Le Chant du Missouri



Jeudi 03 Mars 2022 à 20h – 19ième  Festival

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Vincente Minnelli, USA, 1944, 1h53, vostf

Les Smith, monsieur et madame, leurs quatre filles et leur fils, coulent une existence heureuse dans leur belle maison de Saint-Louis, dans le Missouri, en 1903. La plus petite, Tootie, multiplie les espiègleries. La plus grande, Rose, attend le coup de fil du garçon qu’elle n’ose pas encore présenter comme son fiancé. La plus jolie, Esther, coule de longs regards curieux par sa fenêtre vers le jeune voisin qui vient d’emménager. Tout en découpant une dinde, le père jette la consternation sur la tablée dominicale lorsqu’il annonce avoir accepté une promotion qui l’emmènera, avec toute la famille, à New York. Une chronique familiale en quatre saisons, racontée avec un sens de la couleur et de la pudeur incomparable par un Minnelli qui signait là sa première collaboration avec Judy Garland.

Notre article

par Vincent Jourdan

Un rêve d’Amérique en glorieux Technicolor, qui s’ouvre sur la grande maison 1900, comme une bonbonnière avec ses stores rayés de rouge et blanc, le trolley étincelant, le traîneau rutilant, les canotiers et les dentelles. Un rêve, un fantasme, un idéal. La quintessence du Hollywood classique, avec une production MGM d’Arthur Freed soignée jusqu’au moindre bouton de guêtre, « Ça coûtera cher, mais ça sera formidable », la direction artistique de l’indispensable Cédric Gibbons, Lemuel Ayers venu de Broadway et Jack Martin Smith, les chansons de Martin et Blane dont plusieurs sont devenues des standards, les costumes d’Irene Sharaff et Irene. La mise en scène de Vincente Minnelli. Judy Garland, son visage et sa voix. Des moments tour à tour drôles, palpitants, enthousiasmants, émouvants, glaçants parfois. Des moments où l’on pleure, quand Judy console sa petite sœur en lui chantant, le soir de Noël, Have Yourself A Merry Little Christmas (sinon, c’est qu’on a un parpaing à la place du cœur). Des moments où affleure une gravité qui rappelle que Le Chant du Missouri (Meet Me In St Louis) a été tourné en 1944, quand le monde était à feu et à sang. Le Chant du Missouri est une belle pièce d’Americana, cette image populaire du rêve américain qui plonge dans la période autour de 1900 pour en sublimer l’optimisme et les valeurs. Une veine illustrée au cinéma par John Ford, Henry King, Jacques Tourneur ou encore Frank Capra. Pour son troisième long métrage Vincente Minnelli l’érige en contre-modèle face à la violence de son époque. Il emprunte les voies du conte et du rêve, comme il rêvera Paris dans Un Américain à Paris (An American in Paris, 1951), Central Park dans The Band Wagon (Tous en scène, 1953) ou l’Écosse de Brigadoon (1954). Mais ses rêves ne sont pas simples distractions, même haut de gamme, mais une méditation sur l’aspiration au bonheur et les rapports humains, amoureux, familiaux, amicaux, artistiques, tout ce qui fait que l’homme n’est pas une brute violente, mais un être de sentiments et de sensibilité. Minnelli l’exprime avec humour et élégance, avec un sens de l’équilibre qui jamais ne brise l’élan sans jamais tomber dans la sensiblerie. Il use aussi d’une forme très travaillée, d’une beauté à couper le souffle qui rappelle sa formation de dessinateur et sa passion pour la peinture. Son premier film en couleurs est une splendeur de chaque plan, de chaque image, où Minnelli, se fiant à son instinct et à son goût plutôt qu’à Nathalie Kalmus, spécialiste du procédé Technicolor, sublime sa matière avec la collaboration du chef opérateur George Folsey. Minnelli nous offre des portraits vibrants de Garland, dont il tombe amoureux (et cela se comprend), ainsi que des compositions d’une richesse et d’une finesse inouïes.

