Le Poirier sauvage



Vendredi 21 Septembre 2018 à 20h

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Nuri Bilge Ceylan – Turquie – 2018 – 3h08 – vostf

Passionné de littérature, Sinan a toujours voulu être écrivain. De retour dans son village natal d’Anatolie, il met toute son énergie à trouver l’argent nécessaire pour être publié, mais les dettes de son père finissent par le rattraper…

Notre critique

Par Josiane Scoléri

Le Poirier sauvage de Nuri Bilge Ceylan est un film dont on ne ressort pas indemne. En fait, c’est un film dans lequel on demeure longtemps après que les lumières se sont rallumées. Certains plans nous accompagnent discrètement, comme imprimés sur la rétine et des pans entiers de dialogue résonnent dans notre oreille, même si ne comprend pas le turc. C’est étonnant et ça n’arrive pas si souvent au cinéma. Dans ce registre, le seul autre nom qui me vient spontanément à l’esprit est celui de Lav Diaz, le grand réalisateur philippin. Dans presque tous les films de Nuri Bilge Ceylan, le personnage principal est un artiste d’âge mûr en mal de création, ou quelqu’un dont les velléités artistiques sont plus ou moins frustrées par les difficultés du réel. C’est également le cas ici, à la grande différence près que Sinan, le héros du film – présent dans pratiquement tous les plans sur toute la durée du film – est un jeune homme qui vient à peine de terminer ses études.

Et d’une certaine manière, on pourrait dire que Le Poirier sauvage est un film de jeunesse. Pas seulement à cause de la thématique générale, mais plutôt parce que le réalisateur a ressenti le besoin d’aborder tous les sujets qui le travaillent, un peu comme un jeune cinéaste pressé par le besoin de tout dire. Quand on connaît la rigueur avec laquelle Nuri Bilge Ceylan porte ses projets, il ne saurait être question d’un simple mouvement d’humeur ou d’une lubie. C’est probablement qu’il y a urgence. En effet, au-delà des relations hommes-femmes et des liens à l’intérieur de la famille qui sont au coeur du film, Nuri Bilge Ceylan évoque au passage bien des aspects de la société turque et des mutations qui sont les siennes, volens nolens. Le cinéaste procède par touches successives, et tisse peu à peu une toile complexe qui balaie aussi bien le chômage des jeunes, les débats autour de l’islam, la place des femmes dans la société, le rôle de l’artiste, etc… Ces digressions apparentes sont en fait essentielles, mais ne donnent pas pour autant lieu à des péroraisons indigestes. Tout l’art du réalisateur réside justement dans cette construction savante et pourtant toujours fluide qui porte la progression dramatique du film. Même les discussions philosophiques entre les deux imams, un tantinet arides pour le spectateur occidental moyen, s’avèrent passionnantes et en disent davantage sur les tiraillements théologiques – et donc idéologiques – qui traversent le pays que tous les reportages de télévision.

Le Poirier sauvage a l’ambition de la fresque, tout en se situant au plus intime des personnages, dans un va et vient permanent et subtil entre ce que vit le personnage et ce qui se dessine en filigrane, comme l’ombre portée d’un destin collectif. Nuri Bilge Ceylan a déclaré dans une interview qu’il était tellement préoccupé par la mise en scène et la justesse de ces dialogues – un véritable défi de cinéma – qu’il a accordé – dit-il moins d’énergie à la forme générale du film. Le cinéaste parle d’imperfections qu’il s’est autorisées, à l’image de ce poirier sauvage qui donne le titre du film, tout tordu, rabougri, mal en point… On a un peu de mal à le suivre dans cette affirmation, tant la beauté plastique du film est saisissante. Même s’il est vrai que la photographie est ici moins lisse que celle de Winter’s Sleep, ce qui est à mon avis plutôt un bien.

