L’Assoiffé



Samedi 09 Février 2008 à 20h30 – Spécial Inde

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Guru Dutt – Inde – 1957 – 2h25 – vostf

Touchée par la beauté des écrits du poète Vijay, une prostituée les fait éditer à ses frais. Le succès est alors immédiat. Mais Vijay s’étant fait passer pour mort affronte un entourage corrompu qui refuse de le reconnaître.

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« L’Assoiffé, le personnage principal du film (interprété avec force et conviction par Guru Dutt lui-même) l’est de reconnaissance, de justice, de paix et d’amour. Vijay est donc un personnage foncièrement bon essayant de surnager dans un monde qu’il abhorre, espérant naïvement le changer par ses poèmes. Un candide qui se verra rejeter à la fois par sa famille et ses amis. Un amoureux transi déchiré entre l’amour que lui porte une prostituée (la seule à voir en lui un grand artiste) et celui qu’il éprouve toujours pour une étudiante qui, plutôt que de vivre d’amour et d’eau fraîche à ses côtés a préféré, il y a quelques années de cela, choisir la voie de la richesse stable d’un homme qu’elle n’aimait pas particulièrement. D’ingénu au départ, après de multiples épreuves vécues comme une véritable descente aux enfers, Vijay acquiert une grande lucidité sur le monde qui l’entoure, dans lequel il ne se retrouve plus et qu’il désire même quitter : « Mes amis, ce ne sont pas mes amis. Leur seul ami c’est l’argent. Hier encore, ils me reniaient. [ …] Je ne me plains de personne ; je n’en veux à personne. Je n’en veux qu’à notre société qui prive les hommes de leur humanité, change les frères en inconnus et les amis en ennemis. J’en veux à cette culture qui rend un culte aux morts et foule aux pieds les vivants, qui voit dans l’empathie un signe de lâcheté et dans l’humilité un signe de faiblesse. Jamais je ne pourrais vivre en paix dans une société pareille. » Tel est le discours tenu à la toute fin de ce très beau film par Vijay/Guru Dutt.

L’Assoiffé est le septième film de Guru Dutt dont la filmographie en tant que cinéaste ne sera constituée que de neuf titres.

Et c’est L’Assoiffé qui fut le premier à se dévoiler à nous, projeté dans quantités de festivals à travers le monde, rencontrant un énorme succès notamment en France, en Allemagne et au Japon. Il fait désormais partie de ce que l’on appelle le cinéma de Bollywood, précédemment dénommé le cinéma hindi, vague qui découla des films sortis des studios fondés principalement par des acteurs et réalisateurs indiens. Le sujet des derniers films de Guru Dutt est celui de l’artiste malheureux, incompris ou vieilli, partagé entre deux femmes. C’est donc en grande partie l’histoire de sa vie : bien qu’amoureux fou de l’actrice Waheeda Rehman (sa découverte de L’Assoiffé, l’interprète de la prostituée), il ne cessa de vivre avec son épouse Geeta Roy qui finit néanmoins par le quitter. Geeta fut la chanteuse de play-back des plus grandes actrices indiennes et doublait elle-même la voix de Waheeda Rehman, une fois séparée d’avec son époux. Il n’y avait ainsi que peu de différences entre Guru Dutt et les personnages qu’il interprétait à l’écran, le cinéaste exprimant à travers son œuvre non seulement ses idées sur la société dans laquelle il vivait mais également son amour pour les deux femmes de sa vie.

Pour comprendre un peu mieux cet artiste maudit incapable de se décider avec laquelle de ses deux femmes vénérées il préférait s’installer (vivant tantôt avec l’une, tantôt avec l’autre jusqu’à l’impasse du suicide, à l’âge de 39 ans, face à une situation qu’il trouvait inextricable), la connaissance de sa biographie reste indispensable car il n’y aura jamais vraiment eu de séparation entre sa vie quotidienne et son œuvre cinématographique mais au contraire une immense corrélation/ confusion. Prenons le temps de brièvement la tracer. Guru Dutt nait le 9 juillet 1925 à Bangalore d’un père instituteur et d’une mère au foyer âgée de seulement 16 ans à l’époque et qui deviendra elle-même institutrice et traductrice. La famille au revenu modeste déménage près de Calcutta où Guru Dutt poursuit ses études. En 1941, il rejoint à l’âge de 16 ans le centre d’Uday Shankar (grand frère de Ravi Shankar) où il apprend la danse, le théâtre et la musique. Malheureusement, la Seconde Guerre mondiale oblige le centre à fermer en 1944. Son oncle lui procure alors un contrat de trois ans avec les studios Prabhat, très célèbres à l’époque. Durant ce laps de temps, il exerce différents métiers : acteur, assistant-réalisateur, assistant-producteur et chorégraphe. Il y rencontre le comédien Dev Anand (l’interprète de son ami dans Pyaasa/L’Assoiffé) avec lequel il signe « un pacte d’amitié« , une promesse qui stipule que le premier qui réussira dans le métier entraînera l’autre à sa suite.

En 1946, c’est Guru Dutt qui chorégraphie le film qui lance la carrière de Dev Anand en tant qu’acteur. En 1951, ce dernier devenu comédien et producteur de renom, tient sa promesse et fait appel à son ami (alors assistant-réalisateur d’Amiya Chakravarty ou Gyan Mukherjee) pour diriger à Bombay le deuxième film de sa maison de production, Navketan Films. Baazi est un hommage aux films noirs hollywoodiens des années 40 qui lance une mode durable de films policiers tout au long des années 50 en Inde. Ce film est dans le même temps un tournant dans sa vie privée puisque c’est sur ce tournage qu’il rencontre sa future femme, Geeta Roy, alors chanteuse de playback et qui officie déjà dans la plupart des chansons présentes dans ce premier film. Grâce à Baazi et au succès de ses chansons, Guru Dutt se fait un nom et marque durablement le cinéma indien de sa patte grâce à deux innovations : l’utilisation massive des gros plans avec une lentille de 100 mm (d’ailleurs surnommés depuis « les plans Guru Dutt« ) ainsi justement que l’intégration de chansons non seulement en tant que séquences distrayantes mais bel et bien pour faire progresser la narration de ses films. D’ailleurs, il n’utilisait jamais d’ouvertures orchestrales pour que le dialogue s’enchaîne immédiatement avec les paroles de la chanson, son seul souci étant de faire adhérer instantanément le spectateur aux premières notes de musique.

Il réalise les années suivantes Jaal (1952) et Baaz (1953), ce dernier dont il est pour la première fois l’acteur principal en même temps que le réalisateur. Mais c’est Aar Paar en 1954 qui le consacre définitivement. Il s’agit à nouveau d’un film policier tourné en extérieurs à Bombay et qui révèle par la même occasion un certain sens de l’humour. Ces premières expériences n’ont pas spécialement rencontré un grand succès mais elles lui ont permis de constituer sa « famille cinématographique« , de s’entourer de collaborateurs de talent à qui il restera fidèle jusqu’à sa disparition prématurée : l’acteur comique Johnny Walker, l’écrivain Abrar Alvi, le directeur photo V.K. Murthy, les compositeurs S.D. Burman et Hemant Kumar, les paroliers Sahir Ludhianvi et Kaifi Azmi, et enfin les chanteurs Geeta Roy et Mohammad Rafi. S’ensuivront des films qui restent aujourd’hui considérés comme ses plus belles réussites : Mr. & Mrs. 55, une comédie romantique de 1955, puis surtout Pyaasa (L’Assoiffé) en 1957 qui narre donc cette histoire d’un poète désespéré qui malgré l’aide d’une prostituée au grand cœur ne rencontre la consécration qu’après « sa mort » (réelle ou non). Au même moment. la vie privée du réalisateur devient chaotique puisqu’il entretient une liaison extraconjugale avec l’actrice principale de Pyaasa, Waheeda Rahman.

En 1959, Guru Dutt revient avec un projet dans lequel il a engagé toute sa fortune : Kaagaz Ke Phool (Fleurs de papier), un film qui évoque la fin de l’âge d’or du cinéma indien tout en narrant l’histoire sentimentale d’un cinéaste à succès qui perd tout en tombant amoureux de son actrice principale, cette dernière étant interprétée par la femme avec qui il entretenait une relation passionnée… sa maîtresse, l’actrice déjà de son film précédent, Waheeda Rahman. Le film sera un échec commercial qui l’affectera profondément et marquera la fin de sa carrière en tant que réalisateur. En effet, ruiné et touché dans son amour-propre, dans les années qui suivent il décide de ne plus réaliser de films. Il continue cependant à travailler comme acteur et producteur au sein de la société qu’il a créée, Guru Dutt Films. Persuadé que son nom n’est pas porteur au box-office, il ne signera donc plus aucun film même si l’on sait depuis qu’il était derrière la caméra de Sahib Bibi aur Ghulam (Le Maître, la maîtresse et l’esclave), qui sera ovationné aussi bien par la critique que par le public et qui représentera d’ailleurs l’Inde aux Oscars en 1963. Le 10 octobre 1964, il est retrouvé mort dans son lit, à 39 ans, d’un mélange d’alcool et de tranquillisants. Le mystère demeure quant à savoir s’il s’agissait d’un suicide ou d’une simple overdose accidentelle. Puisqu’il avait auparavant par deux fois essayé d’attenter à sa vie, l’hypothèse du suicide est cependant plus souvent mise en avant.

Pyaasa  (L’Assoiffé) est un immense succès commercial et populaire, arrivant en troisième place du box-office indien en cette année 1957. Le Times le plaça très longtemps au sein de sa liste des 100 plus grands films de l’histoire du cinéma. Belle consécration pour ce film parfois inégal et trop appuyé mais tellement poignant, sincère et vivant, tellement audacieux formellement ! Un mélodrame musical à la construction assez savante (il arrive qu’il y ait plusieurs flash-back entrelacés), au mélange assez détonnant, mêlant poésie et réalisme, naïveté et ironie et à l’interprétation convaincante, Guru Dutt en tête qui, dans la peau de ce personnage christique, semble s’être fortement impliqué. Il est inoubliable tout comme son film qui, pas nécessairement parfait et même quelquefois agaçant, n’en est pas moins sacrément entêtant ! Une indéniable réussite. » (dvdclassik.com)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

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