D’un printemps à l’autre, Le Chant du Missouri est l’histoire, banale et sublime, de la famille Smith (nous dirions, en France, les Dupont), exemple idéalisé de classe moyenne supérieure. Ils vivent heureux dans cette belle maison de St. Louis, Missouri, toutes générations confondues, entre intrigues sentimentales et attente de l’exposition universelle de 1904. Mais ce bel équilibre menace d’être rompu par les aspirations du père qui décroche un travail mieux rémunéré à New-York. Faudra-il sacrifier bonheur et racines provinciales à la réussite financière, aux impératifs d’une carrière ? Non ! nous disent avec force et en chansons, Minnelli, ses scénaristes et ses personnages. Si le récit, adapté d’une série de nouvelles de Sally Benson, ne remet pas en cause un modèle patriarcal bien de son temps, la maisonnée Smith est dominée par la présence des femmes, la mère, indispensable pivot incarnée par Mary Astor, qui diffuse sa tendre sagesse, et les quatre filles pétulantes (outre Garland dans le rôle de la cadette, on retrouve Lucille Bremer, Joan Carroll et la remarquable petite Margaret O’Brien), sans oublier la bonne épatante, jouée par la formidable Marjorie Main. Face à elles, le facétieux grand-père (Henry Davenport) et le jeune fils sont complices, laissant le chef de famille bien isolé avec son autorité factice. Mais comme nous nous sommes dans une comédie musicale, c’est par le cœur que la situation va se dénouer et l’amour qui va ouvrir les yeux du père sur les impacts de son projet. C’est le délicat duo You and I qui rapproche les époux après la première crise et le symbolique bonhomme de neige qui cristallise la prise de conscience. Les valeurs de la proximité, des liens de la petite communauté, de l’harmonie familiale, seront plus fortes que l’attrait de la grande métropole et de la réussite sociale. Au moment où les foyers américains vivent au quotidien la séparation avec les hommes partis à la guerre, Le Chant du Missouri exprime ce déchirement avec force, tramé dans les atours exaltants de la comédie musicale : mouvements, chansons et couleurs. Le bonheur est au bout du conte, chant volontaire pétri d’optimisme en l’avenir. Le public de l’époque ne s’y est pas trompé, faisant au film un succès durable et un classique instantané qui ne cessera d’être diffusé pour les fêtes de fin d’année. Avec le temps, la beauté de l’œuvre n’a rien perdu de son éclat et même les plus critiques du modèle ici exalté ne pourront que succomber au charme des grand yeux de Judy Garland et de sa remarquable performance, l’une de celles qui l’ont fait entrer dans la légende.

Sur le web

« Le film qu’Arthur Freed avait alors l’intention de produire était inspiré d’une série de récits nostalgiques que Sally Benson avaient écrits pour la revue New Yorker avant d’être rassemblés dans un ouvrage intitulé Meet Me in St. Louis. Il s’agissait en fait de simples souvenirs d’enfance qui touchèrent Minnelli par leur chaleur et leur humour ; il accueillit donc le projet avec enthousiasme après que Cukor eut décliné l’offre pour cause de mobilisation. Alors qu’il tournait I Dood It, deux scénaristes se mirent au travail, et, jugeant le livre dénué de tout « coup de théâtre« , rajoutèrent à l’intrigue une histoire de chantage qui ne convint pas du tout au réalisateur. Arthur Freed engagea alors un autre duo, composé de Fred Finklehoffe et Irving Brecher, à qui il dit d’écrire en ayant en tête que le rôle principal serait tenu par Judy Garland. Ils accouchèrent du scénario final en se basant uniquement sur un seul épisode de l’œuvre originale. Représentée dans le film à travers le personnage de Tootie, Sally Benson est par ailleurs la scénariste de films comme L’ Ombre d’un doute ou Anna et le roi de Siam.

