Les Sables Mouvants


 


Samedi 22 janvier 2005 à 19h

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Paul Carpita – France – 1996 – 1h45

En 1958, Manuel, 27 ans, fuit l’Espagne franquiste ou il est recherché pour avoir grièvement blessé un garde civil lors de la répression d’une grève a Bilbao. Il arrive en Camargue sans ressources. Il est embauché par un certain Roger qui loue, à la demande, des étrangers en situation irregulière et les exploite sans vergogne dans les rizières.

Compte-Rendu de la séance :

L’animateur lance le débat en mettant l’accent sur l’émotion extrêmement forte que dégage le film sans jamais verser dans le sentimentalisme, et pose une question à Paul Carpita à propos des changements apportés au scénario original, écrit dans les années 50 pour un film qui devait s’appeler Les Humiliés.

Paul Carpita (PC) : Le scénario original était beaucoup plus manichéen, avec des personnages tout blancs ou tout noirs. J’ai voulu introduire davantage de nuances et de complexité. De toute façon, au moment du casting, j’observe les acteurs et je modifie les personnages en fonction de ce que sont les acteurs. J’essaie de me rapprocher le plus possible de qui ils sont pour qu’ils puissent entrer le plus possible dans le personnage, et qu’à la limite, ils n’aient pas besoin de jouer. Par exemple, le personnage de Roger. Je me suis demandé pourquoi est-ce-qu’il est méchant. Ça vient de son histoire, de sa propre souffrance. Lorsqu’il parle de sa mère, il dit « une femme seule avec un enfant, tout le monde s’en fout, alors , moi aussi, je m’en fous ». Manuel lui sert en fait de révélateur. Il lui renvoie une image de ce qu’il aurait pu être (scène de l’arène ou Manuel refuse l’argent de Mercier, chose que lui, Roger, n’a finalement jamais pu faire). Même le personnage de la femme de Mercier, j’ai essayé de faire en sorte qu’elle ne soit pas seulement une bourgeoise désoeuvrée. Elle n’est pas entièrement d’accord avec son mari… Elle fait preueve d’une certaine sensibilité. Les personnages, servis par les acteurs, font que je rentre dans le film et j’en oublie que c’est moi qui l’ai écrit. A chaque fois, je suis ému, « je me fais avoir ».

Comment se fait-il que vous soyez passé à la couleur ? J’en ai été surprise au début. J’étais sûre que le film allait être en Noir et Blanc.

PC : Le film est en couleur tout simplement parce que le Noir et Blanc coûte beaucoup plus cher, mais j’ai pensé le film en Noir et Blanc. Toutes les scènes dramatiques se passent soit au petit jour, soit au crépuscule, avec des teintes assez sombres et plutôt étouffées. Seule la scène de la fête se passe en plein soleil.

Comment s’est passé le tournage en Camargue ?

PC : Les gens sur place ont été d’une hospitalité extraordinaire. Ils ont été touchés par notre volonté de montrer une Camargue qui n’ait rien à voir avec les clichés touristiques habituels. Par exemple, Daniel San Pedro et Beppe Clerici, les acteurs qui jouent Manuel et Roger savaient à peine se tenir à cheval. Impossible donc de les lâcher au milieu des taureaux. Et bien, ce sont les manadiers eux mêmes qui leur ont appris à monter dans les semaines précédents le tournage. Le résultat est incroyable. On dirait de vrais cow-boys !!!

En parlant de cow-boys, la scène où les 5 manadiers viennent flanquer une raclée à Roger fait vraiment penser à un règlement de compte dans un western.

PC : J’ai une anecdote à vous raconter à propos de cette scène. Manuel était censé marquer un taureau au fer rouge à ce moment-là. Mais c’est une opération dangereuse qui requiert un grand savoir faire. Les manadiers nous ont donc proposé de prendre un taurillon qui avait été élevé au biberon et qui était très docile. Tellement docile qu’il venait se frotter contre les jambes de Manuel, et nous avons dû, au bout du compte, renoncer à la scène.

Personnellement, je trouve qu’une des plus belles scènes du film est celle des deux berceuses , marocaine et espagnole, qui s’entremêlent dans la nuit. Toute la vulnérabilité de ces deux hommes, seuls, perdus dans l’immensité d’un monde hostile, s’exprime dans ce chant, si fragile et si fort à la fois, puisque c’est en même temps leur enfance et leurs racines.

