Vendredi 08 et Samedi 09 novembre 2019 à 20h30
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Films de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles – Brésil – 2019 – 2h10 – vostf
et de Glauber Rocha – Brésil – 1969 – 1h35 – vostf
BACURAU
Interdit Aux Moins De 12 Ans Avec Avertissement
Dans un futur proche…Le village de Bacurau dans le sertão brésilien fait le deuil de sa matriarche Carmelita qui s’est éteinte à 94 ans. Quelques jours plus tard, les habitants remarquent que Bacurau a disparu de la carte.
Notre article
par Josiane Scoleri
Bacurau est un film dont on ne ressort pas indemne. Tant il est radical. C’est un film comme un coup de tonnerre. Comme une clameur. Inextinguible. Mendonca Filho et son co-réalisateur ne s’embarrassent pas de beaucoup de précautions et nous sommes tout de suite précipités dans ce bout du monde entre un camion d’eau potable et un autre ayant déversé sa cargaison de cercueils vides sur la chaussée. Le ton est donné. Bacurau est un film à la vie, à la mort.
D’ailleurs, nous arrivons dans le village pour une cérémonie funéraire. Pendant la première partie du film, Mendonca Filho procède par vignettes, passant d’un personnage à l’autre sans entrée en matière préalable. Les relations entre les habitants du village et avec le monde extérieur prennent forme peu à peu sous nos yeux, grâce à un montage très dynamique où nombre de plans, de scènes ou de bribes de dialogue, vont s’éclairer plus tard, parfois beaucoup plus tard… Mais, de toute évidence, rien de ce qui apparaît à l’écran n’est gratuit (cf le nom de Lunga prononcé dès la septième minute, alors qu’il surgira peut-être une heure plus tard, la pastille que Teresa avale dès son arrivée dans le village et qui jouera un rôle clé dans le combat final ou l’esclandre de Domingas lors de sa toute première apparition à l’écran).
Comme tout lieu isolé, le village de Bacurau (du nom d’un rapace nocturne, difficile à repérer) est un microcosme en soi. Le fonction de chacun y est clairement définie. Les autres n’ont pas grand-chose à y faire. D’ailleurs, lorsqu’ arrive le préfet, candidat aux élections, tout le monde disparaît et Bacurau devient un village fantôme. Le personnage est grotesque. Son nom déjà, Tony Junior, laisse penser que son père était là avant lui, et la cargaison de livres qu’il fait déverser de la benne à même le sol dit clairement tout le bien qu’il pense de la culture.
Pendant les trente premières minutes, le film possède ainsi une dimension quasi documentaire, parsemé d’à peine quelques touches baroques, dont pourrait presque faire partie la disparition de Bacurau de la carte. Mais celle-ci s’avère, de fait, le premier signe avant-coureur de la tragédie qui vient. Ils ne cesseront de se multiplier jusqu’à l’arrivée du couple de « touristes » blancs où très vite le film va basculer. Le récit change alors de ton, la menace latente laisse brusquement la place à l’horreur. Les images montrent sans détour qu’il n’y pas d’échappatoire et nous sommes brutalement catapultés dans un déchaînement de violence, aussi soudain qu’inexpliqué. Nous sommes aussi tétanisés que les habitants de Bacurau ou que ceux de n’importe quel village de l’Ouest américain à la merci de bandits sanguinaires. C’est là que Bacurau devient un western à part entière. Du western, il possède tous les codes : les grands espaces plus ou moins désertiques, les villageois sans défense face à une bande sans foi ni loi, le règlement de compte au sein de la bande, la fascination pour les armes, le justicier providentiel, etc… Ici les combats sous le soleil sont éclatés sur plusieurs lieux, ce qui donne lieu à un savant montage alterné qui renforce la progression dramatique jusqu’au paroxysme final.
Surtout, Mendonca Filho a eu l’idée d’utiliser les objectifs anamorphiques de Panavision ce qui nous donne instantanément l’impression d’être dans un de ces grands films tournés en Scope, à la grande époque, avec ce grain si particulier. La qualité et la texture des images créent ainsi un décalage un peu déstabilisant pour le spectateur, puisqu’il sait pertinemment que le film est contemporain.
Bacurau est censé se passer « dans quelques années » et se présente comme une fable légèrement futuriste, mais toute la deuxième partie renvoie à une douloureuse réflexion qui remonte à loin et qui est toujours terriblement d’actualité en Amérique du Nord comme du Sud. La fracture raciale au Brésil – souvent chanté pour son métissage – est une réalité tout aussi cruelle ici qu’en Caroline ou en Alabama. La grande habileté du duo de réalisateurs consiste à nous présenter des personnages entièrement crédibles, malgré leur outrance et leur déséquilibre mental. Le danger qui se dégage de leur façon d’être et de parler est palpable dès que nous les découvrons, réunis autour de Michael, le chef indiscuté joué par Udo Kier, particulièrement inquiétant dans le rôle. Confrontés à leur discours ouvertement racialiste, (la scène où l’un des Américains examine à la jumelle les traits des deux Brésiliens assis en face de lui qu’il décrète insuffisamment blancs, est véritablement glaçante), nous sommes malheureusement obligés de nous dire que le trait n’a rien d’excessif et que probablement la réalité dépasse encore la fiction. Nous ne connaissons que trop les discours et surtout les actes des suprématistes et autres forcenés de la pseudo identité raciale. Face à la barbarie, les réalisateurs opposent le savoir faire ancestral et la résistance des habitants. Sans angélisme aucun. Même le personnage qui semble être un chamane, tout nu dans sa serre à s’occuper de ses plantes, sort une espèce de bazooka pour dézinguer les assaillants. Sans parler de Lunga qui sauve certes Bacurau, mais au prix d’une sauvagerie sans le moindre état d’âme. Et lorsque Pacote demande à Teresa si elle ne trouve pas que Lunga exagère, elle répond sobrement « Non« . Car c’est un combat où l’on ne peux pas se permettre de flancher. C’est ce que comprend à sa manière le personnage de Michael. Il n’a que mépris pour ses acolytes qu’il sait incapables d’aller jusqu’au bout et n’hésitera pas à en descendre certains au passage. Surtout, Filho et Dornelles n’oublient pas de faire ressurgir le personnage de Tony, représentant fantoche de l’autorité politique dans une scène entre pathétique et grotesque où se dévoile la collusion entre pouvoir et tueurs.