Nuri Bilge Ceylan est de fait un grand paysagiste qui se joue sans effort apparent de tous les pièges de l’image parfaite de catalogue. Grand, grandiose même, mais jamais grandiloquent. Souvent spectaculaire, mais jamais gratuit, le paysage redonne au fil des saisons sa vraie place à l’être humain dans le monde et suggère en contre-point la vanité de ses incessantes entreprises. L’usage que le réalisateur fait ici de la musique ( la passacaille de Bach qui vient ponctuer le récit à intervalles réguliers) est particulièrement révélateur de cette association entre image et son qui caractérise le cinéma de Nuri Bilge Ceylan depuis le début. Les bruits ambiants et les sons naturels continuent à être très présents, mais cette musique à la fois simple et extrêmement écrite épouse parfaitement le rythme ample du film, comme un écho à la respiration intérieure des images.

Mais on ne peut parler du film sans aborder l’un des thèmes essentiels qui est traité ici pour la première fois par le cinéaste. Car ce jeune homme pour se situer dans la vie doit d’abord apprendre à se situer par rapport à son propre père. C’est l’éternelle ronde des générations et ce n’est jamais chose facile. Cette difficulté est matérialisée par la différence de stature physique entre les deux acteurs. Si Sinan, le fils, est grand et plutôt massif, avec une lenteur en accord avec sa démarche un peu pataude, le père est petit, râblé, vif et tout en nerfs. Tout les oppose d’entrée de jeu. Le fils s’accroche encore à son rêve avec l’énergie de la jeunesse alors que le père semble avoir renoncé depuis longtemps. La mère, elle, est parfaitement lucide, mais subit la situation, à l’image d’ailleurs de la jeune femme du début du film ( une des plus belles scènes tant par les dialogues que par la beauté des images, avec ce travail exceptionnel sur la lumière du chef opérateur Gokhan Tiryaki). La benjamine de la famille possède l’énergie de l’adolescence. Son destin n’est pas encore scellé et il y a peut-être quand même un peu d’espoir de ce côté-là. Mais le personnage du père est très certainement le plus fouillé et le plus complexe. Décalé, presque désocialisé, malgré son poste d’instituteur dont on sait bien qu’il est en sursis, Idris, le père est un homme difficile à cerner. Un côté ombre et un côté lumière, magnifiquement rendus par l’acteur Murat Cemcir dont le corps même semble se déployer lorsqu’ Idris se trouve dans sa vieille maison à la campagne et se rétrécir lorsqu’il est en ville, dans l’appartement familial passablement délabré, dans le bar où il parie le peu d’argent qu’il réussit à emprunter, ou même à l’école où il n’est pas non plus à sa place. Cette transformation prend tout son sens avec la scène du puits, qu’Idris creuse envers et contre tout, dans l’espoir de trouver de l’eau, malgré l’avis de tous les villageois. Là, il ne renonce pas et son entêtement fait sens. Le père est un véritable personnage de roman, au sens noble du terme. Le fils est moins attachant, empêtré dans ses contradictions, un rien donneur de leçon. On se surprend à penser que son roman n’est probablement pas un chef d’oeuvre. Le spectateur est sans doute moins charitable à son propos que le réalisateur lui-même. De fait, le regard porté par Nuri Bilge Ceylan sur ses personnages est fondamentalement tendre, et pourtant souvent ironique, saupoudré ça et là de traits d’humour auxquels le cinéaste ne nous avait pas habitué.

La fin du film, particulièrement émouvante, nous prend par surprise, dans un retournement de ce qui avait longuement été exposé auparavant. Une manière de dire que rien n’est jamais complètement perdu, à condition de se battre pied à pied et de ne pas perdre son propre Nord. En cela, Le poirier sauvage fonctionne comme un conte philosophique à l’usage des nouvelles générations.

