Vendredi 15 décembre 2006 à 20h45
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Un film de Aki Kaurismäki – Finlande, Allemagne – 2005 – 1h18 – vostf
Koistinen, gardien de nuit, arpente le pavé à la recherche d’une petite place au soleil, mais l’indifférence générale et la mécanique sans visage de la société se liguent pour briser ses modestes espoirs les uns après les autres.
Les Lumières du faubourg a été présenté en compétition au festival de Cannes 2006.
Dernier volet d’une trilogie
Les Lumières du faubourg clôt la trilogie commencée avec Au loin s’en vont les nuages et L’Homme sans passé. Elle a été définie comme la « trilogie des perdants« . Le premier film aborde le thème du chômage, le second parle des sans-abris, quant à ce nouveau film, il traite de la solitude. Des thèmes difficiles qui n’ont pas empêché Aki Kaurismäki de réussir à chaque fois des films singuliers et passionnants.
Notre critique
Par Josiane Scoleri
Kaurismäki ou comment faire un film noir tout en couleurs chaudes avec la raideur du grand Nord en guise d’improbable rocambolesque.
L’univers d’Aki Kaurismäki est sombre, c’est une constatation à laquelle personne n’échappe. Les êtres qui le peuplent y vivent des existences ternes, où la routine a la force implacable d’un mécanisme d’horlogerie suisse. Rien ne semble pouvoir la faire dérailler, et pourtant… On pourrait presque dire que tout le cinéma de Kaurismäki tient dans ce « pourtant ». Avec Les lumières du faubourg, nous retrouvons ces personnages qui semblent accepter de n’être qu’un rouage dans des engrenages qui les dépassent, un horizon indépassable, fait de monotonie, de prévisibilité, de codes parfaitement intégrés où le moindre écart prend le relief d’une véritable bourrasque. Peu d’écarts, en effet, ni de conduite, ni de langage. Une main posée sur l’épaule est le comble de l’audace, un sourire le summum de l’expression des sentiments.
Peu de dialogues de toutes façons dans les films de Kaurismäki où chacun prend son temps pour parler, comme si personne n’avait jamais bien appris, comme si chaque mot signifiait un effort. On a souvent la sensation d’être dans un monde un peu autiste où la communication avec l’autre prend la forme d’une véritable gageure. Au point que ça peut en devenir drôle. Par exemple dans ces rencontres, qui reviennent de film en film, entre un homme seul, sans doute depuis longtemps et une femme qui semble tombée du ciel. Des rencontres filmées comme autant de défis aux lois de la probabilité, cocasses à force de maladresse, où le silence fait sens, où le moindre geste a quelque chose d’héroïque tant les corps sont raides. Les scènes de musique, de bal ou de divertissement chez Kaurismäki sont à peu près aux antipodes ce qu’on entend généralement par là.
Quelques fois on en rit, tout en ressentant un indéniable malaise. Car Kaurismáki ne se moque pas des personnages qu’il met en scène. Ils sont touchants dans leur difficulté qui frise l’absurde. Le jeu des acteurs, toujours en retrait, presque impassibles, permet de donner un sens au plus infime mouvement de sourcils, au moindre déplacement dans le champ (cf. le prix d’interprétation féminine de Kati Outinen à Cannes en 2002 pour L’homme sans passé). Cette discipline que Kaurismäki exige de ses acteurs, il se l’impose évidemment à lui-même. Rien n’est laissé au hasard. Les décors, les objets doivent être aussi « parlants » que les situations où se trouvent les personnages. Il en découle un travail où chaque plan est conçu comme un tableau, la composition du cadre, presque toujours fixe, est d’une précision extrême, sans jamais pour autant tomber dans le formalisme. Car là aussi tout fait sens, tous ces objets sans grand intérêt de la vie quotidienne viennent nous dire quelque chose des efforts dérisoires des hommes et de leur obstination à vouloir malgré tout sortir de la solitude et du non-sens de leur existence. C’est ainsi que pour contrebalancer la grisaille du monde, les murs se font rouges ou bleu cobalt, les nappes vertes ou les abris de fortune jaune vif. Le travail sur les lumières et les ombres participent de la même rigueur et contribuent au même objectif, tout autant que la musique qui joue un rôle capital dans tous les films de Kaurismäki.