En cela aussi, les réalisateurs se situent dans la tradition du grand cinéma politique brésilien. Ils ne se contentent pas de se réapproprier les codes du western, ils nous parlent farouchement du Brésil d’aujourd’hui, tout comme le faisait Glauber Rocha il y a 50 ans. Le traitement différencié que les villageois réservent aux ennemis nous montre qu’il savent très bien distinguer entre les responsabilités des uns et des autres. Tony attaché à l’envers sur son âne est parfaitement ridicule. Sa mort certaine, déchiqueté par les épineux du sertao, ne sera pas moins terrible. Mais pour Michael, pas de folklore. Et surtout, pas de quartier. A bon entendeur, salut !
Sur le web
Né en 1968, Kleber Mendonça Filho vit actuellement à Recife au Nord-Est du Brésil où il a passé son enfance. Après ses études, Kleber a été engagé par le Jornal do Commercio. Au cours de sa carrière de journaliste, il écrit occasionnellement pour la Folha de S. Paulo et d’autres publications. Dans les années 1990, Mendonça réalise principalement des documentaires en vidéo et des courts-métrages expérimentaux. Ses films sont produits par CinemaScópio, sa propre société de production. En 2012, il réalise Les bruits de Recife, son premier long-métrage de fiction. En 2016, Aquarius, son second long-métrage est sélectionné en Compétition au Festival de Cannes. Il obtient le Prix du Meilleur film étranger du syndicat français de la critique de cinéma et est nommé pour le César du Meilleur film étranger.
Né à Recife en 1980, Juliano Dornelles est membre fondateur du groupe de création ‘Símio Filmes’. En tant que chef décorateur depuis 16 ans, Juliano a commencé son partenariat avec Kleber Mendonça Filho en 2004 dans le court métrage Electrodoméstica. Il a également été chef décorateur des films Les bruits de Recife et Aquarius. En tant que réalisateur et scénariste, il a réalisé des courts métrages, des clips vidéo et des animations. Son premier long métrage, Ateliê da rua do brum, est en post-production.
Bacurau est co-réalisé par Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles. Il s’agit de la première réalisation de ce dernier qui a été chef décorateur sur les deux premiers longs métrages de Mendonça Filho, Les Bruits de Recife et Aquarius. Bacurau a mis des années à voir le jour : Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles ont écrit le film ensemble pendant des mois, avant même que Les Bruits de Recife et Aquarius ne soient réalisés. « Et Bacurau était toujours là qui changeait et s’améliorait sans cesse. Ce long processus n’a pourtant pas été dramatique, il a pris le temps qu’il lui fallait« , explique Mendonça Filho. Les deux hommes ont eu l’idée de Bacurau en 2009, lors de la présentation du court métrage Recife Frio au Festival de Brasilia. En observant les disparités sociales au Brésil, les deux hommes ont eu envie de dépeindre une catégorie de la population méprisée qui se vengerait de ses oppresseurs. « Nous avons commencé à parler de l’idée d’un film qui se passerait dans un petit village isolé du Sertão, avec une seule rue, et des personnages nonurbains et formidables« , se souvient Mendonça Filho. Il poursuit : « Puis sont arrivés les ovnis, l’idée que le village tire le meilleur parti de très peu de ressources, une atmosphère de western, une certaine douceur propre à cet endroit particulier, mais aussi de la violence graphique, et l’idée de tourner en format panoramique Panavision« .
Bacurau signifie en portugais engoulevent, un oiseau crépusculaire et nocturne qui se camoufle très bien quand il se repose sur une branche d’arbre. Juliano Dornelles dresse le parallèle entre l’animal et le village : « Il ne sera remarqué que s’il a lui-même envie d’apparaître. Le village de Bacurau se porte ainsi, il est intime du noir, il sait se cacher et attendre, et préfère même ne pas être aperçu« . Bacurau se déroule dans un futur proche tout en mêlant l’archaïque et l’hypermoderne. « L’effet spécial le moins cher de tout le film est la phrase « dans quelques années » au tout début. Cela donne le ton en renvoyant au futur, de manière que le spectateur est à la recherche d’artefacts futuristes dans l’image. Il y en a quelques uns, mais très peu« , explique Kleber Mendonça Filho. L’équipe a filmé le Nordeste (zone géographique du Brésil au climat semi-aride dont le nom renvoie à l’idée d’arrière-pays, de zone éloignée et inhabitée) tel qu’il était, en le retouchant à peine : « Aujourd’hui, on y trouve des vêtements et des technologies de masse chinois, des couleurs, une architecture et un accès à l’eau ou à l’internet qui font que cette région échappe à son image traditionnelle et aux clichés vehiculés par certains films et feuilletons télévisés. C’est très agréable de pouvoir montrer cette version moderne du Nordeste […] ».
