Dimanche 28 février 2010 à 20h30 – 8ième Festival
Film documentaire de Serge Bromberg et Ruxandra Medrea – France – 2009 – 1h42
En 1964, Henri-Georges Clouzot choisit Romy Schneider, 26 ans, et Serge Reggiani, 42 ans, pour être les vedettes de L’Enfer. Un projet énigmatique et insolite, un budget illimité, un film qui devait être un « événement » cinématographique à sa sortie. Mais après 3 semaines de tournage, le drame. Le projet est interrompu, et les images que l’on disait « incroyables » ne seront jamais dévoilées. Ces images, oubliées depuis un demi-siècle, ont été retrouvées et elles sont plus époustouflantes que la légende l’avait prédit. Elles racontent un film unique, la folie et la jalousie filmées en caméra subjective, l’histoire d’un tournage maudit et celle d’Henri-Georges Clouzot qui avait laissé libre cours à son génie de cinéaste. Jamais Romy n’a été aussi belle et hypnotique. Jamais un auteur n’aura été aussi proche et fusionnel avec le héros qu’il a inventé. Serge Bromberg et Ruxandra Medrea réussissent ici une « recomposition » de l’oeuvre disparue, créant un nouveau film qui raconte l’histoire de ce naufrage magnifique et qui permet au projet d’exister enfin.
Notre critique
Par Hervé Goitschel
Les tournages de L’Enfer
La rencontre fortuite, dans un ascenseur en panne, de Serge Bromberg avec la veuve de Henri-Georges Clouzot, Inès de Gonzalez deuxième épouse du cinéaste, donnera à celui-ci l’idée de la création du film que vous présentons en clôture du Festival. L’histoire ne dit pas s’ils montaient ou descendaient. Personnellement je préférerais la montée, ne serait-ce que symboliquement, car cette rencontre a permis d’exhumer l’œuvre défunte et de porter au grand jour les 185 bobines. Nos deux réalisateurs iront, au delà des quinze heures de film tournées puisqu’ils en extrairont des séquences, rechercheront des témoins de l’époque du tournage : assistants de réalisations comme Costa Gavras et Bernard Stora, script et techniciens et inséreront des dialogues extraits de cinq scènes du scénario et récités par deux acteurs contemporains, Bérénice Béjo et Jacques Gamblin. Ce travail participera d’une plus grande continuité narrative du film. Il faut en effet savoir que si les images étaient dans un excellent état de conservation, cela n’était pas le cas de l’enregistrement des dialogues qui, eux, avaient tout bonnement disparus.
Le film d’Henri-Georges Clouzot
Nous sommes au début des années soixante et Clouzot est l’un des cinéastes français les plus respectés de part son œuvre. Il obtient de La Columbia un budget illimité et les pleins pouvoirs. Le sujet du film sera La Jalousie. Il cherchera alors une idée de réalisation en adéquation avec l’époque, une forme nouvelle, techniquement parlant, mais il ne souhaite pas se rapprocher des cinéastes de la Nouvelle Vague. Il va donc entamer des recherches techniques tant sonores que visuelles et s’attachera les services de Gilbert Amy et Jean –Louis Ducarme, en relation avec Boulez, Xenakis et Stockhausen. La bande son sera le fruit de ces rencontres. La partie visuelle reposera sur des procédés photographiques, des recherches cinétiques et chromatiques, car le tournage s’effectuera à la fois en couleurs et en noir et blanc. Ses idées de mélanger le cinéma traditionnel et expérimental auront pour effets de créer une machine infernale qui l’engloutira progressivement car il sera alors incapable de par son état psychique, son manque de lucidité et de créativité, de mener à bien son projet avec lequel il sombrera.
