Dimanche 26 Mars 2023 à 17h30
Cinéma Jean-Paul Belmondo (ex-Mercury) – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Binka Zhelyazkova, Bulgarie, 1967, 1h38, vostf
Un gros ballon volant arrive au-dessus d’un village et attire l’attention des paysans. D’abord effrayés par cet objet apparemment venu de nulle part, ils sont bientôt fascinés par sa beauté et une enviable liberté de mouvement. Et ils projettent bientôt sur lui tous les fantasmes, attentes et espérances que des vies dans le dénuement peuvent susciter… Ils décident de le suivre et de le capturer, mais le ballon s’avère indocile…
« Même si Zhelyazkova a été accusée de formalisme par la censure socialiste, elle n’a jamais été obsédée par le style en soi. Pour elle, le cinéma a toujours été un moyen de communiquer ses considérations les plus urgentes et universelles sans tomber dans le sensationnel. Tant de cinéastes de l’ère socialiste ont également fait une carrière en distribuant des points de moralité dans un système binaire où tout se sépare en bien et mal – cela non plus n’intéressait pas du tout Zhelyazkova. L’apogée de ce mélange entre l’humaniste et le philosophique qui caractérise son cinéma ou, mieux encore, l’apogée du cinéma comme philosophie humaniste, sont probablement les deux documentaires qu’elle tourne dans la prison de Sliven, tous deux interdits bien sûr, car ils montrent le socialisme d’État au plus grotesque. Il ne s’agit pas seulement de tisser un puissant portrait d’une myriade de destins et de visages de femmes, elle essaie aussi de les aider dans les films et par ces films » Yoana Pavlova (critique de cinéma, fondatrice de Festivalists) et Eugénie Zvonkine (enseignante-chercheuse en cinéma à l’université Paris 8)
Notre article
par Josiane Scoleri
Découvrir aujourd’hui le cinéma de Binka Zheliazhkova est une de ces merveilleuses surprises qui ravissent régulièrement les cinéphiles du monde entier. Films qu’on croyait perdus et qui resurgissent, restaurations miraculeuses, l’histoire du cinéma est ponctuée de ces moments de révélations soudaines. Ici, c’est une réalisatrice qui refait littéralement surface après des décennies de censure et d’oubli. Et quelle réalisatrice!
Le ballon attaché est un film qui ne cesse de nous surprendre du générique de début jusqu’au dernier plan. Les censeurs ne s’y tromperont pas . Sous ses aspects de fable simplette, le film s’avère d’une inventivité constante, marquée par une liberté de ton et une audace formelle qui ne risquaient pas de passer inaperçues. Binka Zheliazhkova réussit en effet l’exploit de nous tenir en haleine avec une histoire de dirigeable parfaitement incongrue, allant de péripéties en rebondissements insoupçonnés. Elle n’hésite pas à faire de son ballon le personnage principal du film, omniprésent à l’écran à partir du moment où il apparaît à la cinquième minute. Sa forme même, entre baleine flottante et zeppelin, annonce déjà un brin de fantastique. Mais surtout, la réalisatrice va tirer un parti inouï de la nature à tout le moins hybride de cet objet, animal fabuleux doué de parole à l’occasion, doté à l’évidence d’une personnalité propre, avec des vues aériennes, à hauteur de vue du ballon où l’agitation des hommes semble bien anecdotique. Nous oscillons entre fable métaphorique et conte mythologique, ce qui permet d’aborder bien des sujets. Et Binka Zheliazhkova ne s’en prive pas.