Bacurau est un mélange des genres, dans lequel on retrouve de la science fiction, du western, du slasher movie et du film de cangaço, un genre typiquement brésilien très lié à l’imaginaire cinématographique du Sertão. Le cangaço a été une forme de banditisme social dans le Nordeste de la fin du XIXe siècle et début du XXe. Dans cette région aride où les inégalités sont fortes, de nombreux hommes et femmes sont devenus des bandits nomades, comme une forme de révolte à la domination des propriétaires terriens et du gouvernement. Le cinéma brésilien des années 1950 et 1960 a beaucoup exploré cette figure.
La musique de Bacurau est signée de deux frères, Mateus Alves et Tomaz Alves Souza. Kleber Mendonça Filho décrit leurs compositions comme un mélange entre le chanteur brésilien Geraldo Vandré, le compositeur de musique de films Jerry Goldsmith et de l’électronique. On entend par ailleurs la musique d’un autre réalisateur dans le film, comme le souligne Mendonça Filho : « Je ne cache pas non plus que ça a été un grand bonheur que de pouvoir payer les droits d’un morceau aussi puissant que Night de John Carpenter, un des cinéastes qui m’ont le plus donné envie de faire des films« .
L’équipe a utilisé des objectifs Panavision anamorphiques américains de la série C (années 1970) afin de donner un aspect industriel inhabituel pour le cinéma brésilien. Kleber Mendonça Filho revient sur ce choix esthétique : « Les distorsions optiques de ces objectifs spéciaux évoquent un souvenir de cinéma très familier (le cinéma américain), mais aussi tout à fait étranger (nous sommes des cinéastes brésiliens qui filment le Nordeste)« .
Le film est présenté en compétition au Festival de Cannes 2019.
« Bacurau est au cinéma ce que sont les grandes fresques, ces murales qui, bien au-delà de Diego Rivera, chantent en couleurs et amples formes partout en Amérique latine les récits épiques des peuples de tout un continent. Il y a ce souffle, cette sensualité, cette explosion d’énergie qui, ailleurs, vibrent sur les murs. Mais sur l’écran, elles sont bien d’aujourd’hui en même temps que saturées de présences mythologiques et historiques. Avec une énergie à la fois furieuse et tendre, amusée souvent, Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles entraînent dans une sarabande endiablée, dont on voit bien à quelles sources elle emprunte. Le Manifeste anthropophage et ses suites, mais surtout le lyrisme de «l’Esthétique de la faim» de Glauber Rocha, et tout particulièrement l’incandescence de ce sommet du cinéma novo des années 1960 que fut Antonio das Mortes bouillonnent à Bacurau. Mais ce village qui a soudain disparu de Google Maps se situe bien dans le monde d’aujourd’hui, celui des réseaux sociaux et de Bolsonaro. Le gouvernement de celui-ci a d’ailleurs entrepris des représailles contre les salles qui montrent le film, que son Prix du jury à Cannes n’aura pas suffi à protéger de la vindicte des autorités…
Bacurau était supposé se passer dans un futur proche. Avec l’arrivée au pouvoir à Brasília d’un fasciste, ce futur est devenu terriblement présent. Si, avec ses motards bariolés, ses guerriers fantômes, ses rituels cyber-païens et ses nerds flingueurs high-tech, le film ne prétend à aucun réalisme stricto sensu, il n’en évoque pas moins une réalité qui menace de devenir des plus actuelles, fût-ce sous des formes moins spectaculaires. Évoquant l’écriture au long cours du scénario, Dornelles dit: «Nous avons eu affaire à une sorte de course contre la réalité tout au long du processus d’écriture du scénario. Les nouvelles que nous lisions tous les jours étaient (et sont toujours) si absurdes et dystopiques que Bacurau gagnait de plus en plus de vraisemblance, ce qui au début n’était pas vraiment important pour nous. Mais cela se produisait et se produit toujours: le Brésil et le monde entier nous fournissent des “teasers” hebdomadaires du film.» Habité par une multitude de personnages à tous égards hauts en couleurs et en diversité, tourné en format extra-large à la manière des blockbusters hollywoodiens, Bacurau vibre et enchante comme un western du Sertão où flotterait parfois l’esprit de Miyazaki en même temps qu’une fable au présent. Et, dans la ville invisible de la résistance à l’oppression, offre un grand bonheur de spectateur. » (slate.fr)
« À la différence des films urbains Les bruits de Recife et Aquarius, l’action de Bacurau, nom d’un oiseau de nuit mais aussi du village où est situé le film, se déroule en plein sertão, une région aride au centre du nord-este brésilien. Loin d’être anodin, ce choix rend possibles plusieurs niveaux d’interprétation, car le sertão a inspiré au fil des générations l’imaginaire littéraire, musical, pictural, cinématographique, en tant qu’espace privilégié de construction de la «brésilianité». Dans de nombreuses productions artistiques, l’espace du sertão s’est construit en opposition à celui du littoral, créant une dichotomie entre ces deux espaces caractérisés par des ordres sociaux fondés sur des pôles opposés, tels que monarchie/république, barbarie/civilisation, inertie/mouvement, ou archaïsme/modernité. La dualité sertão/littoral est cependant ambiguë: si le sertão a constitué le socle imaginaire de la nation brésilienne, il a été également identifié à une forme de résistance à la modernité et à la «civilisation», tandis que le littoral «civilisé» s’est inscrit comme une reproduction de la culture européenne, non authentique, une antithèse de la nation brésilienne. Comme dans les deux films précédents, les réalisateurs continuent à utiliser dans Bacurau des images survivantes de l’histoire brésilienne, notamment celles liées directement au sertão, comme la Guerre de Canudos et le cangaço. À la fin du XIXe siècle, le village de Canudos, à l’intérieur de l’État de Bahia, entre en résistance puis en conflit ouvert avec les pouvoirs oligarchiques locaux et le nouveau régime républicain brésilien; la guerre qui en résulte aboutit, en 1897, à l’anéantissement total de Canudos et à la mort de la plupart de ses habitants. Dans Bacurau, le village est menacé par un groupe d’États-Uniens participant à un jeu de «chasse à l’homme», avec le soutien d’un couple de Brésiliens du sud du pays: le film renvoie ainsi à la représentation méprisante de la population du nord-este chez une partie des habitants du Sud du pays, à l’origine de discours péjoratifs repris maintes fois par Bolsonaro. Pour sa part, le cangaço a été une forme de banditisme actif dans le nord-este entre le XIXe et le XXe siècles. L’historien Eric Hobsbawm y voit une sorte de banditisme social, car si ces bandes nomades vivaient de vol et de pillage, elles étaient bel et bien le fruit d’inégalités sociales imposées par les propriétaires terriens et le gouvernement brésilien.
