Vendredi 27 Juin 2014 à 20h30
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Michael Cimino – USA – 1974 – 1h55 – vostf
Le braqueur de banque John Thunderbolt se lie d’amitié avec Lightfoot, un jeune aventurier. Ensemble, ils décident de récupérer un magot d’un demi-million de dollars que Thunderbolt avait planqué dans une vieille école. Mais celle-ci a été détruite…
Notre critique
par Josiane Scoleri
Le premier film de Michael Cimino démarre sur les chapeaux de roue avec une première scène triple choc qui donne à la fois le rythme et le ton du film. Un rythme endiablé et un ton parodique qui ensemble retournent comme un gant tous les codes du film de gangsters préparant bien sûr le casse du siècle. Du cheval qui hennit, attaché devant l’église comme le dernier des Mohicans au milieu des grosses voitures à la fusillade pendant la messe, de la course poursuite à travers champs au périple à travers les États-Uni, Cimino revisite d’une scène à l’autre tous les genres majeurs du cinéma hollywoodien dans un second degré drolatique et souvent improbable qui réussit à nous surprendre tout au long du film.
Thunderbolt ( «Éclair »), surnom du personnage de braqueur joué par Clint Eastwood et Lightfoot ( « Pied Léger »), vrai nom du jeune en rupture de ban interprété par Jeff Bridges – comment ne pas penser, bien sûr, à des noms indiens – forment un tandem inoubliable dans la plus pure tradition du « film de potes », genre très américain depuis Laurel et Hardy jusqu’à nos jours en passant par Easy Rider ou Pulp Fiction. Alors que tout les oppose, leur rencontre rocambolesque va les rendre inséparables. Après cette entrée en matière tonitruante où un classique montage alterné nous permet immédiatement de voir les deux héros en situation, le film va pouvoir dérouler le récit de leurs aventures. À noter parmi les écarts par rapport aux canons habituels, l’absence totale de femmes (mise à part quelques apparitions totalement anecdotiques), Cimino s’offrant le luxe d’intégrer au cœur de l’action une scène de travestissement « bigger than life » où Jeff Bridges en perruque blonde, mini-jupe et hauts talons fait merveille !
Le réalisateur ponctue son récit de clins d’œil qui sont autant de références aux « incontournables » du cinéma américain. Les panaches de fumée qui envahissent régulièrement les somptueux paysages du Middle West du fait de voitures plus ou moins pétaradantes nous parlent de westerns et d’attaques de la diligence. Les phrases toutes faites, proverbes et autres dictons employés en toutes circonstances par Lighfoot renvoient a contrario à ces répliques culte de Bogart, James Dean, Brando ou… Clint Eastwood. Nous avons droit bien sûr à l’indispensable scène à la pompe à essence, mais cette fois-ci le pompiste est anarchiste et prédit l’écroulement du système, d’après lui à deux doigts de la faillite, sans parler de l’escale au motel où contrairement à toute attente la jeune femme sort en sous-vêtements pour crier au viol !
Autre originalité du scénario, le duo Thunderbolt -Lightfoot est doublé de deux autres compères, Red and Goody qui jouent eux aussi la partition du tandem mal assorti et inséparable, mais sur un tout autre registre, Red, la brute taciturne et Goody, comme son nom l’indique, le bon plutôt mollasson. L’articulation entre les deux couples donne lieu à toute une série de scènes hautes en couleur, de la poursuite mortelle des débuts à la coopération indispensable pour monter le coup qui occupera la dernière partie du film.. Le scénario est remarquablement bien construit et intègre au cœur du film une sorte de road movie avec son lot de rencontres passablement inattendues., la palme revenant sans le moindre doute au fêlé qui prend Thunderbolt et Lightfoot en stop au péril de leur vie. Les grands espaces de l’Ouest américain sont, on le sait, propices à la folie la plus déjantée qui peut ainsi se déployer loin des regards et des institutions. Là aussi on retrouve un archétype du cinéma américain. L’habileté du cinéaste consiste ici à en faire une scène entièrement fortuite par rapport au fil du récit, totalement énigmatique, mais tellement surréaliste qu’on ne risque pas de l’oublier.
