Dimanche 25 janvier 2004 à 14h30
Animation de Paul Grimault – France – 1980 – 1h27
Le Roi Charles V et Trois font Huit et Huit font Seize règne en tyran sur le royaume de Takicardie. Seul un Oiseau, enjoué et bavard, qui a construit son nid en haut du gigantesque palais, tout près des appartements secrets de Sa Majesté, ose le narguer. Le Roi est amoureux d’une charmante et modeste Bergère qu’il veut épouser sous la contrainte. Mais celle-ci aime un petit Ramoneur. Tous deux s’enfuient pour échapper au Roi et, réfugiés au sommet de la plus haute tour du palais, sauvent un petit oiseau imprudent pris à l’un des pièges du Tyran. Le Père Oiseau reconnaissant promet en retour de les aider. La police retrouve la trace des fugitifs. Une folle poursuite s’engage. Des machines volantes conduites par des policiers moustachus, de mystérieuses créatures couleur de muraille qui espionnent la ville, des tritons motorisés et le Roi sur son trône électrique flottant, ou sur son gigantesque Automate, les pourchassent…
« Ce n’est pas tellement le réalisme que j’ai recherché, c’est la réalité des personnages »
(Entretiens de Paul Grimault avec B.Marié pour le Cinéma Français numéro 32 et R. Grelier pour La Revue du Cinéma de mars 1980)
Sur le web
Classique du cinéma d’animation, Le Roi et l’oiseau a été imaginé par Jacques Prévert et Paul Grimault, au moment où le réalisateur terminait Le Petit Soldat qui avait marqué leur première collaboration. Les deux hommes ont alors décidé d’adapter le conte d’Hans Christian Andersen, La Bergère et le Ramoneur, qui n’a servi que de base pour leur oeuvre. Ils ont, en effet, effectué beaucoup de changements. « En réalité, nous n’avons gardé que les deux personnages de la bergère et du ramoneur« , explique Paul Grimault.
Imaginé dès 1946 par le duo formé par Paul Grimault et Jacques Prévert et mis en chantier dès l’année suivante, Le Roi et l’oiseau a connu un destin des plus étranges. La réalisation du film fut ainsi interrompue en 1950 à la suite d’un différend survenu entre Grimault et son associé André Sarrut. Complété à leur insu, le film fut présenté en 1953 sous son titre original, La Bergère et le Ramoneur, dans une version désavouée par ses auteurs…
« …Le petit ramoneur et la bergère sont bien mignons mais ils ne servent que de prétexte au combat qui oppose le roi et l’oiseau ou plus largement l’autorité à la liberté. De cet affrontement, les deux artistes extirpent leur vision de la société et, à l’instar de George Orwell dans 1984, ils peignent un monde totalement imaginaire qui, après réflexion, ressemble étrangement au nôtre. Il aura fallu de nombreuses années pour que Paul Grimault réunisse enfin les moyens de parachever son film. Le cinéaste a dû, par la même occasion, surmonter l’incrédulité de beaucoup, et pallier également la disparition de plusieurs de ses collaborateurs, animateurs ou artistes. La première du nouveau film a eu lieu le 19 mars 1980 et Le Roi et l’oiseau a obtenu le Prix Louis Delluc 1979. Plus d’1,7 million de spectateurs se sont pressés dans les salles à l’époque de sa sortie. Le roi est l’image de la puissance et de la violence de nos sociétés. Dans son palais, la dictature rappelle évidemment les régimes autoritaires qui ont sévi et qui, parfois, continuent de tyranniser une partie de l’Europe. Pour illustrer cette idée, Grimault crée un souverain aux traits anguleux et tristes, en tenue bavaroise et dont le culte de la personnalité (les effigies et peintures) n’est pas sans rappeler certains despotes des pays de l’Est ! Ses soldats affublés d’uniformes sombres rappellent ceux de la « Stasi » et l’architecture du royaume, tout en murs et fortifications, évoque des constructions comme celles imaginées par le troisième Reich ou plus récemment par des régimes tel que celui de Ceausescu. Comme évoqué précédemment, l’univers créé par Grimault et Prévert est assez proche de celui que mit en forme George Orwell dans son roman culte, 1984 : haut-parleurs crachant le discours du pouvoir, police d’état à chaque coin de rue … En imaginant ce monde le poète et le dessinateur pointent également le doigt sur certains excès de notre société. Dans Le Roi et l’oiseau la plus flagrante de ces dérives est la standardisation des masses : les individus entrent dans un moule avilissant ou sont écrasés. Pour exprimer cette emprise de la société, Prévert et Grimault imaginent un royaume de Takicardie divisé en deux : en surface les individus ont perdu toute personnalité – costumes identiques, mêmes expressions, soumission face au pouvoir – et dans les sous-sols du royaume, la population est enfermée. Opprimés, les villageois ont fini par oublier les choses les plus simples et vivent un quotidien absurde : ils ne savent plus à quoi ressemble le soleil et lorsque les lions défilent sous leur fenêtre, ils pensent reconnaître des oiseaux !