C’est sur le plateau du Chant du Missouri que Vincente Minnelli rencontre Judy Garland qui deviendra son épouse en 1945. De cette union naîtra Liza, en 1946. Le réalisateur et la comédienne divorceront en 1951. Vincente Minnelli dirigera de nouveau Judy Garland, devenue son épouse, dans L’Horloge (1945), Ziegfeld Follies (1946) et Le Pirate (1948), ces deux derniers films étant aussi des comédies musicales. Dans Le chant du Missouri, Judy Garland est prodigieuse et nous montre une étonnante maturité artistique dans tous les registres, tant dramatiques, humoristiques, tendres, fantaisistes que musicaux. Son visage expressif n’a peut-être jamais été aussi amoureusement filmé (hormis peut-être par Cukor dans A Star is Born) que lors de la chanson The Boy Next Door où nous la voyons assise à sa fenêtre l’air rêveur et romantique et peut-être encore plus dans la célèbre Have Yourself a Merry Little Christmas : deux tableaux de maître !

Le producteur engagea aussi Ralph Blane et Hugh Martin pour écrire les chansons ; il ne le regretta jamais non plus, trois d’entre elles étant devenues d’immenses standards et même, Have Yourself a Merry Little Christmas, un classique des chants de Noël. Le décorateur Lemuel Ayres eut pour consigne de s’inspirer des tableaux de Thomas Eakins et la grande couturière Irene Sharaff fut appelée de New York pour les costumes. Tous deux réussiront également un travail absolument époustouflant, le décorateur faisant même faire construire une rue complète en studio. Quant à la photo, puisque Le Chant du Missouri allait être le premier film en technicolor de Minnelli, on enjoignit à ce dernier de suivre les conseils de Nathalie Kalmus, la conseillère de la MGM pour la couleur. Mais le goût et l’assurance du réalisateur pour tout ce qui touchait à ce domaine étaient si grands, que malgré toutes les recommandations prodiguées par la conseillère, il préféra se fier à son intuition. Bien lui en a pris quand on voit le résultat à l’écran. Dès ce film, il deviendra alors l’un des plus grands coloristes et esthètes du cinéma américain. George Folsey à la caméra lui fut d’une aide remarquable et le premier à renforcer dans l’esprit de Minnelli l’idée qu’il avait en germe de la « chorégraphie de la caméra« . C’est dans la fameuse séquence The Trolley Song (ou bien celle dans laquelle les deux amoureux éteignent les lampes unes à unes) que Vincente Minnelli entame ses expérimentations qui aboutiront pleinement dans des scènes d’une perfection qui laisse pantois comme celles du ballet final dans Un Américain à Paris, de la chasse à l’homme (Harry Beaton) dans Brigadoon ou dans Celui par qui le scandale arrive ; quelques exemples qui sont là pour prouver le génie du réalisateur et l’élégance unique de ses mouvements de caméras.

A sa sortie, Le Chant du Missouri est un gros succès au box-office : Ses recettes furent 5 fois supérieures au coût de départ (il s’agissait pourtant déjà d’un gros budget) et en 1944, il devient le plus grand succès de l’histoire du cinéma après Autant en emporte le vent de Victor Fleming. La vision de cette vieille Amérique colorée et nostalgique, aux antipodes des métropoles bruyantes et du monde en guerre, fit affluer le public qui s’y rua pour oublier la tragédie de l’époque et surtout les séparations familiales. Grâce à cette réussite financière, et pour notre plus grand bonheur, Vincente Minnelli aura désormais carte blanche pour la suite de sa carrière. Le Chant du Missouri a été nommé à l’Oscar de la Meilleure chanson, de la Meilleure musique, du Meilleur scénario et de la Meilleure photographie. Ajoutons que la jeune Margaret O’Brien a reçu l’Oscar de la meilleure enfant actrice pour l’ensemble de ses prestations en 1944.

