Le Veuf


 


Vendredi 31 Juillet 2020 à 21h30

Cour intérieure du 109 ( 89-109 Route de Turin, site des anciens abattoirs de Nice) – Entrée Libre

Film de Dino Risi – Italie – 1959 – 1h40 – vostf

En première partie, organisée par Regard Indépendant, le  court-métrage, La Riviera dans les tripes (3’30)  tourné en Super 8 par l’équipe du Radis Calciné dans le cadre de la Collection « Côte d’Azur et Cinéma« . 2019, les 100 ans des studios de La Victorine.

Homme d’affaires médiocre et dépensier, Alberto Nardi est marié à Elvira, issue d’une riche famille à la tête d’une fortune conséquente. Alors que les créanciers le harcèlent, son banquier accepte de lui prêter de l’argent uniquement si son épouse le garantit. Mais lassée d’éponger les dettes de son mari, Elvira refuse et Alberto se prend à espérer un prompt veuvage…

Sur le web

Dino Risi : Le prince de la comédie italienne. Fils d’un médecin, étudiant lui-même en méde cine, passionné de psychiatrie, il a fait ses débuts au cinéma comme assistant de Soldati pour Le Mariage de minuit (1941) et de Lattuada pour Giacomo l’idealista(1942). Il tourne quelques courts métrages (Barboni (Clochards), 1946 ; Cortili, 1948 ;Buio in sala, 1950) avant de passer au long-métrage, en 1952 avec Vacances avec un gangster. Il frappe fort avec Le Veuf en 1959, chef-d’œuvre d’humour noir. Servi par d’admirables in terprètes comme Manfredi, Gassman, Tognazzi, Sordi, Mastroianni, il excelle dans le film à sketches (Les Monstres (1963),  Les  Complexés (1965), etc.) qui lui permet d’évoquer une galerie de névropathes et d’obsédés sexuels qui laisse parfois le spectateur pantois. Mais il glisse vite vers un comique teinté d’amertume (la fin du Fanfaron (1962); Parfum de femme(1974) ; Dernier amour (1978) et pas toujours indulgent pour ses contemporains (Cher papa(1979)). Il sait se moquer de l’époque fasciste (La Marche sur Rome(1962) ; La carrière d’une femme de chambre (1976)) sans s’abuser sur l’idéologie adverse (Au nom du peuple italien(1971)). On lui attribue le meilleur des sketches des Nouveaux monstres (1977) : le cardinal ramenant l’ordre et  la  foi  dans  une  paroisse qui a sombré avec un prêtre ouvrier ; il suffit d’un peu de musique et de beaucoup de lumière. Dans cette satire à double tranchant se trouve résumée la philosophie de cet épicurien que l’on devine sensible au charme des jolies filles (il sait choisir ses interprètes féminines !) et aux  plaisirs de la vie. Que l’on se souvienne de la fin des Nouveaux monstres, ce film-testament de la comédie italienne : l’enterrement du cabotin se transforme en spectacle autour de la fosse où vient d’être déposé le défunt. Les larmes font place au rire, tout se mêle et finit dans les flon-flons. La guerre elle-même prend avec Coluche et Blier, une forme inattendue dans Le Fou de guerre (1985). (Dictionnaire du cinéma, les réalisateurs – Jean Tulard – Ed. Robert Laffont 2003)

Veuf (Il Vedovo) est la première collaboration majeure entre Dino Risi et Alberto Sordi, dont les précédents films en commun n’avaient pas été marquants pour le réalisateur dans le mineur Venise, la lune et toi (1958) ou l’acteur dans Le Signe de Vénus (1953) dans lequel il tenait un rôle secondaire. S’il faudra attendre le film suivant, Une vie difficile (1961), pour que les deux signent un chef-d’œuvre de la comédie italienne, Le Veuf est déjà une fort amusante réussite. Ce dernier annonce en moins féroce le génial Il Boom (1963) de Vittorio De Sica, qui y fustigeait la génération de jeunes viveurs dépensiers et oisifs qu’avait créée l’embellie économique que rencontrait l’Italie. Héros d’Il Boom, Alberto Sordi répète en quelque sorte son rôle à venir en campant déjà ici un industriel médiocre et imbu de lui-même. Alberto est un homme tout en paraître et en belle paroles qui ne séduisent que les sots (ses subalternes ou sa jeune maîtresse écervelée jouée par la charmante Leonora Ruffo), quand les plus clairvoyants ne sont pas dupes et devinent le perdant qu’il est vraiment. Le début du film le cerne en quelques séquences où on le voit poursuivi par les créanciers, feindre la réussite sociale (c’est plus simple en empruntant la voiture neuve de Madame) et céder à toutes les bassesses pour s’en sortir comme revendre les luxueux cadeaux faits à sa maîtresse pour régler ses dettes.

