Larmes de joie



Vendredi  30  juin 2017 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Mario Monicelli – Italie – 1960 –  1h46 – vostf

Gioia Fabbricotti surnommée Tortorella, une figurante de Cinecittà qui, pour gagner sa vie, s’échine dans de petits rôles en rêvant de devenir une diva, refuse pour le réveillon de fin d’année la compagnie d’Umberto Pennazuto, un ancien acteur surnommé Infortunio pour sa capacité à provoquer de faux accidents et à escroquer les assurances. Infortunio a promis à son ami Lello, un pickpocket, de l’aider pendant la nuit de la Saint Sylvestre pour tenter quelques coups. Les trois personnages se rencontrent par hasard et Tortorella – qui a été abandonnée par les amis avec qui elle devait réveillonner – oblige les deux hommes à l’accompagner à un bal masqué.

En première partie, projection du court-métrage Retour à Genoa City, primé à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes 2017, en présence du réalisateur Benoît Grimalt (France, 2017, 29′): « Une réflexion drôle et tendre sur le pouvoir quasi-hypnotique de la télévision ».

Larmes de joie : « Larmes de joie est un petit joyau de la grande époque de la comédie italienne, comme on l’aime: drôle, critique et profondément sensible. C’est aussi un film qui tend un miroir – pas toujours tendre – au cinéma et à son histoire. C’est enfin une déclaration d’amour à Rome et à ses habitants portée par un trio qu’on n’est pas prêt d’oublier: Anna Magnani, Totò et Ben Gazzara dont c’était le troisième film… »

Notre critique

Par Josiane Scoleri

Avec Larmes de joie, Mario Monicelli signe un film qui se situe complètement dans la ligne de la comédie de situations légère qu’il a beaucoup pratiquée au début de sa carrière ( notamment avec Totó) parsemée toutefois  de pointes douces-amères, souvent complètement inattendues, qui en disent long sur l’Italie de 1960, au tout début de ce qui s’est appelé par la suite le « miracle italien ».

C’est bien évidemment un film d’acteurs avec deux immenses stars de l’écran à l’époque.  Anna Magnani, d’un côté, « La Magnani » qui est depuis longtemps déjà une actrice de renommée internationale ( elle tourne à Hollywood ou avec Renoir dès les années 1950)  et Totó qui était très probablement l’acteur comique le plus populaire en Italie depuis les années 30. Face à ces deux monstres sacrés, le « petit nouveau » Ben Gazzara , sorti depuis peu de l’Actor’s Studio, réussit à donner une certaine épaisseur à son personnage. Et c’est déjà beaucoup au vu des circonstances.

Avec ce trio improbable, travaillant chacun dans des registres très différents, Monicelli s’emploie à trouver un équilibre entre les personnages, ce  qui lui permet de varier le rythme et le ton au fur et à mesure que le film avance. Le film se relance en effet avec  chaque nouvelle péripétie, dans un crescendo sans faille, en explorant  des tonalités et des atmosphères différentes, au fil des rencontres et des lieux qui ont tous une personnalité propre. Le film nous offre ainsi une longue promenade nocturne dans nombre de lieux emblématiques de Rome, de Piazza Esedra à l’EUR en passant par la Fontaine de Trevi qui nous vaut un de ces délicieux clins d’œil au cinéma dont le film fourmille.

En tant que spectateur, nous nous  retrouvons embarqués dans cette sarabande avant d’avoir eu le temps de faire ouf et nous sommes tenus en haleine dans une sorte de douce euphorie dont seul le cinéma sait nous régaler. es dialogues pétillent, les jeux de mots fusent, avec cette verve populaire romaine qui irrigue une bonne partie du cinéma italien de l’après- guerre. Et cette vivacité contribue elle aussi à l’énergie du film.