En 1948, la Fox produisit un remake, Centennial Summer, réalisé par Otto Preminger avec Jeanne Crain, Cornel Wilde et Linda Darnell. L’histoire se déroulait cette fois à Philadelphie en 1876 pour l’Exposition de cette ville et la musique était signée Jerome Kern. » (dvdclassik.com)

« La chronique d’une vie de famille étalée sur une année. Une trame de base relativement simple, voire même insignifiante, qui permet cependant de révéler tout le génie de son metteur en scène, l’intérêt du film résidant principalement dans sa forme. Pour échapper à une narration plate, linéaire et rébarbative, Minnelli découpe son œuvre en quatre tableaux saisonniers introduits par des cartons-album photo. Ne s’attardant sur les Smith guère plus que deux jours par saison, ce ne sont que des instants de leur vie qu’il donne à voir, laissant au spectateur tout le loisir de s’approprier ces personnages et de combler les interstices. Dans la chaleur de l’été du Missouri, Minnelli nous ouvre la porte de la cuisine du 5135 Kensington Avenue. De la marmite de tomates en ébullition autour de laquelle cogitent Kettie, la bonne, Mme Smith et le fils de la maison, Leon, la caméra s’engouffre dans le salon cossu à la suite d’une Agnès dégoulinante. Le décor est planté, les différents protagonistes se révèlent peu à peu sous nos yeux ou au fil des conversations, le réalisateur soigne sa mise en place au son d’un nasillard Meet me in Saint Louis. Un grand père dansant, deux sœurs impatientes, un père qui n’aime pas manger trop tôt en été, un amoureux expatrié à New York, un voisin attirant et une petite furie fan de poupées mortes. Une dizaine de minutes plus tard, les connaissances sont faites, le film peut battre son plein.

Après ce premier tableau estival et festif, le plus long des quatre par son caractère de présentation des personnages, l’album photo nous invite à pénétrer dans la douceur de l’automne le soir d’Halloween. Minnelli fait monter la tension, il accumule les petites pointes tragiques, qu’il se plait à désamorcer pour donner encore plus de poids à la révélation finale. Le drame, d’abord mis en scène par le jeu des enfants, voyage dans les affabulations de Tootie, déborde dans la colère d’Esther, se love dans le baiser de John Truitt pour exploser au grand jour dans l’annonce de M. Smith. Il est muté à New York. Le monde mis en place dans le premier pan de l’histoire s’écroule. La page tourne, la neige a recouvert le pas de la porte, l’hiver a rempli le cœur des Smith, ce soir sera leur dernier Noël à Saint Louis. Après la fête illuminée autour du sapin, la maison chaleureuse s’est vidée pour ne laisser place qu’aux emballages. Dans un dernier élan de tristesse, Tootie détruit ses bonhommes de neige, la coupe est pleine, M. Smith refusera son poste, après tout, il n’y a rien de mieux que son chez soi (une idée que Minnelli souligne ironiquement en ajoutant en parallèle le retour du prétendant de Rose). Un cadeau de Noël qui dépasse ceux encore empaquetés au pied du sapin, le printemps peut renaître, amenant dans son sillage la foire de Saint Louis.

Ce découpage structurel du film s’avèrera par la suite être l’une des marques de la mise en scène de Vincente Minnelli. On le retrouvera notamment dans l’excellent Celui par qui le scandale arrive où, de la même manière, la grande révélation qui fait basculer l’histoire se retrouve à plus de la moitié du film, une fois que l’on a pu bien faire connaissance des personnages. Autre élément constitutif du style du réalisateur, qui avait déjà fait surface dans Un petit coin aux cieux et qui éclate ici au grand jour, le jeu sur les lumières et leurs ombres hérité de sa formation à Broadway. Il utilise les sources lumineuses et les formes qu’elles dessinent comme un réel décor, un moyen ultime pour retranscrire l’univers dans lequel évoluent ses personnages. Le travail réalisé sur Le Chant du Missouri par George Folsey sur les directives de Minnelli est ici d’autant plus remarquable que les deux hommes utilisaient pour la première fois une pellicule technicolor. Faisant fi des conseils avisés des pro de la MGM, lui stipulant que la procédé nécessitait un éclairage surpuissant, le grand Vincente sûr de lui s’est amusé à repousser les limites, n’hésitant pas à explorer la pénombre des intérieurs de la maison des Smith, les rues sombres un soir d’Halloween, une cour enneigée pendant les nuits blafardes d’hiver. Trois séquences remarquables qui dénotent d’une prouesse technique et d’un œil incomparable. Minnelli le peintre, l’impressionniste, est déjà à l’œuvre.