Ainsi, notre ballon et ses cordes vont servir à exposer tour à tour toute la panoplie des pulsions humaines: peur, envie, jalousie, bêtise, orgueil, crédulité, instinct grégaire,vanité, tout y passe. Et les habitants du village ne sortent certes pas grandis de leurs prouesses. Mais Binka Jeliazkova sait manier la satire et nous rions de très bon cœur devant l’absurdité des entreprises des hommes qui partent encore et toujours si volontiers à la guerre, la fleur au fusil, sans savoir où ils vont. Les situations sont souvent un tantinet surréalistes et virent facilement au grotesque. La scène de l’âne étant un modèle du genre qui nous régale d’un crescendo sans faille vers l’absurde le plus incandescent. Nous sentons bien la parenté entre l’humour de tous ces pays d’Europe orientale, la bien nommée, où Nasr Eddine le Hodja pointe vite son nez sous les traits du brave soldat Schweik. Cependant, la réalisatrice ne se contente pas de nous faire rire, elle suit son idée et construit son film pas à pas, ou plutôt plan après plan. Le noir et blanc est très lumineux, avec peu de vrais noirs. Nous sommes plutôt dans une gamme infinie de gris et de blancs où seuls ressortent les visages des hommes sur lesquels la caméra s’attarde volontiers. Galerie de portraits qui n’est pas sans évoquer Brueghel par la vivacité des expressions et la mobilité des corps. La touche est plus légère, nettement moins contrastée, moins expressionniste que l’école soviétique, Le ton se veut moins dramatique aussi. Ici prédomine la veine comique. C’est aussi très certainement ce qui fait du Ballon attaché un objet filmique tellement à part parmi les films qui nous parvenaient de l’autre côté du rideau de fer dans ces années-là (exception faite de quelques films tchèques, dont l’impayable Jo Limonade, hilarante parodie de western, sorti trois ans plus tôt). Le film provoque un sentiment de jubilation au fur et à mesure qu’il se déploie, avec des péripéties toutes plus savoureuses et surprenantes les unes que les autres. L’inévitable rencontre avec les habitants du village d’à côté en est un autre exemple. Après de copieuses bordées d’injures échangées à distance, survient enfin la mêlée, chorégraphiée comme un ballet contemporain à la Pina Bausch.
Dans la progression du récit, nous passons ainsi du petit microcosme de la communauté au clash avec «les autres», auxquels les uns ressemblent bien sûr comme deux gouttes d’eau. On comprend à ce moment-là que Le Ballon Attaché n’est pas une succession de saynètes drôles, mais bien un tout qui a véritablement pour ambition d’explorer les relations humaines. Puis survient, comme une respiration, la magnifique scène des femmes surprises au bain par …le ballon survolant la rivière, les relations hommes/femmes ne pouvant manquer à cette tentative de sociologie par l’absurde. Le ballon attaché ne se réduit pourtant pas à cette dimension burlesque. Binka Zheliazhkova introduit très vite dans le récit le personnage énigmatique de la jeune fille en fuite qui revient à intervalles réguliers dans le film. Seule, alors que tous les autres sont toujours en groupe, muette autant les autres sont bavards, nous ne saurons rien d’elle ni des motifs de sa course éperdue. Là encore les images sont très belles, savamment éclairés, alternant plans larges sur cette nature aride, plans serrés sur la frêle silhouette de l’actrice et gros plans sur son visage. Et comme la réalisatrice n’est pas à une audace près, c’est une meute de chiens déchaînés qui traque la jeune femme, leurs aboiements sont sous-titrés et leurs dialogue ressemblent à s’y méprendre à ce que racontaient les hommes un peu plus tôt. D’ailleurs pour faire bonne mesure, les villageois des deux villages confondus, se mettent aussi à aboyer lorsqu’ils découvrent la jeune fille. CQFD. Mais, ce qui est peut-être encore plus étonnant dans ce film, ce sont les innombrables moments de poésie comme autant de cailloux du Petit Poucet qui semblent surgir de nulle part: les épouvantails couverts de guenilles soudain changées en impeccables chemises blanches, dansant d’abord sur l’air des lampions avant de marcher au pas sur une musique militaire ou encore les hommes qui se cachent derrière d’énormes tournesols pour tenter de masquer leurs mensonges face au ballon qui de toutes façons les surplombent.