Le film plane très haut dans la drôlerie jusque-là et l’on rit aux éclats devant cette avalanche de comportements irrécupérables. Il est dommage en revanche que la dernière partie lorgne sur la comédie policière et les stratagèmes alambiqués – le sort de l’épouse gênante n’étant bien sûr pas celui que l’on croit – qui sans être désagréable est nettement moins savoureuse et originale que la pure satire. Un peu à la manière de L’Homme aux cent visages sorti la même année (et première grande collaboration avec Vittorio Gassman, autre futur acteur fétiche), on sent un Dino Risi qui se cherche encore, vampirisé par sa vedette et encore trop soumis à son script (du sur-mesure pour Sordi avec la participation de son scénariste attitré Rodolfo Sonego) pour laisser totalement s’exprimer sa méchanceté. Si la personnalité d’Alberto Sordi était désormais bien établie, l’identité filmique de Risi restait incertaine avec des incursions dans la comédie donnant plutôt dans le néoréalisme rose plus – la série des Pauvres mais beaux – ou moins – le très raté troisième volet de la saga Comencini / De Sica Pain, amour, ainsi soit-il (1955) – réussi et avait surtout convaincu dans un registre plus doux-amer comme Le Signe de Vénus (1953). La réussite du Pigeon (1958) de Mario Monicelli l’a donc libéré avec toute une génération de cinéastes italiens, dont Risi qui se montrera plus incisif avec le grandiose Une vie difficile à venir. Malgré les scories évoquées, Le Veuf reste cependant une comédie truculente qui annonce les grandes heures de sa filmographie.(dvdclassik.com)

Déjà, dans Le Signe de Vénus (1955), belle réussite de Dino Risi, le cinéaste met en scène deux types féminins antithétiques. D’un côté, la belle Agnese (Sophia Loren), pulpeuse et aguicheuse ; de l’autre, Cesira (Franca Valeri), d’une beauté qui n’attire pas le regard des hommes. Pourtant, la première est insouciante et écervelée alors que la deuxième, pleine d’esprit, cherche l’homme de sa vie. Dans ce film transition entre une tendance néoréaliste et la comédie italienne à venir, la masculinité n’est guère à son avantage : tous les prétendants de Cesira vont se montrer intéressés par sa cousine et ne feront que se servir de la générosité et de l’innocence de cette jeune femme rêveuse. Le Signe de Vénus, teinté de féérie, offre quelques rapprochements avec la comédie américaine classique. Quatre ans plus tard, le film comique a changé de ton. Avec Le Veuf, Dino Risi réalise un film pleinement dans l’air du temps de la jeune comédie italienne. Le Veuf passe peut-être un peu inaperçu auprès des spécialistes du genre comique italien. Il faut dire que cette comédie s’insère dans une période extrêmement riche et féconde pour le réalisateur autant que pour le genre. En effet, Le Veuf se trouve absorbé dans la galerie de succès du jeune cinéaste : Le Signe de Vénus en 1955 ; Pauvres mais beaux en 1956 ; Une Vie difficile en 1961 ; Le Fanfaron et La Marche sur Rome en 1962 ; Les Monstres en 1963. Pourtant, cette réalisation ne peut être qualifiée de mineure puisqu’elle fait partie des meilleures réalisations d’un Risi qui n’a pas encore exprimé le meilleur de son potentiel satirique. Tout comme Alberto Sordi, l’interprète principal qui incarne Alberto Nardi. Alberto Nardi est très proche des autres rôles interprétés par Sordi tout au long de sa carrière comique : un ambitieux burlesque, grotesque, parfois ridicule mais toujours attachant. Et surtout on retrouve la fonction motrice du protagoniste Sordi dans le dispositif filmique des œuvres de Risi ou bien de Scola. Dans son habit léger, la réalisation du Milanais traite d’un sujet grave : celui de l’échec personnel du personnage principal, son insatisfaction, le mépris de sa femme, et le fait qu’il ne trouve sa place ni à l’intérieur de son couple ni au sein de la société italienne du miracle économique. L’argent (le capital) est le centre de gravité de ce film qui se rapproche donc de films importants de cette période comique, pourtant très divers en termes de réalisation comme Il Boom(Vittorio De Sica), L’Argent de la vieille (Luigi Comencini), Affreux, sales et méchants (Ettore Scola).

