans un huis clos sans faille qui n’est pas sans rappeler la tragédie antique une histoire d’amour et d’incompréhension tous azimuts. Du théâtre, nous retrouvons littéralement la scène avec ce lit, juché comme un catafalque sur cette sorte de plate-forme surélevée de quelques marches au dessus de l’atelier. C’est là, dans cette chambre salon-salle à manger-boudoir que se déroulent à la fois la vie de Petra et toute l’action du film. L’unité de lieu est ici poussée a l’extrême. Le sentiment d’enfermement est palpable. Le manque de perspectives aussi.
Dans ce décor étonnement baroque (carrément kitsch pour beaucoup, et d’ailleurs Fassbinder lui-même ne récusait pas le terme) les personnages évoluent comme des insectes sous la loupe de l’entomologiste… Et sans guère plus d’échappatoire. Dans son appartement-bocal, Petra se cogne aux parois de verre et se fait mal, souvent. Sur un mur, une immense reproduction du tableau de Poussin, « Midas et Bacchus », Midas qui avait obtenu de Bacchus que tout ce qu’il touche se transforme en or et qui dût très vite implorer les dieux de défaire le charme sous peine de mourir de faim. Mais, si on ne sait rien de ce que raconte ce tableau, ce qui frappe avant tout, c’est la dominante rose tendre , très délicate qui occupe presque tout l’espace. Tous les dieux, bacchantes et autres chérubins sont nus. Seul le roi Midas, unique être humain de la scène est habillé, mais souvent on ne voit que du rose sur lequel se découpent les actrices. C’est un film qui ose décidément la couleur, (comme par exemple dans la scène de l’anniversaire de Petra en vert et rouge+jaune et bleu) le tout baigné dans une lumière très travaillée qui rend le huis clos encore plus étouffant. Car, point de doute, en adaptant sa propre pièce de théâtre, Fassbinder fait du cinéma et rien que du cinéma. En grand réalisateur, il sait tirer partie de ce petit espace, il varie les focales, se sert magistralement des gros plans, cadre ses actrices au plus près, il arrive à écraser l’espace ou à donner de la profondeur de champ en se jouant des contraintes. L’invention est au rendez-vous y compris dans tous les accessoires, les poupées les perruques, le maquillage (qui occupe une longue séquence dans le film) et les costumes. Petra est styliste de métier, et chaque séance d’habillage tient avant tout du rituel, rituel de la parure et de la séduction dans une exaltation du corps qui fait écho à la nudité magnifiée du tableau de Poussin, et qui se reflète par contraste dans ces mannequins chauves et presque toujours nus qui peuplent l’atelier. Pas de doute, nous sommes bien dans ces années 70 où soufflait en Europe un vent de liberté et une inventivité sans égale.
C’est un film de femmes entre elles où les hommes hors champ du début jusqu’à la fin constituent souvent le sujet de conversation : récrimination, espoir, déception, frustration, échec la plupart du temps. C’est un film de femmes amoureuses et malheureuses en amour. C’est un film sur la dépendance à sens unique qui tue précisément l’amour. C’est un film sur l’impossibilité de comprendre ce qui fait le bonheur de l’autre. Le personnage de Marlène est à ce titre le plus emblématique et le plus radical. Marlène est la secrétaire. assistante, bonne à tout faire, souffre -douleur de Petra. On comprend au passage que c’est elle qui dessine les vêtements pour lesquels Petra est célèbre. Petra traite Marlène comme un chien en toutes circonstances. Marlène accepte tous les ordres, avale sans ciller toutes les humiliations. Elle observe Petra de loin avec une dévotion éblouie, se contentant de ces quelques regards à la dérobée. Mais à la fin du film se produira un véritable coup de théâtre ou plutôt un coup de poing que le spectateur prend en pleine figure. Petra, brisée par le départ de Karin, a un geste de douceur vis à vis de Marlène et signe ainsi sa chute. Elle le sait sur le champ, mais il est trop tard pour rattraper son geste. C’est sans appel et le film se termine sur cette note d’une cohérence terrible. Mais Fassbinder ne se contente pas des seules modulations sur le thème de l’amour et du désamour. Sont également convoquées les histoires de famille, les relations mère-fille entre Petra et sa mère d’un côté et avec sa fille de l’autre, avec tout ce que la transmission d’une génération à l’autre peut avoir de désespérant. Les rapports de classe son tout aussi présents et tout aussi pesants. Karin est une fille de prolo qui essaie par tous les moyens de s’en sortir (y compris en couchant avec Petra si ça peut être utile). Petra est de la haute et vit dans sa bulle. La communication ne peut être qu’illusoire et de courte durée. Fassbinder excelle dans le déploiement de ces différentes strates avec une économie de moyens et une efficacité qui va droit au but.