Autre coup d’œil remarquable du réalisateur, celui qu’il pose sur Judy Garland. Un coup de foudre qui se lit à l’écran, dans les moindres photogrammes où la star apparaît. Chacune de ces séquences est un portrait peint avec amour, qu’il encadre de mille bordures. Minnelli, envoûté par la jeune femme, décide de transposer cette sensation dans son film, le spectateur doit tomber amoureux comme lui pour comprendre la relation d’Esther et John. Il rompt donc avec les rôles habituels de la demoiselle, qui faisaient d’elle un vilain petit canard, une jeunette espiègle qui ne séduisait les beaux jeunes hommes que par son rire malicieux et sa joie de vivre. Si elle reste ici une adolescente, elle est désormais LA jolie fille du film, celle qui possède les plus belles robes de velours rouge, attire l’attention dans les soirées et séduit son voisin d’un simple regard. Une fonction que Judy a du mal a intégrer au début du tournage, elle a le sentiment de ne plus savoir rien faire, et déteste le reflet que lui renvoie le miroir de la commode dans la chambre d’Esther et Rose. Le peintre engage une nouvelle maquilleuse qui joue avec des touches lumineuses, tel qu’il aurait pu le faire, autour de ses yeux et pommettes. Judy sera la plus belle pour aller danser. Elle avouera plus tard que malgré ses réticences face au projet, le rôle d’Esther fût son préféré, le premier où elle se trouva enfin belle.

En tant que personnage principal, Judy Garland interprète sept des huit numéros musicaux du film, dont les six premiers sont situés dans le tableau de l’été. La première de ces chansons, la célèbre Meet Me in Saint Louis, qui donne son nom au film, reprise à tour de rôle par différents protagonistes (Agnès, le grand père et Esther, d’abord seule puis en duo avec Rose), permet de situer l’histoire. En effet, cette chanson était un air populaire créé en 1903 à l’occasion de la grande foire internationale de Saint Louis dont il est question dans le film. Elle signifie également, comme cela apparaîtra ensuite, que les jeunes filles attendent avec impatience cet événement. Intercalée entre ses deux interprétations du chant de Saint Louis, The Boy Next Door, écrite spécialement pour le film, première séquence solo d’une Judy merveilleuse. Un morceau qu’elle reprendra plus tard lors de ses récitals. S’ensuivent deux classiques du répertoire américain, l’enjoué Skip to My Lou et l’amusant Under the Bamboo Tree (chanté en duo avec Margaret O’Brien), qui ponctuent la fête estivale donnée dans le salon des Smith. En fin de soirée, Esther interprètera à la demande de John Over the Bannister, un standard écrit quelques années plus tôt par Hugh Martin et Ralph Blane. Une ballade qui permet au jeune homme de déclarer sa flamme à la jeune fille par son propre intermédiaire. Un jeu adroit de mise en abyme.