PC : Dans cette scène, Mouloud s’est mis à pleurer, par pure émotion, alors que ce n’était pas du tout prévu dans le scénario. Toute l’équipe en a été remuée : Ça a été un moment très fort du tournage. J’ai fait cette scène comme une réponse aux résultats désastreux des élections qui avaient eu lieu cette année-là. Dans mon quartier, une personne sur trois avait voté pour le Front National. C’est ma manière de rappeler que tous les hommes ont été des enfants bercés par leur mère pour pouvoir s’endormir. Guy Belaïdi, le comédien qui joue Mouloud, est également à l’origine d’une autre scène qui n’était pas prévue et que je ne voulais pas conserver. C’et celle où Mouloud et Manuel sont en train de parler et qu’un chat vient se glisser dans les bras de Mouloud. Je ne voulais pas de ce chat. Je disais « Ces deux là n’ont rien, ils n’ont pas de chat, il n’a rien à faire là. ». Nous avons donc retourner la scène sans le chat. Mais tout le monde me disait que la scène avec le chat était bien meilleure et j’ai fini par céder. Du coup, on entend le maiulement du chat à plusieurs reprises dans la bande son, y compris dans la scène de la berceuse.

Ce qui me frappe le plus dans ce film, c’est la grande bonté qui s’en dégage. Ça me fait penser à Chaplin. Dans Le dictateur, c’est la grande bonté de Chaplin qui démolit Hitler.

PC : Oui, la seule chose que je puisse dire c’est « Il faut aimer les êtres humains ».

Le débat se terminera sur cette phrase de Paul Carpita. Je crois qu’on peut dire que tous ces films en sont une illustration tenace et fidèle.

Sur le web

« Un matin pâle de 1958, Manuel, clandestin espagnol antifranquiste, échoue en Camargue avec l’espoir relatif de trouver un boulot et une planque. Au lieu de quoi, il découvre une poignée d’individus sinistres, en premier lieu Roger, un marchand d’hommes qui exploite la misère immigrée, histoire de s’en foutre plein les poches. Progressivement, les choses se compliquent et Roger apparaît comme une sorte de marionnette dérisoire dirigée par plus puissant que lui, en l’occurrence un promoteur qui impose son mauvais vouloir adipeux à ses ouvriers comme à sa prolétaire de bonne. Pouvoir du sexe, métaphore du pouvoir tout court.

Pourvu d’une armature marxiste particulièrement rigide, Les Sables mouvants prend le risque de sombrer dans la grandiloquence discursive, la misère formelle et le manichéisme. Même s’il n’évite pas toujours les pièges de la fable édifiante, Carpita prouve pourtant qu’il est resté un authentique cinéaste. Ainsi, loin d’illustrer mécaniquement les fonctions didactiques de son scénario, il butine en chemin et s’intéresse avant tout à ses personnages. Sur ces sentiers de traverse, on décèle un surmoi renoirien, une capacité à élaborer une mise en scène où les lieux ne sont jamais décoratifs mais en intime correspondance avec les fluctuations des caractères. Carpita multiplie les lignes de fuite autour de son personnage principal : romance compliquée avec une fille du coin, liens fraternels avec une poignée de types qui lui ressemblent. Du coup, la polyphonie du récit et la ferveur humaniste (jamais démago) parviennent à faire oublier les hésitations formelles ­ limites d’ailleurs élégamment effacées quand, durant la dernière demi-heure, Carpita retrouve la grâce du pur filmeur et enregistre le spectacle d’une nature complice mais menaçante. Reste le (faux) problème de la pertinence d’un tel film en 1996. La vision des Sables mouvants démentit le sarcasme potentiel : en effet, ce n’est pas le moindre intérêt du film que de remonter à une réalité d’il y a quarante ans entretenant des correspondances non fortuites avec celle d’aujourd’hui. Carpita dédicace son second opus “à la jeunesse humiliée et solidaire qui relève la tête”. En ces temps maussades où la hache tient souvent lieu de programme politique, la formule ne prête pas à l’ironie. »
(lesinrocks.com)

Evoquant le tournage des Sables Mouvants, Paul Carpita confie: «Evidemment la technique a changé en 35 ans et ça a été difficile pour moi de me retrouver face à une équipe de 50 personnes. Mais je m’en tiens à ce que je suis. Le deuxième jour de tournage, j’ai trouvé le plateau préparé pour tourner le champ. Après, on devait tout changer et tourner le contre-champ… J’ai dit non. Je voulais des plans séquence, caméra à l’épaule, qui suivent, qui captent ce qui se passe. Je veux pouvoir changer tout le temps en fonction de ce que je viens de saisir, d’un visage, d’une situation. Je prend la fiction comme une réalité à laquelle je m’adapte tout le temps. Alors, vous imaginez la tête de l’équipe quand j’arrivais le matin! Mais ça n’empêche pas qu’à la fin du tournage, tout le monde a pleuré. Pour moi, c’est comme ça. Je ne suis peut-être pas un vrai cinéaste. Mais c’est ce cinéma-là que je veux faire.»


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve (Ecrans pour Nuits Blanches), Vincent Jourdan (Coopérative du Cinéma)

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