Vendredi 13 Septembre 2013 à 20h30
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Jérôme Le Maire – Belgique – 2011 – 1h45
10 hommes dans la quarantaine, 10 amis, rejoignent à pied « le carnaval du monde » pour faire la fête, marcher à travers bois, le temps d’un week end, sans femmes ni enfants. Faire un tour en quelque sorte. Ils ne reviendront que six mois plus tard, et encore, pas tous !
Notre critique
Par Josiane Scoleri
Le grand’ tour est un premier film détonnant qui s’inscrit pleinement dans le paysage du cinéma belge, marqué depuis une dizaine d’années par l’arrivée de cinéastes qui inventent une sorte de nouveau burlesque satirique. C’est un film qui est parti d’une envie de rendre compte – ne serait ce que pour garder une trace d’une pratique un peu foutraque instaurée entre une bande de copains pour lutter contre la routine et se faire plaisir, en dehors des chemins bien balisés de la vie professionnelle et des loisirs organisés.
Une fanfare donc, en costume d’époque ( laquelle ? on ne sait pas trop) avec des instruments itou.C’est une fanfare qui se rend souvent a pied d’un village à l’autre et qui campe volontiers en pleine nature. C’est une brochette de joyeux drilles un peu paillards qui lèvent facilement le coude et n’hésitent pas non plus devant certaines substances illicites. Encore une autre manière d’être ailleurs sans doute…Jérôme Le Maire vient du documentaire et c’est tout naturellement qu’il va poser des questions à tous ces hommes qui éprouvent si fort le besoin de mettre régulièrement entre parenthèses leur vie de tous les jours, leur femme, leur famille, leur milieu pour vivre autre chose. Avons -nous simplement à faire à une forme plus aiguë de ce qu’on appelle généralement la »crise de la quarantaine »?
Mais ce n’est que la pointe de l’iceberg et nous ne sommes décidément pas dans le documentaire, et encore moins dans la télé-réalité… Très vite la narration bascule dans autre chose, quelque chose de hors norme et de totalement imprévisible. Au début, il s’agit juste de pousser l’expérience individuelle et collective un peu plus loin que d’habitude. Et d’y réfléchir. Petit à petit, vont émerger des ramifications, des bifurcations qui impliquent des choix, des renoncements, des sauts dans l’inconnu.
Le film lui-même va changer dans sa forme. Laissant derrière lui les interviews face à la caméra où les protagonistes jouent leur propre rôle, le film va prendre du champ et trouver une nouvelle respiration. Nous sommes plongés dans la nature au fil des saisons. Filmée avec une belle ampleur, la campagne du plat pays devient un personnage à part entière. La mise en scène s’apaise pour se mettre au service d’une autre propos. Le réalisateur abandonne sa caméra à l’épaule et en posant sa caméra, il s’inquiète davantage de la découpe des plans et du cadre. L’heure est davantage à la réflexion. Finis les flots de bière et les rails de coke. De questionnements en questionnements, de multiples possibles se font jour. Certains membres du groupe font volte face, d’autres s’entêtent, d’autres encore se découvrent. On comprend alors qu’ à partir d’une idée plutôt débridée, le film en arrive à une construction de plus en plus rigoureuse qui offre plusieurs niveaux de lecture. La Wallonie prend des accents d’ Oural ou de Grand Nord, de steppe ou de toundra. La forêt pourrait être celle des Chevaliers de la Table Ronde ou des Monthy Python, c’est au choix! On rencontre même un châtelain érudit et affable qui semble tout droit sorti du Moyen- Age. Et le spectateur n’arrive plus depuis un bon moment déjà à démêler le vrai du faux. Mais au fond, quelle importance ?