La femme d’Alberto, Elvira Almiraghi (Franca Valeri), possède un fort patrimoine et a ainsi accès à un riche réseau de personnes fortunées et d’hommes d’affaires. Le personnage principal est donc dans l’ombre d’une femme douée pour la gestion financière et qui n’appartient pas à la même catégorie sociale. Pour obtenir ce qu’Elvira possède, Alberto va élaborer un plan pour tuer sa femme à l’aide de sa connaissance de la mécanique des ascenseurs. Mais sa stratégie ne fonctionne pas et c’est Alberto qui est pris à son propre piège. Tout en cherchant à organiser un décès « accidentel », Alberto joue son rôle social à la perfection. Tout comme sa femme. Et tout l’entourage semble adhérer à cette mise en scène et devient acteur de l’hypocrisie sociale que Risi met en scène avec l’ironie qui lui est propre. Pour revenir et terminer sur la comparaison amorcée, on note d’importants points communs entre Le Veuf et Le Signe de Vénus. Du point de vue de la distribution des rôles, on retrouve Alberto Sordi et Franca Valeri. Le premier jouait déjà le beau parleur prêt à abuser de la naïve Cesira qui aspirait au mariage. Quatre ans plus tard, Franca Valeri interprète Elvira, une femme mariée, rationnelle et affirmée. Désabusée par son mariage, elle se montre toujours prête à pardonner les frasques d’un mari qu’elle méprise et qui tente même de provoquer sa mort. Ainsi, deux ans avant Divorce à l’italienne, la comédie italienne a déjà fait le deuil de l’idéal conjugal. (La Comédie italienne– Charles Beaud – Editions LettMotif 2016)

Ce n’est que le deuxième film que Sordi tourne avec Risi, mais il a déjà joué dans près d’une trentaine de longs métrages et, en cette toute fin des années cinquante, il a atteint le sommet de son art. On a pu le constater très récemment avec I Magliari de Francesco Rosi, qui date de la même année… Dans Le Veuf, Sordi campe un individu médiocre, quasi impuissant, qui se donne des airs de gagnant pour tenter de leurrer ses supérieurs, ses pairs, ses associés et ses ouvriers… voire même pour se convaincre lui-même. Il est hâbleur, menteur et voleur. Il est indécrottablement hypocrite. Hautement mégalomane. Risi et Sordi confèrent à Alberto des airs de Duce sans envergure, de petit bouffon dictatorial.

Le rêve d’Alberto est d’être débarrassé de sa femme. Les circonstances extérieures ne sont pas favorables. Qu’à cela ne tienne, le protagoniste va tenter de forcer le destin. Mal lui en prendra…Risi s’est vaguement inspiré d’un fait réel qui avait défrayé la chronique en son temps : l’« affaire Fenaroli ». À Rome, en septembre 1958, Maria Martinaro in Fenaroli est retrouvée étranglée dans son appartement. Le mari, Giovanni Fenaroli – propriétaire d’une grande entreprise spécialisée dans le bâtiment, qui vit à Milan avec sa maîtresse, Amalia Inzolia -, est condamné à la prison à perpétuité, comme l’est son complice Raoul Ghiani. Fenaroli aurait perpétré son crime dans l’espoir de bénéficier de l’assurance-vie de sa femme…

…Sordi qui, ici, dans Le Veuf, crève donc déjà l’écran. L’acteur joue à merveille de ses expressions, de son physique. Mais il ne faut pas oublier son ton de voix, son élocution… l’aspect prosodique. Il arrive très bien à faire passer, par ce biais aussi, la façon dont, fragilement, assez mal, Albertone essaye de faire le malin, de cacher ses peurs. N’oublions pas que Sordi a travaillé, à ses débuts, à la radio et comme doubleur pour le cinéma. (culturopoing.com)

