Las amants électriques



Vendredi 18 Avril 2014 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Bill Plympton – USA – 2014 – 1h16 – vostf

Jake et Ella se rencontrent dans un accident d’auto-tamponneuse et s’éprennent follement l’un de l’autre. Mais c’est sans compter le machiavélisme d’une garce qui sème le trouble chez les amoureux transis. Jusqu’où la jalousie la mènera-t-elle ? Entre envie de meurtres, tromperies en tout genre et un peu de magie, Jake et Ella sauront-ils surmonter leur rancœur ?

Notre critique

par Josiane Scoleri

Avec ce dernier film, Bill nous propose bien plus qu’un long métrage d’animation entièrement dessiné à la main, ce qui est déjà en soi extrêmement rare, mais un véritable feu d’artifice cinématographique. Dans « Les amants électriques »,  les couleurs explosent littéralement là où les films précédents jouaient davantage sur les nuances de gris et les contrastes. Le dessin est à la fois vigoureux et délicat. On sent la plume et l’aquarelle. On sent surtout la main de l’artiste, son trait, sa respiration, toutes choses que nous avons peu à peu oubliées avec le numérique. C’est par le dessin lui-même que  nous sommes  d’emblée littéralement projetés dans l’anti-Disney /Pixar. De toute évidence, Bill Plymton ne dessine pas pour faire plus rond, plus fluide, plus «naturel», en un mot plus gnan-gnan que l’ordinateur , suivez mon regard…. C’est un artiste qui a développé sa propre écriture, son coup de crayon, sa palette. Il n’est pas là pour faire joli…Le marché américain le lui reproche assez qui ne comprend pas pourquoi se donner tant de mal pour finalement produire un film qu’on ne peut aller aller voir tranquillement en famille avec les petits nenfants. Et bien non!

Le film de Bill Plymton s’intitule dans la version originale « Cheating », c’est à dire « tromper », ce qui pourrait utilement se traduite ici par « Adultère ». On le voit le titre anglais révèle d’entrée de jeu de pot aux roses, là où le titre français ménage le spectateur et crée une attente qui ne sera d’ailleurs pas réellement frustrée  tant  il est vrai que l’électricité – dans tous les sens du terme- joue un grand rôle dans le film.

Le récit quant à lui conserve dans un premier temps une certaine linéarité narrative. Nous sommes   portés par la rencontre de Jake et Ella, ravis de nous laisser surprendre par l’invention visuelle, l’humour, la poésie qui se dégagent du film dès la première minute. Plymton joue avec les codes et les conventions. Nos héros possèdent bien tous les attributs des canons de beauté en vigueur, mais les lèvres pulpeuses d’ Ella, ses longues jambes ou les épaules baraquées et les pectoraux de Jake  sont tellement hypertrophiés qu’ils en seraient franchement ridicules s’il n’étaient pas aussi attachants,  Nous avons droit très vite à des scènes magistrales comme le coup de foudre en autos tamponneuses, mené sur un train d’enfer ou le moment beaucoup plus calme où Ella prend le risque de l’amour et déverrouille son pauvre petit cœur cadenassé derrière mille barrières. Les voilà donc partis pour le parfait amour dans leur petit maison avec son bout de jardin dans la plus pure veine du rêve américain, lui tondant, elle briquant comme aurait pu dire Brassens. Il y a d’ailleurs pour moi une parenté surprenante (car je ne crois pas que Plymton ait jamais entendu parler de  Brassens) entre ces deux univers  où l’ironie le dispute au poétique dans des rapprochements improbables qui font mouche à coup sûr.

Car au-delà de l’histoire d’amour qui va s’avérer explosive,  Bill Plymton égratigne au passage bon nombre de clichés de la société et donc du cinéma américains: la somptueuse pompe à essence perdue « in the middle of nowhere », l’éternel motel sans âme sans lequel l’Amérique n’existerait pas, etc…Le rythme s’accélère à partir du moment où Jake se croit trompé, sur la foi d’un semblant de preuve qu’il ne prend même pas le temps d’examiner vraiment ( soyons donc vigilants sur les images nous dit au passage Bill Plymton, elles sont souvent trompeuses…avertissement d’autant plus d’actualité aujourd’hui où nous vivons submergés d’images en permanence). Cette deuxième partie du film nous gratifie de quelques moments d’anthologie comme la course poursuite entre la voiture et le train ( comment ne pas penser aux innombrable scènes de diligence dans les westerns) ou la folle course de Jake désespéré au volant de sa voiture, appuyant sur le champignon jusqu’à l’accident qui devrait être fatal…( scène plus que classique de tout bon mélo hollywoodien). On le voit, suspense et émotion sont au rendez-vous. Bill Plymton connaît son affaire et nous ne risquons pas  la baisse de pression.  Bien au contraire. Car au moment où nous nous y attendons le moins, le récit sort littéralement de ses rails ( l’homme adultère par supposée vengeance, la femme délaissée aux abois)et s’emballe jusqu’à l’apothéose finale.

La figure du magicien fait basculer le film, Nous passons au genre fantastique avec la machine – plutôt déréglée d’ailleurs – capable de téléporter quiconque dans un autre lieu et surtout un autre corps!!! Mais ce qui est encore plus étonnant, c’est la manière dont le réalisateur va se servir de cet artifice et l’imbriquer dans son scénario. Nous faisons des allers-retours entre  film de science-fiction et  thriller avec tueur à gages à la clef. La machine (du film) part en vrille tout en conservant sa cohérence formelle: outrance du trait, perspective déformée, répétitions paroxystiques. Nous sommes déboussolés  pendant un bon moment, le suspense redouble avant de comprendre où  le réalisateur veut nous mener.