Doté d’une solide culture rock (son premier film était un documentaire sur le rock en Finlande dans les années 80), Kaurismäki sait comment faire dire à la musique ce que les mots ont tellement de mal à exprimer, les quelques moments de grâce où le courant passe, la consolation dans la solitude. (par exemple le tango finlandais (sic !!) lorsque Koistinen se retrouve seul devant sa bière dans un bar de quartier des plus quelconques). Car les films de Kaurismäki se passent presque toujours chez les petites gens, les pauvres dont l’horizon est l’usine ou le manque d’usine. Par des chemins très détournés, il y a du néo-réalisme chez Kaurismäki, même s’il n’accorde guère d’importance au « vraisemblable ». De même qu’il ne se saisit d’un genre cinématographique que pour le mieux le désosser. Dans Les lumières du faubourg, on voit bien à quel point cette histoire de gangsters n’est qu’un prétexte, même si tout y est : l’affreux avec ses manières de dur à cuire impénétrable, ses acolytes, la femme qu’il tient en son pouvoir et dont on ne saura jamais si elle adhère totalement à son rôle ou pas…
Ce qui intéresse Kaurismäki, à travers toutes les histoires qu’il nous raconte c’est d’aller à l’essentiel de ce qui fait notre humanité, la difficulté à vivre et l’absolue nécessité de saisir cette main tendue par l’autre si l’on veut ne pas sombrer. Car malgré toute la noirceur du monde, les êtres humains peuvent encore et toujours s’entraider. C’est ce qui change tout. Finalement, Kaurismáki serait-il moins pessimiste qu’il y paraît ???
Filmographie sélective:
Leningrad cow-boys go America (1989) La petite marchande d’allumettes (1989) J’ai engagé un tueur à gages (1990) La vie de bohème (1992) Leningrad cow-boys rencontrent Moïse (1993) Tiens ton foulard Tatiana (1994) Au loin s’en vont les nuages (1996) Juha (1999) L’homme sans passé (2002)
Sur le web
» Le cadre, une ville portuaire que l’on ne verra que de nuit ou au petit matin, est tout autant réfrigérant : jouant beaucoup de l’obscurité des scènes (obscurité qui fait d’ailleurs irrémédiablement penser aux polars américains des années 1940, avec ses pardessus et ses cigarettes), Kaurismäki met véritablement en scène une histoire dans la mesure où tout est créé pour définir un espace public et privé. Ce n’est pas tant son personnage qui est sombre et vide, c’est plutôt le monde dans lequel il vit. Celui-là est en sommeil, en attente, immobile la plupart du temps. On remarquera en ce sens que Les Lumières du faubourg comporte beaucoup moins d’optimisme, de romantisme et de petites touches comiques que ses précédents. Le monde est toujours cruel, mais n’apparaît jamais de réel espoir : les seconds rôles, tracés à grands traits de l’immoralité et de la médiocrité qui caractérisent les faibles. C’est peut-être ce que l’on peut regretter dans un tel film : la froideur des cadres et des personnages est révélatrice d’un propos et ne choque pas outre mesure. Mais la simplicité, que certains qualifieront sans doute de simplisme, du scénario, est parfois décevante. Comme dans la tragédie antique, Koistinen est porté par un destin : celui-ci, loin d’être le fait d’un Dieu, est le résultat d’une (des)organisation politique au sens propre du terme. Mais on est peu surpris par ce qui lui arrive. Sans y être indifférent, on voit la suite, les tuiles, arriver.
Film sur la déshumanisation d’une société, Les Lumières du faubourg réussit cependant à transmettre une émotion, ou plutôt un vide d’émotion. L’absence de sentimentalisme fait partie intégrante du système même de description de la solitude, description ainsi d’autant plus violente. Ce ne sont plus les êtres purs qui gagnent, mais bien les voleurs. Les Lumières du faubourg rappelle, en somme, l’adage proudhonien dans son entièreté : « La propriété, c’est le vol. » »
(critikat.com)
Le bande son du film est exceptionnelle, avec la voix de deux grands rois du tango : l’Argentin Carlos Gardel, connu de tous, et le Finlandais Olavi Virta, connu de quelques rares finlandais, mais qui mériterait une plus grande reconnaissance. Le film est également bercé par la musique de l’Ensemble Mastango, composé d’Antero Jakoila à la guitare, Mikko Helenius au bandonéon, piano, chant, et de Mauri Saarikoski au violon. Leur répertoire regroupe des tangos classiques (Troilo, Gardel) et des compositions des membres du groupe. Les travaux d’Antero Jakoila regroupent les influences du tango et de la musique populaire finlandaise.
L’autre univers sonore du film est signé d’un groupe de rock habitué des fims d’Aki Kaurismäki, la formation Melorse. Formé en 1981, ils ont signé leur première collaboration avec le réalisateur en réinterprétant la chanson Rich Little Bitch dans le film Hamlet Goes Business. Leur musique a ensuite été utilisée dans les films Ariel, La Fille aux allumettes et Au loin s’en vont les nuages.
La chienne Paju figure au casting des Lumières du faubourg. Elle est issue d’une célèbre famille de chiennes-comédiennes ayant joué dans nombre de films du réalisateur finlandais. En effet, son arrière grand-mère Laika a tenu le rôle inoubliable de Baudelaire dans La Vie de bohême. Sa grand-mère, Piitu a joué un des rôles principaux dans Juha. Enfin sa mère Tähti a remporté le prix « the Palm Dog » à Cannes en 2002 avec le film L’Homme sans passé.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.
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