Tourné juste après Pauvres millionnaires, Le veuf contribue à forger la comédie italienne grinçante dans ce qu’elle a de meilleur : on y trouve tous les ingrédients qui vont établir les codes de ce genre, qui s’élèvera bientôt au rang de trésor national ; et d’abord, évidemment, les interprètes avec ici, un Alberto Sordi royal, aussi bien dans le chagrin (souvent faux) que dans l’enthousiasme. Hâbleur, séducteur ou vil, il incarne magistralement, avec ce qu’il faut de cabotinage, un type, celui du bavard trop sûr de lui mais totalement incompétent. Industriel raté, il a épousé une femme riche qui le méprise et qu’il trompe mais se désespère qu’elle ne finance pas ses projets délirants. Toute la première partie du film est centrée sur l’humiliation perpétuelle dont il est la victime (ses débiteurs ou son épouse le harcèlent et l’injurient copieusement) ou l’auteur (son collaborateur, le marquis, est traité comme un laquais). De ce tableau que Risi découpe peu, assurant à son acteur la maîtrise d’un jeu éloquent, ressort la description d’une vie infernale, passée à fuir les gêneurs et à pallier les problèmes au fur et à mesure qu’ils se présentent sans jamais les affronter réellement. Alberto emprunte toutes les voies, même les plus mesquines, pour échapper aux dangers immédiats, comptant sur les autres et rejetant la faute sur eux, dans un cercle permanent de boucs émissaires. Circulation de rôles, circulation aussi d’objets, qu’Alberto vole à sa femme pour offrir à sa maîtresse.

Le film franchit ensuite une étape quand on annonce le décès de l’épouse dans un accident de chemin de fer ; cette mort avait été en quelque sorte annoncée par la première séquence, dans laquelle Alberto raconte le rêve de son veuvage joyeux ; double annonce en fait, puisque la trépassée revient, le rêve a duré quelques heures. Dans la peinture de l’hypocrisie, Sordi se révèle encore une fois prodigieux par son mélange de déploration hypocrite et d’appétit de vivre, ce dernier incarné sans failles par une énergie débordante. Il faut le voir embrasser ses employés et repousser vers d’autres toutes les responsabilités, ne pas avoir faim et dévorer le melon, ou déclarer à tout bout de champ qu’il n’arrive pas à pleurer, ce qui apitoie davantage son auditoire. Risi ne cesse alors de multiplier les personnages à l’écran en un débordement de paroles qui combinent astucieusement le chagrin et les affaires.

Le retour de la disparue est traitée avec une remarquable économie de moyens, en utilisant en particulier la profondeur de champ. S’ensuit un projet pour la faire disparaître que Risi filme comme une parodie de film noir, éclairage et musique compris. C’est sans doute la meilleure partie du métrage, sa plus sarcastique aussi, puisque ses collaborateurs ne voient pas d’obstacles au meurtre du moment qu’ils sont payés. D’ailleurs, le thème de l’argent, aussi omniprésent que Sordi, est majeur : Risi décrit une société gangrenée par l’appât du gain, au détriment constant de l’humain. Ainsi, quand au retour de sa « retraite spirituelle », Alberto se retrouve devant le choix entre une vie d’ascète et la « course à l’argent », il déclare fièrement et sans hésiter choisir la seconde solution. De même sa maîtresse est-elle tentée de partir avec un vieux riche, et si elle renonce, c’est devant la possibilité d’un profit (et peut-être un peu de sentiment…).

Féroce, immorale, la farce peint avec une vigueur peu commune un monde de combines et de mensonges, un monde de perdants magnifiques jamais à court de projets. Et malgré la détestation que l’on devrait éprouver pour ce personnage manipulateur (et accessoirement raciste), Sordi en fait un être attachant, presque une victime ; au fond, malgré tout, il reste sympathique et pitoyable. Peut-être aussi la drôlerie de nombreuses scènes contribue-t-elle à minimiser ses méfaits, et à faire de le veuf une comédie indispensable aux amateurs, et d’ailleurs aux autres. (avoir-alire.com)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

Entrée libre.

 

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