La musique joue également un rôle clef dans l’atmosphère du film, avec notamment les airs de folk et e country qui accompagnent les plans plus calmes où le ruban de la route se déroule sans fin au milieu d’un nulle part si typiquement américain. Le film prend un tout autre tour lorsque nos héros arrivent enfin à Varsovie (Montana). Là encore, le récit se situe à peu près aux antipodes d’un film classique de gangsters en train de préparer leur coup : ils se trouvent tous les quatre un petit boulot vraiment pas glamour, histoire de pouvoir acheter le matériel dont ils ont besoin. Cimino nous régale alors de saynètes qui en quelques plans nous en disent beaucoup sur la société américaine des années 70, ses codes, ses tabous et ses fantasmes à la fois raciaux et sexuels. Le tout certes sur le ton de la légèreté qui caractérise le film, mais il égratigne au passage aussi bien les stéréotypes sur les femmes, blanches ou noires et les homosexuels ou encore l’omniprésence du drapeau américain. Sans oublier bien sûr une autre caractéristique des États-Unis, la facilité avec laquelle on peut se procurer des armes y compris de très, très gros calibres. Cimino travaille sur la démesure, celle du cinéma américain ( dans le registre « plus c’est gros mieux ça passe »), mais surtout celle de son pays qui combine facilement mythomanie et mégalomanie…
Le casse à proprement parler est un modèle du genre et pourrait figurer dans une anthologie tout comme les multiples scènes de poursuites en voiture, que ce soit gangsters contre gangsters ou gendarmes contre voleurs, nous avons droit à intervalles réguliers à un intermède de conduite acrobatique tout aussi spectaculaire et aussi peu réaliste que les combats dans les forêts de bambous des wou xa pien asiatiques ! À chacun sa mythologie !
Tout cela pour le grand bonheur du spectateur pris d’entrée de jeu dans ce rythme un peu fou qui lui laisse à peine le temps de reprendre son souffle d’une scène à l’autre. La fin du film nous réserve un dernier retournement de situation, mais surtout, ce ne sera ni un happy end, ni une victoire de la loi. Cimino trouve une troisième voie et affirme dès se premier film un anti-conformisme singulier qui lui voudra bien des ennuis par la suite.
Sur le web
Avant de réaliser avec Le Canardeur son premier film, Michael Cimino s’était fait remarquer comme co-scénariste des films Silent running de Douglas Trumbull et Magnum Force de Ted Post , avec Clint Eastwood comme interprète principal. Ayant vivement apprécié le style et le ton de Cimino sur ce polar, l’acteur-producteur a donc tout naturellement décidé de lui faire confiance en lui donnant les commandes de son film suivant, trois jours seulement après avoir lu le scénario.
S’il a eu la chance de séduire Clint Eastwood par ses qualités de scénariste, Michael Cimino connaîtra par la suite des fortunes diverses, après Le Canardeur et Voyage au bout de l’enfer sorti en 1978 et salué par la critique du monde entier. Massacré par les mêmes critiques, son film suivant, La Porte du paradis sorti en 1980 sera l’un des plus cuisants échecs financiers de l’industrie cinématographique. Depuis, le réalisateur devenu maudit à Hollywood a tout de même pu monter L’ Année du dragon en 1985, Le Sicilien en 1987, La Maison des otages en 1990 et The Sunchaser, en 1996 qui reste son dernier film à ce jour.
Son surnom légendaire de “ Thunderbolt ”, John Doherty ( interprété par Clint Eastwood) le doit à sa façon bien particulière de braquer les banques à l’aide d’un canon de 20 mm. Une scène particulièrement physique du film voit Thunderbolt (Clint Eastwood) remettre lui-même son épaule démise en se servant de la ceinture de Lightfoot, une scène que l’on peut comparer à celles où, dans les westerns, les héros cicatrisent eux-mêmes leurs propres blessures ou enlèvent des flèches indiennes. Dans le rôle d’un conducteur fou qui transporte dans le coffre de sa voiture des lapins qu’il libère pour leur tirer dessus, Bill McKinney fait une apparition remarquée. On le retrouvera encore aux côtés de Clint Eastwood dans Josey Wales hors la loi.
Le Canardeur est la première collaboration entre Clint Eastwood et George Kennedy qui se retrouveront l’année suivante dans La Sanction, quatrième film d’ Eastwood comme metteur en scène. George Kennedy jouera ultérieurement de son image en interprétant le rôle du capitaine Ed Hocken, aux côtés de Leslie Nielsen dans les trois opus des ZAZ, Y a-t-il un flic pour sauver la reine ?, Y a-t-il un flic pour sauver le président ? et Y a-t-il un flic pour sauver Hollywood ?.
Partenaire de Clint Eastwood dans Le Canardeur, Jeff Bridges sera nominé aux Oscars pour sa composition du personnage de Lightfoot. Une deuxième nomination pour ce comédien alors débutant, après une première citation pour La Dernière séance de Peter Bogdanovich. Jeff Bridges retrouvera par ailleurs Michael Cimino dans La Porte du paradis, dans la peau d’un homme nommé John Bridges…
Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.
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