Car ce dont il est question de plus en plus clairement, c’est d’amitié, de recherche personnelle, de distance par rapport aux modèles établis, bref la virée de potaches a pris des allures de voyage initiatique. Et le titre du film prend alors toute sa signification. Allusion directe (avec son apostrophe après le d de « grand’ » dont on se demande au début ce qu’elle vient faire là) au voyage que tout bon rejeton de l’aristocratie et/ou de la bourgeoisie du Nord de l’Europe se devait d’accomplir à travers le continent pour rejoindre l’Italie et la Grèce, héritières de la Méditerranée mythique. Voyage culturel de 6 mois ou plus où la jeunesse dorée se frottait à la diversité du climat, de la gastronomie, de l’expression artistique et en profitait pour se déniaiser loin du carcan bien – pensant de leur société d’origine… Ici aussi le voyage dure longtemps et s’avère une épreuve dont il est bien difficile de dire sur quoi elle va déboucher. On sent toute l’empathie du cinéaste pour l’aventure humaine qui résonne derrière les péripéties des membres du groupe et son ambition également, de nous dire quelque chose sur l’état du monde, ce Carnaval du Monde, fête si bien nommée, pourtant rebaptisée par la fanfare en « Carnaval pour tout le monde » au début du film. Mais le Carnaval ne suffit pas. Le Carnaval n’a qu’un temps. Et ce que nous dit Jérôme le Maire dans sa fable inclassable, c’est toute la difficulté d’inventer du nouveau, de faire du neuf avec du vieux. Et pourtant de l’impérieuse nécessité de rêver, d’imaginer encore et toujours autre chose, même si ça se casse la figure, même si ça ne résiste pas à l’épreuve du réel. Le constat est sans illusion, la mélancolie attend au coin du bois, mais ce n’est pas une raison pour baisser les bras. C’est donc un film ambitieux à plus d’un titre sous ses airs modestes. Un film qui fait rire et réfléchir en même temps. Une comédie comme on en voit pas si souvent au cinéma. En tout cas un film pour attaquer la rentrée et faire face à l’automne, bon pied, bon oeil.
Sur le web
Le Grand’Tour est le premier long métrage de fiction réalisé par Jérôme Le Maire, et a pour thème la crise de la quarantaine. La question centrale que pose le film est de savoir si, à cet âge, on a déjà trouvé sa voie ou si le chemin est encore long. Le road-movie prend alors un tournant initiatique : « C’est ça l’histoire, clairement, et j’ai même l’impression, à certains moments, que Vincent [Solheid] et Benjamine [de Cloedt] étaient venus me trouver pour faire une psychanalyse de Vincent« , explique Jérôme Le Maire.
Dans Le Grand’Tour, Jérôme Le Maire suit les aventures d’une fanfare appelée la « Rwayal Prînten ». Cette fanfare existe réellement et Vincent Solheid, le producteur du film, en est le fondateur. Les acteurs jouent leurs propres rôles. Le Grand’Tour est donc filmé comme un documentaire, même si la plupart des péripéties ont été scénarisées.
Parmi les films qui ont inspiré Jérôme Le Maire, on retrouve Les Idiots de Lars von Trier, C’est arrivé près de chez vous de Remy Belvaux et Benoît Poelvoorde, Kill Me Please d’Olias Barco ou encore Panique au village de Vincent Patar.
La règle d’or sur le plateau du Grand’Tour : beaucoup d’improvisation ! « Par rapport au tournage, ils [les acteurs] avaient seulement trois consignes : ne pas regarder la caméra, ne pas parler du film, et, s’ils voulaient s’en aller en cours de tournage, ils devaient le faire devant la caméra et trouver un prétexte. Mais personne n’est parti !« , raconte Jérôme Le Maire.
Le Grand’Tour s’est tourné en flux tendu, sans filet de sécurité, l’équipe technique apportait des changements chaque jour, sur le scénario comme sur le matériel et la manière de filmer : »Au départ, j’utilisais une caméra carrément dégueulasse que je tenais à l’épaule enfermée dans un sachet plastique parce qu’il pleuvait… J’ai donc travaillé de plus en plus sur pied et, inévitablement, j’ai découpé », explique Jérôme Le Maire, en poursuivant : « On termine même le film par de la musique, avec un plan fiction très cinématographique tourné à la grue.« , explique Jérôme Le Maire.
Le Grand’Tour a été présenté au Festival International de Rotterdam en janvier 2011, programmé par l’Acid (Association du cinéma indépendant pour sa diffusion) lors du Festival de Cannes 2011. Il a obtenu l’Amphore d’Or au Festival International du Film Grolandais de Toulouse en 2012, et enfin il a été sélectionné par le Festival Paris Cinéma et par le Festival International du Film de Rotterdam dans leur édition 2013.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.
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