Des studios de Cinecittà au début, en plein tournage d’un de ces peplums comme il s’en est tourné au kilomètre à la messe de minuit dans une église dans la dernière scène, le film adopte un ton moqueur et égratigne au passage à peu près tout ce qui compte en Italie : la famille ( avec la féroce scène d’ouverture du pauvre conducteur de métro), le cinéma lui-même, comme imposture et  fabrique de rêve, le Vatican évidemment, la présence des Américains dans l’Italie de l’époque et le mirage naissant de la consommation avec le couple pathétique qui espère plumer l’Américain avec pour ligne de mire l’achat d’un téléviseur! Voilà  quelques uns des sujets effleurés au passage. Mais, si le ton est moqueur, nous n’assistons pas pour autant à une charge au vitriol et même si nos trois paumés sont souvent ridicules, ils sont néanmoins toujours filmés avec beaucoup de douceur et de tendresse. film est magnifiquement éclairé,-hommage soit rendu au chef opérateur, Leonida Barboni-  que ce soit dans les nombreuses scènes de nuit en extérieur où le Noir est très noir à peine percé par les néons des publicités et les éclairages de la ville ou dans les intérieurs où au contraire, la lumière est très blanche dans les grandes salles de bal populaire ou dans le palais des Allemands dans la deuxième partie du film.

Toute cette longue scène apporte une autre note au scénario en rappelant, l’air de ne pas y toucher,  les horreurs de la guerre et le rôle de l’Italie fasciste au côté de l’Allemagne nazie. ( cf la réplique de Totó : « Mais, en fait, vous pouvez me dire qui est-ce qui l’a faite, cette guerre ?  » Ou celle de Tortorella à propos de la superbe maison des Allemands : « On se croirait au Vatican »). On le voit, sous couvert de comédie, en jouant sur les clichés qui peuvent sembler faciles des Allemands, grands, blonds, raides et cultivés, les sujets abordés ne sont pas nécessairement si légers. L’autre fil rouge thématique du fil, qui va tout aussi crescendo d’un bout à l’autre du film, c’est celui de l’injustice fondamentale de la société  de classes. À partir  de simples bons mots ou des remarques amères qui ponctuent les dialogues, Monicelli nous amène par paliers successifs à la diatribe finale de Ben Gazzara : « Oui, je suis un voleur et j’en suis fier…Hors de question de finir misérable comme mon père, comme toi, lance-t-il à Totó»…) et à la longue tirade en deux temps  de Tortorella : d’abord « Il a raison, c’est à cause de notre génération que les jeunes tournent mal » , puis : « Si les jeunes tournent mal, la faute en revient à cette société pourrie ». Le ton dopté par Anna Magnani n’est pas pour autant tragique, mais il est néanmoins convaincu.  Et si ce concentré de vulgate marxiste peut prêter à sourire aujourd’hui comme hier, c’est sans doute aussi par la volonté du réalisateur de dire les choses sans tomber dans le pamphlet idéologique.

Sur le web

Entre deux œuvres qui figurent parmi ses entreprises les plus ambitieuses, La Grande Guerra en 1959 et I compagni en 1963, Mario Monicelli tourne deux films a priori mineurs, Risate di Gioia (Larmes de joie) en 1960 et l’épisode «Renzo e Luciana» de Boccaccio ’70 en 1961 (ce récit ne figurait pas dans la version présentée à Cannes ce qui provoqua un mini scandale). En fait, à mieux y regarder, ce sont deux œuvres importantes, la première pour la subtilité et la drôlerie de son sujet, la seconde par la profondeur de son propos.

Larmes de joie est l’adaptation de deux livres de l’écrivain Alberto Moravia intitulés « Risate di gioia » et « Ladri in chiesa« . Suso Cecchi d’Amico (de son vrai nom, Giovanna Cecchi) s’est chargée d’adapter les ouvrages ; cette célèbre scénariste est extrêmement connue chez nos voisins transalpins grâce à ses collaborations avec Luchino Visconti (Le Guépard) et Vittorio De Sica (Le Voleur de bicyclette).

Mario Monicelli, réalisateur de Larmes de joie, a été un des plus grands cinéastes (et scénaristes) italiens. Le metteur en scène a notamment réalisé Le Pigeon et La Grande guerre, Lion d’Or à la Mostra de Venise en 1959. Ce célèbre chantre de la « commedia all’italiana » a connu une fin tragique ; atteint d’un cancer en phase terminale, il s’est suicidé en se défenestrant depuis sa chambre d’hôpital en 2010 à l’âge de 95 ans.

Larmes de joie réunit trois monstres sacrés du cinéma italien. En premier lieu Totò, acteur comique sensationnel ayant collaboré avec les plus grands dont Sergio Corbucci, Dino Risi, Vittorio De Sica, Roberto Rossellini ou Pier Paolo Pasolini. Le film est également interprété par Anna Magnani (Rome ville ouverte) et l’italo-américain Ben Gazzara, acteur fétiche de John Cassavetes.

