Le Miroir



Lundi 06 Février 2012 à 20h30 – 10ième  Festival

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Jafar Panahi – Iran – 1997 – 1h34 – vostf

Mina, une petite écolière, attend comme tous les jours sa mère à la sortie de l’école. Mais cette fois, celle-ci tarde à venir… Mina décide alors de rentrer chez elle par ses propres moyens. Mais elle ne connaît pas son adresse ! Durant son périple, dans la ville bouillonnante, elle va croiser de nombreux adultes auxquels elle tiendra tête… Têtue et obstinée, mais aussi imprévisible, Mina fera tout pour retrouver le chemin de la maison…

Notre critique

Par Philippe Serve

Six ans d’emprisonnement assortis de vingt ans d’interdiction de tourner le moindre film et de quitter le territoire iranien. Voila ce que nous apprenions, incrédules, il y a un peu plus d’un an. Nous étions en décembre 2010 et Jafar Panahi (ainsi que son jeune collègue Mohammad Rasoulof) venait d’être condamné pour «actes et propagande hostiles à la République islamique d’Iran». Dès son arrestation, neuf mois plus tôt, le monde du cinéma s’était fortement ému, voulant cependant croire à un simple coup de semonce des autorités judiciaires iraniennes qui serait vite annulé. En décembre, il fallut se rendre à l’évidence. La menace d’une lourde condamnation n’existait pas juste pour faire peur. Panahi et Rasoulof étaient condamnés pour avoir travaillé ensemble à un nouveau film basé sur les grandes manifestations de l’opposition, suite à la réélection contestée du Président Mahmoud Ahmadinejad (2009) et que les deux cinéastes avaient en partie filmées. A son modeste niveau, CSF lançait un appel aux associations cinéphiles et des droits humains niçoises afin de constituer un Comité de soutien et d’organiser une manifestation commune. Une dizaine d’associations répondirent à notre appel et, en janvier 2011, nous diffusions, avec l’aide du cinéma Mercury, tous les films de Panahi et le seul de Rasoulof alors disponible. Puis – et alors que les deux condamnés attendaient un le jugement d’appel – le Comité de soutien élargit son action au département des Alpes-Maritimes, tenant une quinzaine de séances spéciales. Panahi et Rasoulof faisaient la une en voyant chacun leurs derniers films réciproques (réalisés pendant cette attente) être invités surprises du dernier festival de Cannes. Panahi avec Ceci n’est pas un film et Rasoulof avec Au Revoir, ce dernier remportant le prix de la mise en scène de la section Un certain regard. Mi-octobre, le verdict du jugement en appel tombait : alors que Rasoulof voyait sa peine réduite à un an de prison, la sentence pour Panahi se trouvait pleinement confirmée… Depuis, plus aucune nouvelle ne nous est parvenue. Le cinéaste a-t-il été incarcéré ? Lui reste-t-il encore une voie de recours semblable à notre pourvoi en cassation ? Personne ne semble savoir, à l’heure où une véritable guerre se livre entre pouvoir religieux et judiciaire derrière le Guide suprême, l’ayatollah Kameinei d’une part, et le Président de la République et ses soutiens, Mahmoud Ahmadinejad, d’autre part…

Le Miroir est l’un des deux seuls long-métrages de Jafar Panahi – sur un total de six réalisés – à n’avoir été ni censuré, ni interdit. Pourtant, sous son aspect charmant, les questions posées par l’oeuvre sont loin d’être innocentes, interrogeant le spectateur sur la fragile frontière entre réalité et fiction, c’est-à-dire sur la place et le rôle que chacun et chacune d’entre nous est appelé(e) à jouer dans la société. A travers la petite Mina – irrésistible Mina Mohammad Khani, véritable soeur dans la « vraie vie » de la craquante Aïda, la toute jeune héroïne du premier film de Panahi Le Ballon blanc (Badkonake Sefid, 1995, Caméra d’Or à Cannes) – le cinéaste nous parle de rébellion, de refus de se conformer aux ordres et aux faux-semblants, de désir de s’assumer. En bref, le film traite de Liberté et s’affirme, pour qui veut bien y prêter attention et lire entre les lignes, aussi contestataire que le magnifique Le Cercle (Dayereh, 2000, Lion d’Or à Venise) ou le jubilatoire Hors-Jeu (Off-Side, 2006, Ours d’Argent/Grand prix du Jury à Berlin). Citer ici ces deux films n’a rien du hasard. Ils traitent tous deux de la condition de la femme dans la société iranienne d’aujourd’hui. Or, nous avons appris que la tradition culturelle de ce pays sait, mieux qu’ailleurs et depuis longtemps, mettre en scène des enfants comme métaphore des adultes que la censure n’autorise pas à montrer. Et une petite fille comme Mina est aussi – mais pas seulement – le miroir de la femme iranienne luttant pour sa liberté. Ce qui ne manque pas de frapper – en particulier à la re-vision du film – est son extraordinaire intelligence.

