Le Tableau Noir



Jeudi 05 Février 2009 à 20h30 – 7ième  Festival

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Samira Makhmalbaf – Iran – 2000 – 1h25

A la suite d’un bombardement au Kurdistan iranien, des instituteurs errent de village en village à la recherche d’élèves. L’un d’entre eux trouve sur son chemin un groupe d’adolescents qui tentent de passer en Irak. Malgrè les efforts de l’instituteur, aucun n’est désireux d’apprendre. Un second croise un groupe de vieillards qui essaient de rejoindre leur terre natale. Un troisième rencontre une jeune veuve, épris d’elle, il décide de la suivre.

Le Tableau noir ou le brouillage des frontières

Avec Le Tableau Noir, nous sommes au coeur de la problématique de la frontière. Le Kurdistan, un pays qui n’existe pas sur la carte. Les Kurdes, un peuple disséminé dans cinq états nations qui existent bel et bien sur la carte, mais dont les frontières actuelles ne sont jamais que le résultat – oh combien arbitraire – du dépeçage de l’empire ottoman. C’était il y a moins d’un siècle, autant dire hier au regard de l’histoire. Quelle est donc la signification de ces frontières, quelle en est la réalité ? Samira Makhmalbaf nous entraîne d’abord du côté du réel. Nous cheminons avec elle dans ces montagnes arides, inhospitalières, surpris d’y découvrir que « la vie continue » et s’accroche sous des formes étonnantes.

Qui dit frontière dit à la fois contrôle et franchissement, légalité et clandestinité. Les enfants contrebandiers en sont l’émanation la plus parlante. Ils signifient négation de la frontière, transgression de la loi et pourtant ils survivent grâce à cette même frontière qu’ils connaissent comme personne et qui rime avec trafics en tout genre et donc éventuels revenus. Qui dit frontière dit également trop souvent conflit et nous comprenons confusément dès le début du film que la guerre est là, ou en tout cas, que la menace est bien réelle et que la mort rôde. Les tout premiers plans sont d’ailleurs assez énigmatiques. C’est seulement à partir du moment où la caméra s’approche que l’image fait sens. Nous comprenons que les grands rectangles en mouvement sont en fait des tableaux noirs « sur pattes », accrochés au dos des instituteurs. Et instantanément nous devenons partie prenante de cequi se déroule à l’écran. La magie du cinéma est à l’œuvre. Inévitablement, nous nous demandons : « Mais qu’est-ce qu’ils viennent faire là ? », et surtout : « À quoi peut bien servir dans un tel contexte l’apprentissage de la lecture et de l’écriture » ? La question est posée d’emblée et traversera le film de part en part. Question d’autant plus importante en Iran où le régime issu de la révolution a fait de l’éducation une de ses priorités et que le niveau d’études des jeunes générations est sans cesse mis en avant comme l’une de ses plus grandes réalisations. Mais la question est avant tout universelle et continue à se poser sous toutes les latitudes.

Samira Makhmalbaf, 19 ans au moment du tournage, l’aborde de manière très personnelle à travers le prisme des différentes générations réunies dans le film. Les instituteurs en tant que génération charnière née avec la Révolution croient bien sûr dur comme fer à la priorité absolue de l’alphabétisation. Renoncer à leur credo serait comme renoncer à leur raison d’être. L’entêtement du jeune maître face à sa promise qui demeure hermétique à toute tentative d’apprentissage est à ce titre à la fois cocasse et lourd de sens. Car dans ce Far North qu’est le Kurdistan, nos instituteurs vont faire une deuxième rencontre tout aussi étonnante, celles des Anciens. Là aussi, la réalisatrice mêle avec beaucoup de doigté le plan du réel et la dimension imaginaire et symbolique.

Cette troupe de vieillards errant dans les montagnes à la recherche de la frontière a quelque chose de très poignant. Ils passent sans doute en permanence d’un côté à l’autre sans le savoir. Mais leur longue marche est celle de la dignité. C’est ainsi que Samira Makhmalbaf les filme. La caméra est tout à la fois proche et respectueuse. Elle nous dit toute la souffrance d’une vie d’exil qu’on peut lire sur les visages, dans la démarche laborieuse des personnages, mais sans apitoiement, sans tremolo dans la voix, sachant tirer parti du burlesque toujours sous-jacent à la tragédie. Lorsque le paysage entre dans le champ, la majesté et l’aridité des montagnes suffisent à dire l’âpreté du combat, la taille infime des hommes et la nécessité de leur folle obstination. Mais la frontière, créée de toutes pièces par les hommes dans ces mêmes montagnes, nous parle tout autant de notre inépuisable pulsion de destruction et des souffrances que l’humanité s’inflige à elle-même. N’oublions pas que la guerre entre l’Iran et l’Irak a fait un million de morts.

Nous comprenons mieux à ce stade comment il est possible qu’une jeune fille de 19 ans ait pu déjà faire preuve d’une telle maturité face aux questions essentielles que l’humanité se pose depuis toujours. L’histoire de l’Iran moderne, alliée à une forte présence de la mort dans l’Islam chiite (cf. le culte des martyres) amène sans doute ses citoyens et notamment les artistes à une réflexion profonde et douloureuse sur le sens de la vie et de notre passage sur Terre.

Sur le plan formel, le film fourmille d’inventions, toute simples et très pertinentes, jouant avec les multiples usages improvisés du fameux tableau noir : camouflage anti-aérien, bouclier, brancard, paravent, le tableau noir sert à tout et nous donne droit à des images surprenantes, souvent très belles, mais jamais gratuites ni esthétisantes. Car à la maturité sur le plan de la réflexion, s’ajoute chez cette jeune cinéaste une maîtrise tout aussi surprenante de l’image et du langage cinématographique. Au point que certains, à la sortie du film se demandaient si c’était bien elle qui l’avait réalisé et soupçonnaient Mohsen Makhmalbaf, le père de la réalisatrice d’en être l’auteur. Celui-ci apparaît au générique comme co-auteur du script et il est certes crédité du montage, mais le documentaire réalisé pendant le tournage de film a suffi à clouer le bec aux mauvaises langues. La détermination et le doigté avec lesquels elle a mené sa troupe d’acteurs non professionnels en plein hiver dans ces montagnes enneigées démontrent clairement la force de la création qui se déploie chez cette jeune femme, dans une société et une culture où la place des femmes se situe rarement de ce côté-là. Cinéaste, mais aussi poétesse (elle a publié un livre de poèmes en 2006), gageons que Samira Makhmalbaf n’a pas fini de nous étonner.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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