Le film fourmille ainsi d’idées de mise en scène. Et comme nous sommes dans cette région d’Europe, ne pouvait manquer une fanfare qui fait danser tout le monde, y compris le ballon, bien sûr! La musique – et la bande-son- jouent d’ailleurs un rôle clé dans le film, puisque toutes les actions ont leur propre couleur musicale: musique et chansons populaires et musique militaire et chants de combat alternent jusqu’à la charge finale de la cavalerie qui aura la peau du merveilleux ballon et celle de la jeune fille qui se confondent soudain comme deux emblèmes de la liberté abattue en plein vol. Binka Jeliazkova s’est de fait payé le luxe de moquer tout au long du film l’autorité, l’ordre et la discipline aveugles. Mais si les paysans étaient ridicules dans leurs tentatives balourdes de reproduire ce qu’on leur a de tout temps enseigné, l’armée qui intervient brièvement à la fin est, elle, réellement dangereuse. Toutes ces fantaisies iconoclastes vaudront au film 22 ans de placard.
Sur le web
Binka Zheliazhkova est née à Svilengrad, le 15 juillet 1923. Elle s’engage très jeune pendant la seconde guerre mondiale dans les rangs des jeunesses anti-fascistes. Cette expérience va influencer toute sa future carrière. Elle fait des études de mise en scène à l’Académie de Théâtre de Sofia et brièvement à la VGIK de Moscou. Elle débute comme assistante du réalisateur Anton Marinovich aux studios Boyana de Sofia et réalise son premier film La Vie s’écoule tranquillement en 1957. Sa vision des anciens combattants et partisans aujourd’hui au pouvoir déplaît aux autorités et provoque son interdiction pendant 30 ans par décret. Malgré les difficultés de production (quatre autres de ses films sont interdits), elle parvient à proposer un cinéma novateur inspiré du nouveau réalisme et de la Nouvelle Vague française. Nous étions jeunes évoque un autre épisode de la Résistance bulgare. Le Ballon attaché analyse les réactions de paysans dans un village bulgare pendant la guerre alors qu’apparaît un ballon de barrage venu de nulle part. Le dernier mot, les derniers jours de six prisonnières politiques qui attendent leur exécution, est présenté à Cannes en compétition tandis que La Piscine, sorte de Jules et Jim de l’Est, remporte l’ours d’argent au festival de Moscou. Elle collabore avec son mari Hristo Ganev pour la majorité de ses films. Son style métaphorique et poétique la rapproche des grands auteurs russes comme Andrei Tarkovski. Ses thèmes dénoncent le culte de la personnalité et marquent ses prises de positions contre la répression à l’insurrection hongroise, la guerre du Vietnam, et pour les mouvements féministes des années 70 ainsi que son regard lucide sur la fin du régime socialiste. Cette femme courageuse et cette cinéaste engagée est parvenue à laisser un témoignage pertinent de son époque malgré les difficultés de fabrication de ses films. Binka Zhelyazkova est décédée à Sofia, le 31 juillet 2011.
« On peut s’étonner d’une découverte aussi tardive de la cinéaste majeure qu’était Binka Zheliazhkova, figure emblématique de la Nouvelle vague bulgare, si l’on excepte quelques festivals et notamment le festival de La Rochelle en 2022. Grâce à Malavida qui sort deux de ses films et le documentaire que lui consacra Elka Nikolova en 2006 (Binka : to tell a story about the silence) nous espérons enfin que cette mise en lumière réparera cette injustice.