Panahi multiplie les niveaux de lecture et les couches d’informations, réussissant même à tourner un véritable film à suspense ! L’utilisation parfois séparée de l’image et du son est en tout point remarquable et nous permet de prêter une attention renforcée à ce qui se laisse voir ou entendre, y compris de façon furtive. Si le film et son dispositif – quelque soit son degré de planification – s’avère aussi intelligent, rendons grâce à Panahi de vouloir voir en son spectateur autre chose qu’un être passif ingurgitant sans réfléchir ce qui lui est offert. Le Miroir n’est pas un film difficile à interpréter – loin de là ! – mais il exige du public un minimum de réflexion, de mise en perspective. Chaque nouvel élément compris, saisi par le spectateur, élève le film d’un cran. Téhéran elle-même joue son rôle, personnage chaotique, anarchique, bruyant, trépidant et où tout semble pouvoir se produire à chaque instant. Personnage tour à tour inquiétant et rassurant, où l’humanité et l’entraide se révèle en plein jour, surtout envers le plus démuni de ses éléments, un enfant.

Qualifier ce film de ciné-vérité me semble le sous-estimer, car avec Le Miroir nous sommes au-delà d’une quelconque catégorisation. Ce qui se noue puis se dénoue – à moins que ce ne soit dans l’ordre inverse – échappe à tout ce que nous avons pu voir auparavant sur un écran de cinéma. A la fin du film, nous ne savons pas ou plus dans quel repli s’est cachée la fiction, hors de quel creux a surgi la vérité. Panahi a-t-il seulement – et génialement – surfé sur les événements ou a-t-il tout orchestré, en manipulateur hors pair ? Comment doit-on prendre, après le basculement, le retour d’une actrice vu au début du film ? Comme une simple coïncidence ou bien comme un coup arrangé ? Voire, pourquoi pas, relevant un peu des deux ? Le spectateur le plus attentif notera de curieux entrechoquements temporels, sans que cela ne l’aide pour autant à se décider pour une interprétation plutôt qu’une autre. Si l’on veut faire son malin, on parlera de déconstruction cinématographique, mais une fois affirmé ça, on ne sera pas beaucoup plus avancé sur la magie de la mise en abyme à laquelle nous nous retrouvons confrontés. La réalité, insaisissable par définition, est-elle soluble dans le cinéma ? Le cinéma, mensonge par nature, est-il appelé à ne pouvoir que résister à l’emprise têtue de la réalité ? L’un et l’autre ne s’appartiennent-ils pas, liés, aussi indissociables que tout élément et son reflet ? Mais qui se trouve devant le miroir, et qui derrière ?

Sur le web

Jafar Panahi, cinéaste iranien, est aujourd’hui l’une des personnalités les plus influentes du mouvement de la Nouvelle Vague iranienne. Après avoir été l’assistant réalisateur d’Abbas Kiarostami pour le film Au travers des oliviers, il réalise Le Ballon blanc, son premier long métrage, qui a d’ailleurs été récompensé par la Caméra d’or au Festival de Cannes en 1995. Jafar Panahi évoque souvent dans ses films le rapport à la ville au sens de l’agglomération urbaine dont il capte et cadre de manière presque documentaire les ambiances, les beautés et les horreurs. Ses personnages errent également dans la ville et vivent des aventures imprévisibles mais utiles et fortes, comme dans Le Miroir avec cette petite fille qui ne sait pas rentrer chez elle.

Dans Le Miroir, l’aspect documentaire prend le pas sur la fiction et alterne entre les instants joués par la jeune actrice perdue et ceux, plus nombreux, où elle refuse de jouer son rôle, plaçant l’équipe technique dans le chaos de ce que l’on appelle un « cinéma-vérité« . Expérience originale et mise en abyme, on peut affirmer que Le Miroir possède le même charme que Le Ballon blanc. L’actrice Aida Mohammadkhani, qui joue Mina (adulte) dans Le Miroir, a également participé au film Le Ballon blanc, dans lequel elle interprète Razieh.

Jafar Panahi est un réalisateur qui aime beaucoup filmer et travailler avec les enfants, et surtout traiter leur point de vue. Cette jeunesse est d’ailleurs illustrée dans son film Le Ballon blanc : « Il y a automatiquement un monde doux, le regard est innocent, et tu dois rester proche de cette ambiance même si tu veux parler des choses amères et dures. Le monde des adultes est forcément plus cruel« , assure le réalisateur.

Le Miroir s’est vu décerner en 1997 le Léopard d’or au Festival de Locarno. Jafar Panahi a été condamné en décembre 2010 à 6 ans de prison et 20 ans d’interdiction de tourner et de quitter le territoire.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

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