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« Il est essentiel que tout être humain puisse prendre le risque de sortir de son refuge pour se mêler aux autres. S’il s’en éloigne trop, il peut perdre petit à petit sa propre centralité, son identité. Mais si la peur d’en sortir est trop grande, alors il recule et se renferme sur lui-même, arrêtant ainsi de grandir et d’évoluer. Et s’il sent qu’il porte en lui une différence, essentielle pour lui mais qui ne peut être acceptée socialement, sa force de volonté va alors s’émousser sur le plan moral. Il devient donc difficile pour lui de donner un sens aux contradictions de sa vie, qui elle-même lui est devenue étrangère. Il commence à être tiraillé entre l’incapacité de donner une forme créative à ces contradictions et l’impossibilité de les rejeter. Dans ce film, j’essaie de raconter l’histoire d’un jeune homme qui, conjointement à un sentiment de culpabilité, éprouve une différence qu’il est incapable d’admettre. Il sent qu’il est entraîné vers un destin qu’il n’aime pas et qu’il n’arrive pas à assimiler. J’ai voulu dépeindre ce personnage ainsi que ceux qui l’entourent, formant ainsi une vaste mosaïque de personnages, sans faire de favoritisme et en tentant de rester rigoureusement juste avec chacun d’entre eux. On dit que « chaque chose que cache un père réapparaît un jour chez son fils ». Que nous le voulions ou non, nous ne pouvons nous empêcher d’hériter de certaines particularités de nos pères, comme d’un certain nombre de leurs faiblesses, de leurs habitudes, de leurs tics et d’une multitude d’autres choses. Le glissement inéluctable du destin d’un fils vers un destin similaire à celui de son père est raconté à travers une série d’expériences douloureuses. » (Note d’intention du réalisateur)

Le titre Le Poirier sauvage est inspiré d’une des nouvelles du véritable écrivain : La Solitude du poirier sauvage. « Ces poiriers sauvages sont des arbres assez laids, qui donnent des fruits très âcres. Ils ont besoin de très peu d’eau pour pousser dans la nature. Ils sont isolés et situés sur des terres arides. Quand on en trouve un près d’un village, les autochtones le greffent pour qu’il devienne un poirier normal. Dans le scénario, il y avait un prologue que je n’ai pas gardé : une scène de la jeunesse du père, quand il était instituteur de village. Il y racontait l’histoire du poirier à ses élèves, une métaphore de sa propre solitude, qui sera aussi celle de son fils… et qui était déjà celle du grand-père, que l’on voit à un moment attablé tout seul au café local, chose inhabituelle dans un village« , explique Nuri Bilge Ceylan.

Avant de se lancer sur Le Poirier sauvage, Ebru Ceylan, épouse du cinéaste, et Nuri Bilge Ceylan, travaillaient sur un autre projet, l’histoire d’une famille, à teneur autobiographique. « Un jour, nous nous trouvions dans notre maison de campagne près de Troie où je suis né. C’était au bord de la mer, un endroit surpeuplé en été, en particulier à cause d’une fête religieuse, et nous avons décidé de nous rapprocher de ma ville natale. Dans un village proche, j’ai rencontré quelqu’un que je connaissais, un enseignant. Il était marié à un membre de ma famille et c’était un homme intéressant avec qui j’aimais parler car il était différent des autres personnes du lieu. Il pouvait évoquer les couleurs d’un paysage ou l’odeur de la terre. Les habitants des environs ne le respectaient pas et quand il parlait, on ne l’écoutait pas. Il est venu chez nous et nous a raconté sa vie de façon très colorée. Mon père était un peu comme lui : il avait une passion, par exemple, pour Alexandre le Grand qui autour de lui n’intéressait personne ; il était ingénieur agricole, lisait beaucoup et était très solitaire ; il ne partageait pas grand-chose avec les autres. Pour en revenir à ce voisin, j’ai été amené à connaître son fils qui avait terminé ses études, travaillait dans un journal local et aidait aussi son père. J’ai commencé à parler avec lui et l’idée a germé de tourner un film autour de lui qui parlerait aussi de la solitude de son père. J’ai commencé à lui rendre visite et je lui ai demandé s’il ne pouvait pas m’écrire des souvenirs où il évoquerait ses impressions, son père, son enfance, ses rapports avec sa famille. Pendant trois mois, je n’ai eu aucune nouvelle. Il m’avait fait une grande impression, il lisait beaucoup, connaissait tous les livres dont je lui parlais et je l’aimais vraiment. C’était quelqu’un de très distant qui ne parlait pas beaucoup. J’ai parlé de lui avec son père et il avait le même sentiment. Soudain, il m’a envoyé par e-mail quatre-vingts pages d’informations et de descriptions. Je les ai lues et j’ai été très impressionné. Ce qu’il avait écrit était très juste, très franc. Il ne se protégeait pas et ne faisait pas de lui un héros, au contraire. C’était bien meilleur que ce à quoi je m’attendais. Mon épouse a eu la même impression que moi. Du coup, j’ai décidé de mettre de côté, le projet sur lequel je travaillais et de tourner celui-ci en premier ! J’ai demandé à ce jeune homme, Akin Aksu, de collaborer au scénario et il a même joué le personnage d’un des deux imams, celui qui parle beaucoup. »