Dans le film de Dornelles et Mendonça, les habitants de Bacurau sont très attachés à leur musée, qui retrace l’histoire du sertão, et notamment de ces cangaçeiros, avec leurs armes, des photos et des outils – ce musée sera l’un des principaux lieux de la bataille finale du film. En revanche, comme dans Les bruits de Recife et Aquarius, ces images survivantes sont réactualisées et servent à problématiser et renforcer la palette des interprétations possibles de Bacurau. Le cangaçeiro est une figure récurrente dans l’histoire cinématographique brésilienne: bandit dans O Cangaçeiro (1953) de Lima Barreto, révolutionnaire dans Le Dieu noir et le diable blond (1964) de Glauber Rocha, figure de la contre-culture dans Le Bal parfumé (1997) de Paulo Caldas et Lírio Ferreira. Dans Bacurau, la figure du cangaçeiro est incarnée par le personnage de Lunga, un bandit qui vit en marge du village et qui revient pour le défendre, et dont la figure est une représentation hybride entre androgyne/queer et personnage à la Mad Max. » (theconversation.com)
« Délibérément lent, imprimant un rythme lancinant, étirant le temps afin de faire naître la tension ou le malaise, le long-métrage fonctionne à l’économie. Il nous renvoie à l’ombre tutélaire de Sergio Leone, jouant avec la patience du spectateur avant de le récompenser au détour de montées d’adrénaline jouissives et estomaquantes… Si Aquarius était un film sur une héroïne se battant seule contre tous, Bacurau renvoie aux Bruits de Recife par son caractère choral et sa multiplication de personnage. De ce barde, accompagnant chaque événement à la guitare, à ces figures de hors-la-loi vénérées au travers de vidéos Youtube racoleuses, montées et bruitées, tout l’univers tend à renvoyer aux mythes des bâtisseurs du Far West. En premier lieu, sa loi du Talion et sa vénération des armes à feu, imagerie également au centre des spots de propagande, bien réels ceux-là, de l’actuel président Brésilien. Le musée placé au milieu du village, lieu au sein duquel aura lieu une scène décisive, symbolise à lui seul cette vision inéluctable de la violence comme élément fondateur de la société brésilienne, et de toute civilisation en général. Les murs du bâtiment sont ornés de photos de cadavres décapités, d’armes à feu, jusqu’à une trace de main ensanglantée, témoin des événements passés et conservée comme une relique. Une vraie brutalité sociale transparaît également, le personnage de préfet en étant le reflet le plus palpable…Loin de singer les gimmicks et lieux communs des genres qu’ils abordent, les réalisateurs en saisissent au contraire toute leur essence subversive. Il se nourrissent de tout un pan du cinéma d’exploitation allant de la SF paranoïaque des 50’s (le générique d’introduction et ses cartons, les drones au design kitsch de soucoupes volantes) à l’anticipation des années 80, John Carpenter en tête (le look du hors la loi Lunga évoquant New York 1997)…Si son approche frontalement estampillée «film de genre» (de genres devrait-on dire) peut lui donner une dimension plus mineure que les films précédents de Mendoça Filho, Bacurau n’en demeure pas moins riche et engagé. Pur plaisir de cinéma, de cinéastes et de cinéphiles, il se fait le pertinent témoin de l’évolution d’une société Brésilienne en plein bouleversement, pour ne pas dire au bord de l’implosion. (culturopoing.com)
ANTONIO DAS MORTES
Antonio das Mortes est un ancien tueur de Cangaceiros. Le colonel Horacio, riche propriétaire terrien, le convoque pour se débarrasser de Coirana, un pauvre agitateur qui se prend pour un grand Cangaceiro… Coirana dirige un groupe de paysans mystiques en compagnie d’un noir nostalgique de l’Afrique et d’une « Sainte » locale. Antonio arrive au village et provoque en duel Coirana. La foule chante et danse en entourant les deux hommes engagés dans une lutte à mort. D’un coup de machette, Antonio blesse grièvement son adversaire. Cependant, il ne savoure guère sa victoire. Il boit tristement tandis que l’instituteur du village le nargue. Lorsque le colonel Horacio fait appel aux jaguncos, cruels tueurs à gages, afin de massacrer les beatos, Antonio comprend que la justice devrait être du côté des déshérités et change de camp…
«Etre cinéaste au Brésil signifie rester dans l’antichambre de la grande expérience et, pour cela, en deçà même du climax qui rendrait possible une frustration vécue comme résultat organique. Notre frustration est primaire, superficielle. Elle résulte plutôt d’une ambition économique et sociale antérieure. On ne mentirait pas en disant que le cinéaste brésilien est un homme toujours sur le chemin de l’inutilité. Sa lutte quotidienne avec les sous systèmes de production lui prend tout son temps. Il quitte des emplois pour la loterie. Il lui reste peu de temps pour lire. Il régresse culturellement et dérive le plus souvent vers une position de gauche ou alors se convertit en antinationaliste extrêmement réactionnaire, accusant même le paysage d’être le responsable de ses échecs. Il n’a pas le courage de se regarder dans le miroir et de