Lors d’une croisière en Méditerranée sur le yacht de Sam Spiegel, producteur d’origine polonaise, avec qui Clouzot avait travaillé en Allemagne, Sam réserve une surprise de taille à Clouzot en lui présentant la fille de Magda Schneider, Romy Schneider. Clouzot est immédiatement touché par cette jeune fille qui semble éprouver le même désarroi que lui face aux mystères de l’amour. Romy déclara : « Les choses ont pris, avec lui, un tour comparable à ce qui s’est passé avec Visconti. Du jour au lendemain et sans qu’y paraisse la moindre trace d’érotisme, je me suis éprise de cet intellectuel au tempérament autoritaire et provocateur, capable de conduire un acteur aux limites de ses performances. »
L’enfer des tournages
Le tournage de L’Enfer s’effectuera en deux temps puisqu’une fois le scénario bouclé Clouzot commencera à faire des essais, de nombreux essais, au total cent quatre-vingt. Romy sera la vedette lors du tournage à huis-clos dans les studios de Billancourt avec la participation ponctuelle de Serge Reggiani. Paillettes, huile d’olive et peinture seront utilisés sur le corps et le visage de l’actrice pour réaliser ces effets révolution-naires et donner l’image d’un désordre mental. Clouzot veut en effet que la forme soit indissociable du fond. Il travaille également sur le dialogue en demandant à Serge Reggiani de parler à l’envers mais, non content du résultat, il modifiera le son de sa voix. Puis, le tournage s’effectuant en anglais, il reprochera à Romy son accent autrichien et souhaite qu’elle ait le même accent que Serge.
Nous sommes en juin, Clouzot subit un choc affectif en apprenant le décès de Suzanne, sa mère, et des ennuis de santé viendront ensuite le perturber. Le tournage en extérieur doit commencer début juillet. C’est dans le Cantal, à Gabarit, au bord d’un lac, que vont s’effectuer les scènes d’extérieurs. L’utilisation de lentilles et les effets de maquillages lors de ces extérieurs venaient compléter le travail réalisé en studio afin de provoquer une vision fantasmagorique de la jalousie. Il fait une très forte chaleur et toute l’équipe du film souffre de ces conditions climatiques. Clouzot a à sa disposition trois équipes de tournage au complet, toujours prêtes mais n’en utilisera qu’une. S’installe ensuite une période mauvais temps qui contraint l’équipe à accélérer le tournage car l’E.D.F souhaite vider le barrage. Une santé chancelante et l’ensemble des contrariétés techniques perturbent le réalisateur qui se laissera emporter par un tourbillon, une spirale infernale. Il perdra le fil de l’histoire et tournera sans cesse les mêmes scènes jusqu’à l’épuisement de toute l’équipe. Dans ces conditions, le tournage qui devait s’étaler sur plusieurs semaines n’excédera pas quinze jours.
Au milieu de tout ce chaos, on peut découvrir sur les images une Romy solaire comme rarement il a été permis de la voir. A l’inverse, Serge n’en peut plus, il est à l’image de son personnage, usé physiquement et psychologiquement, et ce sont ces raisons qui le feront abandonner le tournage et non pas, comme il fut évoqué, une fièvre de Malte provoquée par la consommation d’un fromage corse qu’il s’était fait expédier (du fromage de brebis dans la croix de Malte, rouage essentiel au bon fonctionnement d’un projecteur, c’est à croire que le film ne devait pas voir le jour) les techniciens et projectionnistes apprécieront. Pour remplacer Serge Reggiani, il sera fait appel à Jean Louis Trintignant mais celui-ci n’effectuera aucune prise, et l’infarctus d’Henri-Georges Clouzot parachèvera cette descente aux enfers. Nul ne sait ce qu’aurait pu être le film mais peu importe car ce qui nous est donné à voir remplit les fonctions premières du cinéma : hypnotiser et rêver.