Dernier morceau interprété dans le tableau de l’été, The Trolley Song. Cette chanson enregistrée en une seule prise accompagne la séquence musicale la plus célèbre du film. Elle a été créée à la demande d’Arthur Freed, qui voulait à tout prix que les paroles de l’air chanté par Esther se servent de la figure du trolley comme métaphore de son amour naissant. On se souviendra de la qualité du jeu d’actrice de Judy Garland à cet instant, alternant entre mélancolie, allégresse et gêne, alors qu’elle chante le rythme de son cœur. La septième chanson, You and I, clôt le tableau d’automne. Interprétée dans le film par M. et Mme Smith, elle sert de catalyseur à la famille une fois la triste nouvelle annoncée. Mme Smith, représentante de la cohésion du foyer, se met au piano, joue quelques notes, M. Smith est à ses côtés, il entonne le refrain, peu à peu chaque membre du clan Smith les rejoint dans le salon, l’ordre renaît dans la douceur de la ballade. Enfin, dernier numéro, l’immanquable Have Yourself a Merry Little Christmas que chante Esther à une Tootie apeurée à l’idée de quitter sa maison. Dans la douceur bleutée de la lune, les deux jeunes filles contemplent une dernière fois leur jardin, comme le sous-entendait déjà le duo des parents Smith au piano, quoi qu’il advienne, la famille restera toujours unie. Devenue depuis un chant de noël traditionnel, le morceau a été réécrit par Hugh Martin à la demande de Judy Garland, celui-ci ayant proposé une première version bien trop lugubre à son goût.

Si Le Chant du Missouri peut désormais paraître relativement banal dans le paysage des comédies musicales américaines, ne proposant ni un scénario recherché comme le fera par la suite Chantons sous la pluie, ni des séquences de danse remarquables à la manière de Tous en scène, il est cependant nécessaire de le replacer dans son contexte. Comme le dira très bien Vincente Minnelli lui-même dans son autobiographie (Tous en scène, J.-C. Lattès, Paris, 1981): « Comme la majorité des comédies musicales des années trente, les films de Busby Berkeley se passaient toujours dans les coulisses d’un théâtre, et les numéros musicaux n’étaient pas vraiment intégrés à l’intrigue. En effet, ils commençaient toujours sur scène mais se prolongeaient de manière peu réaliste – c’était d’un seul coup cinquante girls sur les ailes d’un avion, avec le ciel pour seule limite! […] Telle était la logique des films musicaux à l’époque: les metteurs en scène semblaient se soucier très peu de l’intrigue et du thème général, pour se contenter de quelques numéros pyrotechniques spectaculaires.« . Des habitudes incrustées dans le système hollywoodien depuis une dizaine d’années que le réalisateur va faire voler en éclat au fil de ses œuvres musicales. S’il avait déjà initié le mouvement avec Un petit coin aux cieux, c’est avec Le Chant du Missouri qu’il l’implante radicalement.

La musique n’est plus un plaquage scénique, des airs spécialement conçus pour mettre en valeur la vedette, elle appartient désormais à la réalité, fait avancer l’action. Les personnages entonnent des chansons mythiques en faisant leur toilette, dansent sur des standards lors des fêtes, s’amusent avec le bruit d’un trolley et chantent leurs sentiments. Une idée de construction de l’histoire par les numéros musicaux qui se retrouve également dans les chorégraphies. Pas de sur-danse, pas de numéro spectaculaire, les protagonistes ne se laissent aller dans l’art de Terpsichore que lorsque le contexte le permet (l’allégresse d’une rencontre amoureuse, une fête, un bal…). De même, les danseurs et chanteurs de plateau ne sont plus seulement utilisés comme simples figurants, faire-valoir des stars de la scène. Ils sont partie prenante des évènements, servent d’écrin au coup de foudre, aident John à rejoindre Esther dans le trolley, participent à la fête de Noël, faisant irrémédiablement sentir l’absence de l’être aimé. Minnelli innove, s’amuse à travers sa mise en scène, ses éclairages, son traitement des personnages, il joue sur les sensations avant tout comme le faisaient les impressionnistes chers à son cœur. Il apporte une certaine sophistication à un genre quelque peu englué, un coup de souffle qui dépoussière. Il maintiendra le cap jusqu’à la fin de sa carrière, prenant dans son sillage ses confrères de la MGM, Gene Kelly et Stanley Donen en tête. »(filmdeculte.com)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Vincent Jourdan de Regard Indépendant.

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Entrée : Tarif unique 8 €. Adhésion : 20 € (5 € pour les étudiants) . Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier et à l’atelier Super 8. Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici


 

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