Le royaume de Takicardie est également l’expression du modernisme de nos sociétés. Les Jet Ski, le trône auto-tamponneuse, les ascenseurs en forme de fusée ou les trappes automatiques sont autant de clins d’œil aux objets qui envahissent le quotidien des Français après la guerre. On retrouve ici une vision poétique du matérialisme citadin assez proche de celle évoquée par Jacques Tati, notamment dans Mon Oncle ou Play Time. L’idée du Roi et l’oiseau n’est pas de critiquer le progrès en tant que tel, mais plutôt de poser la question de son utilité : toutes ces inventions qui nous écartent des choses les plus simples de la vie sont-elles utilisées à bon escient ? La réponse est évidemment négative : les gadgets du roi semblent bien futiles et ne le sortent pas de son ennui chronique. Pour couronner la démonstration, Grimault imagine un robot qui inspirera évidemment celui du Géant de fer (Brad Bird, 1999) : ce monstre technologique qui effraiera tant de petites filles (!!) est une métaphore évidente sur les armes de destruction massives : summum de la technologie du royaume de Takicardie, cette machine n’est qu’un objet d’extermination. Sa puissance destinée à protéger le Roi finit par se retourner contre lui et détruire son palais. Cet épisode du film permet à Grimault et Prévert de lancer un avertissement au sujet de la bombe atomique (n’oublions pas qu’à l’époque de l’écriture du scénario, la planète subit encore les affres de la pleine guerre froide). Lors du final, le robot prend la pose du penseur de Rodin, et redonne la liberté à un oisillon emprisonné. Cette dernière scène est magnifique car, au-delà du triomphe de la liberté, elle montre que la technologie peut agir pour notre bien. Dans Le Roi et l’oiseau la démonstration idéologique va encore plus loin : au-delà de la critique de nos sociétés où règne le pouvoir, Grimault et son compère Prévert montrent également la force que peut avoir la poésie, l’art et plus généralement l’amour … Le combat que mène l’oiseau est celui de David contre Goliath, c’est la lutte éternelle entre le bien et le mal. L’oiseau et ses chansons enfantines n’a que ses ailes et son bagout pour lutter contre les armes du Roi. A force de volonté et d’imagination, il communique son esprit solidaire à la population du royaume. Comme Prévert le poète, l’oiseau porte et transmet un message d’amour et lorsque le petit ramoneur est jeté dans la cage aux fauves, l’oiseau demande au musicien de jouer de son instrument : la mélodie démarre et hypnotise les lions. Cette superbe séquence montre l’art comme thérapie à la violence. On retrouve également ce message dans la danse du petit clown. Les notes de piano commencent à résonner et le personnage entame une danse fragile et légère. Sublime digression dans le récit, ce moment de douceur apporte une poésie bienfaitrice au Roi qui l’espace d’une seconde est presque raisonné.
Au final cette petite danse à trois temps pourrait presque résumer Le Roi et l’oiseau : pureté de la création devant la puissance politique, absurdité de la violence, le message pacifiste de Prévert et Grimault est simple mais garde toute sa force et demeure à jamais sublime. Lorsque le film est enfin terminé (1980) Jacques Prévert nous a quitté. L’avant première a lieu au printemps, Grimault réserve un siège à ses côtés et interdit quiconque de s’y asseoir. C’est la place du poète, absent certes, mais dont l’empreinte est à jamais inscrite sur la pellicule du Roi et l’oiseau. Le projecteur commence à ronronner, la musique de Kilar et de l’orchestre symphonique de Pologne envahit la salle obscure, un drôle d’oiseau apparaît et le rêve prend son envol … » (dvdclassik.com)
« À la différence de Jacques Prévert, Paul Grimault n’a jamais participé aux activités du groupe surréaliste. Il en a pourtant été proche, dès ses amitiés de jeunesse : Desnos, Brunius, les frères Prévert… Il reconnaissait volontiers l’empreinte laissée par le surréalisme sur sa sensibilité créatrice : « Le mouvement surréaliste m’a beaucoup marqué, mais je n’ai pas été très loin dans mes rapports avec eux. Je ne peux pas dire que j’aie fait partie de leur propre groupe, ils vivaient beaucoup entre eux. Mais j’ai connu Benjamin Perret, avec qui j’étais assez copain, j’ai bien connu Max Ernst bien sûr 2. J’ai rencontré Breton. J’avais beaucoup de respect pour le bonhomme, c’était quelqu’un (…). J’ai connu Man Ray, Masson, Michel Leiris… C’était vraiment un mouvement important et qui a laissé des traces 3. » L’amour fou et la révolte, au coeur des deux principaux films de Prévert et Grimault, sont des thèmes éminemment surréalistes. Le rêve en est un autre. Le Roi et l’oiseau offre bien des ouvertures sur le rêve : la transmutation d’objets d’art en êtres vivants, la confusion des espèces et des origines, les plus improbables métissages : engins volants ou aquatiques aux formes animales, croisements d’hommes et de chauves souris… À cette atmosphère onirique contribuent les poursuites sans fin, comme dans les cauchemars, avec ces amoureux qui dévalent les cent mille marches en les effleurant à peine… L’espace se dilate vers le ciel constellé ou plonge dans de vertigineuses lignes de fuite. Les proportions s’inversent lorsqu’un personnage est brusquement happé par un géant métallique. Elles se brouillent, s u p e r b e m e n t , quand les ombres des deux fuyards se convulsent dans le phare du Robot comme des flammes noires horizontales. La subversion s u r r é a l i s t e s’exerce aussi sur le langage. Elle revêt alors un aspect ludique et f r a n c h e m e n t réjouissant : on n’en attend pas moins de Jacques Prévert ! » (Cahier de notes sur…Le Roi et l’oiseau, Jean-Pierre Pagliano)
Récompensé en 2003 pour son travail sur Le Pianiste de Roman Polanski, le compositeur polonais Wojciech Kilar a créé un score totalement neuf avec la complète confiance de Paul Grimault.
Menacé de décomposition, Le Roi et l’oiseau a failli disparaître. Supervisée par StudioCanal, la restauration du film s’est étalée sur deux ans et demi (de janvier 2001 à juillet 2003). Les travaux techniques, qui ont notamment consisté en une restauration photochimique et numérique de l’image et de la bande sonore, ont été conduits sous la direction de Béatrice Valbin. Le chef-d’oeuvre de Paul Grimault a ainsi été sauvé.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.
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