Sur le web
Serge Bromberg explique comment il a souhaité représenter à l’écran ce film perdu: « Notre volonté est de faire revivre l’histoire que Clouzot voulait raconter et dans la mesure du possible, la faire vivre au spectateur. Pour cela, Jacques Gamblin et Bérénice Bejo jouent quelques scènes du scénario original de Clouzot pour faire le lien dans notre narration. Ils reprennent les rôles respectifs de Serge Reggiani et Romy Schneider . L‘histoire se construit et se déroule sous nos yeux, les images se font de plus en plus hypnotiques. Le mystère est là, tout entier. Il s’offre à nous et se dérobe à la fois. Nous voyons ce que Clouzot avait vu. Nous sommes au coeur de la création, qui n’a ni logique ni explication. Il n’est ici affaire que de beauté. »
Afin de redonner vie à ce film qui n’a jamais vu le jour, les réalisateurs ont dû faire plusieurs recherches et rencontrer les anciens collaborateur de Henri-Georges Clouzot: « Nous avons retrouvé les techniciens et acteurs qui ont participé au tournage de 1964. Parmi eux Costa-Gavras, assistant réalisation à la préparation, Catherine Allegret dont c’était le premier rôle, William Lubtchansky, alors assistant opérateur, Bernard Stora, stagiaire réalisation. Ils ont accepté de témoigner de cette folle aventure, tant sur le plan humain que professionnel. Nous avons retrouvé d’autres éléments liés au film: storyboards, photographies, enregistrements sonores illustrant notamment la folie de Marcel. En mettant ces témoignages et éléments en perspective, nous découvrons l’histoire du film et regardons ces images avec un nouvel éclairage. Voir ces images, suivre Clouzot dans les méandres de sa folie intérieure pour se perdre dans une histoire et des visions qui nous emportent et nous dépassent…. Il est là, lemystère Clouzot. »
Serge Bromberg, le réalisateur du film, est le PDG de Lobster Films depuis 1984 et a réuni une collection de cinéma ancien de plus 40.000 titres rares. Producteur délégué pour la télévision depuis 1994, il a produit plus de 500 magazines et émissions, films d’entreprises et documentaires. Serge Bromberg est par ailleurs Directeur Artistique du festival International du Film d’Animation d’Annecy depuis 1999, et membre des Conseils d’administration de la Fondation GAN pour le Cinéma et de l’Association Française contre les Myopathies (organisatrice du Téléthon), et PDG de Steamboat Films depuis 2006. Il a été décoré Chevalier des Arts et Lettres en 2002. Il a reçu le prix Jean Mitry en 1997, remis aux Giornate del Cinema Muto à Sacile (Italie), qui récompense chaque année une personnalité dans le monde pour son travail de conservation au service du cinéma ancien.
La co-réalisatrice, Ruxandra Medrea, 32 ans, a débuté sa carrière dans le milieu cinématographique en tant que juriste, spécialisée dans la propriété intellectuelle. Née en Roumanie, elle quitte à la fin des années 1980 son pays natal pour s’établir en Autriche, puis en France. Voyageuse dans son coeur, elle poursuit des études universitaires en Europe.
L’Enfer, c’est l’histoire d’un homme, Marcel Prieur, patron d’un modeste hôtel de province, saisi par le démon de la jalousie. Au début du film, Marcel, un rasoir à la main, devant le corps allongé d’Odette, essaie de se souvenir comment il en est arrivé là. Sa jolie femme, Odette l’a-t-elle odieusement, scandaleusement, trompé ? Et avec qui ?
Dans une note d’intention, le réalisateur Serge Bromberg explique le mystère entourant ce film: » Ces images invisibles sont aujourd’hui auréolées d’une légende : le plus grand film du début des années 60, celui qui » avait tout » et dont on disait qu’il remettrait en cause jusqu’aux fondements du cinéma, a été tourné à huis clos dans une débauche de luxe, ne laissant derrière lui que des on-dit et des rumeurs. Que s’est-il passé sur le plateau ? Que cherchait Clouzot? En 2005, l’exhumation de 185 boîtes de films est l’occasion de confronter les témoignages des survivants – tous devenus aujourd’hui des personnalités du cinéma – et tenter de mettre de l’ordre dans les pièces d’un puzzle dont le créateur ne connaissait peut-être pas les contours. »
Serge Bromberg parle de ce qu’Henri-Georges Clouzot souhaitait montrer avec ce film: « Sur une histoire simple, il a tenté de s’approcher au plus près du mystère de la folie et de la paranoïa, comme gages de liberté absolue pour l’esprit de l’homme. La montée dans la folie du personnage de son scénario, Marcel, se fera en parallèle du naufrage de son créateur. Car comme Icare, Henri-Georges Clouzot s’est brûlé les ailes. On ne s’approche pas de la création absolue sans risque de se perdre. Et la toile s’est refermée sur celui qui l’avait tissée. L’histoire ne se passe jamais comme prévu. Comme la folie obsessionnelle, une fois libre de toute contrainte, elle se libère et se rebelle parfois contre son créateur.
Le documentaire enchante l’académie des Césars qui le récompense par le César du Meilleur Documentaire en 2010.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Hervé Goitschel.
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