voir que le goudron des métropoles est un pseudo-développement et que, au fond, nous sommes plus ou moins ce que l’Européen pense de nous : des Indiens en cravate et costume. Alors, je demande humblement : nous, les pauvres cinéastes brésiliens, ne pourrions-nous pas purger nos ambitions de leurs péchés ? Ne pourrions-nous pas retourner à cette ancienne condition d’artisan obscur et chercher, avec nos misérables caméras et le peu de mètres de film dont nous disposons, cette écriture mystérieuse et fascinante du vrai cinéma qui reste oublié ? Je ne saurais même pas préciser quel est ce cinéma, quelle est cette vérité. Cette proposition, qui ne se prétend pas un manifeste et n’est peut-être qu’une interrogation personnelle formulée publiquement, cette proposition pourra paraître romantique, voire même imbécile. Je crois, pourtant, que le cinéma n’existera que lorsque le cinéaste se réduira à la condition de poète et, purifié, exercera son métier avec sérieux et sacrifice. Mais, d’autre part, le cinéma se dresse comme le plus grand instrument d’idées de l’univers. La désertion des cinéastes serait-elle juste si, même esclaves, ils parlent parfois si fort ? Nous sommes, à coups sûr, dans un cercle vicieux. Le cinéma est un art profane. Le futur seul, avec la destruction ou l’enracinement de cette phase initiale, pourra répondre. Entre temps, entre production & angoisse, les cinéastes concèdent ou disent non.» (Extrait de «O processo cinema» («Le processus cinéma») de Glauber Rocha, traduit du portugais par Mateus Araujo Silva).
Notre article
par Vincent Jourdan de Regard Indépendant
Les bouleversements du cinéma au tournant des années soixante ne se limitent pas à la Nouvelle Vague française, même si elle a pris avec le temps valeur de symbole. Il s’agit d’un mouvement plus universel, plus puissant, qui remet en cause l’ordre cinématographique établi, parfois de manière radicale. Divers, il se revendique en phase avec son époque, désireux d’accompagner d’autres mouvements, politiques, sociaux, voire révolutionnaires. Iconoclaste, il s’attaque à la forme comme au fond et noue à l’occasion des échanges étonnants avec certaines formes de cinéma populaire négligées ou méprisées. C’est le cinéma de Nagisa Ōshima, Kôji Wakamatsu et des jeunes cinéastes en colère au Japon, c’est le « Free Cinema » anglais de Tony Richardson ou Lindsay Anderson, C’est John Cassavetes en Amérique, Pier Paolo Pasolini en Italie, la naissance du cinéma noir africain avec Ousmane Sembene ou les jeunes cinémas venus de Pologne et de Tchécoslovaquie.
Au Brésil, ce sera le « Cinema Novo« , sous l’influence du néo-réalisme italien, dont l’une des figures marquantes est Glauber Rocha. Né dans l’état de Bahia, il réalise son premier long métrage en 1962 avec Barravento. En 1964, il met en scène la figure mythique du Cangaceiro dans son second film, Le Dieu noir et le Diable blond (Deus E o Diabo na Terra do Sol) au titre programmatique. Le film est présenté au festival de Cannes et lui apporte une reconnaissance internationale. Le Cangaceiro est une sorte de bandit d’honneur entre Jesse James et Robin des Bois, sévissant dans la région difficile du Sertao, province pauvre du Nordeste. Les bandes (Cangacao), armées et violentes, prospèrent autour d’une non moins violente lutte sociale entre paysans pauvres et grands propriétaires appuyés par le gouvernement. Le dernier grand « bandit social » meurt en 1940, mais avec leur dégaine clinquante, chapeaux à larges bords, médailles, cartouchières et vêtements de cuir, les Cangaceiros vont donner naissance à tout un folklore décliné en contes, livres, brochures, chansons, et films souvent influencés par le western américain. En 1953, O Cangaceiro de Lima Baretto est un immense succès du cinéma brésilien. Il est présenté à Cannes et sa chanson « Olêmuié rendeira » fera le tour du monde. Glauber Rocha reprend ce folklore avec une visée politique. La lutte mise en avant est une lutte des classes qui entend résonner avec la situation contemporaine du Brésil (le 31 mars 1964 a lieu le coup d’état militaire) comme avec d’autres luttes, de Cuba à l’Algérie. Dans le film de 1964 apparaît un personnage secondaire, Antonio Das Mortes, chasseur de Cangaceiro au service des puissants. Incarné par l’acteur Mauricio do Valle, ce personnage sera au centre de Antonio Das Mortes (O Dragao da Maldade contra o Santo Guerreiro) où ce mercenaire va prendre conscience du rôle qu’on lui fait jouer et prendre le relais du chef Cangaceiro qu’il a tué en combat singulier. Film d’aventure et film politique, l’oeuvre de Rocha reprend un schéma travaillé par le western italien « révolutionnaire » illustré par Damiano Damiani, Sergio Corbucci ou Carlo Lizzani qui faisait jouer à Pasolini en personne un prêtre engagé. De la révolution esthétique du genre transalpin, Rocha reprend certains codes, des cadres baroques, des situations exacerbées et une facon de dilater le temps. Le montage très découpé des fusillades est bien contemporain de celui de El Mercenario (Il mercenario, 1968) de Corbucci.