Nuri Bilge Ceylan avait déjà tourné Nuages de mai aux mêmes endroits que Le Poirier sauvage, dans la partie occidentale de la Turquie, les Dardanelles, à une centaine de kilomètres à l’ouest. « Avec Akin Aksu et ma femme, nous avons abondamment parlé pendant un mois, échangeant nos idées, nos sentiments. Il a écrit, de son côté, deux squelettes de scénario, où j’ai glané ce qui m’intéressait. Pendant ce temps-là, j’ai lu les deux livres à teneur autobiographique qu’il avait écrits et je les ai beaucoup aimés. Je me suis servi de certains détails, de certaines réflexions pour le scénario. Ensuite, il est allé enseigner et nous avons continué à collaborer par e-mail. En Turquie, il y a très peu de candidats instituteurs qui arrivent à être recrutés car il y a beaucoup de demandes : ce garçon avait tenté le concours depuis quatre ans et c’était la première fois qu’il avait réussi. Comme il n’avait pas obtenu beaucoup de points, on l’avait envoyé à l’est de la Turquie. C’est de là que, pendant neuf mois, nous avons échangé nos idées sur le scénario. D’abord, nous avons discuté des scènes, puis nous avons travaillé sur les dialogues. Ma femme, de son côté, communiquait aussi avec lui« , explique le metteur en scène.

Dans Le Poirier sauvage, comme dans Winter Sleep, il y a beaucoup de confrontations, de personnages qui dialoguent longuement, le fils parlant avec son père, sa mère, l’écrivain local, le responsable des aides à la publication. « Pour l’essentiel – 95 % –, c’était écrit. Ce qui, pour les acteurs non professionnels, est plus dur, car ils ont des problèmes de mémorisation et ils sont plus à l’aise dans l’improvisation. La distribution du rôle principal fut l’un des problèmes les plus compliqués que j’aie jamais rencontrés. J’ai cherché en vain dans tout le cinéma turc et, finalement, j’ai choisi quelqu’un qui n’avait jamais joué au cinéma. Je l’ai trouvé sur Facebook. Doğu Demirkol était apparu dans quelques sketches comiques à la télévision. J’ai eu l’idée de l’approcher et de lui faire passer des tests. Au départ, je n’ai pas été impressionné par ses performances : il a commencé par faire quelques improvisations avec Ebru et n’était pas bon du tout. Puis je lui ai envoyé quelques pages du scénario qu’il a mémorisées. Quand il les a jouées devant moi, j’ai vu qu’il avait compris tout ce que j’avais en tête pour le personnage et, à chaque essai, il devenait meilleur. De tous les candidats, c’est celui qui se souvenait le mieux du texte, peut-être parce que c’est le comédien le plus intelligent que j’ai rencontré à ce jour. Il avait aussi une grande connaissance de la vie, des gens aussi bien que des situations. Certains candidats au rôle étaient bons avec la jeune fille mais pas avec la mère, ou bien bons avec le père mais pas avec le maire. Lui, au contraire, était à l’aise dans tous les rapports. Peut-être qu’il n’a pas l’air d’un écrivain, mais le principal est qu’il savait retenir de longs dialogues dans un film de plus de trois heures et les interpréter avec justesse« , confie le réalisateur.