Comme le précise Eugénie Zvonkine, le cinéma de l’anxiété morale dans les anciens pays communistes n’arrive qu’au cours des années 60, faisant de Binka Zheliazhkova, une des premières cinéastes critiques de la différence entre idéologie marxiste et réalité du système soviétique appliqué aux pays frères. La question est ici importante. Il s’agit du legs des idéaux de la résistance. Que reste-t-il des utopies de jeunesse dans une vie d’adultes entrés dans le jeu politique ? Si au delà de son importance historique La vie s’écoule silencieusement (1957), son premier long métrage, pouvait paraître encore très sage en regard de l’œuvre à venir, avec Nous étions jeunes (1961), Binka Zheliazhkova passe à la vitesse supérieure, le lyrisme ne s’y contient plus : elle s’y laisse aller à tous les débordements. Mais la première chose qu’on remarque est d’abord la très impressionnante gestion de l’espace par une réalisatrice utilisant fréquemment et au mieux les plans à la grue qui vont découper cette petite ville pour en faire un théâtre à ciel ouvert…
… Changement de ton et de cadre pour la fable Le ballon attaché (1967), adaptée d’un auteur bulgare considéré comme atypique, un cousin des films tchécoslovaques du printemps de Prague. Un ballon d’observation militaire (à la forme phallique des plus patriarcales, d’où quelques pannes gaguesques) dérive à travers la campagne d’un état imaginaire mais au pouvoir ubuesque. S’ensuit un film poursuite choral où le ballon fait figure de personnage principal et d’idéal de toutes les projections, le second étant, personnage d’autant plus fort et libre qu’il se passe lui de toute interprétation, une jeune fille en fuite par monts et par vaux, allégorie poursuivant le thème de la jeunesse et pouvant représenter également le cauchemar d’une auteure en situation inconfortable dans son propre pays (elle est admirée et reconnue, mais pas défendue).
La forme du film sera une longue cavalcade à la manière du cinéma muet, mais rythmée ici par des dialogues savoureux et un jeu volontairement excessif, à la démesure du projet. Cette mise en boite de la condition humaine, du comportement de meute et des rapports de force, chante les libertés individuelles et ne pouvait encore une fois être présenté en l’état et librement en Bulgarie, bien qu’il eut été reconnu dans les pays socialistes et les festivals. » (culturopoing.com)
« … Les ombres, les lumières, le regard, la photo, la révélation, autant de phénomènes présents dans les tissus narratifs et formels qui incitent à penser que son deuxième film : Nous étions jeunes est, au-delà de la retranscription d’un engagement idéologique de la cinéaste, une œuvre aux intentions ambitieuses au premier rang desquelles figure un véritable questionnement sur l’art cinématographique.
C’est ce que tend à confirmer Le Ballon attaché (1967), le troisième film de Binka Zhelyazkova. Le film aux allures de fable possède tous les ingrédients nécessaires pour parcourir l’étendue des possibilités métaphoriques qui habitent le cinéma. Les paysans qui peuplent un village retiré sont soudainement attirés par l’apparition d’un ballon volant qui ressemble à s’y méprendre à une fusée ou… à un poisson… à moins que ce ne soit encore autre chose. D’abord apeurés, les paysans associent en premier lieu le ballon à une menace divine. Puis les paysans transforment rapidement leurs craintes en spéculations diverses qui prêtent au ballon des qualités qui relèvent autant du fantasme que de la possibilité concrète de changer le cours de leur existence. Les paysans projettent de capturer le ballon mais ce dernier s’envole au gré d’on ne sait trop quelle motivation. Alors, pour s’en emparer, il faut le suivre et quitter le village.
Hors du temps, Le Ballon attaché adopte des tonalités qui sont associées traditionnellement aux récits picaresques ou au réalisme magique. Car le ballon est une apparition abstraite aussi incongrue que les souvenirs de René Magritte qui ont conditionné une personnalité marquée par la présence de l’extraordinaire dans le trivial (on pense à l’accident d’un ballon de navigation venu s’échouer sur le toit d’une maison voisine et qui en a redessiné les lignes architecturales). L’incompréhension qui suit l’apparition du ballon dans le ciel de la campagne bulgare agit comme l’insertion dans le récit d’un élément qui vient contredire la normalité du quotidien pour mettre en éveil l’esprit des paysans afin les conduire sur les chemins de la pensée et des interrogations. Le ballon est une figure dialectique qui rappelle à chacune de ses apparitions les tiraillements (la peur et le désir) qui hantent l’esprit des paysans mais il est aussi une ouverture sur le possible.