Question de style, son Antonio vêtu de sombre avec son long manteau noir rappelle Sartana comme les tueurs de Sergio Leone, et Lorival Pariz, dans le rôle du bandit Coirana, fait penser à Tomas Milian avec ses cartouchières et son sombrero. Rocha réinvestit le folklore des Cangaceiros avec les codes d’un genre populaire qui s’exporte très bien dans ce que l’on nomme alors le Tiers Monde. Mais il apporte d’autres dimensions qui lui sont propres et font de ce film un objet d’exception. Le titre original, Le dragon du Mal contre le saint guerrier est une référence à l’histoire de Saint Georges et du Dragon, apportant au film une forte dimension mystique et religieuse. Les paysans pauvres sont menés par Dona Santa, « la femme sainte » qui s’est alliée à Coirana dans ce qui apparaît comme une véritable croisade contre l’injustice. Le film se situe en 1945 et fait référence au plus fameux des Cangaceiros, Lampiao, tué en 1938. Et c’est pour le venger et reprendre son combat que Dona Santa et Coirana lèvent les paysans. Un autre personnage, un ancien esclave noir, prend une valeur de symbole au temps des émeutes américaines de Watts et Détroit. Cette dimension mystique est mélangée à une poésie surréaliste que l’on retrouve chez Arrabal ou dans El Topo (1970) d’Alejandro Jodorowsky dont le héros a la même allure qu’Antonio Das Mortes. Rocha a des compositions qui mettent en valeur le peuple, le groupe, dans des rituels qui, outre leur beauté plastique, évoquent l’opéra (la musique, en partie folklorique, est très présente dans le film) et donnent au film une sorte de distanciation accentuée par la théâtralité des cadres (voir le long plan séquence du duel stylisé entre Antonio et Coirana devant la foule) et la déclamation de certains dialogues. Et par effet de contraste, l’héritage néoréaliste se manifeste dans la qualité documentaire du tournage effectué sur les lieux de l’action, avec le concours des populations locales et d’acteurs non professionnels. Beau, violent, d’un érotisme trouble, halluciné parfois, lyrique, Antonio Das Mortes est fascinant et reste un film majeur du cinéma brésilien. Malgré la dictature, le film représentera le Brésil au Festival de Cannes en 1969 où il obtiendra le prix de la mise en scène.
Comme un hommage, la même année, l’Italien Giovanni Fago met en scène au Brésil O’ Cangaceiro avec Tomas Milan, remake du film de Lima Baretto, mais qui doit beaucoup aux films de Glauber Rocha qui quittera son pays en 1971.
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«…L’ambition première de Glauber Rocha, qui postulait le cinéma comme “une interrogation personnelle formulée publiquement”, était la représentation de la domination, du populaire, selon un engagement fougueux : « Le cinéma politique ne veut rien dire s’il est produit par le moralisme, l’anarchie, l’opportunisme. Seul un misérable comme moi pourrait dire que l’art a un sens pour les misérables, et c’est pourquoi je n’ai pas honte de dire que mes films sont produits par la douleur, par la haine, par un amour frustré impossible, par l’incohérence du sous-développement. ». Au niveau le plus immédiatement perceptible, l’importance accordée aux chants et aux danses est la principale manifestation de cette volonté. Né de cette rage, Antonio das Mortes se déploie au croisement de trois dynamiques, dans un désordre savamment ordonné : tension entre réalité synchrone de cette région du Brésil et fantaisie mystique du passé, questionnement sur la possibilité de représenter une culture, un folklore, et imagerie empruntée au cinéma de genre. Si des coups de feu et des cris d’agonie se font entendre dès les cartons du générique, avant que n’apparaisse le premier plan, plaçant ainsi le film sous l’imagerie du western (que viendra ensuite corroborer la stylisation du personnage éponyme), c’est ensuite en opéra baroque que va évoluer Antonios das Mortes, dans une multitude de paradoxes : lyrisme et violence, complaintes et combats, sauvagerie et dimension baroque faisant parfois place à un vrai souci d’épure. Antonio, s’il agit au nom de ses conceptions personnelles et contradictoires de la Justice, pourrait apparaître comme un personnage lâche et opportuniste. Mais c’est cependant en changeant de camp, en “retournant sa veste”, qu’il prouve sa vaillance. Il met son adresse, sa force et son courage au service d’un peuple malheureux, symbolisé par son alliance avec l’instituteur, le noir et la “sainte”. Son statut de héros populaire se retourne alors positivement, vers la révolution, grâce à une prise de conscience politique. Le dernier plan, outre qu’il en fait définitivement une figure de cowboy solitaire, en errance sur les routes, conclue un aller-retour et passé et présent, et donne à voir une ligne de fuite symbolisant l’entame d’une quête de sens ; une sorte d’apaisement après le chaos.» (Nicolas Thévenin)