La bande-son est très travaillée avec un choix de musique et de chansons qui font sens et contribuent à éclairer le personnage ou la situation (comme dans la scène où Petra raconte son premier mari à Karin et où Marlene arrête enfin de taper sur sa machine à écrire qui fait un bruit de mitraillette assourdissant pendant plusieurs scènes-clés du film, histoire de dire qu’elle existe, malgré tout). Les dialogues eux sont éblouissants, nous sommes chez Fassbinder. Les êtres parlent pour essayer d’exprimer au plus près leurs sentiments et pas pour faire de la conversation. Et les sentiments sont souvent extrêmes. On passe de l’amour à la haine (« Ich hasse dich », répète Petra face au vide de l’absence de Karin, sur ce tapis blanc soudain débarrassé de tout objet hormis ce téléphone qui se refuse à sonner), de l’attirance à la répulsion, de l’adoration à l’insulte. Pas de demi-mesure chez Fassbinder qui a lui-même brûlé sa vie par les deux bouts, tournant 40 films en 13 ans (sans compter les pièces de théâtre) jusqu’ à sa mort à l’âge de 37 ans seulement suite à une rupture d’anévrisme dûe à une over-dose et/ou suicide) et qui nous parle beaucoup de lui-même, de sa propre souffrance et de son mal de vivre à travers tant de personnages qui traversent la vie en écorchés-vifs et en meurent souvent dans les films comme dans la vie.
Sur le web
Les larmes amères de Petra von Kant est le premier film de Fassbinder à avoir été distribué en France. C’est son treizième film, l’adaptation d’une pièce de théâtre qu’il a lui-même écrite et qu’il met en scène sans chercher à en masquer les origines. Le film a été tourné en dix jours. Il reste assez proche de la pièce de théâtre dont il est issu. Bien que l’action soit située à Brême, le film se déroule entièrement dans l’appartement de Petra Von Kant, et est composé de cinq actes distincts. L’appartement est décoré sur tout un mur par une reproduction de Midas et Bacchus de Poussin beaucoup plus grande que l’original.
Fassbinder a 27 ans quand il tourne ce film qui est un de ses monuments. Il lui reste dix ans à vivre. La flamme de la jeunesse et la force d’une maturité précoce se mêlent merveilleusement dans cette chronique d’une passion amoureuse où l’on passe sans cesse de l’aveuglement à la lucidité. Petra von Kant est une styliste de mode célèbre qui, venant de rompre avec un homme, jette son dévolu sur une jeune fille qui rêve de devenir mannequin, Karin. Pour cette ambitieuse à la fausse douceur, Petra perd la tête et finit par rejeter comme hypocrites toutes les autres relations, amicales ou familiales.
C’est un film vraiment étonnant , d’abord par son contenu, car les dialogues sont d’une rare profondeur, il suffit de voir avec quelle acuité Petra raconte à Karin l’épanouissement et le déclin de son ancien mariage ou l’évolution de leurs rapports au sein du couple. Il y a aussi une réflexion sur l’amour fou et la dépendance, sur l’admiration et la soumission, sur la possession et le manque. Fassbinder aurait puisé son inspiration dans sa propre vie, ayant lui aussi vécu une séparation douloureuse. Le film est aussi étonnant par la maitrise de la mise en scène, filmé sobrement dans un seul lieu avec quelques mouvements de camera très amples qui tournent autour des actrices comme pour nous en approcher. La structure du récit, quatre actes séparés par de grandes ellipses, met en relief l’évolution de la relation entre Petra et Karin. Le décor est un mélange de kitsch et de classicisme qui, avec les toilettes excentriques, apportent une touche de surréalisme et affirme le caractère atemporel du propos, propre aux grandes tragédies. Seule la fin est un peu faible. Les larmes amères de Petra von Kant est un film intense et riche qui porte l’empreinte du cinéaste.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.
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