Pour qu’elle soit totale, l’expérience initiatique que la poursuite du ballon promet se doit d’être éprouvée autant physiquement que psychiquement. Commence alors un périple constitué d’épreuves à surmonter. Se présentent des obstacles évidents : une forêt, une figure du double, l’inconnu, des plaines désertiques… Au sein du groupe, la condition humaine s’individualise. Chacun réagit en fonction de sa personnalité et de ses origines familiales. Le ballon est donc aussi un révélateur. Il révèle les disparités qui, lorsque l’individu sait les domestiquer, les surmonter et en faire abstraction, nourrit et enrichit le collectif. Car il faut avoir conscience des différences avec autrui pour que ces discordances se métamorphosent en concordances entre les individus… » (splitscreen-review.fr)
« Binka Zhelyazkova est l’autrice d’un cinéma politique puissant. Projetés pour la première fois en France en 2021, dans le cadre de la cinquième édition du festival « Un week-end à l’est », les deux films de la cinéaste bulgare que Malavida ressort nous apparaissent comme des trésors trop longtemps cachés. Née en 1923 à Svilengrad, Binka Zhelyazkova s’est engagée très jeune, pendant la Seconde Guerre mondiale, dans les rangs des jeunesses antifascistes. Une expérience qui va servir de ligne directrice à sa carrière, débutée à la fin des années 1950. La production de ses films, plastiquement audacieux, est alors entravée par le régime communiste autoritaire – un système politique dont elle dénonce les débordements.
Son œuvre connaît un accueil contrasté. D’un côté une reconnaissance à l’étranger – des nominations dans des festivals à Montréal, Moscou ou même Cannes, où est montré en 1976 Le Dernier mot, sur six prisonnières politiques qui attendent leur exécution – de l’autre, une censure dans son propre pays, où son œuvre a été interdite par un décret pendant trente ans (jusqu’en 1990, année qui marque la chute du régime communiste). Disparue en 2011, la cinéaste aura milité toute sa vie contre toutes les formes de répression, en s’engageant lors de l’insurrection hongroise, la guerre du Vietnam ou encore lors des mouvements féministes des années 1970…
Avec ce conte hallucinatoire qu’est Le Ballon attaché, la réalisatrice s’intéresse de nouveau aux traumatismes de la Seconde Guerre mondiale dans son pays. Elle nous emmène dans une contrée fictive où les paysans se mettent en tête de suivre un ballon militaire qui plane au-dessus de leur visage. Leur terreur va laisser place à une fascination obsessionnelle… Ici, le réalisme flirte avec l’onirisme, le cauchemardesque, à la manière d’un film de Federico Fellini. Le ballon s’adresse aux paysans d’une voix lugubre et devient une entité quasi-vivante, les chiens communiquent comme des humains par leurs aboiements, une jeune fille terrifiée effectue une course effrénée à travers les montagnes, les portants à linges s’animent comme des épouvantails merveilleux, une fanfare débarque de nulle part… Ces éléments signalent la modernité et la puissance métaphorique du cinéma de Binka Zhelyazkova, qui reprend les codes du néo-réalisme italien avec sa manière aride de montrer la vie quotidienne, d’épouser le tragique de la réalité sans artifice. Dans ce chaos absurde se loge un message subliminal : le ballon devient le motif des idéaux promis par le régime, telle qu’une société égalitaire et des perspectives d’avenirs. Face à ces promesses non tenues, les hommes redoublent d’une violence insidieuse, que la réalisatrice préfère suggérer par des ellipses. Malgré la répression, la cinéaste réussit à retranscrire derrière cette fable ubuesque un témoignage marquant sur le désespoir et le dénuement d’une époque sombre. » (troiscouleurs.fr)
« Le ballon attaché, écrit par Yordan Raditchkov (adapté de sa propre œuvre), montre comment un énorme ballon volant bouleverse un village retiré du monde (mais au même fuseau horaire que l’Europe Centrale).