La première version du Poirier sauvage durait presque cinq heures. « Je voyais bien que le scénario était très long, beaucoup plus que le film actuel. Mais j’ai décidé de tout filmer, puis de choisir au montage ce que j’allais garder. Le personnage de la grand-mère était plus développé, et j’ai totalement coupé d’autres personnages du village ; il y avait notamment des discussions de groupe sur la nouvelle mosquée en construction« , relate Nuri Bilge Ceylan.

…«Il apparaît, avec Le Poirier sauvage, son huitième long-métrage, combien se structure la filmographie de Nuri Bilge Ceylan, travaillée par une formidable unité, une singulière cohérence, des films qui se fondent sans se confondre, distants par leurs personnages, mais liés de façon organique par la présence récurrente et familière de l’artiste. L’artiste a différentes visages, et métiers: il peut être un réalisateur (Nuages de Mai), un photographe (Uzak), un vieux comédien de théâtre (Winter Sleep), une femme qui travaille pour la télévision (Les Climats) un écrivain en herbe et un autre réputé et installé (Le Poirier sauvage), entre autofiction cinématographique et alter egos du cinéaste. L’œuvre uni apparaît comme une variation cinématographique – ce serait un feuilleton romanesque en littérature-, sur l’homme et ses aléas existentiels. Les hommes, tragiques, sont bien seuls dans le cinéma de Ceylan. Dans une sorte de désespoir impavide, un burlesque impassible, il observe les dérèglements qui nous agitent: désagrégation du couple (Les Climats), dislocation de la famille (Les Trois singes), violence et mort (Il était une fois en Anatolie), chute des idéaux (Le Poirier sauvage). Le cinéaste turc ne croit pas aux existences joyeuses et sûres d’elles. Il croit en la tragédie de l’homme, son malheur. Il l’a dit: « Je m’intéresse à tout ce qui se dérobe, au monde intérieur des individus, à leur âme, à la manière dont ils se lient ou s’opposent. Les questions que se pose le grand mélancolique que je suis sont celles qui nous travaillent de toute éternité». La comédie humaine est sans fin. Ceylan questionne l’homme, la nature humaine, et cela est inépuisable, comme une succession de points d’interrogations irrésolues. Parfois, ce ruminement ressasse ad nauseam, et jusqu’à l’ennui, quand, dans Le Poirier sauvage, des imams sur une route sinueuse entretiennent un dialogue critique sur l’islam et énoncent leurs différentes doctrines de la foi. Cette discussion et digression sur la religion, filmée dans le lointain, et dont remonte l’écho, dilue la densité intime qu’avait le récit jusqu’alors, concentré sur le retour dans sa famille, dans une ville provinciale d’Anatolie, d’un jeune homme qui se rêve écrivain. Comme dans toute son œuvre, Ceylan inscrit ce personnage de jeune homme dans la nature, dans un paysage et des saisons. Il y a toujours du temps qui passe, des cieux successivement fuligineux, neigeux ou lumineux. La rhétorique sophistiquée est très présente dans Le Poirier sauvage, si bavarde qu’elle mériterait qu’on s’y arrête pour en digérer pleinement le sens, les strates, la clarté, la portée… Depuis son premier film, Kasaba, conversation prolongée entre les membres d’une famille rurale, Nuri Bilge Ceylan a érigé la parole en puissant moteur narratif et dramatique. Les ressources du langage oral (le dicible) sont indissociables des ressources du langage du cinéma (le visible), un travail formel exigeant, pictural souvent, d’une élégance folle. D’une réalisation magistrale, Le Poirier sauvage s’installe dans une temporalité dilatée, une ductilité pleine de vides, d’attentes, de contemplations, et densifiée de conversations. A la fin, tant pis si on ne les a pas toutes entendues, retenues ou comprises. L’essentiel aura d’avoir été retenu par ce nouveau fragment dans la somme de l’œuvre de Ceylan, la fascinante plénitude de sa mélancolie.»(bande-a-part.fr)