Les années soixante, riches en bouleversements et fertiles pour le cinéma, voient exploser un courant de cinéastes novateurs au Brésil. Ces artistes, en inventant les images de leur histoire et de leur culture pour les propulser à la face du monde, révèlent un art nouveau. De tous, le plus spontanément reconnu pour son talent fut sans aucun doute Glauber Rocha. En 1964, Le dieu noir et le diable blond est ovationné au Festival de Cannes. En 1967, Terre en transe et en 1969, Antonio das Mortes, remporteront le prix de la mise en scène. La jeunesse du monde entier, au son de la musique et des chansons du Brésil, reconnaissait dans le Sertao, l’espace des luttes de libération du tiers monde et celles des Cangaceiros, les nouveaux héros des peuples opprimés. Travaillant avec de petits budgets, les cinéastes du Cinema Novo s’intéressent aux problématiques de la pauvreté, et tournent principalement dans les bidonvilles ou dans la région du Sertao. Le Cinema Novo constitue l’un des principaux mouvements de décolonisation de la culture brésilienne et l’affirmation culturelle du cinéma brésilien. Plusieurs films sont emblématiques de ce mouvement: La parole donnée d’Anselmo Duarte, Le dieu noir et le diable blond de Glauber Rocha et Vidas Secas de Nelson Dos Santos. Glauber Rocha devient le chef de file charismatique du mouvement dont il contribue à porter les revendications sociales et politiques. A partir de 1968, lorsque les militaires durcissent leur régime, le cinéma brésilien entre dans une phase de récession artistique et de productions commerciales qui durera jusqu’à la fin des années 1970.
Antonio das Mortes s’intéresse au phénomène des bandes armées : les cangaceiros, qui au XIXème siècle parcouraient la région semi-aride du Nordeste brésilien. D’abord cantonné aux poètes populaires nordestinos, ce phénomène dépassa progressivement ce cadre étroit. Ils sont vus comme les nouveaux héros des cultes opprimés, comme un symbole de liberté et d’identité nationale. Le cangaceiro s’inscrit parmi les éléments symboliques de la « brésilianité« . La représentation idéalisée qui en est faite se répandra dans les milieux intellectuels de l’époque.
…Glauber Rocha fut l’enfant terrible du cinéma brésilien, le mythe le plus respecté du Cinema Novo et son porte-parole infatigable. C’est la parabole qui caractérise l’aspect expérimental, délirant et moderne de son oeuvre, parabole par laquelle il essaya de résoudre ses problèmes idéologiques et ses équivoques. Forces de mort de l’ordre décadent, de l’impérialisme du côté des oppresseurs et forces de vie, régénération, nouvelle étape historique, dignité à la recherche de force politique chez les opprimés. Reconnaissant Eisenstein, Buñuel, et Welles comme ses maîtres, Glauber Rocha créa pour cela son cinéma d’auteur et inventa son propre langage intégrant scènes documentaires à une expression de plus en plus baroque et opératique.
Toujours incompris et marginal dans son pays, Rocha ne connut jamais de succès commercial et fut même rejeté par certains critiques et intellectuels.
« Né le 14 mars 1938, à Vitoria da Conquista, dans le sertao da Bahia, son éducation est religieuse, sa mère étant une presbytérienne pratiquante. Au lycée, il fait du théâtre ; puis s’inscrit en droit à l’université de Bahia, où il restera pendant trois ans. Il est encore adolescent lorsqu’il part à Salvador, abandonne des études de droit pour devenir journaliste. Journaliste au « Jornal da Bahia », il prend rapidement la tête du supplément littéraire. A l’âge de vingt ans, il utilise des rushes de Redençao de Roberto Pires pour monter son premier court métrage 0 Patio (1959), essai d’avant-garde sifflé par le public mais salué comme » une expérience riche, onirique et surréaliste » par un critique. Il se tourne vers le cinéma d’abord vers la production, puis vers la réalisation. A l’origine seulement producteur du film Barravento (1962), il prend finalement la tête du projet en tant que réalisateur, remplaçant au pied levé Luis Paufino. Le film fait bonne impression dans plusieurs festivals internationaux, et sera remarqué par Alberto Moravia en Italie.
En 1963, Glauber Rocha publie « Révision critique du cinéma brésilien« , vrai manifeste du Cinema Novo où il affirme que la culture brésilienne est précaire et marginale, où il détruit les mythes et propose un nouveau cinéma. Pour lui, il suffit « d’une idée dans la tête et d’une caméra à la main« . Il théorisera ensuite sa pensée dans deux écrits célèbres : L’esthétique de la faim (1965) et L’aventure de la création (1968), reproduits en langue française dans le numéro 340 de « La revue du Cinéma Image et Son« .
Le dieu noir et le diable blond (1964), opéra épique baroque conduit par la musique de Villa-Lobos, primé au Festival du Cinéma Libre de Porreta en Italie, lance Glauber Rocha à travers le monde. Il imagine ensuite la représentation allégorique d’un coup d’État en Amérique Latine, similaire à celui du Brésil en 1964, dans Terre en transe (1967), ce qui lui crée des problèmes avec la censure. Fresque de la perplexité nationale, le film fut sifflé par le public mais obtint le prix Luis Buñuel au Festival de Cannes.
