Le sommeil d’or



Vendredi 19 Octobre 2012 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de  Davy Chou – Cambodge – 2012 – 1h40 – vostf

Le cinéma cambodgien, né en 1960, a vu son irrésistible ascension stoppée brutalement en 1975 par l’arrivée au pouvoir des Khmers Rouges. La plupart des films ont disparu, les acteurs été tués et les salles de cinéma été transformées en restaurants ou karaokés. Le sommeil d’or filme la parole de quelques survivants et tente de réveiller l’esprit de ce cinéma oublié.

Notre critique

Par Josiane Scoleri

Voici un film à la fois modeste et immensément ambitieux. Modeste parce que Davy Chou. Jeune réalisateur cambodgien de 29  ans, joue franc jeu avec le spectateur en évoquant d’emblée le point de départ de sa démarche, à savoir son désir d’en savoir plus sur l’histoire de sa propre famille. Une famille qui fut  partie prenante de l’essor du cinéma au Cambodge des années 60 jusqu’à la prise de pouvoir par les Khmers Rouges en 1975. Quinze années qui furent la- bas  un véritable âge d’or du cinéma, auquel le titre du film  fait si poétiquement  référence en creux.
 Mais projet follement ambitieux d’autre part puisqu’il s’agit, rien de moins que de montrer au cinéma l’histoire d’une cinématographie dont il ne reste pratiquement pas d’images. L’affaire, on le voit est d’envergure et relève de la gageure. A partir de là, Davy Chou va réussir tout aussi modestement ce qui tient, à mon sens, d’un véritable prodige. Nous allons voir tous ces films magiques s’animer sous nos yeux par le récit des différents protagonistes qui ont réussi à traverser l’histoire jusqu’à nous. Et l’émotion est tout de suite d’autant plus forte  que nous savons bien à quel point ils sont  peu nombreux  et  qu’ils sont pour la plupart passés par l’enfer.

Stars pendant les années de gloire, producteurs, réalisateurs ou simples citoyens mordus de cinéma,  ils vont à tour de rôle  se faire conteurs, récitants, témoins, historiens de ce cinéma disparu et plus largement de la tourmente dans laquelle a sombré le pays tout entier.
Film de la mémoire, Le sommeil d’or commence par un plan de nuit où le spectateur ne peut rien distinguer à l’image. Seule   la bande son est présente (un vague bruit de moteur cahotant). Nous sommes déjà dans le dispositif du film: pas d’image et un film pourtant.  Un halo de lumière surgit sur une piste caillouteuse, le phare d’un deux – roues qui vient vers nous et qui, sans crier gare, dans le plan suivant,  avance à reculons … Nous sommes sans le savoir encore  dans l’incessant va et vient entre passé et présent, sans repères par rapport à l’avenir. Nous sommes déjà au coeur du film.

Davy Chou tisse sa toile avec méthode et tire parti de tous les éléments qui sont à sa disposition. A commencer par la ville elle- même et tous ces lieux qui demeurent hantés par leur histoire première. Cinémas mythiques de plus de 1000 places qui sont autant de navires échoués sur le bitume, affectés à de tout autres usages quand ils ne sont pas en ruines. Studios immenses transformés en usine. Décors splendides abandonnés au milieu de nulle part. Friches qui sont la mémoire d’autant de bâtiments disparus. Ce que nous voyons n’a rien à voir avec ce dont on nous parle et qui est pourtant bien plus présent par delà les images. Mystère du cinéma…

Nous sommes en fait constamment en contact intime avec ce qui n’est pas un simple hors champ, mais une absence, un manque, un vide. Il en ressort pour le spectateur  une impression étrange, étrangement touchante, car nous sentons confusément que ce qui se passe à l’écran va bien au-delà de l’histoire circonstanciée et terrible du cinéma cambodgien. L’exemple le plus flagrant en est peut être la scène où une équipe de jeunes tente de reconstituer une scène mythique entre toutes qui nous a été racontée un peu plus tôt par le réalisateur lui-même, revenu sur le lieu du tournage. Nous voyons la nouvelle équipe à l’oeuvre (réalisateur, cameraman, assistante, acteur). Ils préparent la scène, discutent, finissent par tourner,  mais nous ne verrons jamais ce qu’ils ont tourné. Comme s’il s’agissait  pour le réalisateur bien au-delà d’un choix de montage, d’une véritable éthique du cinéma. Comme si surtout il était  illusoire de penser que de nouvelles images-ersatz pouvaient venir combler ce manque. Avec Le sommeil d’or, Davy Chou réussit à nous faire toucher du doigt la réalité des fantômes, mais il va plus loin. Il nous montre comment le cinéma s’installe dans notre imaginaire et induit un principe de réalité qui lui est propre (cf la scène si touchante où cet homme nous raconte comme il se souvient bien des visages des acteurs et des actrices de l’époque, mais qu’il a gommé le visage de ses proches). Il nous montre sa rémanence vive tant   au niveau individuel que collectif. La fascination est toujours là. On le voit encore dans les nombreuses chansons indissociables du cinéma cambodgien à la manière de son grand frère indien et qui elles ont survécu dans les karaoké et dans les nouveaux mixages plus agressifs à destination des jeunes générations.