...«D’une ampleur presque anachronique en un temps où il faut être bref, où l’esquisse tient lieu de psychologie et où l’imaginaire s’estompe sous la vérité factice des faits divers, Nuri Bilge Ceylan, lui, mise sur le temps qui lui permet de saisir, comme dans les romans d’apprentissage de jadis, ceux de Tolstoï ou de Stendhal, le destin fluctuant et l’évolution progressive de personnages en butte à eux-mêmes, à la vie qu’ils mènent, à celle que la société leur fait mener…Voir un cinéaste, sans doute au sommet de son art, construire ainsi, de film en film, une œuvre que l’on sait désormais capitale, fait partie des joies que se réservent les cinéphiles. Et les justifie dans leur passion.» (telerama.fr)

Nuri Bilge Ceylan a choisi le comédien Murat Cemcir pour camper Idris, le père de Sinan. Ce personnage s’inspire du propre père du cinéaste, jusqu’au rire de ce dernier. « Mon père était comme ça. Dans le village, on ne l’écoutait pas, alors il riait de ce qu’il disait. J’ai voulu que le personnage ait quelque chose en lui pour que les villageois ne le respectent pas et j’ai trouvé ce petit détail. Il est difficile de comprendre ce manque de respect de la part des autres car, d’ordinaire, l’instituteur est bien considéré. Peut-être est-ce à cause de son addiction au jeu, peut-être à cause de son ricanement. Dans la campagne turque, on n’aime pas les gens qui rient tout le temps ! Tous les autres personnages sont aussi des professionnels. Pour interpréter l’écrivain local, par exemple, j’ai essayé en vain d’en trouver un vrai. L’un des imams, toutefois, était aussi un amateur, sans pour autant être un imam lui-même. »

Nuri Bilge Ceylan a choisi de faire de très longs plans-séquences avec une caméra mobile. Il a pu développer ce style de tournage grâce à une nouvelle caméra, très petite, l’Osmo, qui est extrêmement mobile. « Cela dépend aussi des comédiens, s’ils sont capables de dire un texte très longtemps. Il m’est arrivé, dans le passé, de faire des coupes au tournage à cause de cela. Si j’ai davantage de plans-séquences, c’est aussi parce qu’il y avait beaucoup de scènes en extérieur où les gens se déplaçaient. Ils marchaient et parlaient en même temps : aucune nécessité de fragmenter. J’ai toujours mon fidèle chef opérateur, Gökhan Tiryaki, et la plupart du temps, c’est moi qui décide. Mais bien entendu, quand on écrit un scénario, on rêve de ce que l’on va faire et la réalité du tournage vous conduit à des changements. Les décisions finales se font sur le plateau. J’attachais aussi beaucoup d’importance aux saisons et voulais que l’histoire se termine en hiver. En général, j’évitais le soleil… Quand on a commencé, en octobre, il y en avait tous les jours ! Pour la scène de la fin, on l’avait presque entièrement tournée quand le soleil a disparu. Du coup, je l’ai retournée sans le soleil puis, soudain, la neige a commencé à tomber. J’ai alors retourné la séquence une troisième fois ! Au montage, j’ai choisi la dernière prise. »


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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