Le film est servi très habilement par une totale absence de dialogue qui nous rend nécessairement plus attentif à l’image, mais la bande-son n’en est pas moins surprenante. Les bruitages sont très présents et les moments-clés du films sont accompagnés par un air d’opéra emblématique ( « Libiamo » de La Traviata ou « Ridi pagliaccio » de  Cavelleria Rustivana), ou encore un morceau endiablé de musique traditionnelle irlandaise. La musique fait corps avec le dessin et lui donne curieusement une présence accrue.

Avec Les amants électriques, Bill Plymton signe une œuvre ambitieuse qui est à la fois un véritable objet de cinéma et une féerie graphique singulière qui a tout pour ravir et nous faire rire en prime. Ce n’est décidément pas si fréquent.

Sur le web

Bill Plympton signe, avec Les Amants électriques, son dixième long-métrage animé. Cependant, sa production est bien plus importante si l’on considère les très nombreux court-métrages qu’il réalise depuis les années 80, ainsi que les travaux qu’il fit pour la télévision et la publicité. Toutes réalisations confondues, il en est en vérité à son 66ème film.

Pour ses personnages principaux, Plympton s’inspire de ce qu’il a sous les yeux tous les jours. Que ce soit dans le taxi, les transports en commun, dans la rue, le journal ou à la télévision, il croque des éléments corporels qu’il pense pouvoir être utile à ses personnages, jusqu’à atteindre l’image idéale. Il s’est notamment inspiré de photos de magazines pour dessiner Jake, et de photos de mode rétro pour Ella. C’est en se rappelant d’une relation amoureuse datant d’une quinzaine d’années que le réalisateur eut l’idée du concept romantique qui lie Jake et Ella. La relation était si fusionnelle qu’à la rupture, l’amour fit place à une haine tout aussi importante. La séparation, dans le film, se change en une envie littérale de meurtre. C’est ce type de relation passionnée qu’avait vécu le cinéaste à l’époque et qu’il a voulu transposer à outrance sur ses personnages.

Le scénario fut écrit par le cinéaste dès 2009. Il a par la suite créé un pré-story-board, faits de dessins très schématiques de la taille d’un timbre-poste. Ces quelques 800 dessins sont ensuite repris dans un story-board plus élaboré, définitif, de 232 pages. Selon Plympton, le film est fait à 90% lorsque ce story-board est achevé. Les dessins pour l’animation sont ensuite réalisés par le cinéaste, puis mis en couleur numériquement (en juin 2012). Les Amants électriques comporte alors près de 40 000 dessins. La musique est composée après le montage du film.

Les Amants Electriques est le premier film de Plympton mettant une femme au premier plan. Star du film, Ella rappelle au réalisateur la compositrice Nicole Renaud, avec qui il travaille depuis son court-métrage Eat (2001), du point de vue de son traitement musical, toujours romantique. Renaud est de nouveau responsable de toute la bande originale du dernier Plympton, bien que quelques vieux morceaux du domaine public furent parallèlement récupérés pour participer à cette juste tonalité romantique dans la transcription musicale des personnages.

Le budget des Amants électriques ayant drastiquement augmenté par rapport aux anciennes productions du Bill Plympton Studio, dû à l’importance de la mise en couleur numérique, le réalisateur fit pour la première fois appel à Kickstarter pour financer son long-métrage. Il obtint ainsi près de 100 000 dollars supplémentaires afin de finir son film et fut par ailleurs agréablement surpris de constater que beaucoup de donateurs internautes étaient européens ou coréens, découvrant ainsi une nouvelle part de son public potentiel.

Las des questions techniques posées par ses fans, Plympton décida mettre en ligne sur le blog du film les différentes étapes de construction des Amants électriques, de la formation du scénario au nettoyage final. Il avait déjà tenté une première incursion sur le web en diffusant en temps réel une vidéo de lui en train de travailler sur Hair High (2004). Mais, avec Les Amants électriques, c’est la première fois qu’il fait intervenir les artistes qui l’accompagnent dans la fabrication du film pour présenter le making-of, chacun ayant sa spécialité dans la construction du long-métrage qu’il souhaite partager avec le public.

Considérant que le scénario n’est pas la composante forte d’une comédie, Plympton est parvenu à imposer un style qui, par l’esthétique, la musique, l’animation, créé le rire. On lui a pourtant souvent reproché la faiblesse de ses histoires, y compris pour Les Amants électriques. Il rétorque alors que les histoires des Monty Python n’ont que peu d’intérêt, ce qui n’empêche pas leurs films d’être extraordinaires. Il en va de même selon lui pour tout film qui a vocation à faire rire, comme Yellow Submarine, pour rester dans l’animation.

Les Amants électriques fut sélectionné à plusieurs grands festivals spécialisés en cinéma d’animation mais également à des festivals plus généralistes comme Slamdance ou le San Sebastian Horror + Fantasy Festival (28 nominations en tout). Il regrette seulement qu’il y en ait si peu pour reconnaître la valeur de l’animation :  » il y avait plus de 200 films à Sundance cette année, et aucun long-métrage d’animation. A Slamdance (…) c’était le seul parmi les 80 films présentés« . Cette ignorance du cinéma d’animation par les festivals les plus représentatifs et médiatiques tels Toronto, Telluride ou Venise a amené le réalisateur à chercher par tous les moyens, dont celui cité dans la précédente anecdote, de faire connaître la beauté du cinéma d’animation.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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