Cancer fut conçu en 1968, au moment le plus intense de l’agitation politique, de la mobilisation populaire contre le régime militaire. Entièrement improvisé en quatre jours, le film n’a pas d’intrigue et montre trois personnages qui discutent de la violence psychologique, sexuelle et raciale en vingt-sept plans-séquences. Antonio das Mortes (1969) constitue le sommet de la consécration mondiale de Rocha car le sujet créa polémique et lui vaut le prix de la mise en scène à Cannes. Portrait de l’injustice et de l’immoralité du pays, le film se fait remarquer pour son rythme lent et pour sa violence roccoco.
est alors le chef de fille du Cinema Novo qui poursuit les ambitions et les désirs révolutionnaires des nouvelles vagues française (Jean-Luc Godard, François Truffaut, Eric Rohmer…), italienne (Pier Paolo Pasolini), allemande (R. W.Fassbinder), japonaise (Nagisa Oshima, Shohei Imamura…), tchèque (Milos Forman, Vera Simkova,..), polonaise (Roman Polanski, Jerzy Skolimowki, …) ou encore le “free cinema” anglais (Lindsay Anderson..) de la même période.
Tous ces courants sont passionnément animés par la volonté de faire rupture avec les conventions narratives et esthétiques du cinéma classique, et de politiser les films en les décloisonnant notamment des schémas habituels de production. Dans ce contexte, l’ambition première de Glauber Rocha, qui postulait le cinéma comme “une interrogation personnelle formulée publiquement”, était la représentation de la domination, du populaire, selon un engagement fougueux : « Le cinéma politique ne veut rien dire s’il est produit par le moralisme, l’anarchie, l’opportunisme. Seul un misérable comme moi pourrait dire que l’art a un sens pour les misérables, et c’est pourquoi je n’ai pas honte de dire que mes films sont produits par la douleur, par la haine, par un amour frustré impossible, par l’incohérence du sous-développement. » Ce cinéma authentiquement révolutionnaire, en lutte contre l’axe tout-puissant Hollywood-Cinecittà-Mosfilm, puise ainsi sa force et sa matière dans l’histoire et la culture populaire du Brésil avec une grande importance accordée aux chants et aux danses.
Rocha, journaliste, critique de cinéma, réalisateur, penseur, écrivain, agitateur culturel, polémique, controversé, est alors très célèbre partout en Europe et notamment en France, à la suite des événements de Mai 1968. Jean-Luc Godard l’invite à jouer dans son film Vent d’Est (1970) où il tient son propre rôle, celui d’un réalisateur impliqué politiquement pour l’Amérique Latine, et prônant une vision révolutionnaire et utopique du cinéma et de la politique d’Amérique Latine. Il joue dans O Rei dos Millagres de Joel Bercellos et Gianni Barcelloni.
Face à une situation politique brimant la liberté d’expression, Rocha s’exile ainsi ,devenant un metteur en scène tricontinental, tournant des films provocateurs, des sujets qui cherchaient toujours à analyser le colonialisme dans les pays sous-développés. Au Congo, il prépare Le lion a sept têtes (1970) au titre en cinq langues (Der leone have sept cabeças). Cette allégorie sur la libération encore à venir de l’Afrique, le renversement de l’impérialisme par le peuple armé du Tiers Monde est remuée par le bruit et la fureur du colonialisme, par l’humour, par un Jean-Pierre Léaud halluciné. En Espagne, et tourne Têtes coupées (1970), une métaphore bizarre sur le pouvoir et les cultures hispanoaméricaines. En Italie, il réalise Claro (1975), film sans scénario, improvisé du début à la fin, où il mêle les acteurs aux gens de la rue dans une Rome impériale et chrétienne, dénonçant le capitalisme et le néo-colonialisme. Le film est conçu avec la lumineuse Juliet Berto, improvisant avec Glauber, dans les années où ils vécurent ensemble à Rome, ensoleillée comme le Brésil.
En 1977, après un séjour aux Etats-Unis, il commence à tourner L’âge de la terre. En 1978, Glauber Rocha est candidat aux élections pour l’Etat de Bahia. La même année, il a un fils, Eryk Rocha, qui deviendra lui aussi réalisateur. L’âge de la terre, une version personnelle et kaléidoscopique du Brésil contemporain et de son évolution, traversée par un certain nombre d’archétypes qui habitaient déjà ses films précédents, est présenté au Festival International de Venise en 1980. Mais il déplaît à la critique ; Rocha fait un scandale, accuse Louis Malle qui reçoit le Lion d’Or pour Atlantic City, d’être un fasciste et un réalisateur de second plan ; il s’en prend aux directeurs du festival qui favoriserait selon lui le cinéma commercial.
Incompris, incohérent, haï, isolé, tourmenté, Glauber Rocha se perd dans son chemin plein de dégoûts, d’errances, de drogues, d’alcools, de prostituées. En 1981, alors qu’il est toujours en Europe, ses problèmes de santé deviennent de plus en plus graves et il est rapatrié à Rio de Janeiro. Quelques mois plus tard, ce poète marginal disparaît prématurément à 42 ans, le 22 août 1981. (cineclubdecaen.com)
Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri et Vincent Jourdan de Regard Indépendant.
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