Lors de la sortie de son premier long métrage, La vie s’écoule silencieusement, Binka Zhelyazkova subit un violent revers de la part des institutions. Nous étions jeunes est censé redorer son blason en faisant patte blanche. Cependant, la réalisatrice continue de creuser sa vision quelque peu défaitiste sur les idéaux politiques en les confrontant à une sévère réalité. Le petit groupe de jeunes ne cesse de rater ses missions, par manque de chance ou par distraction. La réalisatrice appuie sur leur jeunesse et montre l’amertume d’un tel sacrifice malgré leur volonté politique. Jouant sur une totale confrontation (lumières/ténèbres, ami/ennemi, amour/cause), le deuxième long métrage de Binka Zhelyazkova fait preuve d’une ambivalence qui n’a pas dû plaire au régime socialiste. Mourir pour la cause en vaut-il vraiment la peine ? La cinéaste ne tranche pas mais se veut tragique : les jeunes sont interchangeables, la cause, elle, reste.
Comme une réponse à la censure (encore elle) vis-à-vis de son deuxième film, la réalisatrice décide de jouer carte sur table et d’y aller franco sur la critique de l’oppression avec Le ballon attaché. Film comique, farce caustique, faux vaudeville, ce troisième long métrage brille par sa dimension morale. Pourtant, il ne s’agit que d’un modeste ballon, au-dessus d’un modeste village. Celui-ci symbolise beaucoup de chose, aux yeux des villageois⋅es. De l’espionnage (le film se passe en temps de guerre) à la liberté toute simple, ce ballon devient le centre d’attention et transforme les hommes qui le chasse en meute chaotique. Son pouvoir de projection (veut-on le récupérer pour le posséder ou pour qu’il soit utile aux autres, là demeure la question) est dantesque et entraîne la petite troupe aux confins de leur terre. Sa verve et sa drôlerie n’arrivent pas à cacher la tristesse autour de ce ballon. Qu’il symbolise la liberté ou seulement un objet à posséder, à quel point le peuple est désespéré pour arriver à toutes ces extravagances ? La séquence finale, où l’on voit le ballon être démantelé par la police, à quelques chose de déchirant, comme si nous assistions à une violente répression (la caméra ne quitte pas ces couteaux qui déchirent le tissu et privent le peuple de son attraction). Le ballon attaché exacerbe les rapports de forces et fait preuve d’un regard encore plus tragique que Nous étions jeunes sous certain aspect. Le besoin de posséder et d’opprimer des hommes est montré dans toute sa splendeur et sa décadence.
Un seul point mystérieux demeure dans Le ballon attaché : cette étrange jeune femme qui suit, elle aussi, le ballon. Aucun désir de possession ne transparaît chez elle, contrairement aux autres. Une sublime séquence, en milieu de film, montre cette héroïne dans une sorte de valse avec le ballon, seul personnage (avec la petite fille du début) à s’émerveiller face à lui. Il est dit que cette étrange jeune fille symboliserait Binka Zhelyazkova elle-même. Ce personnage a été ajouté pour l’adaptation, il n’existe pas dans l’œuvre d’origine. Peut-être symbolise-t-elle vraiment la réalisatrice, mais peut-être lui fallait-elle aussi, pour le besoin de la narration, un personnage qui deviendrait le contrepoint des hommes, un personnage qui pourrait contempler l’ampleur des dégâts et être suffisamment vulnérable pour en avoir peur.
Le ballon attaché se soustrait à une certaine logique visuelle et fourmille d’idées saugrenues. Le ballon parle, les chiens aussi. Les hommes peuvent s’entendre malgré la distance. Du “photo-roman” à la Chris Marker à la gestuelle plus libérée et grandiloquente du cinéma muet, Binka Zhelyazkova fait preuve d’une audace formelle particulière, qui aide grandement à qualifier son style d’“expressif et avant-gardiste”. Il est sûr que nous n’avions jamais vu un film pareil avant et qu’il sera difficile de l’égaler. Il est sûr également que ce travail visuel permet de ne pas lire le film trop facilement, comme si la réalisatrice voulait garder une part de mystère, une part d’incertitude quant à notre totale compréhension du film. » (fuckingcinephiles.blogspot.com)
Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.
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Entrée : Tarif adhérent: 6,5 €. Tarif non-adhérent 8 €. Adhésion : 20 € (5 € pour les étudiants) . Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier et à l’atelier Super 8. Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici