L’Aurore



Vendredi 16 janvier 2004 à 20h45

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Friedrich Wilhelm Murnau – Allemagne – 1928 – 1h37 – vostf

Un pêcheur s’éprend d’une citadine aux allures de vamp. Sous l’influence de celle-ci, il décide de noyer son épouse, mais change d’avis une fois sur la barque. Effrayée, la femme fuit en ville. Elle est bientôt rejointe par son mari, désireux de se faire pardonner.

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L’Aurore représente l’aboutissement ainsi que la somme de toutes les recherches et évolutions esthétiques du cinéma muet depuis ses origines, un art de foire et de captation du réel devenu en quelques années une forme d’art à part entière qui parviendra également à se détacher de ses références littéraires et picturales pour atteindre sa singularité.

Friedrich-Wilhelm Murnau est sollicité par William Fox qui a été impressionné par le précédent film du réalisateur allemand, Le Dernier des hommes. Le patron de la Fox Film Corporation lui fait signer un contrat de quatre ans et lui donne carte blanche. Même s’il tourne avec des acteurs américains, le cinéaste s’entoure pour L’Aurore d’une équipe majoritairement allemande.

L’Aurore est un des premiers films sonores de l’Histoire du cinéma, le tout premier étant Don Juan d’ Alan Crosland, un film des studios Warner pour lequel est employé le procédé Vitaphone. En 1927, La Fox a recours pour le film de Friedrich-Wilhelm Murnau à une autre technique de son, le Movietone. La Fox fait ainsi concurrence à la Warner qui présente Le Chanteur de Jazz, le premier film parlant, également réalisé par Crosland, quelques jours seulement après la sortie de L’Aurore. Lors de la première de ce film, le 23 septembre 1927, au Times Square Theater à Manhattan, on projette deux courts-métrages (l’un sur la chorale du Vatican et l’autre sur Benito Mussolini) pour faire la démonstration des qualités du Movietone. Cette technique a pour inconvénient de détériorer légèrement l’image, si bien que le film sort dans deux versions, l’une, sonorisée l’autre silencieuse. C’est cette dernière version qui est exploitée en Europe.

L’Aurore a pour sous-titre A song of two humans (littéralement « une chanson de deux humains »).

« La notion d’universalité est ainsi donnée par ce « cantique de deux humains« , dont les noms ne seront jamais donnés (même si nous pouvons parfois les lire sur les lèvres des personnages, ils correspondent à ceux de la nouvelle), qui vont passer par de terribles épreuves afin de retrouver l’amour et le désir qu’ils avaient perdus l’un pour l’autre. Le réveil sensuel et sexuel passera également par la confrontation avec les forces de la nature et la frénésie mécanique de la ville dont l’opposition avec l’univers bucolique village sera moins frontale que de nature complémentaire. De même, on a du mal à situer exactement le lieu du récit ; il s’agit certes d’un environnement américain (la grande ville surtout, même si son aspect moderne l’emporte clairement sur son caractère états-unien) mais le village rappelle par la disposition et la nature de ses maisons un environnement pastoral allemand que connaît très bien le cinéaste. Le regard nostalgique germanique de Murnau s’exprime donc déjà dans cette distinction entre le petit village de pêcheurs où le temps semble s’être arrêté et la modernité urbaine caractérisée par une agitation permanente et une sollicitation de tous les instants. La « menace » est incarnée par la femme de la ville, associée visuellement à la nuit et particulièrement à la lune. Symboliquement, la lune possède plusieurs significations à travers les âges et les peuples, mais souvent celles-ci se recoupent ; la lune est le territoire des rêves et de l’inconscient, de la mort et de la renaissance, de la femme aux multiples visages (la séductrice et la mère). Clairement, Murnau en a connaissance et le film raconte bien l’opposition entre les deux femmes (la blonde virginale, interprétée par la star de la Fox Janet Gaynor, qui irradie de lumière grâce aux éclairages, et la brune sexy appartenant aux monde nocturne) puis la renaissance d’un sentiment intense de vie après la manifestation du spectre de la mort. Le cinéaste de Nosferatu filme la brune tentatrice telle une vampire attirant à elle sa proie (comme le montrent ses déambulations dans le village, et surtout le plan séquence superbe qui montre le paysan parti la rejoindre de nuit au bord de l’eau sous une pleine lune avant de l’enserrer et de l’embrasser avec fougue – ce à quoi répond la femme par un baiser-morsure sur son cou).

La femme de la ville revêt en fait une autre fonction, qui se s’avère plus importante, que Murnau introduit par une projection frontale d’images festives de la cité alors que les deux amants se trouvent enlacés : elle est celle qui va déclencher – bien malgré elle – le rapprochement entre les deux époux. Ainsi il ne s’agit pas dans L’Aurore d’une opposition manichéenne et caricaturale entre la campagne et la ville, cette dernière est aussi vectrice de désinhibitions et de liberté. L’ouverture très dynamique du film avec les vacanciers et leurs activités ainsi que les remous provoqués par les différents moyens de transport était très signifiante de ce point de vue. Ainsi, alors que l’homme et sa femme se retrouvent propulsés dans le chaos visuel de la ville en sortant du tramway, après que l’infortunée épouse a réussi à échapper à la tentative de meurtre avortée de son mari, la métropole bouillonnante les accueille et leur fait bénéficier de nombreuses occasions de faire plaisir et de se faire plaisir – avec quelques éléments de comédie que le cinéaste dispose avec justesse et parcimonie (telle la scène du porcelet ivre). La séance chez le barbier, celle chez le photographe, le parc d’attractions, le jazz, la séquence sensuelle de danse… l’effervescence est son comble à mesure que le couple retrouve un lien affectif fort et que la composante sexuelle de leur relation s’exprime librement par les regards et les gestes. L’homme de la terre – joué par George O’Brien, révélé par John Ford dans Le Cheval de fer (1924) – lourd dans sa gestuelle et peu sûr de lui, que Murnau filme comme portant une enclume sur ses épaules, retrouve de l’allant et bénéficie du mouvement général impulsé par le réalisateur. On relèvera dans cette deuxième partie la réplique inverse du plan à projection frontale cité au début de ce paragraphe : le couple marchant dans la ville vers la profondeur de champ semble se diriger vers leur campagne (images projetées donc à l’appui), le lieu propice pour revivre ardemment leur amour.

Sur le plan visuel, Murnau atteint alors la quintessence de son art. En premier lieu, L’Aurore regorge de trouvailles formelles incroyables, jamais gratuites car reposant toujours sur une idée ou une émotion. Ce qui frappe d’une façon générale, c’est la façon dont l’expressionnisme avec ses clairs-obscurs, son découpage spatial tranchant et ses profondeurs de champ accentuées (avec l’aide ingénieuse de trompe-l’œil décoratifs et humains) se mêle avec une imposante fluidité à l’avant-garde européenne (les multiples surimpressions, les projections dans le plan) et au meilleur du classicisme américain (montage « invisible« , efficacité du raccord, cadrages millimétrés, dialectique entre les grands espaces – les vastes décors, les paysages – et l’intime – les gros plans sur les visages, les plans de coupe, etc.) que pouvaient représenter Walsh, Ford, Borzage ou Vidor. Ensuite, la science du mouvement continu de Murnau trouve ici un terrain d’expression parfait (avec des plans-séquences spectaculaires et singuliers pour l’époque, des travellings qui font passer aux personnages des frontières spatiales qui modifient leur psychologie du moment, des places assignées dans le cadre – équilibré ou non – et des entrées et sorties de champs significatives de leur relation à un instant donné) pour donner au récit un élan vital irrépressible et permettre aux différentes oppositions (thématiques, psychologiques) de s’agencer avec une indéniable homogénéité avant de s’annuler. Belle scène que celle du mariage à l’église qui marque la réconciliation entre les deux époux ; après les avoir filmés sortir de l’établissement accompagnés par les cloches comme s’ils étaient les jeunes mariés, Murnau les montre en train de fendre la rue à travers les voitures qui circulent à toute vitesse , comme rendus indestructibles par la force de leurs sentiments retrouvés. Enfin, il faut relever la portée cosmologique conférée par Murnau à sa mise en scène ; contrairement à ses très nombreux collègues attachés au travail en studio, le cinéaste, malgré son ambition de tout contrôler jusqu’au moindre détail, était d’ailleurs aussi connu pour apprécier les tournages en extérieurs. Il sait à merveille utiliser les éléments naturels (principalement la lune, les arbres, le brouillard, l’eau, le vent, la pluie) pour appuyer la destinée universelle de ses deux « héros » qui doivent frôler la mort de près lors d’une scène de tempête spectaculaire avant de renaître comme le jour après la nuit.

L’Aurore, qui s’achève justement alors que tout commence ou recommence (avec les rayons du soleil tant attendus), se révèle comme un film-poème qui doit tout à son style susceptible de transcender une histoire basique d’amour et de renaissance. Cette symphonie visuelle de tous les instants aboutit à un conte métaphysique dont l’apparente naïveté ne laissera finalement aucune prise aux plus cyniques d’entre nous et qui conserve toute sa puissance d’évocation presque un siècle après sa fabrication. Sa force émotionnelle, portée par une inspiration folle, une maîtrise cinématographique jamais prise en défaut et une technicité sophistiquée et toujours légitimée, vibre toujours autant aujourd’hui car porteuse d’un message d’amour, d’envie et de vie qui sauve encore – mais pour combien de temps ? – l’Humanité même lorsque celle-ci approche du précipice qu’elle s’échine avec conviction à creuser. » (dvdclassik.com)

« Comme caractéristiques formelles majeures de l’expressionnisme au cinéma nous retiendrons le jeu typé des acteurs et surtout, l’opposition de l’ombre et de la lumière lorsqu’elle provient du sentiment de l’esprit perdu dans les ténèbres qui s’oppose à l’envahissement d’une vie marécageuse qui ignore la sagesse. L’expressionnisme met ainsi en jeu une dialectique du bien et du mal, une confrontation qui se joue au sein du plan. L’aurore est ainsi beaucoup plus allemand qu’américain car l’expressionnisme y est encore très présent, dramatiquement dans les trois jeux d’oppositions qu’il met en scène et dans son utilisation du cadre et de la profondeur de champ. Le film raconte l’histoire d’un homme déchiré entre l’amour et le sexe. D’un côté l’objet aimé, l’éternelle jeune fille pure et parfaite ; de l’autre l’objet sexuel, l’amante, irrésistible magicienne, envoûtante et possessive. A ce déchirement entre la noblesse de l’amour et la violence des plus obscures pulsions s’ajoute l’opposition entre, d’une part, la pureté et la vertu de la campagne et, d’autre part, la corruption pernicieuse de la ville tentaculaire. Troisième opposition qui englobe les deux autres, le face à face occulte du jour et de la nuit. Au visage naturel, clair de la femme s’opposent les artifices de la lumière nocturne ; complice de la mort, la lune ne réfléchit que l’astre diurne. C’est la dimension fantastique du film. La ville et la nuit envoient leur messagère voler ce qu’il y a de plus précieux dans le monde du jour. La ville et la nuit s’emparent de l’âme et de l’esprit de l’homme, lui proposent agitation, désordre, perpétuelle excitation. » (cineclubdecaen.com)

Afin de donner à George O’Brien une démarche moins naturelle et plus inquiétante, les chaussures de l’acteur ont été lestées de plomb. Cette astuce a été reprise par la suite par James Whale pour son Frankenstein, sur une idée de Boris Karloff.

Après L’Aurore, le cinéaste fait de nouveau tourner Janet Gaynor, dans Four devils, en 1928, mais ce film de Friedrich-Wilhelm Murnau a été perdu.

Juste après Les Quatre fils, de John Ford, et L’Heure suprême de Frank Borzage (dans lequel figure déjà Janet Gaynor), L’Aurore est le film qui a engrangé le plus de bénéfices pour la Fox en 1928.

L’Aurore est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands films de l’Histoire du cinéma. Ainsi, lorsqu’en 2002, la revue britannique Sight and sound demande à des critiques de citer leurs 10 films préférés, L’Aurore apparaît en septième position.

Lors de la première cérémonie des Oscars, le 16 mai 1929, le film de Friedrich-Wilhelm Murnau remporte plusieurs prix. L’Aurore reçoit une statuette pour sa qualité artistique (Unique and Artistic Picture). La photographie de Charles Rosher et Karl Struss est également distinguée. Quant à Janet Gaynor, elle reçoit le prix de la meilleure actrice, non seulement pour ce film, mais aussi pour ses prestations dans L’Heure suprême et Street angel, tous deux réalisés par Frank Borzage.

Le négatif original de L’Aurore a été détruit dans un incendie en 1937. Pour la restauration du film en 2002, des copies provenant des Cinémathèques de Paris et de Prague sont examinées, mais c’est une copie datant de 1936 qui est choisie comme base de travail.

L’Aurore donnera un lieu à un remake, mis en scène en 1939 par Veit Harlan, réalisateur du tristement célèbre film de propagande nazie Le Juif Süss. La nouvelle version du film de Friedrich-Wilhelm Murnau a pour titre Die Reise nach Tilsit (Le voyage à Tilsit), comme le récit de Hermann Sudermann, dont les deux réalisateurs se sont inspirés.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

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