Le film, loin de la monotonie, enchaîne les rencontres avec légèreté, nous surprend  par de nouvelles inventions de mise en scène à chaque fois et va crescendo avec des personnalités très différentes et des supports qui peuvent être inattendus: comme cette annonce qui passait à la radio à l’époque, bande sonore saisissante qui sert de point de départ à l’une des scènes les plus émouvantes du film. Dans un dispositif des plus classiques, un homme se raconte, assis face à la caméra. Et pourtant nous sommes saisis, suspendus aux lèvres de cet homme, Ly You Sreang, l’un des plus grands réalisateurs cambodgiens. Et lorsqu’il essuie pudiquement une larme devant nous, nous voudrions presque que la caméra, cruelle dans sa présence même, s’arrête. Mais tout est dans ce « presque « , parce qu’en même temps nous sommes reconnaissants  à Davy Chou de ne pas couper. Nous avons conscience d’assister à un de ces moments rares et précieux où nous avons rendez-vous avec la vérité profonde d’un homme et donc avec la nôtre même.

On le voit, ce film vise bien plus profond que le témoignage ou la reconstitution historique. Par le choix radical de ne pas montrer les images (puisqu’une trentaine de films ont subsisté en tout ou partie), Davy Chou se situe à l’opposé de l’illustration. En misant sur la frustration du spectateur, il active sans répit note imagination, et ça marche! Et lorsqu’il finit par nous  livrer enfin quelques bribes, quelques images effilochées sur un mur qui n’en est presque pas un, il le fait avec un sens très sûr de la mise en scène, à la fois par le lieu, la lumière, le cadre, l’alternance des gros plans sur les visages et les plans larges. Le champ l’emporte peut-être pour la première fois sur le hors champ. En un mot : du cinéma au sens fort du terme.

Sur le web

Le jeune réalisateur franco-cambodgien Davy Chou réalise un premier film vibrant où il  s’est attaché à faire revivre le cinéma cambodgien rayé de la carte par le régime fanatique des Khmers Rouges. qui détruisit la majeure partie des 400 films réalisés entre 1960 et 1976. Ce faisant le film relève le défi de nous parler d’un cinéma dont les images ont disparu. Il pose les questions essentielles du cinéma :À quoi sert la représentation du réel? Comment s’exprime l’imaginaire, part irréductible de l’être humain quand tout a été broyé? L’émotion est présente dans la moindre bribe de film retrouvée, dans les quelques photos et affiches qui subsistent et surtout bien sûr, dans les interviews des survivants. Un premier film ambitieux qui sait être drôle et tendre par delà la tragédie. Une vraie découverte de la rentrée 2012 (Josiane Scoleri).

Après avoir réalisé The Twin Diamonds, son moyen métrage dédié au cinéma cambodgien, le jeune réalisateur s’est lancé dans la réalisation du Sommeil d’or , documentaire qui est né suite à une discussion qu’il a eue avec sa tante (Sohong Stehlin) à propos de son grand-père. Ce dernier était producteur de cinéma au Cambodge.

Il a été très difficile de convaincre les anciens réalisateurs et cinéphiles cambodgiens de soutenir le projet du film et d’y participer en répondant aux interviews de Davy Chou : « Les convaincre de faire le film ne fut pas facile. Normal, ils me voyaient comme un jeune Français qui n’avait jamais vu un seul film khmer, ce en quoi ils n’avaient pas tort ! Et puis certains d’entre eux ne comprenaient pas bien pourquoi je voulais tant déterrer cette histoire ancienne, explique le cinéaste. Yvon Hem a été l’un des plus réticents au sujet du documentaire, car cela lui a rappelé son passé douloureux. En effet  ce réalisateur a perdu ses enfants et son épouse sous le régime Khmer Rouge et a gardé ses films dans son ancien studio sans jamais les ressortir. Il disait qu’ il n’avait pas montré son studio et ses films auparavant, pour oublier et parce que c’est inutile. »

Au départ, Ly You Sreang ne souhaitait pas faire partie du documentaire de peur de ne pas être cru, car tous ses films avaient disparu et sa mémoire avait été atteinte suite à son coma dans un camp au Vietnam : Le récit au long cours qu’il fait à la fin du film est très émouvant. C’est la première fois qu’il se confie ainsi. Même submergé par l’émotion qu’il ne peut contenir, il persiste à aller au terme de son histoire. Il a décidé qu’il irait jusqu’au bout, car, comme il le dit, « je ne suis pas encore mort » , confie Davy Chou.

Davy Chou explique que le défi formel au départ était le suivant: « comment raconter l’histoire d’un cinéma dont les films ont disparus ? Sous-entendu: quoi filmer ? Mais très vite, la question s’est déplacée en ces termes: ces films disparus survivent-ils dans le présent, et si oui, sous quelle forme ?…La mise en scène, et notamment le travail de l’image et du son, devait donc répondre à un seul impératif: comment faire voir ces films, au delà de leur absence physique ? Comment raconter un cinéma sans images ? Dans chaque séquence, nous avons essayé de déployer une nouvelle stratégie d’approche de ce centre absent: par le récit oral, la bande sonore d’une annonce radio retrouvée, l’utilisation de bouts de posters, l’exploration d’une ancienne salle de cinéma, la reproduction d’un effet spécial…Ce qui m’a passionné c’est la circulation de la mémoire, sa capacité extraordinaire à persister. Et cette mémoire qui circule, elle se reconstruit également de façon collective. »

Le Sommeil d’or a été sélectionné dans plusieurs festivals, parmi lesquels le 1er Festival de Films Asiatiques d’Amérique du Sud à São Paulo, le Festival International du film du Busan en Corée du Sud, celui de la Rochelle et celui de Melbourne. Le film a également été projeté en avant-première au Festival Paris Cinéma 2012, et a reçu la Mention Spéciale du Jury à l’occasion de la 11ème édition du Festival du Film Asiatique de Dallas.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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