A l’époque, malgré une distribution exceptionnelle et un récit aux nombreux rebondissements, le film reçoit un accueil mitigé. Mario Monicelli lui-même n’était pas totalement convaincu par la justesse de l’entreprise, pensant notamment que l’on pouvait utiliser Anna Magnani et Totò de manière différente : « Je pensais que le couple n’était pas bien assorti, parce qu’ils avaient tous les deux une forte personnalité et qu’ils tenteraient de prendre le dessus l’un sur l’autre. » En fait, il n’en fut rien. Comme le rappelle la compagne de Totò, Franca Faldini : « Quand on lui proposa Risate di gioia, Totò fut très heureux. Il rêvait depuis des années de travailler à nouveau avec Monicelli. Parfois, il considérait qu’il était snobé par le cinéaste, il se demandait pourquoi et il en souffrait. En plus, dans le film, il y avait Anna Magnani, pour qui il avait un véritable culte, comme actrice et comme femme… Pendant la guerre, ils avaient joué ensemble dans des revues extraordinaires et quand ils se rencontraient – toujours occasionnellement, car dans le privé ils fréquentaient des amis différents –, il y avait des embrassades, des émotions sincères, des marques d’affection, et un tas de souvenirs. »

Ainsi, le film réunit à nouveau un couple célèbre – Totò et Anna Magnani – qui avait porté sur toutes les scènes d’Italie des revues légendaires acclamées par le public. Dans ces revues, « la » Magnani donnait la réplique avec toute sa gouaille romaine à la marionnette napolitaine qu’était Totò : un cocktail exceptionnel que Monicelli relance sur l’écran pour une odyssée nocturne – la nuit de la Saint Sylvestre – entre une figurante de Cinecittà et un vieil acteur de music-hall. Troisième personnage de cette nuit insolite, Ben Gazzara qui joue le rôle du voleur Lello. L’acteur emblématique de John Cassavetes tient là son premier rôle en Italie, pays où – comme beaucoup d’acteurs étrangers – il reviendra souvent pour des films dirigés par Marco Ferreri, Pasquale Festa Campanile, Alberto Bevilacqua, Giuseppe Tornatore, Valentino Orsini, Giuliano Montaldo… Ben Gazzara se souvient : « Anna Magnani et Totò formaient un couple inimitable, unique. Ils improvisaient de manière si spontanée, si créative, qu’ils faisaient revivre la commedia dell’arte. »

Vingt cinq ans plus tard, dans son livre consacré à Mario Monicelli (Il castoro cinema, 1986), Stefano Della Casa – un des meilleurs connaisseurs du cinéma populaire italien – propose une analyse précise du film et en souligne la richesse : « L’histoire d’une nuit romaine d’aventures qui se termine par une aube grise est clairement inspirée de films comme  Il bidone ou surtout La dolce vita. Il y a l’Américain ivre, les courses en voiture dans les rues de la capitale, la fête privée pour les aristocrates étrangers et celle plus populaire où il suffit de payer pour pouvoir y participer. La trouvaille de Mario Monicelli est celle de choisir comme protagonistes deux personnages hors du temps, deux déclassés qui cherchent à s’adapter au climat du bien être mais qui demeurent liés à des valeurs désormais dépassées. Le récital que Tortorella et Infortunio improvisent face à la foule chahuteuse de la boîte de nuit (un des plus beaux jamais réalisés par Totò qui, désormais vieux, semble vouloir se souvenir de son passé dans le music-hall) est une espèce d’affirmation de «différence» : à l’imbécillité du présentateur et à la pauvreté des numéros de variétés, ils savent opposer, lui et sa partenaire, un numéro de grande classe (qui, à l’évidence, se noie dans l’anxiété de s’amuser de l’assistance). Même la séquence finale – le psychodrame de la Magnani qui se feint miraculée avec Totò qui joue les faire valoir – a quelque chose de plus que la simple et maladroite application à la vie de la scène que la Magnani a interprété à Cinecittà au début du film, réjouissante satire des films mythologiques à succès, avec un metteur en scène qui évoque un peu Blasetti, un peu Bragaglia, un peu le metteur en scène des romans photos du Sceicco bianco : les deux comédiens ont recours à une tradition populaire à laquelle plus personne ne croit. »


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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